Jean-Claude Charles (1949-2008) – hommages

mai 2008

Au regretté Jean-Claude Charles :

« Le fakir et dandy de Harlem » (Dominique Batraville).

« Subtil, talentueux mais à la blessure inguérissable. Blessure d’origine, de parcours, d’exil et d’errance » (Yanick Lahens).

« Jean-Claude, écrivain tu as été. Et vie d’écrivain tu as vecue. Sans aucun refus, tu as bu toute la coupe amère de la vie littéraire. Adieu !
Nan do mòn kale nou yo
Nan ravin sèch nou yo
Lanbi a ap kònen pi tris
 » (Denizé Lauture).

« Sensible, élégant et brillant dans sa manière d’être et d’écrire. Les lettres haïtiennes sont en deuil » (Lucienne Serrano).

Ci-dessous, des textes de Suzanne Dracius, Jean Métellus, Gilbert Desmée, Louis-Philippe Dalembert, Joël Des Rosiers, Hugues St. Fort, Wiener K. Fleurimond, Marc Delouze, Leslie Péan, Maryse Condé et Joëlle Vitiello.

Voir aussi les autres textes écrits en hommage à Jean-Claude Charles, signalés en bas de la page de présentation de l’auteur.


À Jean-Claude Charles

Ferdinand, tu as fui Paris…
Jean-Claude, as-tu suivi Cassegrain, ton lapin Muse et confident ?
Tu as marronné vers ailleurs : « Marronner, il faut marronner ».
Ho, Jean-Claude, ho ! O la ou yé ?
Nous n’irons plus à Barbizon visiter tes amis peintres, saluer les Mânes de Millet comme nous le fîmes ensemble naguère, avec Elvire, espiègle et vive, alors pareille à un elfe en forêt de Fontainebleau.
Mais sans doute, dans un bondissement, Cassegrain t’aura-t-il mené voir Langston Hughes, Duras, Césaire, ou planer sur l’Artibonite…
Gambader du Marais urbain jusqu’aux abords de réels Champs Élyséens où tu te sentiras bien.

Suzanne Dracius
Fort-de-France, 8 mai 2008

Pour Jean-Claude Charles

Je connaissais Jean-Claude Charles depuis environ 20 ans. Un matin, il est venu me voir à l’hôpital où j’exerçais et ce fut le début d’une longue amitié. Combien d’après-midi, n’avons-nous pas passés à refaire l’histoire d’Haïti, à évoquer nos grands aînés ?

Très reconnaissant envers l’instruction reçue en Haïti, chaque fois qu’il réalisait une prouesse stylistique ou même se mettait à ponctuer un texte, il aimait rappeler que c’était grâce à l’enseignement de Pradel Pompilus, son ancien professeur de lettres. Fin connaisseur de la littérature haïtienne, il a beaucoup contribué à sa diffusion, ainsi il a participé au numéro de la revue Sapriphage qui lui était consacré.

Généreux, il se réjouissait sans arrière-pensée des succès de ses compatriotes et, dans la mesure de ses possibilités, s’essayait à les faire connaître. En janvier 2007, il m’a fait l’honneur et le plaisir d’être le maître d’œuvre d’une soirée consacrée à mes écrits : c’était son idée et, quoique paraissant parfois bien éloigné des contingences pratiques, il a su se montrer un organisateur et un meneur de jeu hors pair.

Primesautier, toujours d’une véritable élégance morale et intellectuelle, il savait jeter un regard lucide sur les événements, sur sa propre vie. Jusqu’à la fin, il a fait preuve d’un humour discret ; ainsi, trois jours avant sa mort, alors que je bavardais avec lui à l’hôpital, il m’a dit, en souriant « comment peux-tu être là, ce n’est pas l’heure des visites », en effet, c’était le matin et j’avais argué de ma qualité de médecin pour pouvoir le voir.

Jean-Claude nous a quittés, mais nous restent son regard pétillant, sa chaleur communicative, sa capacité d’enthousiasme et ses poèmes, articles, romans, essais, films, scénarii.

C’est un écrivain et un homme de très grande valeur que le pays vient de perdre.

Jean Métellus
Paris, 9 mai 2008

À Jean-Claude Charles

Tu nous as laissé sur le bord de la route
Sans dire au-revoir
Sans un salut
Tu es parti en disant
Je te donnerai des nouvelles
Sans rien dire tu as enjambé
Le fleuve des morts
Pour ne plus revenir

Nous nous sommes rencontrés dans une voiture, nous avons commencé à faire connaissance dans un hôpital. Je me dis que cela te ressemble. Cette rencontre a eu lieu car nous étions tous les deux invités par Jean Métellus pour discuter du prochain numéro de Sapriphage sur le foisonnement de la création littéraire haïtienne. Nous devions retrouver Jean Métellus dans le bureau qu’il occupait comme neuropsychiatre dans un hôpital. Cela avait donné lieu à un quiproquo à la gare où nous étions attendus par deux de ses assistantes qui te connaissaient mais à qui on avait oublié de dire que j’étais blanc. Je vous voyais, mais je ne savais pas que c’étais moi qui était attendu. Comme tu sais si bien le faire, tu as engagé la conversation pendant le trajet en voiture. Cela te ressemble pour ton côté grand voyageur fréquentant des lieux pas toujours bien famés ; mais toujours en quête d’authenticité. De ce jour là, je pourrai dire que nous ne nous sommes plus quittés. J’ai même chez moi un certain nombre de tes affaires personnelles. Bien sûr, tout le monde va parler de toi comme d’un grand écrivain ─ ce qui est vrai ─, du romancier, du journaliste, de l’homme de radio, de télévision. Tout cela est vrai. Je renvoie à l’entretien que j’ai eu avec toi sur ton écriture dans le N°33 de la revue Sapriphage où tu me disais que même dans tes papiers pour le quotidien Le Monde tu faisais passer la poésie en contrebande et tout le trajet parcouru pour passer d’une écriture métaphorique au départ pour arriver à une écriture « minimaliste ». Comment tu travaillais, les nombreux carnets de notes dont tu avais toujours un exemplaire sur toi. Mais derrière tout cela, il y a l’homme, le Jean-Claude Charles avec ses failles, ses erreurs, ses faiblesses, etc. En tant qu’homme Jean-Claude tu es un charmeur et pas seulement auprès des femmes. Quand tu es convaincu que quelque chose va se faire qui ne devrait pas être et que cela concerne quelqu’un de proche, tu fonces l’empêcher quitte à être iconoclaste. Tu m’as souvent parlé du regretté Jacques Meunier, le plus souvent pour cette histoire incroyable de partir de chez soi pour aller sonner plus loin et se faire adopter. J’ai souvent fait le lien avec ta propre histoire quand tu apprends assez tard que celle que tu croyais être ta mère n’est pas ta mère génitrice et le fait que cette mère génitrice refusera par le silence de dire pourquoi elle t’avait confié à d’autres personnes. Question lancinante du qu’est-ce que j’ai fait ou pas fait pour être abandonné. Question qui venait se rajouter à la question de l’identité sur laquelle tu avais fait un gros travail. Travail qui s’en trouva bouleversé. Que dire de l’amitié entre nous, sinon qu’elle fut très intense même dans des périodes de désaccord. Que cette amitié nous a amenés à vivre des moments de chaleur humaine, de longues discussions jusqu’à tard dans la nuit, des joutes poétiques, des échanges sur nos processus d’écriture, des lectures à plusieurs voix, des discussion sur la peinture, sur le jazz, les rythmes vaudous, des nouvelles d’Haïti où tu rêvais de m’emmener visiter l’île, mais aussi de la vie de couple, de l’érotisme, de la difficulté d’être père, de ta fille Elvire, de nos amis communs, de tes aventures de journalistes, de tes rencontres, de nos séjours aux États-Unis et j’en oublie certainement. Et surtout ton rire. Comment te dire Jean-Claude l’espace immense que tu laisses en moi et que déjà tu me manques. Bien sûr, il y a les souvenirs, tes livres… Mais il n’y a plus ce contact de chaleur humaine qui nous réunissait. Et comme le disait Jacques Meunier à ton propos : « Désir d’ailleurs. Désir d’autres. Désir autrement… Si vous lui dites que la vie est une amère cocasserie, il rit. Il rit comme un enfant turbulent et mal apprivoisé. Le staccato de son rire m’enchante. C’est un homme libre. Tout simplement. » Je te vois dans ces mots, je t’y reconnais pleinement.

Jean-Claude je t’embrasse et je te dis au-revoir, comme si nous allions nous revoir prochainement. Tu restes en tout cas dans mon cœur et dans mon esprit.

Gilbert Desmée
Roisel (Somme), 10 mai 2008


Pour saluer Jean-Claude Charles

Je n’avais pas envie de parler de Jean-Claude Charles dans un journal. Je n’avais pas envie de mêler ma douleur à l’hommage des autres. Je suis un ours qui préfère se terrer pour lécher ses blessures. Je n’avais pas envie. Jusqu’à cet échange de courriels avec Dany Laferrière. Qui m’a incité à le faire. Pour Jean-Claude. Pour la génération d’après. Après lui, après nous. Pour ceux qui l’ont peu ou pas du tout connu. Pour sa fille Elvire aussi. Qu’elle sache que Haïti n’a pas oublié son père.

La peur qu’on l’oublie, c’est ce qui m’avait amené à le voir souvent ces dernières années. À me battre contre lui, puis avec lui pour faire rééditer ses textes. D’abord en France, puis en Haïti. Pour que ces textes aient une nouvelle vie. Pour que ceux d’aujourd’hui sachent, en le voyant passer, flottant dans son costume trop ample, quel immense auteur il était. Pour rendre aussi à l’homme un peu de ce que l’écrivain m’avait donné en tant que lecteur.

Mais il marronnait toujours. Il y avait tantôt un éditeur parisien qui allait les reprendre. Tantôt la rédaction en cours d’un autre texte, qu’on ne voyait jamais venir. Pas le temps donc de se pencher sur des livres déjà publiés. Parisianisme, peut-être. Dernier rempart de sa dignité, sans doute. On a usé deux éditeurs de mes connaissances à ce petit jeu. Mais j’ai tenu bon. La cuirasse ne tarderait pas à montrer ses premières fissures.

Entre-temps, les opportunités parisiennes nous avaient filé sous le nez. Je n’avais plus en main qu’une proposition haïtienne. Edouard Willems, le directeur des éditions des Presses nationales, m’avait parlé de son projet de rapatrier les œuvres des Haïtiens publiées à l’étranger. Je lui avais suggéré, parmi d’autres, le nom de Jean-Claude Charles. Il connaissait, et aimait. Il était preneur. Restait à convaincre le principal intéressé.

« Je n’ai pas, m’avait répondu Jean-Claude, de fichier informatisé de mes textes. » La maison d’édition qui les avait publiés dans les années 80 avait déposé le bilan. Il craignait qu’en les faisant retaper en Haïti, on y rajoute des fautes. L’homme, c’est connu, était pointilleux, exigeant avec lui-même, jusqu’à l’inhibition parfois. Qu’à cela ne tienne, lui dis-je, je m’en occupe. Il m’avait alors confié un exemplaire, emprunté à une amie, de Bamboola Bamboche. J’aurais préféré Manhattan Blues, mais lui voulait, c’était une autre de ses conditions, que ce soit Bamboola Bamboche. Il tenait tout particulièrement à ce texte, l’un des plus complexes qu’il ait écrits, avec Sainte Dérive des cochons et Le Corps noir. Les autres viendront après, m’avait-il dit. S’il était satisfait du travail de l’éditeur.

Va pour Bamboola Bamboche. Que j’ai scanné page par page sur mon imprimante-scanner de quatre sous, débarrassé des premières coquilles, puis imprimé pour lui donner une version papier à corriger à son tour. Mais ce n’est pas fini. Comme il n’avait pas d’ordinateur pour recevoir le fichier en PDF, il fallait que la maison d’édition lui envoie, par DHL, les épreuves. Sans oublier le contrat, qu’on a vu et revu ensemble, et qu’il tenait à faire viser aussi par un ami avocat parisien. L’homme ne faisait jamais rien en amateur. Il a ainsi eu du mal à accepter mon refus du pourcentage qu’il avait voulu, malgré notre amitié, me proposer en tant qu’agent intermédiaire. Bref, ses exigences avaient été satisfaites. Il avait eu mieux encore, il avait été l’un des invités, au mois de novembre, de la deuxième rentrée littéraire des Presses nationales. Ça allait être son dernier voyage au pays. Il aurait souhaité, je le sais, il me l’a dit, être là aussi pour la première édition d’Étonnants Voyageurs Haïti, mais il n’avait pas été invité. Comme souvent ces dernières années.

Pour la présentation de Bamboola Bamboche à Port-au-Prince, je l’ai vu content, souvent. En forme, par moments. La saleté faisait déjà son chemin dans son œsophage. Il mangeait peu, encore moins que d’habitude. Son œsophage ne laissait passer que du liquide. Mais il n’en parlait pas. Digne. Drapé, malgré la chaleur, dans son éternelle veste qui lui avalait le corps. J’ai eu le plaisir, un après-midi à Fokal, d’être à ses côtés pour un débat dont je ne me rappelle plus la teneur. Tout ce dont je me souviens, c’est qu’il était en forme. Il s’était bien reposé dans la matinée. Je me suis alors glisser dans la peau du lecteur admiratif de son œuvre et de ses mots, pour le laisser parler tout son soûl.

J’étais heureux que cette aventure haïtienne se passe si bien. Il faisait très peu confiance aux institutions haïtiennes. À moi, oui. Peut-être parce qu’il sentait en moi une admiration sincère et désintéressée. Je me rappelle sa réponse à un écrivain curieux de savoir pourquoi je me battais tant pour la diffusion des lettres haïtiennes. Quel était mon intérêt dans l’histoire. Et lui de répondre : aucun. Il avait donc confiance. Au point de me demander, par deux ou trois fois, de scanner tous ses récits de voyage publiés dans le quotidien français Le Monde pour qu’il en fasse un nouveau livre. Je le lui avais promis. Ce fut notre dernière conversation au téléphone. Je lui avais demandé deux ou trois mois. Le temps de terminer le premier jet d’un livre en cours. Il m’avait dit, de sa voix fluette et aiguë : « M konte sou ou, wi, frè-m ».

Il nous arrivait d’avoir de longues conversations ensemble. On discutait alors de tout et de rien. J’aimais beaucoup les discussions avec lui. Il te forçait toujours à élever le niveau de tes propres réflexions. De temps en temps, au milieu de la conversation en français, il te sortait une expression du plus pur créole. Qui remontait sans doute à son enfance et à son adolescence. Et qui disait qu’il était aussi de cette terre. Malgré ses vagabondages multiples. Ça pouvait être aussi une longue parenthèse. Qui commençait toujours par un « tande non, frè-m ». Parfois, il variait, et ça donnait : « Gade non, Timal ».

Cette histoire de langue me rappelle qu’on aurait dû partager, pour un an, une chaire d’études du créole dans une université de Floride. Un projet du critique Jean Jonassaint, qui n’a pas abouti. Le premier semestre me revenait de fait. Lui, n’aurait pas pu. Il devait faire un saut à New York pour aller voir sa fille qui y étudiait le cinéma. Sa fille Elvire. Il en parlait souvent. Ses yeux pétillaient alors de bonheur. De fierté aussi. Elvire qui a étudié dans un des lycées les plus prestigieux de Paris, l’Ecole alsacienne. Elvire à qui il a consacré tout un recueil de poèmes : 5 + 1 lettres à Elvire. Je l’ai rencontrée en deux occasions. Belle et élancée, comme son père, qu’elle était venue écouter une fois à Saint-Malo. C’était en 2004. L’autre, c’était l’année dernière au Théâtre du Lucernaire, à Paris.

Jean-Claude y avait organisé une soirée en hommage à Jean Métellus pour ses 70 ans. Une soirée réglée comme du papier à musique, temps de parole compris. Préparée plusieurs mois à l’avance. Il avait tenu à m’y associer. Réunir, pour l’occasion, trois générations d’écrivains haïtiens. Il faut rendre hommage aux gens de leur vivant. C’était son credo. Ça tombe bien, ça a toujours été le mien. Jean Métellus, son ami de longue date. Deux hommes à la personnalité et à l’écriture si différentes pourtant. Le fait est que Jean-Claude écoutait beaucoup l’autre. Suivait, appréciait sincèrement ses succès, sans jalousie aucune. C’est ce qui s’est passé avec Jean Métellus. Qui aura souvent été là pour lui. Comme un grand frère. Il y en avait d’autres aussi. Des Haïtiens, comme Gérald Bloncourt. Des Français, comme son ex-compagne, la mère d’Elvire. Des Antillais. Toute une chaîne discrète, dont la solidarité s’essoufflait parfois en cours de route. Mais d’autres prenaient le relais.

Je sais qu’une certaine légende voudra qu’il s’en soit allé seul dans ce Paris si froid, si distant. Ce Paris qui habite son œuvre. Il n’était en fait seul que de la solitude dernière de l’humain. De celle dont il savait se draper en disparaissant pour un temps. Pour protéger sa dignité d’homme. Pour se protéger tout simplement. S’en aller dans la solitude totale aurait cependant collé au personnage. Au mythe aussi de l’auteur dandy. Mort dans l’indifférence générale. Comme un certain Baudelaire, dont il nous arrivait de parler. L’auteur des Fleurs du mal était déjà trop classique pour lui, dont l’œuvre était celle de toutes les ruptures. Des genres comme de la langue. Lui qui a su dépoussiérer cette vieille langue française, celle en particulier de la tradition littéraire haïtienne. La mâtiner tantôt d’anglais, tantôt d’espagnol, voire de créole. Toujours avec cette exigence qui le caractérisait.

L’homme abhorrait la médiocrité. Il n’ouvrait pas la bouche si ce n’était en connaissance de cause. Alors là, il devenait intarissable. À l’inverse, l’amateurisme l’insupportait. Il voulait devenir journaliste ? Il décroche une licence dans l’une des trois meilleures écoles françaises, l’Ecole de journalisme de Strasbourg, avant d’obtenir une maîtrise en Sciences et techniques de l’information à l’université de Paris. Il aimait le jazz ? Il ne se lançait dans un débat là-dessus qu’à partir de ce qu’il avait lu et écouté, c’est-à-dire tout. Voilà l’homme qui nous a quittés. L’une des plus belles cohérences entre un homme et son œuvre. Pour moi, un frère, un modèle d’exigence et de sincérité. Un écrivain auquel l’histoire de notre littérature se doit de faire la place qu’il mérite.

Louis-Philippe Dalembert
Paris, 10 mai 2008


Dans la lumière douce de Paris

La mort de Jean-Claude Charles avec qui j’ai partagé un appartement à Strasbourg, au début de nos années d’études, me plonge encore dans la douleur. La syntaxe de Césaire à peine enfouie dans l’horizon des foules fleuries, ça m’épuise à la fin la mort du Père suivie de celle du fils. Nous vivions alors dans l’aura crépusculaire de Mai 68. À l’époque, Jean-Claude venait de troquer la médecine pour le journalisme. Il m’avait offert Négociations, son premier recueil de poèmes écrit au Mexique, à Guadalajara, dans une fulgurance inspirée qui tranchait sur la production courante.

Mais hélas, on n’abandonne pas la médecine impunément… C’est une école de vie, au plus fort de ses conquêtes, qui permet de ne pas préjuger de sa puissance.

C’est le second mâle de cette génération que je perds précocement après la disparition d’un autre rastaquouère, Alix Pompée, lui aussi un ancien de Strasbourg, il y a au plus une dizaine d’années.

La mort de Jean-Claude Charles… la mort de Ti-Mâle… en guise de scénario posthume d’une destinée à la fois infiltrée de lyrisme et arrosée de vins médiocres. Car la vie se moque des belles histoires de jeune écrivain caraïbe lancé à l’assaut de lui-même sur les rives de la Seine. Elle se nourrit d’une exigence de liberté portée par l’écriture et Jean-Claude Charles savait conjuguer la même présence au monde à un vif sens du jazz, inventivité langagière qu’il empruntait parfois à la musique de Charles Mingus, le magicien de Creole Love Call.

Il y avait une superbe contrebasse qui traînait dans l’appartement de la rue des Carmes, abandonnée sur le tapis comme une bête blessée par le locataire précédent, sans doute un musicien qui ne pouvait plus acquitter ses loyers. J’évoque les notes bleues qui se déployaient dans une stricte apesanteur et pouvaient flotter dans la lumière en une pure dissémination, une expérience folle d’improvisation qui me soulageait de l’angoisse émerveillée que suscitait l’étude, la nuit durant, des planches anatomiques. Mais Jean-Claude avait toujours eu l’élégance de croire que j’étais musicien.

J’avais beaucoup aimé les deux romans Manhattan Blues et Ferdinand, je suis à Paris. Jeu, vitesse, séduction, dandysme, effets romanesques mêlés subtilement à des effets documentaires : Jean-Claude dans son œuvre était le héros de son propre roman familial comme on disait à l’époque en psychanalyse. « De quel lieu tu parles ? » était notre mantra. Jean-Claude parlait d’un lieu de souffrances indéchiffrables qu’il abordait rarement sinon sur le papier. Chacun s’appuie sur ses propres fantasmes pour écrire, jouir et sentir. Au point que tout être se détache et se conquiert à partir d’un fond chaotique qui peut toujours faire retour, dans les formes de pétrification ontologique, délire, rêve, passion.

Nous étions devenus plus proches encore quand j’ai commencé à publier. Il m’avait soutenu. Je l’avais aidé dans sa sainte dérive. Aussi sa vie, dans ses plis et ses replis, me fait-elle penser aux nœuds borroméens de Lacan, à leur géométrie imaginaire et infinie où le sujet, à vif, se perd s’il n’assume pas le lourd fardeau d’avoir à assumer ses limites. Ce qui était au fondement de l’acte d’écrire chez Jean-Claude Charles, son écriture justement était une expérience des limites. Une telle écriture ne pouvait que conduire à une épreuve de dépersonnalisation, une confrontation avec le réel, le trop-plein de réel, une expérience de la mort des mots qui dédit la vie et entraîne l’écrivain et le lecteur au vertige.

La maladie de Korsakoff l’assiégeait avec son lot d’amnésies au point qu’il racontait en boucle les mêmes fables, sans même s’en rendre compte. Il n’était plus que l’ombre de lui-même. Irritable. Hargneux. Vaincu atrocement par l’alcool. Je l’aimais beaucoup si bien qu’à chacun de mes passages à Paris, entre tourment et sacrifice, je lui apportais du Chivas, sa marque préférée de whisky. Autrement il m’aurait tenu une incurable rancune comme on ne pardonne rien vraiment à ceux que nous aimons. À l’image d’une histoire de brûlures et de catastrophes, l’allégorie dionysiaque de sa vie se transformait en échardes exquises, en des fleurs expirantes. Et j’en étais le témoin impuissant.

Combien de fois l’ai-je vu en manque, au bord du delirium tremens, balbutiant, les yeux injectés d’une lueur grotesque, comme un Christ suffocant.

Sa pipe, sa dégaine et sa longue silhouette efflanquée toujours entre deux rancarts dans le Marais ou au bout du monde. Tout son physique était une ode à la déambulation. À l’ombre de Beaubourg, il avait longtemps habité un meublé, rue du roi de Sicile, mais c’était lui le roi de nos lettres postmodernes, célèbre et célébré par Marguerite Duras.

Il m’en avait voulu de ne pas avoir suffisamment signalé son œuvre dans un essai. Il n’y a de vraie reconnaissance que par ceux de la tribu. Sans doute avait-il eu raison… Je me réservais de m’approcher de ses pratiques et de sa poétique dans un prochain livre. Mais cela n’avait pas suffi pour apaiser sa déception. Il s’était mis en colère sur le trottoir, en face de La Hune, à St-Germain-des-Prés… comme la vitrine de la librairie nous renvoyait une image voilée de nous-mêmes, nous nous étions éloignés… enfin il me faisait souffrir de sa souffrance…

Quelques années plus tard à New York, rencontrant ma famille pour la première fois, il avait demandé si ma mère était ma vraie mère et ma sœur ma vraie sœur. Le réel dit la vérité de chaque personne tandis que la réalité ne décrit que sa situation sociale. Cette interrogation sur mes origines tissait enfin les fils qui réunissaient l’héritier en révolte, aussi souriant que pudique, à son propre passé et éclaircissait les brumes de son histoire personnelle, roman familial resté douloureux pour lui, jusqu’à sa disparition.

L’œuvre de Jean-Claude Charles, en ces temps de crises marqués par le retour de la mélancolie propre à l’Occident, sonne comme un défi en plein Paris, défi à la pensée qui de Baudelaire à Césaire n’a cessé de développer une esthétique de la mélancolie moderne, où le trauma revient comme une ombre et un fantôme qui vampirisent l’ego, et le vouent à la perte et au malheur.

Imaginons le poète comme un « Ange de l’Histoire », aussi gracieux qu’ailé, dans le rêve cosmique où l’énergie de l’éphémère, la légèreté et l’humour sont les seules formes de résistance face aux conformismes et aux tragédies qui nous entourent. Dans son envol et ses métamorphoses, Jean-Claude Charles porte le temps post-mélancolique d’un devenir qui est notre seule éternité.

Un ami perdu demeure un ami même perdu… Jean-Claude Charles aimait Paris. Paris fut son tombeau.

Joël Des Rosiers
psychiatre et écrivain
Montréal, 11 mai 2008


Se souvenir de Jean-Claude Charles

J’ai connu Jean-Claude Charles au lycée Toussaint Louverture à Port-au-Prince. Il était en section B (lettres et maths) et moi, j’étais en section A (lettres classiques). Nous n’étions pas de la même promotion mais nous avions des amis communs qui étaient fous de littérature et il nous arrivait de nous passer non seulement des bouquins hautement littéraires mais aussi d’autres de qualité moins élevée, genre romans de cape et d’épée. Il avait fait aussi de la radio sous la houlette de Jean Dominique à Radio Haïti qui était située à l’époque sur la Grand-Rue près de la rue des Miracles, je crois. Mon Dieu, que tout cela me semble loin ! J’oublie le titre de son émission mais c’était un mélange de littérature, de cinéma et de musique haïtienne. Déjà à cette époque, Jean-Claude Charles était amoureux de cinéma (la Nouvelle vague, Fellini…) et je ne m’étonne pas que sa fille continue sur sa trace puisqu’elle est actuellement étudiante en cinéma à New York. On était alors au début des années 1970, on avait tous 20 ans ou un peu moins et les « mini-jazz » faisaient leur apparition sur la scène musicale haïtienne (surtout à Port-au-Prince). Cependant, malgré sa qualité, l’émission de Charles ne fit pas long feu car il allait quitter Haïti pour poursuivre ses études à l’étranger. C’était en 1970 ou 1971. Deux ans plus tard, j’allais suivre ses pas mais c’était pour aller étudier la linguistique.

Jean-Claude Charles était sans l’ombre d’un doute l’écrivain haïtien le plus doué de sa génération. Marguerite Duras l’avait sacré meilleur écrivain d’aujourd’hui après la parution de Manhattan Blues en 1985. Je ne sais pas quelle répercussion ce sacre suprême a eu en Haïti quand on l’a appris mais dans son texte hommage du 8 mai 2008, Dany Laferrière dit que ce sacre durassien a tout simplement tué Charles. Laferrière a aussi montré les similitudes dans le cas de Davertige louangé par Alain Bosquet qui le fit même rentrer à Paris mais qui a été terrassé du jour au lendemain par toutes les difficultés de vivre et de percer à Paris ; les similitudes également dans le cas de Magloire Saint-Aude célébré par Breton mais mal accepté par ses pairs. Y a-t-il donc une malédiction quand on est écrivain haïtien de se voir loué par de grands noms de l’intelligentsia parisienne ? Bien sûr que non ! Il s’agit de prendre les situations cas par cas. Dans le cas de Jean-Claude Charles, nous sommes en présence d’un individu extrêmement doué mais travaillé par de formidables problèmes d’identité. Identité raciale, identité sociale, identité géographique. Jean-Claude Charles a dit lors d’un entretien public à la Bibliothèque publique de Queens, New York, au début des années 2000 : « C’est en France que j’ai découvert que j’étais Noir ». Stupéfiant, non ? mais ô combien révélateur ! On lira avec profit sur ce sujet l’excellent essai qu’il a publié en 1980 chez Hachette/P.O.L., Le corps noir. Dans ces conditions, Charles était condamné à la chute. Et il le savait. C’est pour cela qu’il s’était réfugié dans l’alcool. Dans les dernières années de sa vie, il était presque tout le temps ivre. Pour oublier. Oublier sa condition raciale. Oublier ses origines sociales. Personne ne pouvait sauver Charles sauf peut-être lui-même. Mais en avait-il l’envie ? Toute la question est là.

Grâce à son génie multidimensionnel, Charles arrivait à se mettre à l’abri des dérives d’un nationalisme littéraire haïtien menteur et mal assimilé. L’œuvre de Jean-Claude Charles ne peut se lire sous les projecteurs des catégories habituelles dont les critiques haïtiens s’affublent pour analyser les textes de la majorité des écrivains haïtiens : réalisme merveilleux, identité ou espace national, imaginaire du vodou… À lire Sainte dérive des cochons ou Manhattan Blues, deux œuvres caractéristiques de la manière Charles, on aurait de la peine à retrouver ces catégories. Cela ne veut pas dire qu’il y avait un désintérêt chez lui pour Haïti. Loin de là. De si jolies petites plages (1982) montre qu’il a été poursuivi par une certaine idée de son pays natal : « Moi, je suis malade de ma mère, ce morceau d’île qui baigne entre Cuba et Porto Rico. Cette maladie n’a pas nom « nationalisme ». Je ne parle pas de « retour aux sources ». La blessure vient de plus loin. Si je savais d’où, je n’écrirais plus un mot… ». Jean-Claude Charles a inventé le néologisme « enracinerrance » pour caractériser ce qui fait, d’après lui, sa profonde identité, sa marque personnelle. Dans son texte « L’Enracinerrance » publié dans la revue Boutures en 2001, Charles dit ceci : « Le concept d’enracinerrance est délibérément oxymorique : il tient compte à la fois de la racine et de l’errance, il dit à la fois la mémoire des origines et les réalités nouvelles de la migration ; il remarque un enracinement dans l’errance ». Physiquement, Jean-Claude Charles n’a jamais changé. Il est resté ce long jeune homme mince que j’avais connu au lycée Louverture vers la fin des années 1960, que j’ai revu à Beaubourg à Paris au début des années 1980 et finalement à New York à la bibliothèque publique de Queens. On ne reverra plus sa longue silhouette maigre à New York, on n’entendra plus sa voix posée, calme, aux articulations parfaites, à l’accent plus français que le Français natif. Malgré ses formidables qualités de poète, de romancier, de journaliste reconnu par les plus grands journaux français et francophones, Jean-Claude Charles n’a pas été apprécié à sa juste valeur par les intellectuels haïtiens (deux grandes exceptions cependant : Lyonel Trouillot et le très perspicace universitaire Jean Jonassaint) et le grand public haïtien. J’espère que l’histoire littéraire haïtienne se souviendra de ce formidable écrivain haïtien et qu’on le lira longtemps en Haïti. À sa fille Elvire que j’ai rencontrée ici à New York en décembre dernier et à ses parents en Haïti, j’envoie mes plus sincères condoléances.

Hugues St. Fort
« Du côté de chez Hugues »
Brooklyn, 11 mai 2008


Jean-Claude je suis à Port-au-Prince

C’est dans la capitale haïtienne, Port-au-Prince et dans Le Nouvelliste que j’apprends le premier la triste nouvelle. Ensuite, j’ai reçu un email de la part d’un ami commun, le professeur Thomas C. Spear de la City University of New York ; il voulait savoir si la nouvelle du décès de Jean-Claude Charles m’était parvenue, ne sachant si je me trouvais en Haïti ou en France. Donc, Jean-Claude et Thomas je suis à Port-au-Prince. Bien que la mort reste la part la plus mystérieuse qui soit dans la vie d’un être vivant (c’est-à-dire, elle arrive toujours au moment où on ne l’attendait pas), il faut dire que celle de mon ami Jean-Claude ne me surprend nullement. Je savais qu’il était souffrant.

En mars dernier, avant mon départ pour Port-au-Prince, je l’ai appelé pour fixer un rendez-vous pour déjeuner avec lui, comme l’on faisait chaque mois. Il m’a répondu qu’il devait aller voir son médecin et qu’il m’appellerait pour convenir d’une date. Ainsi, j’ai dû partir pour Haïti sans avoir eu le temps de le revoir. Malheureusement, ce sera pour la prochaine fois dans l’au-delà. Ma rencontre avec Jean-Claude Charles – cet écrivain, poète et romancier d’une fécondité incroyable, bien que pour moi, Jean-Claude reste avant tout, un grand journaliste d’un talent inégalé, un métier qu’il a pratiqué avec passion et amour – remonte à la fin des années 80 début 90. C’est à cette période qu’il commençait à fréquenter assidûment la communauté haïtienne de Paris. Pas en tant qu’activiste, ni leader.

Le militantisme politique ou associatif n’étant pas son point fort. Néanmoins, Jean-Claude était accueilli et apprécié par l’ensemble des Haïtiens de France comme l’un des leurs et ce d’autant plus que, en dépit de sa renommée internationale et de sa grande notoriété dans la société française, il s’identifiait toujours en tant qu’Haïtien. Cela mérite d’être signalé, car c’est tellement rare de trouver un Haïtien arrivé à un tel niveau à l’étranger, en France en particulier, de rester sobre et de revendiquer son « haïtienneté ». Ce fut Jean-Claude Charles. Je ne tiens pas, dans ces brefs souvenirs, à raconter la vie de ce grand ami et collègue venant à peine de nous quitter. D’ailleurs, d’autres certainement mieux placés, le connaissant beaucoup plus, le feront sans nul doute  mieux et avec plus de talent que moi. Je tiens seulement à travers ces quelques lignes à dire que Jean-Claude s’était vraiment rapproché de moi, je dirais, à la fin de sa courte vie. Tout a vraiment commencé en 2003.

L’année où l’on commémorait le bicentenaire de la mort de Toussaint Louverture et la célébration de deux cents ans de la création de la bannière haïtienne. Partout en France, des Mairies, des Collectivités Territoriales et des librairies organisaient diverses activités dans le cadre de ces anniversaires relatifs à l’histoire haïtienne. Très souvent Jean-Claude et moi faisions partie des invités en tant qu’auteurs et journalistes  pour intervenir ou pour réagir à ces débats. Ainsi, nous sommes venus de vrais potes. Sachant que je suis de très près les choses politiques et l’évolution de la société haïtienne, avec l’intention de retourner définitivement au pays natal, il était curieux de savoir comment je fais pour être aussi actif dans la communauté haïtienne de Paris et de vivre passionnément pour Haïti.

La fusion entre Jean-Claude et moi va être totale et capitale en novembre 2004. En effet, lorsqu’à la demande d’une Collectivité française de la Région de la Savoie, M. Eric Sauray, écrivain et Directeur de la première librairie haïtienne de France, la Librairie Toussaint Louverture, a invité un groupe d’auteurs haïtiens vivant à Paris à l’accompagner dans cette région où Haïti était à l’honneur dans le cadre de la célébration du bicentenaire de son indépendance, pour présenter notre ouvrage collectif – Lettres Ouvertes à Dessalines – que sa maison d’édition, Dauphin Noir Culture, venait de publier. Jean-Claude Charles faisait partie du voyage. Bon vivant et doué d’un humour le plus naturel, pendant ces trois jours passés dans cette région montagneuse et froide qu’est la Savoie, Jean-Claude nous a réchauffé le cœur, l’esprit et le corps. Car pour lui, la culture et la littérature ne marchent pas sans un bon vin de Bordeaux pour la France et un bon rhum Barbancourt pour Haïti.

C’est vraiment à ce moment que je découvre combien ce passionné et fin connaisseur des belles lettres françaises et haïtiennes était un amoureux fou de son pays d’origine et de tout ce qui touche de près ou de loin à Haïti. Pour quelqu’un qui travaille et écrit énormément sur la culture des Africains-américains – musique, littérature et danse –, baignant à longueur de journée et ce, depuis plusieurs décennies, dans la culture française et ne donnant pas l’impression qu’il se passionne vraiment pour le train-train quotidien de ses compatriotes de l’intérieur et encore moins pour les péripéties politiques et institutionnelles d’Haïti, j’ai été bluffé par Jean-Claude, quand il s’est mis, au cours de ce voyage littéraire, à énumérer tous les titres de mes éditoriaux que j’ai présentés sur la radio Fréquence Paris Plurielle tous les dimanches depuis plus de dix ans. Aujourd’hui encore, je n’en reviens toujours pas.

C’est à ce moment qu’il m’a dit, « figure-toi, Kerns » (il était l’un des rares, parmi mes amis, à m’appeler Kerns), « qu’à chaque fois je suis à Paris, je ne rate jamais ton éditorial et surtout pour la chute. Tu sais, c’est ce qui donne plus de poids à un éditorial politique ». Et en bon écrivain qu’il fut, il m’a conseillé de les mettre sous forme de textes pour les publier. Depuis lors, il ne se passe pas une semaine sans qu’on ne s’appelle. À ce moment, je venais avec quelques autres camarades de fonder à Paris le journal Haïti Tribune, un bimensuel de vingt-quatre pages. Je savais qu’il n’écrivait pratiquement plus. La fatigue, l’alcool le détachaient de plus en plus de l’écriture.

Il ne pouvait plus honorer ses engagements pris auprès des éditeurs. Il était un peu perdu, seul et même délaissé par la plupart de ses anciens amis haïtiens. Sauf, à ma connaissance, le Dr Jean Métellus qui lui restait fidèle et le voyait souvent. Pour lui redonner le goût à l’écriture et l’encourager à sortir de l’isolement de son quartier du Marais dans le IVe arrondissement de Paris, je l’ai embauché à Haïti Tribune en lui donnant carte blanche. Avec Mme Elsie Haas que je venais de nommer Directrice de la rédaction, Jean-Claude a créé sa propre chronique. Dénommée la Chronique de Jean-Claude Charles. Ce fut comme d’habitude un délice de lire les différents sujets que ce grand du journalisme haïtien ait pu traiter jusqu’en juin 2006. Jean-Claude avait cette faculté de rebondir.

Tout de suite après son arrivée à la rédaction du journal, il avait retrouvé la joie de vivre. Il était actif, participait à toutes les conférences de rédaction tous les mardis, il relisait et corrigeait les textes et surtout mon éditorial, qu’il disait lui donnait envie de faire de la politique en Haïti. Il conseillait les jeunes journalistes et les stagiaires. Enfin il participait à toutes les activités culturelles et littéraires du journal. Il a même failli gagner le prix de l’Institut Panos pour la Chronique de Jean-Claude Charles en 2006 au nom d’Haïti Tribune (un problème de timing a empêché son dossier d’arriver à temps au siège de l’Institut). Bref, pour moi, Jean-Claude Charles n’était pas seulement un Haïtien de Paris. C’était un ami, un proche avec qui j’avais l’habitude de refaire Haïti, depuis mon bureau au Parti Socialiste français à la rue de Solferino dans le VIIe arrondissement de Paris.

Sur ses conseils, j’ai entamé l’écriture de mon nouvel ouvrage sur les crises politiques de 2001-2006. Il devrait en être le préfacier. Hélas, affaibli par la maladie et sombré de plus en plus dans l’alcool, c’est lui qui m’a suggéré le Dr Jean Métellus pour le remplacer dans cette tâche. Ce court témoignage veut être un hommage que je souhaite rendre en mon nom propre et au nom des tous ses compatriotes de France sur ce grand homme de lettres et brillant journaliste d’un style particulier que fut Jean-Claude Charles. C’était un Français de la communauté haïtienne de Paris, un Haïtien dans la société française. Enfin, c’était un citoyen du monde, tant il aimait aller se familiariser, se frotter avec des cultures d’ailleurs. Bref, c’était Jean-Claude, dans toute son universalité culturelle et littéraire se définissant lui-même comme un « nomade aux pieds poudrés ». Alors, « homme de nulle part » né le 20 octobre 1949 à Port-au-Prince et décédé le 7 mai 2008 à Paris, bon voyage et à bientôt.

Wiener K. Fleurimond
journaliste politique, auteur
Port-au-Prince, 12 mai 2008


Souvenir déjà de Jean-Claude Charles

Tu as trouvé le chant en toi qui permet de fouiller
au plus profond
d’y rencontrer
la réalité du monde

Tu étais une amphore qui contenait toute la mer
désormais la mer te contient
Qu’elle soit douce à ta parole qui demeure
au monde

Marc Delouze
Paris, 12 mai 2008

Hommage à Ferdinand (Jean-Claude Charles 1949-2008)

Au cours des années 1980 (1982, 1985, 1987), j’ai écrit dans Haïti-Observateur à New York et dans Collectif Paroles à Montréal, plusieurs textes traitant de l’œuvre de Jean-Claude Charles. Deux papiers ont concerné  De si jolies petites plages. Puis, un autre pour Bamboola Bamboche. Un troisième, à propos de Manhattan Blues. Et enfin, un dernier pour saluer Ferdinand, je suis à Paris. Il fallait familiariser le public haïtien avec cet essai et ces trois romans de la période la plus productive de Jean-Claude Charles. Quatre marches de l’escalier qu’il a gravies pour le conduire au sommet de la production littéraire. Déjà Manhattan Blues lui avait valu d’être reconnu par le prix Goncourt Marguerite Duras comme le meilleur écrivain d’aujourd’hui.

C’était une façon d’échanger et de communiquer avec lui, sur ce qu’il disait de lui-même et des autres. Dans ses livres mais aussi dans sa collaboration hebdomadaire au journal Haïti-Observateuroù il animait la chronique « De si jolies petites pages ». En enlevant le « l » à plages, Jean-Claude Charles faisait la connaissance d’un large lectorat en lui offrant des textes ingénieux. Ses écrits sont des repères de ces lieux réels et imaginaires du territoire de l’exil qu’il a arpenté à la recherche d’un point d’ancrage. Les miens étaient de minuscules signaux que je lui renvoyais juste pour lui dire que je le suivais. Dans les souvenirs de ses multiples voyages aux parenthèses voluptueuses. Dans ses flâneries, de New York à Paris, sans illusions, entre interminables discussions politiques et danseuses à poil. Dans son travail de journaliste reporter entre Mexico City et Dakar, Montréal et Port-au-Prince. Il voulait faire lui-même le constat du malheur pour Le Monde en 1986. Il ne s’est jamais remis de ce choc.

Jean-Claude Charles s’est rendu compte qu’un certain exil intérieur en Haïti confine l’individu à être un presque rien pour survivre parmi les mauvais esprits. Il assiste au passage à l’infinitif de paysans à Jean-Rabel et de personnalités politiques comme Louis Eugène Athis et Yves Volel à la capitale. À son retour à Paris, il devient Ferdinand, renversé par ce qu’il a vu de jalousie, de hargne, de mesquinerie, d’égoïsme et de haine. Il écrira alors : « Je marche dans Paris sans voir Paris. Je revois des scènes vécues en Haïti. Avons-nous troqué la mort contre la mort ? Les lendemains ne veulent pas toujours chanter. Quand donc chanteront-ils ? » (Ferdinand, je suis à Paris, page 224).

Mais, il ne faut pas se tromper. Jean-Claude Charles ne voue pas Haïti à tous les diables. Il veut cerner la malédiction qui plane sur ce pays. Il est intrigué par Haïti comme d’autres le sont par le sexe féminin. Sans en faire un principe dominant de sa vie, dès qu’il trouve un prétexte pour servir sa soif, il y retourne. L’occasion se présente lors des élections du 16 décembre 1990. Le Mondel’envoie en reportage. On s’était donné rendez-vous quelques jours avant son départ. Pour faire le point, car je revenais de trois semaines de séjour en Haïti et pour qu’il me file les clefs de son appartement dans le quartier du Marais, à Paris, pour que ma famille m’y rejoigne pour passer ensemble les vacances d’hiver.

Jean-Claude me fit une bonne description de ce quartier du vieux Paris avec ses églises Saint-Ambroise, Saint-Paul, et surtout Saint-Denis-du-Sacrement où on peut voir de très beaux Delacroix. Il insista pour qu’on aille visiter, dans le 6e arrondissement, l’église Saint-Sulpice. Pas seulement pour voir un des lieux où se déroule l’histoire du code Da Vinci, mais afin d’admirer « La lutte de Jacob avec l’ange » et de continuer jusqu’au Louvre pour revoir d’autres toiles de ce peintre dont « La liberté guidant le peuple » et découvrir « La mort de Sardanapale ». De la Place des Vosges au Centre Culturel Pompidou de Beaubourg, on trouve des centaines de galeries et musées avec les toiles des artistes représentant tous les mouvements picturaux. À quelques encablures de son domicile, les Archives Nationales étaient l’idéal pour mes recherches personnelles sur l’influence qu’eut la révolution des Trois Glorieuses des 27, 28 et 29 juillet 1830 sur la pensée du libéral haïtien Edmond Paul.

Après ce généreux tour guidé de Jean-Claude, je lui fis part de ma vision des joutes électorales qu’il allait couvrir en Haïti. À l’encontre du plaisir que suscitent la découverte d’artistes et d’œuvres nouveaux, il allait explorer un autre paysage, un foisonnement de ruines reflétant une humanité à une autre échelle. Les jeux étaient faits. Le Conseil Électoral Provisoire (CEP) dont l’impartialité était mise sous coupe, avait remplacé l’armée dans la détermination du prochain président. Il se rendit compte de la dislocation de l’espace haïtien quelques jours plus tard, quand, au matin du 16 décembre, il m’appela au téléphone vers midi pour s’enquérir de mes nouvelles. Tout allait bien et je lui appris que Radio France Internationale (RFI) venait d’annoncer à son bulletin d’information que Jean-Bertrand Aristide était le gagnant. Sidéré, Jean-Claude contesta cette imposture puisque les bureaux de vote venaient à peine d’ouvrir à Port-au-Prince.

Ce n’était pas qu’une simple question de fraudes. La crédulité de notre peuple était à nouveau détournée. Il s’agit de savoir prêcher pour lui faire accepter n’importe quelle doctrine. Jean-Claude refusait de se reconnaître dans cette réalité politique. La perte de ses illusions lui a été fatale. Sa conscience politique en a pris un coup et il versera dans la recherche d’une politique de la conscience. Pourtant il n’était pas né de la dernière pluie. Comme tout bon Haïtien, il n’a pas eu d’enfance. Il est venu au monde, vieux sous le poids des misères. Que d’affres n’a-t-il pas connues dans le ghetto de la militance contre la dictature ? Nous avions l’habitude de discuter des histoires de loup-garous qui mangeaient les enfants en Haïti. Jean-Claude comprenait enfin que les mauvais esprits faisaient pleurer les adultes afin qu’ils aient un goût naturellement salé au moment d’être mangés.

Je pense que cette expérience a eu pour conséquences une mise en abîme de l’écriture. Toutes les contradictions, tous les extrêmes de Jean-Claude ont rompu les digues. L’écrivain a connu la gloire et la consécration, mais l’homme n’a pas su résister au vertige des sommets. Il n’avait pas dans ses souvenirs d’enfance la réserve de douceur et de confiance pouvant lui permettre de traverser sans trop de dommages les houles qui viennent avec le succès. Où bien était-ce que Jean-Claude croyait au mythe du créateur paumé, de l’artiste clochard par vocation, de l’écrivain marqué du sceau fatal du destin ? Se réfugiait-il dans ses paradis artificiels pour ne pas affronter ses vieux démons ? Je me souviens de son admiration sans bornes pour Davertige.

Il était écorché vif, mais il se reprenait. Son retour en Haïti du 6 au 9 novembre 2007, à l’occasion de la réédition de Bamboola Bamboche par les Presses Nationales d’Haïti, semble lui avoir fait du bien. Ne voulait-il pas faire une mise à jour de son travail « Le corps de l’esclave » à partir de l’analyse critique du journal La Gazette de Saint Domingue et publié en 1978 dans la revue Les Temps Modernes ? Sa chronique de voyages au journal Le Mondependant dix ans devait aussi faire l’objet d’une parution. Et puis il tenait à tirer Chester Himes, son écrivain préféré, des oubliettes. Des projets littéraires qui n’ont pas pu prendre le dessus sur sa dérive intérieure. Sa blessure est tombée dans le domaine public. Mon ami est devenu un homme criblé de solitude. Les yeux brouillés de virgules. La bouche circonflexe. La langue prisonnière de guillemets. L’émotion intense de la nouvelle de sa disparition le 7 mai dernier me bloque le besoin d’écrire pour contribuer à sauvegarder sa mémoire. Mais l’incessant dialogue entre deux amis continuera et aucun écrit ne pourra le figer.

Leslie Péan
Great Falls (Virginie), 13 mai 2008

Pour Jean-Claude Charles

Les lettres caribéennes sont en deuil. Le mois dernier disparaissait Aimé Césaire, maintenant notre ami Jean-Claude Charles. On ne pourrait imaginer deux tempéraments, deux génies, deux carrières aussi différentes l’une de l’autre. Cependant, au bout du petit matin, c’est la même douleur et le même sentiment de manque profond. J’ai l’impression d’avoir beaucoup connu Jean-Claude Charles, sans doute, parce que je l’ai beaucoup lu. Son livre, De si jolies petites plages a le même thème qu’un livre d’enfant que j’ai écrit, Haïti chérie, devenu Rêves amers. Tous les deux, nous avons été fascinés, horrifiés par le drame des peuples haïtiens, obligés de braver la mer et de trouver la mort au large de la Floride. Les cadavres qui jonchent De si jolies petites plages jonchent aussi Haïti chérie, et Rose-Aimé compte parmi eux.

Dans la réalité, j’ai très peu fréquenté Jean-Claude Charles. Je me rappelle, en fait, deux rencontres principales ; la première à Berlin, en Allemagne, chez un couple d’amis communs haïtiens. Je me rappelle qu’ils habitaient un quartier où logeaient beaucoup de Turcs, mal éclairé, un peu effrayant. J’éprouvais cette peur panique que m’inspire certaines villes, par exemple Cape Town en Afrique du Sud. Je confiais mes peurs à Jean-Claude qui n’en rit pas, quoi qu’il connaissait bien, alors, l’Allemagne parce qu’il était grand reporter au monde. Nous avons évoqué le passé allemand. Il en parlait avec intelligence, brio, sensibilité.

La seconde rencontre s’est faite dans la ville de New York. Je ne sais plus à quelle conférence nous étions invités, mais, je me rappelle que nous déjeunions dans un petit restaurant aux alentours de CUNY-Graduate Center. Nous sommes ensuite allés écouter du Jazz et Jean-Claude m’étonnait par sa connaissance précise et assurée des musiciens. Il était capable de reconnaître la voix d’un instrument mêlée à celles de tant d’autres. Il était capable de me dire le style d’un musicien et de l’opposer à un autre que je ne connaissais pas. Il me promit de revenir à New York, ce qu’il ne fit pas. S’il le fit, je n’en eus jamais connaissance.

Je ne crois pas l’avoir revu après cette date. Je me disais donc : je vais le retrouver à Paris et là nous allons reprendre nos conversations. Il me dira ce qu’il sait et ce que je ne sais pas, ce que nous sentons tous les deux, un peu de la même manière. La mort ou la vie, en ont décidé autrement. Je suis seule à Paris, je veux dire seule sans un ami que j’ai peu connu, mais que j’ai profondément apprécié.

Maryse Condé
Paris, 22 mai 2008

En hommage

C’est un soir de printemps à Paris. L’occasion est la projection du film de Raoul Peck, Le profit et rien d’autre, pour un groupe de jeunes engagés, qui animent les Écrans Citoyens, parrainés par des personnalités comme René Vautier, cinéaste de tous les combats anti-coloniaux, entre autres. Au dernier rang de la salle de projection du cours Michelet, assis modestement, suivant la projection et le débat attentivement, Jean-Claude Charles. Venu écouter son compatriote et ami, il se tient modestement dans l’ombre. Pourtant, c’est bien le célèbre écrivain dont j’ai lu tous les livres, l’ami dont Thomas m’a tellement parlé, qui se présente à peine et qui pourtant est si familier. Sous l’intelligence éclatante, une extrême gentillesse. Une attention aux autres, aux détails, que rien ne parvient à effacer, ni la cigarette, ni la bière. Ce phare des lettres haïtiennes, sur quelque continent qu’il se trouve, ne s’est pas contenté de sa notoriété littéraire. Au-delà des chroniques et des compte-rendus, d’une perception aigüe de l’objet littéraire et de l’écriture, il reste aussi celui qui a écrit De si jolies petites plages, cette enquête qui jette l’opprobre sur les lois et l’attitude des États-Unis envers les migrants haïtiens. Nul n’a mieux expliqué les raisons du départ, les triages absurdes des enfants séparés des autres membres de leur famille selon des règles arbitraires, pour ceux qui arrivent à bon port, le scandale d’une politique de rejet inhumaine. Son texte demeure d’une actualité dérangeante. Sa modestie et son affabilité vont de pair avec un sens de l’humour tranchant et doux-amer parfois, et une attention infinie pour tout ce qui vient d’Haïti, pour tout ce qui touche Haïti.

De retour aux États-Unis, après ce premier contact si bref, m’attendait une enveloppe avec des extraits de ses chroniques dans Le Monde diplomatique, mais aussi dans Haiti Tribune et d’autres articles portant sur des sujets rapidement évoqués, le temps d’un café. Il tenait ses promesses et ni volutes ni vapeurs n’interféraient.

Incontournable référence, nomade entre plusieurs mondes, il laisse des milliers de traces vides différentes, de souvenirs divers. Il déambule quelque part, se ballade. Pour paraphraser Andrée Chedid, il va.

Joëlle Vitiello
Saint-Paul (Minnesota), 22 juin 2008

On servait à manger jusqu’à tard dans la nuit chez Dickie Well’s Restaurant à Harlem, connu pour sa cuisine comme pour sa musique, « famous home of chicken and waffles and swing dancing » ; ouvert en 1938, Well’s a fermé ses portes en 1999.

At Well’s

Bill nous disait qu’il fallait absolument aller
voir un petit barbier dans un petit bled paumé
un petit barbier qui nous raconterait de grandes choses 

Bill nous disait aussi qu’il y avait du blues
à danser et du blues à écouter et qu’il y avait un 

espace ou un moment je ne me souviens
plus du terme exact qu’il a employé 

où ça n’était plus très clair 

un peu comme la nuit au Well’s à Harlem
lorsque le show terminé les gens repiquent
du nez dans leurs assiettes et que derrière
le mur tard dans la nuit donc 

ceux qui avaient fini de chanter se remettent à chanter

(extrait de La Route du Blues de Jean-Claude Charles)


Bill Coleman

Bill, At Bill’s ; Harlem 2005
photo © Thomas C. Spear

At Bill’s

Pendant des années, Jean-Claude Charles passe des séjours prolongés chez Bill (le professeur William P. Coleman, 1923-2011, originaire du Kentucky, fin connaisseur d’Harlem et d’Haïti), posé ici devant sa maison à Harlem en 2005, l’année où il la vend. De sa chambre au dernier étage, Jean-Claude Charles avait vue sur Broadway.


Textes écrits en hommage à Jean-Claude Charles, offerts aux lecteurs d’Île en île par les auteurs. Dans une première version, le texte de Joël Des Rosiers paraît dans Le Nouvelliste (9 mai 2008) ; les textes de Jean Métellus (Le Matin 12 mai 2008) de Leslie Péan (Haïti-Observateur 14-21 mai 2008) seront également reproduits dans la presse écrite.

© 2008 Île en île


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mis en ligne : 9 mai 2008 ; mis à jour : 25 avril 2021