Lyne-Marie Stanley, 5 Questions pour Île en île


Lyne-Marie Stanley, romancière et poète, répond aux 5 Questions pour Île en île.

Entretien de 18 minutes réalisé à Cayenne le 22 juillet 2010 par Thomas C. Spear.

Notes de transcription (ci-dessous) : Jessica Fièvre.

Dossier présentant l’auteure sur Île en île : Lyne-Marie Stanley.

Note technique : à certains moments, il y a du bruit des voitures et de la circulation.

début – Mes influences
01:46 – Mon quartier
05:03 – Mon enfance
09:01 – Mon oeuvre
14:57 – L’insularité


Mes influences

J’ai toujours aimé lire. Un auteur qui m’a beaucoup marqué, c’est Gabriel García Márquez, avec Cent ans de solitude. J’aime beaucoup les romans historiques – Alexandre Dumas, Michel Zévaco – et, pour les contemporains, la romancière guadeloupéenne Maryse Condé. Peut-être aussi Jorge Amado, avec Dona Flor et ses deux maris. Je lis beaucoup, au hasard. Un peu de tout. J’ai une préférence pour les romans d’amour.

Mon quartier

J‘habite un quartier résidentiel, le quartier de la Chaumière, depuis trente ans. Nous avons tous de grandes propriétés : une villa dans un grand terrain. Le plus proche voisin est à 150 ou 200 mètres, alors on ne se voit pas beaucoup. On est pratiquement tous isolés. Il n’y a pas de grandes réunions. Par contre, on vit beaucoup à l’extérieur, donc je passe mon temps dans mon hamac. Je me promène dans mon jardin. Les enfants, quand ils sont là le weekend, aiment se baigner à la piscine.

Là où l’on était auparavant, c’était pratiquement des fonctionnaires dans des appartements. On n’avait pas beaucoup de contact non plus. Je ne peux pas dire qu’on ait eu une vie de quartier. On sortait beaucoup. La vie culturelle, on y participait quand même pas mal. J’allais au théâtre, au cinéma. On avait une vie sociale intense, avec d’autres amis qui n’habitaient pas le quartier.

Ce sont mes enfants qui ont donné un peu de vie à la propriété. Ils faisaient des garden-partys et des amis venaient à la maison. Mes voisins, on se voit par moments… par exemple, quand il y a eu un cambriolage à côté. Mais il n’y a pas de vie de quartier. Il n’y a même pas une association de quartier. Beaucoup de personnes viennent y faire du jogging. Il y a un hôtel pas loin ; il y a des personnes qui viennent pour des réunions en Guyane. Ça crée donc un mouvement dans ce quartier.

Mon enfance

Je ne me rappelle pratiquement rien avant l’âge de dix ans. Pour un psychologue, ce serait peut-être intéressant d’aller fouiller ça !… Je me rappelle mon entrée en sixième au Collège de Cayenne. Mes années en primaire, je ne m’en rappelle pas trop.

Je suis fille unique ; j’ai été élevée par mes grands-parents, avec des oncles et des tantes. C’était un milieu chaleureux avec des grands-parents attentifs, attentionnés. J’ai été vraiment baignée dans cette ambiance. Mes grands-parents m’aimaient beaucoup ; ils m’ont beaucoup donné. J’étais une enfant qui ne posait pas de problèmes. Je travaillais bien à l’école. J’avais beaucoup de temps pour lire, donc je lisais énormément. J‘allais à la bibliothèque récupérer le maximum de livres, pour nourrir ce penchant-là. J‘ai été une jeune fille plutôt solitaire. Mes oncles et tantes étaient beaucoup plus âgés ; je me retrouvais la petite fille dans cette ambiance-là, secrète, discrète, tranquille, fourrée dans les livres d’école et dans les romans. Beaucoup de lectures. Une vie tranquille.

J’avais de rares contacts avec ma mère et en fait ça ne me manquait pas trop. Elle n’avait que moi, et pourtant on se voyait rarement ; c’était peut-être mieux pour moi de rester avec mes grands-parents parce qu’elle vivait dans une des communes beaucoup plus éloignée. Mon père, lui, était hors du département depuis des années et je n’avais pas trop contact avec lui non plus.

J’étais donc une fille solitaire qui rêvait beaucoup, qui écrivait de petites histoires. C’était aller à l’école et puis en revenir. Je sortais un peu pour aller à la bibliothèque et on me laissait parfois aller à des surprises-parties. J’allais en boum, comme on dit, avec ma tante. Autrement, c’était une vie calme.

Mon œuvre

Comme je le dis souvent, La saison des abattis a été une œuvre bienfaitrice parce que j’avais besoin de quelque chose pour me sortir d’une situation délicate et l’écriture m’a paru la seule chose possible. J’avais une idée en tête depuis longtemps ; je m’en suis imprégnée… je me suis focalisée sur cette idée pour écrire le roman. Je me disais que, penser aux autres, parler des autres, créer quelque chose, ce serait pour moi libérateur et j’ai trouvé une histoire. Je l’ai développée. Et je suis contente. Je voulais parler de mon pays, de ses gens, de son histoire, des sentiments des personnes. Dans le cadre de ma profession, j’étais dans le social, donc forcément, la nature humaine m’intéressait. La sociologie, l’anthropologie… Ainsi donc, je voulais parler de mon pays, parler des hommes de mon pays, des femmes de mon pays. J’ai romancé tout cela, parce que je me suis dit qu’il fallait quand même un peu de rêve, un peu de bonheur, un peu d’amour. Et pourquoi pas ?

Après le succès qu’a connu le premier roman, je me suis dit, « Pourquoi ne pas en écrire un autre ? » Le goût m’est venu et j’ai écrit le deuxième roman [Mélodie pour l’orchidée], en incluant des choses que j’avais vécues, que j‘avais vues… Finalement, j’ai combiné amour et histoire. J’ai placé les gens de mon pays au sein de l’histoire du pays, avec leur vie, des sentiments et tout ça.

Pour le premier roman, je me suis dit que j’allais parler des années 1920, 1940. Comme c’était bien lancé dans l’histoire, je me suis dit que pour le deuxième, j’allais couvrir les années 1960, pour parler du pays et de tout ce qu’il y avait dedans, tout ce qui se passait, dans un objectif un peu éducatif. Je voulais parler aux enfants de ce qui arrivait chez nous dans les années soixante.

Le troisième roman [Abel…] a un attrait particulier parce que, à partir d’un fait divers, j’ai brodé toute une histoire, toujours en replongeant dans histoire du pays.

Il y a donc trois choses que je retiens. Parler du pays, de l’histoire du pays, des gens du pays, tout en tenant compte des sentiments. Romancer. Dire des choses dures, peut-être, mais les romancer, de façon à ce que ça « passe », parce que c’est la réalité. Parfois on vous dit que toute chose n’est pas bonne à dire. Mais ça dépend de la façon dont on le dit. En fait, ce côté éducatif, tout en apportant quelque chose de personnel, je pense que cela a marché pas mal ; je ne peux pas me plaindre. J’ai eu des échos : les gens ont compris un peu, même mes propres enfants, qu’il y avait des industries, des choses qui se faisaient jadis dans le pays. Dans les années 1980, quand eux ils sont nés, il n’y avait pas grand-chose. Alors qu’au cours des années précédentes, il y avait des usines où l’on faisait par exemple le yaourt ; elles sont d’ailleurs revenues dans les années 2000. Il avait beaucoup de choses et mes enfants ne savaient pas que tout cela avait été en place dans le pays.

Mon œuvre, c’est vraiment l’histoire du pays à travers les périodes. Je crois que j’ai innové en parlant de l’histoire de la Guyane sous forme romancée : avec une intrigue, une histoire d’amour. Et je vais continuer.

On me qualifie parfois de féministe. Je parle beaucoup des femmes tout en ne niant pas, quand même, le rôle des hommes. C’est un peu par déformation professionnelle ; j‘ai côtoyé beaucoup de femmes à avoir des problèmes avec leurs conjoints ou amis, alors forcément j’ai tendance à développer l’histoire des femmes. Quand on travaille dans le social, on est forcé d’avoir une vision particulière des choses. On voit ce côté sociologique dans mes romans, parce que j’ai côtoyé beaucoup de personnes rencontrant des difficultés. Mes romans sont à caractère historique et sociologique. Il faut dire les choses. Parler des problèmes, des difficultés en utilisant le mode romance, pourquoi pas ?

L’Insularité

Quand je pense à l’insularité, ce qui me vient en tête ce sont les régions ultrapériphériques : Madère, les Canaries. Je n’aime pas vraiment « l’Antillanité ». Mes amis antillais ne vont peut-être pas apprécier, mais j’ai toujours eu l’impression que la Guyane était la dernière roue du carrosse. Quand on nous aura donné notre vraie place – l’égalité parfaite avec les deux autres Antilles – on en reparlera. J’ai toujours l’impression qu’on est à la traine. Un grand pays comme la Guyane, toujours à la traine, ça me désole. Ça m’agace. Si, par exemple, j’ai un problème avec mon téléphone, c’est un opérateur des Antilles qui règle mon problème pour moi. Quel que soit le problème, tout passe par les Antilles. On dépend des Antilles et de la France. Vous vous imaginez ?


Lyne-Marie Stanley

« Lyne-Marie Stanley, 5 Questions pour Île en île ».
Entretien, Cayenne (2010). 18 minutes. Île en île.

Mise en ligne sur YouTube le 25 mai 2013.
(Cette vidéo était également disponible sur Dailymotion, du 9 juillet 2011 jusqu’au 13 octobre 2018.)
Entretien réalisé par Thomas C. Spear.
Notes de transcription : Jessica Fièvre.

© 2011 Île en île


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mis en ligne : 9 juillet 2011 ; mis à jour : 26 octobre 2020