Parcours d’Anthony Phelps

par Hélène Maïa

Poète et romancier d’origine haïtienne, Anthony Phelps est né à Port-au-Prince, Haïti, en 1928. Il vit au Québec.

Vous trouverez ici la liste de ses livres les plus importants et l’accueil qu’ils ont reçu.

Dans Une phrase lente de violoncelle (2005), Phelps évoque son enfance heureuse en Haïti :

J’étais cet écolier aux doigts de musicien
sous sa baguette rêveuse
la mémoire du bois chantait dans son pupitre
chansons de voiles et de pirates.
J’étais cet écolier à la main dessinatrice
sur le poli de son cartable
naviguaient des petits bateaux d’eau douce
bateaux de douces légendes

Durant son premier séjour au Québec, de 1951 à 1953, il fera un apprentissage en céramique et sculpture aux Beaux-Arts, ainsi qu’en écriture radiophonique auprès du romancier québécois Yves Thériault.
À son retour en Haïti, Phelps mettra cette technique en pratique, dans sa station Radio Cacique.
Au début des années soixante, il publie en Haïti les recueils : Été, Éclats de silence et Présence.

Sous la dictature de François Duvalier, Phelps fonde, avec les jeunes poètes Villard Denis Davertige, Serge Legagneur, Roland Morisseau et René Philoctète, le groupe Haïti Littéraire, et la revue Semences.
Au cours de l’année 1963, il termine la rédaction du long poème Mon pays que voici. Quelques semaines plus tard, les tontons macoutes font une descente chez lui. Il est emprisonné.
À sa libération, il est contraint de s’exiler et c’est tout naturellement qu’il revient à Montréal en 1964. Dans son livre Points cardinaux (1967), il salue ainsi sa ville d’accueil :

Montréal, Fille de verre, Fille d’acier,
je ne suis pas Ambassadeur.
Dans mes bagages point de présent
d’un chef très vénérable et honoré
ni lettres à cachet m’accréditant auprès de toi.
J’arrive porteur de mon seul titre de poète

Comme le dit René Lacôte, il s’agit « d’une suite de chants d’un grand souffle, un poème ininterrompu d’où montait avec une admirable chaleur, l’amour du poète pour la belle métropole québécoise, pour son fleuve et pour son peuple… » [1].

Dans un texte, intitulé « Pour Anthony Phelps », l’écrivain Émile Ollivier, qui s’établira lui aussi au Québec, parle du rôle de Phelps qui « aménageait des passerelles entre les intellectuels québécois et nous » [2].

C’est sans doute aux lundis du Perchoir d’Haïti à l’automne de 1965 que ce rôle de passeur est le plus évident. Dans ce restaurant-bar, les poètes haïtiens Gérard V. Étienne, Serge Legagneur, Roland Morisseau, qui sont venus rejoindre Phelps en exil, et plusieurs poètes québécois, tels Nicole Brossard, Paul Chamberland, Gaston Miron, vont fraterniser au cours de lectures publiques.

En 1966, il interprète sur disque, à Montréal, un extrait de son poème Mon pays que voici, qui est, comme Phelps le dit lui-même, « Le point de départ de ma trajectoire d’écrivain ». Ce texte est un cheminement poétique à travers l’histoire d’Haïti, de la période indienne et de la Traite des Noirs (1503) jusqu’à la consolidation de la dictature obscurantiste et sanguinaire de François Duvalier, au début des années 1960 :

Terre déliée au cœur d’étoile chaude
Fille bâtarde de Colomb et de la mer
nous sommes du Nouveau Monde
et nous vivons dans le présent.
Nous ne saurons marcher à reculons
n’ayant point d’yeux derrière la tête
et le moulin du vent broie les paroles sur nos lèvres
car sur les socles de la mémoire
dans la farine de nos mots ô mon pays
nous pétrissons pour toi des visages nouveaux.
Il te faut des héros vivants et non des morts

René Lacôte affirme : « Cette poésie est de celles qui nous font aller très loin dans l’âme d’un peuple, dans l’âme de tous les peuples meurtris et dépossédés d’un continent » [3].

Ce poème qui sera publié en France en 1968 sous le titre Mon pays que voici, suivi de Les dits du fou-aux-cailloux, deviendra un livre culte. On l’a comparé au Cahier d’un retour au pays natal d’Aimé Césaire et au Chant général de Pablo Neruda. Haïtiens, Antillais, Québécois se retrouveront dans ce très beau livre, cet ode à un pays meurtri qui en a ému plus d’un.
Produit par une compagnie qu’il a créée, le disque Mon pays que voici sera suivi d’une vingtaine d’enregistrements de poèmes.
Avec Émile Ollivier et Jean-Richard Laforest, il écrit et enregistre le disque Pierrot le Noir. Dans ce collage de poèmes, il est question du pays, de l’exil, de l’amour :

Nous sommes les Nègres en allés
clos de silence et oublieux
nous sommes les Nègres transplantés
assis à l’ombre des gratte-ciel
où le pays d’hier est sans écho.
Antillais de forte souche et de longue lignée
nous parlons maintenant
paroles de givre et mots de neige

Des extraits de ce disque seront publiés à Paris en 2010 dans Haïti, une traversée littéraire.

Montréal, cette île où Phelps s’est ancré, il l’a fait voyager dans son conte Et moi, je suis une île, publié en 1973. Montréal va, le temps d’un week-end, rencontrer ses sœurs d’eau salée de la Caraïbe :

Je suis une île d’eau douce, mais je connais les légendes de la mer que me content mes amis les navires, coques de bois, coques d’acier. Je suis une île d’eau douce mais je parle toutes les langues de la terre. Les îles ont une âme et rêvent de voyage, et moi, je suis une île avant d’être une ville.

Réédités en 2010, ces contes sont bien accueillis. « Véritable enchanteur, Anthony Phelps fait jaillir dès les premiers mots des images fortes de sorte qu’on reste avec la merveille de ces apparitions. On tombe sous le charme de ces histoires cocasses, émouvantes, où tout est calibré pour nous tenir en haleine, nous étonner, nous faire rêver » écrit Suzanne Giguère [4]. Un de ses contes, « Et moi, je suis une île », fera l’objet d’un film ayant pour titre Les Îles ont une âme (1989) aux Productions InformAction de Montréal.

Son premier roman Moins l’infini, paraît en France en 1973. Phelps recrée cette époque au cours de laquelle plusieurs de ses camarades sont victimes de la violence du régime Duvalier. Michel Beaulieu écrira que « Phelps est devenu un écrivain majeur à travers le roman. Quiconque a entendu parler d’Haïti, sera sans doute horrifié par ce livre qui s’inscrit dans l’un des courants les plus puissants de la littérature qui se fait au sud des États-Unis. Qu’il suffise de rapprocher Moins l’infini de La chanson que nous chantons d’Eduardo Galeano, ou du classique, Monsieur le Président de Miguel Angel Asturias, ces trois romans ont en commun la description de la répression » [5]. Moins l’infini a été traduit en russe, allemand, et espagnol.

Mémoire en colin-maillard sort à Montréal en 1976 et est très bien accueilli. Pour le critique Réginald Martel, « Mémoire en colin-maillard est un roman achevé, définitif, dont chaque mot, chaque image sont nécessaires. On ne peut rien ajouter. Anthony Phelps qui est l’un des plus remarquables écrivains québécois d’origine haïtienne nous propose un roman inspiré au sens le plus fort de ce mot. À aucun moment ne cesse l’extrême tension de ce récit dont l’écriture est en même temps dense et déliée, où se manifeste un écrivain en possession d’une extraordinaire maîtrise de la langue et de son propre style » [6].
François Ricard écrira dans le même sens : « C’est un excellent roman que vient de publier Anthony Phelps, excellence tenant aussi bien à la densité et à la richesse de l’écriture qu’à la peinture saisissante du milieu social et politique d’Haïti et à l’efficacité du suspens psychologique qui garde le lecteur en haleine du début jusqu’à la toute fin du récit » [7].
Ce roman a fait partie du programme des études françaises de Princeton University, et est toujours étudié dans les universités de Bologne, Venise, Turin. Il a fait l’objet de plusieurs analyses notamment celles du professeur Alessandro Costantini de l’université de Venise [8].

La même année, il publie en France Motifs pour le temps saisonnier. Dans cette œuvre dont le thème majeur est la tristesse, la douleur de l’éloignement, Phelps évoque, particulièrement dans le poème « La nuit des invertébrés », la mort de ses camarades et les autres, ces « chiffonniers » qui partagent avec lui la traversée de l’exil :

Je ne suis plus de cette race de nomades
mesureurs d’horizons et fouilleurs de sable.
Par ma main amulette j’écarte le basilic
j’exorcise
et débridé
toute longe coupée
je passe à gué l’exil comme une présence crépitante

Suivra, en 1980, La Bélière caraïbe, prix Casa de las Américas, Cuba. Le recueil a été primé à l’unanimité du jury formé d’éminents spécialistes de la Caraïbe avec la mention suivante :

Le poète propose une reconsidération et une réponse, qui dépassent les discussions habituelles désormais sans issue, sur l’ambivalence culturelle – africaine et européenne – des racines caraïbéennes, pour assumer sa condition d’Haïtien et d’Antillais. Le poète part de son centre vital, de son souffle quotidien pour chanter non seulement la femme et ce qui l’entoure, mais révéler également une vocation caraïbéenne qui va bien au-delà du cadre régional, quand il aborde, sans démonstrations ou lamentations excessives, un thème commun à toute l’aire latino-américaine actuelle : celui de l’exil.

On retrouve dans La Bélière caraïbecertains thèmes des précédents livres, mais aussi la réconciliation du poète avec sa nouvelle vie :

Colporteur d’indicible
sans trône ni béquilles
le rire laqué l’œil affiche
j’habite la nuit primaire boutonné sur le temps.

Pensionnaire d’oubliettes
et levain de bûcher
les bras pleins d’yeux
forain de pas magiques
je nomme ma route
dans le vent veuf
poète païen en toute saison

Puis paraît, en 1983, Même le soleil est nu, dans lequel il nous parle de sa maison d’enfance et de sa ville berlingot :

Ma Ville-berlingot
dans l’embrun et le sel
verbosité lustrée de négresses au quinquet
tresses débris tessons
mains chapardeuses du client
ville mendiante devenue
ô sourde lampe du passé en mal de miel.
Ma Ville-berlingot
rêve sans voix

Après le départ du dictateur Duvalier en 1986, Phelps va faire plusieurs séjours en Haïti. Il retrouve le milieu des créateurs avec qui il avait gardé le contact.

En 1987, il obtient pour la seconde fois le prix Casa de las Américas avec la parution d’Orchidée nègre. Le poète, tel un « clown somnambule », nous déclare : « J’investis la doublure du langage, ce tissu inaudible qui donne sang à mes mots ».

Orchidée nègre
secrète parure exhibée sans pudeur fausse
quel oiseau en reconnaissance de dettes
te laisserait gage de plumes et d’ailes
en toute décence tout appétit.
Dans le drap du plaisir
et le temps si longtemps attendu
du pas de deux sur nos plages altérées
il n’y a place que pour l’échange et le partage
et nos variables géométries
s’ajustent et se complètent.
Cœur de dérive en robe de déraison
ah ! que la vie est douce au creux de ton amande

Phelps aura l’occasion de lire ce poème dans de nombreux festivals de poésie entre autres celui de Voix vives de Méditerranée à Sète où il rencontre un franc succès auprès du public. Il lira également à Montréal au Festival International de Littérature en compagnie du comédien Jean Marchand.

Lors d’un séjour en Haïti en 1994, il écrira Les doubles quatrains mauves, dans un contexte difficile : c’est l’embargo total contre Haïti décrété par l’ONU. Pas d’électricité, pas de pétrole, les aéroports et les ports sont fermés. La créativité de Phelps prend le relais, le poète réalise une soixantaine de dessins-poèmes, tout en écrivant ses quatrains mauves :

Nettoyeur de mes réverbères, une harpe éthylique me râpe mes chagrins. Concassé, détressé, j’emprunte à l’opulence de la montagne une paillette d’éternité.
Cœur en éclipse, sous un semblant de lune, je me déploie en doubles quatrains mauves.

En collaboration avec le dramaturge Syto Cavé en 1996, il écrit un spectacle Haïti : 60 ans d’Histoire en chansons, textes et danses.

Dans son introduction à Immobile voyageuse de picas (2000), le professeur Sergio Zoppi écrit que ce recueil « est un bilan, parfois amer, parfois serein, où les événements, les sentiments, les tragédies, les amours d’une existence s’associent aux résultats d’un discours à la fois vital et essentiel… » [9].

Sous la flamme des bougies mes rides s’estompent
Activant l’impatience de l’attente
je guette les pulsions de tes doigts dans l’ailleurs.
Au tableau vert de mes mille ans
soif de paille
je te picore ton soleil
attendant de te regarder
te regarder jusqu’à grandir en toi
arbre
prenant racines dans tes voyages

Viendra ensuite Femme Amérique (2004), poème d’amour dédié aux femmes fondatrices du Nouveau Monde : l’Indienne, la Blanche, la Noire, l’Asiatique, la Métisse. Ce poème se transforme cependant, par lent télescopage, en un chant d’allégeance à notre Amérique métisse :

Lorsque tes yeux déroulent leur poussière
sur notre même géographie
je te salue Femme.

Femme de jubilation
je suis ton complice d’enfance
de ta racine arable jusqu’à ta graine rebelle.
Tu chuchotes à mon oreille l’espace de la tendresse
et flottes ta dérive
au rythme des poumons de l’Océan
naviguant ta destinée
sur cette triple mer où bêlent des vagues infinies.
Désert sera le monde si ne me couche en toi
ô ma Femme :
Amérique

Le recueil Femme Amérique, traduit en espagnol sous le titre Mujer America lui vaudra le Prix Jaime Sabines- Gatien Lapointe, Mexique-Québec en 2016.

Dans Une phrase lente de violoncelle (2005), Phelps nous parle certes de son enfance, mais le grand âge point, qu’il ne saurait taire :

Maintenant que son automne
à pas lents de maraudeur
se rapproche du piège de l’hiver
les rêves se déglinguent et quelque part
une horloge fait son tic tac
par éclipse de christ
sous la chair ignifuge du bois.

Aujourd’hui
le poème se referme sur lui-même.
Parfois une main inconnue
par petites touches l’excite
le déplie
pour machinalement l’effriter sur le sable.

Quand l’écriture devient fumée
l’alphabet fait son mea culpa
Et la mathématique se couche
sur des inédits de poussière

Son roman La contrainte de l’Inachevé (2006), a été finaliste pour de nombreux prix, dont celui du Gouverneur Général du Canada (2007). Elsa Pépin le résume ainsi : « L’auteur de 78 ans pose un regard chargé d’émotion sur cette Haïti qu’il a dû quitter, pour des raisons politiques. Avec la délicatesse de celui qui ne veut pas brusquer le souvenir, il fouille minutieusement les petits signes du passé. Une odeur, un regard, un sourire. Le roman pose la question de l’impossible résolution de l’exil » [10].
Stanley Péan écrit de ce roman : « Narré avec émotion et pudeur, avec intelligence et compassion, par un romancier en pleine possession de ses extraordinaires moyens, le roman La contrainte de l’inachevé est plus qu’un incontournable de cette saison littéraire : un roman charnière qu’on lira et relira avec le même bonheur » [11].

Anthony Phelps poursuit son travail d’écrivain. En 2009, il publie chez Leméac Éditeur un recueil de nouvelles, Le mannequin enchanté. Pour Martine Desjardins, « souvent ludiques, quelquefois d’un tragique cruel, les onze nouvelles de ce recueil attestent l’ampleur impressionnante de son registre » [12].
Dans sa chronique Stanley Péan écrit : Le mannequin enchanté réunit dans une centaine de pages, des nouvelles d’inspirations diverses, qui témoignent d’une infinie maîtrise stylistique… Subtile leçon de vie et d’écriture que nous inculque avec cette ironie qui lui sied si bien, ce véritable enchanteur [13].

De son côté, Diane Monique Daviau écrira : « Voilà une des œuvres les plus étonnantes dans le champ de la nouvelle contemporaine au Québec, avec son discours profondément métissé, en termes de genres et d’esthétiques et sorti de l’imaginaire d’un écrivain au sommet de sa maturité » [14].
L’une de ces nouvelles a été traduite en japonais.

Son nouveau recueil Une plage intemporelle a été publié en hiver 2011 aux éditions Le Noroît. Pour Hugues Corriveau : « On assiste à un projet de réconciliation entre les éléments disparates du monde, en un désir insatiable d’harmonie première, porteur du sens des eaux, du mouvement intime à la pointe du cœur, à la pointe du jour. Héritière des mythes la poésie est à l’écoute, la poésie d’Anthony Phelps est faite toute entière de cette aménité profonde qui fait d’un poète le passeur essentiel, celui qui prend à bras le corps ce qui s’offre sur les lieux-dits des premiers éboulements du sel. L’Homme empreinte qu’est le poète ce tisserand de syllabes convie l’ardeur des images à se lover dans le creux des meilleurs jours, des meilleures lumières » (Le Devoir, 15-16 octobre 2011).
De son côté Stanley Péan écrira : « Regroupés en six parties, qui se répondent comme les mouvements d’une symphonie, ces nouveaux poèmes traquent ‘l’intime fête horizontale’ dans le moindre repli de la mémoire. Outre cet érotisme diffus et joliment troublant, on y lit les échos d’une nostalgie et d’une mélancolie qui n’ont cependant rien de morbide. Ces vers lumineux célèbrent au contraire, ce temps où le temps est aboli, où le présent cohabite avec le souvenir et l’avenir, ‘en rythmes improbables / les mains ravivent le récit de la tendresse / délivrant tant d’images /emprisonnées dans leur musique’… » (Le Libraire, juillet-août 2011: 19).

Le poète et romancier Julien Delmaire écrit : « Anthony Phelps creuse la langue, utilise la redondance lexicale, pour produire une lente et profonde hypnose. Parfois le poème prend des accents bibliques, évoque les psaumes, mais jamais l’auteur ne semble désirer de transcendance au-delà de l’humain et la métaphysique qu’il déploie demeure profondément terrienne. À lire les pages splendides de Phelps on peut songer aux Stèles de Victor Ségalen… La dernière partie du recueil : Teinturière, est un pur chef-d’œuvre, le verbe se fait souverain…

Le temps a brûlé lent Teinturière
Les rêves aussi.
Souvent je laisse flotter le poème
comme un enfant son bateau de papier
ou le porte à mon oreille
pour retrouver les chants lointains d’un certain lieu.

Une plage intemporelle est peut-être le livre le plus abouti d’Anthony Phelps, il procède d’une maturité totale, d’un équilibre parfait qui n’empêche pas le vertige. Anthony Phelps est l’un des poètes essentiels de notre temps et nous sommes nombreux à souhaiter que le Prix Nobel de littérature lui soit un jour décerné, récompensant une vie au service de l’art et de l’homme » (Cultures Sud, 10 février 2012).

En février 2012, Anthony Phelps publie, à Paris, son Anthologie personnelle : Nomade je fus de très vieille mémoire, aux Éditions Bruno Doucey. Pour le poète Jean-Yves Masson : « c’est une découverte majeure, un bonheur de lecture rare… Le lyrisme incandescent de Phelps, fondé sur une subtile dialectique de la distance et de l’engagement, transforme le poème en un creuset alchimique où s’opère la réconciliation du présent avec le passé, et du poète avec son héritage. Comme tous les grands auteurs éprouvés par l’Histoire, Phelps ne sépare pas son destin personnel de celui de son peuple. Il a su aussi dédier à sa ‘femme cherche-étoile’, à son ‘idole boisée aux yeux de prophétesse’, de magnifiques poèmes d’amour. Avec cette anthologie, Anthony Phelps inscrit son nom parmi les grands poètes antillais modernes » (Le Magazine littéraire, avril 2012: 50).

Dans la revue Europe (mai 2012), Michel Ménaché écrit :

En 1968, Pierre-Jean Oswald avait publié Mon pays que voici du poète haïtien Anthony Phelps. Il aura fallu attendre presque un demi-siècle pour qu’un autre éditeur nous fasse découvrir Nomade je fus de très vieille mémoire, vaste anthologie personnelle regroupant le meilleur de l’œuvre de ce poète majeur de la Caraïbe, exilé au Québec. L’auteur né en 1928, opposant à la dictature de Duvalier comme d’autres grandes voix de la poésie haïtienne, a connu la prison puis l’exil, tel René Depestre, Jacques Stephen Alexis… Cette traversée dans l’espace et le temps revient sur la tragédie permanente d’un peuple… (Mon Pays que voici). Dans La Bélière Caraïbe, le poète évoque son nomadisme et cette quête… à ‘ »battre le rappel des fantômes » à creuser la mémoire collective… Dans l’Amérique métisse où il se sent accueilli, A. Phelps s’interroge sur la prégnance obsessionnelle et troublante des origines… Dans Orchidée nègre, la femme aimée, « la femme-domino à l’horizon d’ardoise », accorde le poète au monde… Anthony Phelps célèbre l’Amérique elle-même comme une femme : Femme Amérique. « Désert sera le monde si ne me couche en toi / ô ma Femme / Amérique »… Dans Une phrase lente de violoncelle, le poète se retourne sur l’enfance, remonte son fleuve, jusqu’aux sources premières de sa poésie…  Avec un sens exacerbé du réalisme merveilleux, voire une touche de surréalisme, l’auteur brouille les pistes, entrouvre son propre mystère : « Quand l’écriture devient fumée / l’alphabet fait son mea culpa / et la mathématique se couche / sur des inédits de poussière ». De cette poésie, charnelle, luxuriante, Bruno Doucey écrit dans sa préface : « Lisez-la comme on respire, lecteurs qui entrez dans ces pages : la poésie d’Anthony Phelps est un arbre dont les racines voyagent à travers les mots. Non pas une île, pas un pays : la possibilité d’une patrie en archipel ».

De son côté, le critique Hugues Corriveau souligne que « cette anthologie permet de parcourir plus d’un demi-siècle d’une écriture essentielle, achevée, voire jamais fausse, toujours déchirée entre les souffrances archaïques et un irrépressible désir de vivre….» (Le Devoir, 24-25 novembre 2012).

Pour cette anthologie, Phelps reçoit le Prix insulaire Ouessant en 2012 et le Grand Prix de Poésie de l’Académie française en 2017.

À l’automne 2012, Phelps publie L’Araignée chiromancienne, un bestiaire illustré par Sean Rudman. Laissant libre cours a son imagination, le poète Anthony Phelps nous dévoile un espace de songes et de mystères où l’araignée se fait chiromancienne, où le lézard crache le feu, parfois telle grenouille se métamorphose en feuilles, un éléphant devient voyeur éclaboussé, et la patience des lucioles ravive les pages bleues de l’hier. Les illustrations de l’artiste Sean Rudman font un écho remarquable au bestiaire.

En 2016, il publie le recueil de poèmes Je veille incorrigible féticheur qui obtient le Prix Carbet-Institut du Tout-Monde, France Caraïbe. L’éditeur Bruno Doucey en lira des extraits lors de son Apéro poésie qu’on peut retrouver sur YouTube.

En collaboration avec la plasticienne Geneviève Lahens, Phelps publie en 2017, un beau livre d’art : Au souffle du vent-poupée.

À l’heure mauve des flamants
Le temps ramoneur d’auréoles
m’ouvre son paysage
balisé d’eau chantante
hommes et femmes de maïs
font crisser le sable
et danser l’herbe folle
en double pause et baroque emmêlement

Phelps reçoit le Prix de la Société des Gens de lettres en 2018 pour ce livre. La remise du Prix s’est déroulée en poésie et musique à l’Hôtel de Massa à Paris. Une soirée-causerie est organisée en Haïti au siège de la Fondation FOKAL, qui en a soutenu la publication, en présence de Geneviève Lahens et Anthony Phelps.

En plus de ses nombreux livres précités qui constituent le corps de son œuvre, Anthony Phelps a aussi produit des textes radiophoniques et théâtraux.
Il a lu ses œuvres en Haïti, au Québec, en France, aux États-Unis, en Amérique latine, en Afrique, au Japon, en Russie, en Italie.
Des critiques, nombreux, ont salué le talent d’Anthony Phelps.
Souhaitons, comme le dit Émile Ollivier, que « dans le chaos tonitruant du désordre actuel, on continue à entendre le souffle de cette présence considérable, la musique d’Anthony Phelps » [15].

– Hélène Maïa

Notes:

1. René Lacôte. « Anthony Phelps », La chronique de poésie, Paris, Lettres Françaises (19 février 1969_. [retour au texte]
2. Émile Ollivier. « Pour Anthony Phelps », texte écrit pour la soirée Hommage à Anthony Phelps, Montréal, Bibliothèque nationale du Québec, 2 février 2001. [retour au texte]
3. René Lacôte, Ibid. [retour au texte]
4. Suzanne Giguère. « Fascinant coquillage ». Le Devoir (26-27 juin 2010): E8. [retour au texte]
5. Michel Beaulieu, « Anthony Phelps et Gérard Étienne». Nouvelle Barre du jour 60 (novembre 1977). [retour au texte]
6. Réginald Martel, « L’angoisse mouvante et l’horreur achevée ». La Presse (19 février 1977). [retour au texte]
7. François Ricard. « Qui a donné Guy et Jacques Colin ? ». Le Devoir (19 mars 1977). [retour au texte]
8. Alessandro Costantini. Fanstasmi narrativi e sovversione linguistica. Milano: Monduzzi Editore, 2002: 143-188. [retour au texte]
9. Sergio Zoppi. « Introduction ». Immobile voyageuse de picas. Turin: La Rosa Editrice, 2000. [retour au texte]
10. Elsa Pépin. « À la recherche du pays perdu ». Ici Montréal (25 octobre-1er novembre 2006). [retour au texte]
11. Stanley Péan. « Cahier du retour (impossible) au pays natal ». Le Libraire (janvier-février 2007): 12. [retour au texte]
12 . Martine Desjardins. « La palme à Haïti. » L’Actualité (Montréal, novembre 2009): 65. [retour au texte]
13. Stanley Péan. « Telle est ma quête ». Le Libraire (décembre 2009-janvier 2010): 17. [retour au texte]
14. Diane Monique Daviau. « Tremblements de réel(s). Montréal. Lettres québécoises (été 2010): 27. [retour au texte]
15. Émile Ollivier. Ibid. [retour au texte]


Ce texte inédit, « Parcours d’Anthony Phelps », par Hélène Maïa, est offert aux lecteurs d’Île en île par l’auteure en avril 2011 (mise à jour en janvier 2021).

© 2011, 2021 Hélène Maïa


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mis en ligne : 29 avril 2011 ; mis à jour : 16 janvier 2021