Édouard Glissant, « La terre matrice des pays antillais, Haïti »


(extrait du Traité du Tout-monde)

La terre matrice des pays antillais, Haïti.

Qui n’en finit pas d’acquitter l’audace qu’elle eut de concevoir et de faire lever la première nation nègre du monde de la colonisation.
Qui depuis deux cents ans a éprouvé ce que Blocus veut dire, chaque fois renouvelé.
Qui sans répit souffre ses campements et sa mer folle, et grandit dans nos imaginaires.
Qui a vendu son sang créole un demi-dollar le litre.
Qui s’est distribuée à son tour dans les Amériques, la Caraïbe, l’Europe et l’Afrique, refaisant diaspora.
Qui a consumé tout son bois, marquant de plaies arides l’en-haut de ses mornes.
Qui a fondé une Peinture et inventé une Religion.
Qui meurt à chaque fois de débattre entre ses élites nègres et ses élites mulâtres, tout aussi carnassières.
Qui a cru qu’une armée était faite de fils de héros.
Qui a charroyé des mots beaux ou terribles, le mot macoute, le mot lavalass, le mot déchouquer.


Lu par l’auteur, ce texte est tiré du Traité du Tout-monde d’Édouard Glissant (Paris: Gallimard, 1997, page 139).

© 1997 Édouard Glissant
© 2002 Édouard Glissant et Île en île pour l’enregistrement audio (1:34 minute)
Enregistré à New York le 28 mai 2002


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mis en ligne : 29 mai 2002 ; mis à jour : 30 octobre 2020