Johary Ravaloson, 5 Questions pour Île en île


L’écrivain Johary Ravaloson répond aux 5 Questions pour Île en île.

Entretien de 28 minutes réalisé dans Le Bronx le 11 novembre 2019 par Thomas C. Spear.

Notes de transcription (ci-dessous) : Émile Zounon.

Dossier présentant l’auteur sur Île en île : Johary Ravaloson

début – Mes influences
8:19 – Mon quartier
14:28 – Mon enfance
18:22 – Mon oeuvre
25:47 – L’insularité


Mes influences

Je suis un grand lecteur et c’est la lecture qui m’a emmené à l’écriture ; c’est parce que j’aime ce que j’ai lu, que j’avais envie d’écrire. Cela participe aussi au fait que j’écris en français. Quand j’étais enfant, je lisais le peu de livres qui étaient à Tananarive, mais qui n’étaient pas en malgache. Le livre qui a déclenché mon envie d’écrire était : Voyage au bout de la nuit de Céline. La lecture de ce livre m’a permis de comprendre qu’on n’est pas obligés d’écrire comme Victor Hugo ou Zola. Étudiant, je suis tombé sur Sony Labou Tansi, auteur de La vie et demie. Son livre était comme une révélation. Ce sont ces auteurs qui m’ont poussé à l’écriture. Plus tard, je suis revenu à des auteurs malgaches notamment Emilson Daniel Andriamalala, un auteur contemporain.

J’ai commencé à écrire sérieusement en étant étudiant à Paris. Voulant faire connaître la littérature malgache à des amis écrivains, j’ai traduit un des romans de Andrimalala [Fofombadiko] qui s’appelle La promise en français. Ainsi en traduisant, je me suis rendu compte que je pouvais me confectionner un style d’écriture dans la traduction française, tout en gardant l’esprit et la construction littéraire malgache. Le livre sortira en 2020 aux éditions Dodo Vole.

Un autre auteur important que j’ai lu en français est Witold Gombrowicz. J’aime bien son esprit caustique ; sa façon d’écrire me convient. Il a une idée de ce qu’il va écrire, mais c’est l’écriture qui lui fait connaître ce qu’il raconte. Je me mets à écrire et le paysage, le contexte, les personnages se mettent en place. Je n’ai pas d’histoire préconstruite. C’est l’écriture qui me révèle l’histoire. J’apprécie aussi Philippe Djian surtout pour le plaisir. J’aime sa façon de mettre en tension l’histoire qu’il raconte, sa façon de rendre les choses quotidiennes importantes. Quoique je ne peux pas dire que ça m’influence, puisque je n’écris pas comme lui.

Mon quartier

Le quartier où j’ai vécu à Tananarive était dans la haute ville. C’est un quartier intéressant puisqu’on voit la plaine de Betsimitatatra qui a nourri Tananarive. La ville s’est constituée sur les collines. J’aime bien ce quartier puisqu’on voit presque la constitution historique de la ville. Dans mes romans – même ceux qui sont des fictions –, j’aime bien raconter ma ville, mon quartier. Quand je suis là-haut, je vois au-delà de mon quartier. J’aime bien puisque cela agrandit ma vision. En même temps, ça m’éloigne des gens d’être en hauteur et me donne une distance. J’ai besoin de cette distance pour pouvoir raconter.

Actuellement, je vis en Normandie donc j’ai cette distance. C’est plus simple d’écrire de loin ; je suis moins dérangé et je suis plus serein dans l’écriture. J’habite dans un appartement au centre-ville avec un peu d’espace devant moi. J’habite devant le port de Caen, une colline au fond et l’abbaye aux Dames. C’est une jolie vue qui aide à écrire. J’ai besoin de regarder de temps en temps dans la rue pour écrire. Je suis peut-être un peu concierge dans l’âme. Néanmoins, la belle vue n’est pas toujours une bonne chose. J’ai fait une résidence à Ouessant, une île au bout de la Bretagne. Une très belle île. Je n’ai pas beaucoup écrit puisque j’étais distrait par les merveilles de la nature. Je suis très contemplatif.

Mon enfance

J’ai eu une enfance heureuse. Benjamin d’une famille de quatre enfants. Mon père était imprimeur, il était le premier cadre malgache dans l’imprimerie après le départ des colons. J’ai vu comment étaient confectionnés les journaux. À l’époque, c’était les typo-offset, on fondait les caractères d’imprimerie. J’ai beaucoup joué dans toute l’imprimerie ; de la partie où on imprimait les livres jusqu’à l’endroit où on rangeait les papiers. Cette odeur du papier m’accompagne jusqu’à présent, c’est peut-être l’une des raisons qui fait que j’édite les livres maintenant. Je veux rester dans les livres en papier. Le numérique ne me dit pas grand-chose.

Aussi, ai-je aimé aller à l’école. Quoique, on était un peu perturbé par la révolution. On nous accueillait en malgache, mais on apprenait le français vers 6 ou 7 ans. Vers l’âge de 9 ans, la révolution vint et on avait décidé de tout malgachiser, ce qui était une bonne chose puisqu’on ne peut pas réellement apprendre dans une langue inconnue parce que ça exclut tout de suite. J’ai eu de la chance parce que j’avais une tante française qui me donnait des cours de soutien en français. Mais à 10 ans, on a décidé de tout faire en malgache. Le problème était que quelques années plus tard, par manque de matériaux en malgache, on est revenue au français. Ce qui fait que les gens de ma génération, on dit de nous qu’on ne parle ni bien le français ni bien le malgache. C’est la lecture qui m’a sauvé de ce ballotage.

Mon œuvre

« C’est difficile de parler d’une œuvre en construction ». Parler d’œuvre c’est beaucoup dire. Disons que j’adore écrire et jusqu’à maintenant j’écris sur ce qu’il y a autour de moi, sur moi, sur mon pays surtout depuis que j’ai conscience d’écrire en français. Quand je me suis lancé dans l’écriture, j’écrivais spontanément en français étant nourri de livres en français. Je ne me posais donc pas de question sur la manière d’écrire. Par contre, après Les larmes d’Ietsé, j’ai vraiment pris conscience du fait que je n’écris pas dans ma langue maternelle. Je prends donc conscience que je suis un pont entre les Malgaches et le monde extérieur. Cela influe donc sur ce que j’écris. Au départ, j’écris des autofictions, j’écris des choses que je vis en tant qu’humain. Des choses qui arrivent à n’importe qui, mais qui ne sont racontées par personne d’autre.

Dodo Vole participe à cette même logique de parler de soi ou d’avoir une expression du monde, mais vu d’un côté qu’on n’expose pas souvent. Au départ, Dodo Vole était une maison d’édition pour enfants. C’était un moment de ma vie où je baignais dans l’art à La Réunion. Mais au lieu de faire des catalogues qui seront plus tard rangés, on a pensé aux livres pour enfants puisqu’on remarquait que les livres de nos enfants traînaient partout dans la maison. Ainsi, pour montrer des œuvres, on a fait des livres d’art pour enfants ; Dodo Vole est né comme cela. Petit à petit, cela s’est étendu à Tananarive. Malgré la richesse du patrimoine culturel et littéraire orale de Madagascar, il y avait un manque de livres pour enfants. On voulait participer à la rétention écrite. On a ouvert une collection de contes traditionnels avec des illustrations, par et pour enfants.

Plus tard, Dodo Vole s’est ouvert au domaine des adultes. C’était pour des raisons anecdotiques, puisque je venais de faire sortir mon premier roman Géotropiques chez Vents d’ailleurs. Malheureusement, le livre n’était accessible ni à Madagascar, ni à La Réunion ; or ce livre parlait de ses deux régions. On a donc demandé à Jutta Hepke, qui dirige Vents d’ailleurs si on pouvait en faire une version pour Madagascar et La Réunion. C’est comme ça que Dodo Vole s’est ouvert à la collection pour adultes. Peu à peu s’est forgée l’idée du manque des livres sur le pays et du point de vue du pays. C’est aussi pour ça qu’on a ouvert Dodo Vole à d’autres auteurs à Madagascar et ceux de Maurice, de La Réunion et des Comores notamment avec la revue Lettres de Lémurie.

L’Insularité

Je me sens très proche des écrivains insulaires (Amal Sewtohul, par exemple), mais aussi de ceux d’origine continentale (comme Gombrowicz ou Stephen McCauley). Je ne crois pas qu’on puisse définir un écrivain sur son caractère insulaire jusqu’à ce que je me rende compte que peut-être que tous les écrivains et tous les hommes sont des îles (contrairement à ce que dit John Donne). Ma façon de me lier aux gens, ce sont les livres. C’est mon vaisseau préféré pour atteindre les autres. Ce qui me caractérise, ce n’est pas l’insularité, c’est le doute. C’est ce qui me fait dire beaucoup peut-être. Le doute est à la fois mon moteur et mon frein dans l’écriture. En tout cas, écrire est une façon de sortir de l’insularité, d’être en contact avec les autres.


Johary. RavalosonJohary Ravaloson. 5 Questions pour Île en île.
Entretien, Le Bronx (2019). 28 minutes. Île en île.
Mise en ligne sur YouTube le 26 juillet 2020.
Entretien réalisé par Thomas C. Spear.
Caméra : Yves Dossous.
Notes de transcription : Émile Zounon.

© 2020 Île en île


Retour:

/ravaloson-5questions/

mis en ligne : 26 juillet 2020 ; mis à jour : 26 octobre 2020