Gérard Étienne, le juif nègre (interview)

Interview réalisée par Ghila Sroka

Nourri de politique et de poésie dès le berceau, Gérard Étienne a connu un parcours assez singulier. En 1958, il entreprend simultanément une carrière de professeur et d’écrivain. Avec la parution de son premier recueil de poésie, il devient le chef de file de plusieurs mouvements culturels et littéraires dans son pays, Haïti. À la suite d’une longue détention dans les prisons de Duvalier, il s’exilera au Québec en 1964. Depuis, il ne cesse de publier poésies et récits. Son œuvre figure dans plusieurs anthologies françaises et haïtiennes, et certains de ses romans ont été traduits en plusieurs langues.
Professeur à la retraite de l’Université de Moncton, il a reçu plusieurs prix et distinctions; il est entre autres médaillé d’or de la Renaissance française pour l’ensemble de son œuvre.
Gérard Étienne a vécu plus de temps en Acadie que dans son pays d’origine. De même qu’Haïti a traversé toute son oeuvre littéraire jusqu’à présent, de même l’Acadie occupe une place spéciale dans son imaginaire. Vient d’ailleurs de paraître, aux Éditions du CIDHICA, Au cœur de l’anorexie.
J’ai rencontré Gérard Étienne lors de son installation à Montréal. Je vous livre in extenso l’interview qu’il m’accordait alors, dont j’espère que vous aurez autant de plaisir à la lire que j’en ai eu à la réaliser.


Ghila Sroka / La Tribune Juive: Gérard Étienne, qui êtes-vous au juste?

Gérard Étienne: Un homme aux cultures et aux identités multiples. Autrement dit, je porte en moi plusieurs personnages, chacun à sa façon réagissant aux questions existentielles.

Pourquoi un Haïtien choisit-il un beau jour de se convertir au judaïsme?

Je suis justement en train de rédiger un livre sur la conversion au judaïsme, non pas pour raconter la genèse de mon passage d’une religion à une autre, car cette démarche relèverait plus d’une confession au sens populaire – je n’ai de comptes à rendre à personne –, mais pour décrire une révélation découlant de mon fond de religiosité. Je questionne beaucoup la conversion au judaïsme.

Êtes–vous orthodoxe? En quoi consiste votre pratique?

Je ne suis pas un acteur au sens religieux. Partant de ce postulat, je ne saurais pratiquer une religion, surtout le judaïsme, qui s’est révélé à moi comme une religion révolutionnaire, sans en respecter rigoureusement l’orthodoxie sur le plan philosophique comme sur le plan rituel. Bref, ma pratique consiste à suivre dans l’allégresse tous les commandements de cette religion.

Vous avez à votre actif une oeuvre très vaste, sans compter vos activités journalistiques. Qu’est–ce qu’écrire pour vous?

Dès mon premier livre, Au milieu des larmes, tous les thèmes qui allaient constituer ma trajectoire littéraire s’étaient déjà imposés. De 12 à 14 ans, j’ai bien sûr écrit des poèmes romantiques sous l’influence de Musset, de Lamartine et de Victor Hugo. Mais après avoir lu Du contrat social de Rousseau et les encyclopédistes – Diderot, Helvétius, etc. –, écrire est devenu pour moi un acte de combat. Et plus j’effectuais une plongée dans l’œuvre de Breton, Aragon, Éluard, Camus, Sartre, plus cette nécessité de me battre contre l’injustice, sous quelque forme qu’elle se présente, s’imposait à moi de façon impérative, d’où mon passage très tôt au journalisme combattant, différent du journalisme professionnel que je devais plus tard apprendre avec les maîtres du métier. Et puis il faut vous dire que cette démangeaison qu’est l’écriture a pris une très large dimension par la découverte de l’œuvre de Marie-Claire Blais, qui m’a initié à l’esthétique de la vérité qui traversera tous mes romans.

Gérard Étienne est-il un auteur haïtien? Canadien? Un écrivain nègre-juif?

On ne peut pas échapper aux catégorisations. Ce n’est pas pour rien que je me suis présenté comme un homme aux multiples identités. Les études savantes et les doctorats sur mon oeuvre insistent sur l’identité haïtienne. En revanche, je suis présent aussi bien dans les anthologies acadiennes que dans les dictionnaires québécois. Sur le plan psychanalytique, je dirais que l’identité haïtienne, comme en témoignent mes romans, prime sur les autres.

Comment s’inscrit votre écriture au sein de la littérature québécoise?

Je vous ai parlé tout à l’heure de Marie-Claire Blais. J’aurais pu citer aussi la grande Anne Hébert. Je crois que l’esthétique de mon oeuvre dérive des productions littéraires québécoises des années 40, 50, 60 et 70.

Contrairement à la prose haïtienne, qui renvoie davantage à Bossuet qu’à Rodolphe Girard, l’écriture québécoise ne fait pas de concessions avec ce qu’elle considère comme des vérités de fait. Elle dit tout; elle a horreur de l’autocensure. D’où l’écriture du Nègre crucifié, qui se démarquera des œuvres haïtiennes et dont l’inspiration dérivera de romans où les auteurs se présentent tels qu’ils sont sans éprouver le besoin de se cacher derrière des masques.

Le rôle de l’écrivain est-il d’être engagé?

Toute oeuvre est engagée. En écrivant, on décide de révéler quelque chose qui surprendra le lecteur ou lui plaira. Le révolutionnaire que je suis ne publiera pas un livre – poésie, roman, essai – dont la fonction est de laisser dormir en paix les fascistes et les féodaux. Ceci explique d’ailleurs le cannibalisme du silence de certains milieux, haïtiens ou québécois, à propos de mes productions. Un intellectuel haïtien disait à ma femme Natania que mes romans sont trop durs. Elle lui a répondu: «Hibou, hibou, il est si laid qu’en se regardant dans le miroir, il voit sa laideur».

Que voulez-vous? Un roman comme Une femme muette est le portrait type des Nègres qui haïssent les Négresses. Cette problématique sera pour moi un sujet de recherche pendant 20 ans, d’où mon essai d’anthroposémiologie, La femme noire dans le discours littéraire haïtien (1998).

Comment aimeriez-vous être lu?

Comme Gérard Étienne, sans comparaison avec X, Y ou Z. J’aimerais qu’on ait la volonté ou le désir de traverser mes 200 pages pour voir si je demeure fidèle à l’enseignement de Breton. «Écrire, dit-il, c’est donner rendez-vous.» Il ne faudrait pas qu’au lieu désigné et à l’heure dite, le lecteur ne rencontre personne. Peut-être le jour viendra-t-il aussi où l’on se rappellera le mot de Jean Éthier-Blais: «Il doit se trouver un Dieu quelque part qui permet à Gérard Étienne de témoigner.»

Oui, je veux être lu comme un témoin de tout ce qui nous empêche de vivre et de respirer dans un milieu qui pourtant nous a sucés et à qui nous avons apporté tant de trésors culturels.

Montréal est une tour de Babel. Que vous inspire le métissage au Québec?

Il n’existe pas de pays, de civilisation ou de province – dans le cas qui nous concerne – sans métissage. Le métissage est l’un des traits fondamentaux de la génétique socio-historique du Québec. Nier ce métissage, c’est mettre en valeur un tribalisme qui est la négation du développement d’un peuple.

Est-ce que c’est une chance pour ce pays?

Bien sûr, à condition que ce métissage ne soit pas le prétexte d’un racisme à rebours au nom duquel on retient les services de Nègres et de Négresses de service, les autochtones de souche et les gens d’origine étrangère mais acculturés se voyant pour leur part ségrégués et obligés de vivre de l’aide sociale.

Est-ce que vous avez personnellement déjà été victime de discrimination raciale?

Bien sûr. Parce que je suis un Nègre qui critique sévèrement le pouvoir, quel qu’il soit, parce que je suis un Nègre qui partout dénonce l’injustice. Je serais un Nègre de service ou qui baisserait la tête devant le Blanc, je serais le fils de l’oncle Sam. Mais avec ma personnalité, la discrimination est le seul moyen de me mettre en quarantaine et de me censurer comme on le fait actuellement au Québec.

Parce que dans l’affaire Aristide, aujourd’hui multimillionnaire, on n’a pas le courage d’admettre que, le 23 janvier 1993, j’avais raison de dire aux peuples québécois et acadien que cet homme est un malfaiteur. Aujourd’hui, on voit les désastreuses conséquences, les meurtres politiques, les élections frauduleuses et criminelles, le blanchiment d’argent, la destruction des maisons et des bureaux des membres de l’opposition, l’assassinat dans les villes de province des membres de la Convergence démocratique…

Vous avez plusieurs appartenances. Qu’en est-il de celle à Haïti, d’où vous êtes originaire?

Comme je vous l’ai dit tout à l’heure, cette appartenance prime sur les autres. C’est en son nom d’ailleurs que j’ai été deux fois arrêté, emprisonné, torturé, parce qu’elle est harcelée, violée, meurtrie, maltraitée. C’est au nom de cette appartenance que je vis à présent en exil, parce que je combats un pouvoir féodal qui réduit Haïti à un champ de poubelles.

Évidemment, il y a des pleutres et des opportunistes qui ne sont pas d’accord avec ma façon de lutter pour mon appartenance, même dans un pays où le seul fait de pousser une personne est un crime. Ainsi, la Cour du Québec m’a traité de menteur et d’acteur lorsque j’ai reçu des coups d’une vingtaine d’individus sur le terrain de Radio-Canada. Pire que cela: cette même cour a affirmé que la chemise blanche que je portais n’était pas ensanglantée, mais badigeonnée de pâte de tomates. J’ai raconté tous mes déboires dans un livre, L’injustice; Désinformation et mépris de la loi (Humanitas). Voilà pour moi le prix à payer pour le respect de mon appartenance première.

Autrement, comment vivez-vous en tant qu’Haïtien à Montréal?

Je viens de passer 30 ans hors de Montréal; j’y suis revenu il y a 4 mois. Je vous dirais que, pendant mes études à l’Université de Montréal, cette ville était pour moi un espace où il faisait bon vivre et aussi militer pour l’indépendance du Québec. On pourra d’ailleurs lire sur ce point mes livres Lettre à Montréal et La Pacotille.

Mais les choses ont changé, et cela ne m’étonne pas. Je jure que les Haïtiens des années 60-68 ne m’auraient pas battu pour une question de liberté d’expression, d’une part. D’autre part, d’après certains témoignages, Montréal est devenue le repaire d’une caste de bandits.

Ceci dit, il faut quand même relativiser: ainsi, j’ai rencontré samedi dernier, lors d’un gala en l’honneur du journal Présence, un groupe de jeunes Haïtiens qui font honneur à mon appartenance. Cela m’amène à poser comme hypothèse qu’il existe des statistiques pour les jeunes Haïtiens qui sont en prison ou dans des maisons d’accueil, mais pas pour ceux qui réussissent très bien.

Peut-on dire que «les peuples manquent de poésie» quand on sait que certaines populations ne jouissent même pas de la liberté d’exister?

Vous savez, la poésie contemporaine haïtienne est née au cœur même de la tyrannie duvaliériste. Et rappelez-vous la littérature juive, le Journal d’Anne Frank, par exemple. Plus on nie aux peuples le droit d’exister, plus ils expriment leurs déboires par les arts, la littérature, la musique. Il en est de même pour les classes sociales exploitées. Il y aurait toute une thèse de doctorat à faire sur cette intéressante question.

Salman Rushdie a de son côté posé cette pertinente question: «Que vaut la parole de l’écrivain aujourd’hui?» Que répondez-vous à cela?

Beaucoup de choses.

Par exemple, je n’aurais jamais pensé qu’un hebdomadaire comme Haïti-Observateur aurait ainsi contribué à l’effondrement des systèmes duvaliériste et aristidien. Maintenant, tout dépend du type d’écriture pratiqué. Je ne pense pas que le formalisme puisse aider la parole à remplir une vraie mission sociale. Je réponds que, dans la mesure où l’écrivain peut avoir à sa disposition une machine capable de donner à son écriture une très large diffusion, sa parole porte en elle toutes les contradictions à connaître dans un système social donné.

Mais attention! N’oubliez pas qu’en écrivant, on fait face à tout un système de contraintes qui vont de la concurrence sauvage à la jalousie démente, au cannibalisme des soi-disant critiques, à la pression des groupes sociaux qui vous livrent une guerre féroce à cause de votre idéologie ou de vos prises de position politiques. Voilà d’après moi le carcan de la parole. On se trouve au milieu d’un ouragan où un livre publié à compte d’auteur ou dans une petite maison d’édition sera enseveli sous les décombres.

Je voudrais aborder un sujet qui me tient beaucoup à cœur, à savoir le concept de «négritude». Au Québec, lorsque ce roman de Dany Laferrière, Comment faire l’amour avec un Nègre sans se fatiguer, a été publié, le mot «Nègre» a dérangé. Aux États-Unis, on a même voulu censurer son livre pour cette raison. Dany Laferrière, en quelque sorte, a donc ennobli ce mot en l’utilisant comme titre de roman. Par ailleurs, en France, des Noirs se sont montrés vexés lorsque je l’ai prononcé devant eux. Où vous situez-vous par rapport à cette notion?

Je vais dans le sens des fondateurs de la négritude: Roumain, Césaire, Senghor. Ils avaient raison de donner au mot «Nègre» une connotation superlative puisqu’il était utilisé pour nous diminuer en nous comparant au singe. N’oubliez pas qu’avant la traite et l’esclavage, ce mot n’existait pas. Il vient de l’espagnol «negro», le latin «niger» ayant donné, par évolution phonétique, «noir». Sauf qu’actuellement nous assistons en effet à une remise en question du mot, devant la ségrégation aux États-Unis. Et comme les peuples choisissent des mots ou des notions qui conviennent à leurs préoccupations psychologiques, le choix des Noirs américains me paraît justifié. Même moi j’ai dû m’ajuster. Dans mon dernier roman, on trouvera le terme «Afro-Américain» en lieu et place du mot «Nègre».

Est-ce qu’on peut dire que vous êtes un écrivain «négropolitain»?

Oh! non! Je suis un écrivain, point final.

D’ailleurs je donne, comme le disait Breton, rendez-vous à tous les lecteurs, avec la différence que je me présente comme témoin d’un fait observé et vécu dans un milieu donné. Mais bien sûr, ce témoignage rejoindra d’autres personnes, sous quelques latitudes qu’elles se trouvent, car je crois fermement à ce que je pourrais appeler «la syntaxe d’un certain nombre de phénomènes humains».

Que représente pour vous la mort de Senghor? La négritude telle qu’elle a été conçue par le poète a-t-elle joué un rôle dans votre vie intellectuelle?

Je répondrai d’abord au deuxième segment de votre question. J’ai publié en 1962 – j’avais alors 25 ans – un Essai sur la négritude (Port-au-Prince, éditions Panorama, 1962). Ce livre faisait suite à une polémique que j’entretenais au quotidien Le Nouvelliste avec l’un des intellectuels qui soutenaient le régime duvaliériste, le professeur René Piquion. Je vous dirai que cette polémique n’était pas étrangère à mon emprisonnement et aux actes de torture dont j’ai été victime le 15 août 1961 puisque François Duvalier, défenseur de l’École indigéniste, axait tout son parcours intellectuel et politique sur la négritude.

C’est drôle car durant mon interrogatoire au Palais national, le colonel Jacques Laroche me demandait si j’étais marxiste ou africaniste. La question était pertinente dans la mesure où il y avait, sous-jacente à la négritude, une idéologie féodale branchée sur le pouvoir au plus grand nombre, c’est-à-dire les Noirs. Marxiste-léniniste à l’époque, disciple de Jacques Stephen Alexis, je ne pouvais pas cautionner la négritude ni sur le plan idéologique ni sur le plan politique puisque cette négritude justifiait le féodalisme, ou si vous voulez le pouvoir aux seuls Noirs en excluant les Métis des affaires politiques, ce qui était pour moi une ségrégation systématique, les Métis ayant eux aussi lutté contre la traite et contre l’esclavage – les Métis sont les héros et les héroïnes de toutes les guerres qui ont abouti à l’indépendance. Et même si la négritude devait guider les chefs noirs dans le développement socio-économique de leur peuple, il resterait toujours une distance à l’égard de l’homme blanc qu’en tant que marxiste je ne saurais cautionner. Ce n’est pas pour rien que la dernière phrase de mon livre se lit ainsi: «la négritude traditionnelle bien appliquée sauvera le Noir mais perdra l’homme définitivement».

Cependant, en arrivant en Amérique du Nord, ma conception de la négritude a complètement changé. Devant la ségrégation des Noirs anglophones au Canada et aux États-Unis, je voyais la nécessité d’une doctrine qui puisse être l’axe d’articulation de la lutte des Noirs pour leur libération du racisme nord-américain. Dès lors un intellectuel comme Senghor m’est apparu comme un visionnaire et comme un idéologue qu’il fallait prendre au sérieux, à l’instar de Lénine ou de Sartre.

C’est ainsi qu’en 1972, je lui faisais parvenir, par courrier ordinaire, mon livre Dialogue avec mon ombre (Montréal, Éditions francophones, 1972). Il le reçut avec un tel enthousiasme qu’il m’écrivit une lettre exaltante me plaçant parmi les plus grands poètes noirs. Et débuta entre nous une très longue correspondance qui dura pendant des années. Il se proposait d’organiser pour moi à Dakar une soirée d’hommage. Malheureusement, la politique l’en aura empêché.

Vous comprendrez alors ce que représente pour moi la mort de Léopold Sédar Senghor: plus qu’un leader spirituel, plus qu’un penseur d’envergure internationale, il fut un guide, un aîné qui sut trouver les mots qui encourageaient, quand on pense au silence de la critique québécoise relativement à cette poésie que Frère Raphaël et Pradel Pompilus, docteur ès lettres de la Sorbonne, placent dans leur anthologie à côté de celle de Lautréamont. D’ailleurs cette correspondance m’a permis de croire au pouvoir de l’écriture, non à la charité d’une critique souvent incestueuse. Il me l’a rappelé dans une phrase d’Ovide: «Et si ma poésie a quelque certitude, elle égalera la durée des siècles».

Quel est, à l’heure actuelle, l’apport de la négritude dans votre écriture?

Je ne peux pas renier, même sur le plan du subconscient, l’apport d’une identité dans une oeuvre littéraire. Du Nègre crucifié à Vous n’êtes pas seul, la négritude est comme cette espèce de boussole à travers laquelle se manifeste une saisie de faits qui constituent la charpente de mon oeuvre Mais le problème demeure la complexité de la notion et l’angle critique sous lequel elle est traitée.

Est-ce que l’exil est un malheur? Et que manque-t-il à votre bonheur?

Oui, l’exil que je vis est un malheur, car il s’agit d’un exil politique. Avant le retour de Jean-Bertrand Aristide, accompagné de 23 000 hommes de troupe derrière des tanks, armés de la façon la plus sophistiquée, je me rendais en Haïti, heureux; je riais, m’amusais jusqu’à une heure très avancée de la nuit. Fini ce bonheur. Je suis pour Aristide un ennemi qu’il ferait abattre demain matin.

Qu’est-ce qu’évoque pour vous la notion même de francophonie?

Une philosophie, une culture, un patrimoine dans le cas d’Haïti. Et il est dommage que des analphabètes aient craché sur ce patrimoine au profit d’une langue qui n’a pas derrière elle des infrastructures économiques, politiques et culturelles.

Quel doit être le rôle de la critique au Québec?

Celui de Cantin qui, le premier, a publié une étude d’envergure sur la poésie de Nelligan. Celui de Jules Lemaître, pour qui le grand critique est celui qui raconte les aventures de son âme à travers une oeuvre littéraire. Celui de Jean Éthier-Blais, qui se prononçait sur l’œuvre et non sur un individu appartenant à une caste donnée. Autant un critique peut contribuer au rayonnement international d’une littérature, autant il peut assassiner cette littérature par l’expression de ses pulsions et la haine de ceux qui n’appartiennent pas à son petit groupe d’amis.

En conclusion, quels sont vos projets d’écriture pour l’année qui vient?

Au moment où je réponds aux questions de cette interview, j’ai une saga qui intéresse un bon éditeur, un livre chez un autre éditeur intitulé L’art de la rupture sentimentale et les plaisirs de la séparation, et mon éditrice de Genève attend mon prochain roman.

Et en finissant, permettez-moi de vous remercier pour m’avoir ouvert les colonnes de votre importante revue. On m’a tellement censuré au Québec ces dernières années que je ne m’attendais pas à un tel honneur. Merci beaucoup.


 

Réalisé à Montréal par Ghila Sroka en automne 2001, cet entretien, « Gérard Étienne ; le juif nègre », a été publié pour la première fois dans La Tribune Juive 19.4 (mars 2003): 8-14. Il est republié dans son intégralité sur Île en île avec la permission de Ghila Sroka et de La Tribune Juive, magazine interculturel (Montréal).

© 2003 Ghila Sroka et La Tribune Juive


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mis en ligne : 16 juin 2003 ; mis à jour : 21 octobre 2020