Michou Chaze, Rencontre avec l’écrivain

par Johanna Frogier

Prendre rendez-vous avec Michou Chaze a été d’une simplicité « tahitienne ». Fidèle à la coutume qui veut qu’on fasse un bon accueil à tout ce qui frappe à notre porte, l’écrivain et moi nous nous sommes rencontrés sur son lieu de travail. Un choix des lieux qui m’incombait puisque celle-ci est « à l’aise n’importe où« . Dans un bureau simple et élégant, éclairé par une lumière tamisée, Michou Chaze m’accueillit par une bise souriante. Entre nous il n’y a pas eu « chichi », fini les règles de politesse pompeuse, on se tutoyait.

Johanna Frogier : Tu as fait tes études aux Etats-Unis, pourquoi?

Michou Chaze : Après mon Baccalauréat ma grand-mère et ma mère n’avaient pas les moyens financiers de m’envoyer en France pour poursuivre mes études, j’ai donc commencé à travailler comme guide touristique, et c’est ainsi que j’ai rencontré mon premier mari qui était américain. Un jour il m’a proposé de reprendre ensemble nos études, un rêve pour moi que j’ai réalisé, en Amérique. De plus à mon époque, c’était le désir de beaucoup de jeunes de quitter l’île, de découvrir autre chose, le Monde.

J.F.: Est-ce qu’à cette époque tu t’intéressais à la Culture?

M.C.: Pour être franche, PAS DU TOUT. Lorsque j’étais enfant, j’ai grandi dans un bidonville qui réunissait les habitants de Tuamotu (Archipel de la Polynésie Française regroupant des atolls), et là j’avais été confrontée à la violence, l’alcoolisme, la débauche sexuelle etc…. À la suite de cela j’ai été profondément écœurée et je me suis fait une image extrêmement péjorative de l’Homme polynésien et de tout ce qui s’y rattachait.

J.F.: Est-ce que l’éloignement du fenua durant tes années d’études est en rapport avec l’éveil de cet intérêt?

M.C.: Durant mes années études, les meilleurs élèves étrangers étaient chargés de parler de leur pays natal. Je faisais partie de ceux-là, et je me suis rendue compte que je ne connaissais RIEN de Tahiti, de ma propre culture, de mon peuple…. A la suite de recherches, j’ai vu que j’étais passée à côté d’une mine de richesses. J’ai pris conscience de mon IGNORANCE.

F.J.: Il y a t il une personne, un mentor, qui t’a montré l’importance de la culture?

M.C.: Henri Hiro. Connaissant sa femme, j’ai été amenée peu à peu à côtoyer Henri, qui avait cette merveilleuse faculté d’attirer à lui, de rassembler autour de lui des personnes, quelle que soit leur classe sociale. Il nous montrait la richesse de notre culture, mais ce n’était nullement un extrémiste, il ne dénigrait pas les apports occidentaux. Henri regrettait seulement que l’on adopte la culture occidentale au détriment de la nôtre. En un mot, je dirais qu’il est le PÈRE de la résurgence culturelle. Nous lui devons le théâtre de John Marai (dramaturge tahitien), notre conservatoire (école de danse, de musique, de chant…), nous lui devons TOUT.

J.F.: Tu prônes un retour aux sources mais tu ne le fais pas en tahitien.

M.C.: Pour une raison simple, mon parler tahitien est celui de la rue.

J.F.: Pourquoi d’après toi, assiste-t-on à une déperdition de la langue tahitienne? Et pour toi comment cela s’explique puisque tu as été élevée par ta famille qui pratiquait couramment la langue?

M.C.: Lorsque j’étais enfant, ma grand-mère ne nous parlait jamais en tahitien parce qu’on disait que pour réussir à l’école il fallait « bien parler le français ». Or si on ne le pratiquait pas on pouvait pas bien le parler. Ajouté à cela le traumatisme dont je t’ai parlé précédemment, j’ai commencé peu à peu à dénigrer la langue. J’étais même amené à considérer de haut ceux qui parlaient le tahitien. Ce n’est qu’ensuite, lorsque j’ai pris conscience de la richesse de notre patrimoine culturel, que mon regard a changé. Je me suis rendu compte que notre langue est belle, que ces polynésiens qui passaient leur temps à boire, à battre leur femme, à oublier leur identité, n’étaient que des victimes de l’occidentalisation. Je me suis rendue compte de mon erreur.

J.F.: Que penses-tu des métropolitains qui disent se sentir des polynésiens?

M.C.: Je trouve cette remarque stupide. J’ai passé onze ans aux Etats-Unis, pourtant je ne me suis jamais senti américaine. J’ai toujours considéré Tahiti comme mon pays, mon foyer. Lorsqu’on est étranger, il faut être fier de son pays. Cela me rappelle une anecdote : « Nous dînions mon second mari, qui était français, et moi avec Henri Hiro et sa femme. C’est alors que mon époux se mit à décrire la France, joliment. Puis Henri lui dit: « c’est bien ce que tu dis, on voit que tu aimes ton pays. Tous les français qui viennent me parler enlaidissent la France pour embellir Tahiti. Il faut aimer sa terre ».

J.F.: Pour toi, il y a t il un lien entre l’écriture et la Culture? Est-ce un moyen de retrouver notre Culture?

M.C.: Oui, bien sûr!  L’écrit reste. De plus beaucoup pense que la littérature polynésienne est une littérature orale, ce qui est faux. Nombreux sont les écrits de nos Tupuna, mais ces écrits considérés comme secrets n’ont jamais été montrés. C’est vraiment dommage!

J.F.: Est-ce que pour toi, l’écriture est un moyen de revendiquer ta féminité?

M.C.: Oui, d’une certaine manière. Je pense qu’il y a une écriture féminine et masculine. Une femme peut mieux ressentir certaines choses et les exprimer par rapport à l’homme. Et vice versa.

J.F.: Quelle est ta vision de la Femme d’aujourd’hui?

M.C.: Je ne me considère pas comme une féministe mais comme une féminine. J’ai une vision féminine de la femme polynésienne, c’est à dire qu’elle est avant tout une épouse et une mère.

J.F.: Que penses-tu de l’Indépendance?

M.C.: Ouais!!!! (rires)

J.F.: Lorsque nous voyons les conséquences des pays qui ont désiré l’indépendance et qui l’ont obtenu après de multiples violences, penses-tu que c’est une solution?

M.C.: Je ne sais pas si c’est une solution, d’ailleurs politiquement parlant tout cela me dépasse. Je sais seulement que dans mon cœur je désire l’indépendance. Et puis c’est un peu « fiù » (lassitude morale et physique)… le joug français, hein!!!

J.F.: Juges-tu Tahiti assez mûre et économiquement riche pour pouvoir se débrouiller sans la France?

M.C.: Economiquement, nous n’avons rien. Mais « mûre » oui, nous avons une population intelligente en laquelle on peut avoir confiance.

J.F.: Si l’indépendance s’établit et que tu es la présidente du gouvernement, que ferais-tu?

M.C.: D’abord je ferais construire des routes traversières, pour que tout le monde puisse accéder aux terres à l’intérieur de l’île, et voir ainsi sa beauté. Puis des aéroports internationaux aux Australes et aux Marquises, pour faciliter l’ouverture de Tahiti sur le Monde, pour une solidité du point de vue économique, pour ensuite développer notre Culture.

Voilà comment s’est passée ma rencontre avec Michou Chaze. Une femme qui m’a été présentée par Vai. Vai, l’eau salée de nos lagons, Vai, l’eau pure de nos rivières, Vai la source qui nous ramène vers notre fenua.

– Johanna Frogier
le 19 octobre 2000


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mis en ligne : 1 avril 2001 ; mis à jour : 29 octobre 2020