Cadousteau Vaihere, Le ‘Orero : le renouveau d’un antique art

Par Cadousteau Vaihere

Aujourd’hui, le ‘orero – ou art oratoire traditionnel – renaît en Polynésie. Cet art qui était familier à tous avant d’être réservé à une élite ressurgit du passé après avoir été «oublié». Il n’est certes plus une pratique courante. Il concerne en effet une partie infime de la population polynésienne, à savoir les personnes âgées qui ont gardé en mémoire les récits de leurs ancêtres. Mais, au Heiva i Tahiti 1998 (concours de chants et danses polynésiennes à Tahiti), des orateurs ont été invités à participer au concours du «meilleur ‘orero». C’était une manière de faire redécouvrir les témoins survivants qui prétendent actuellement à ce titre de prestige qu’évoque le statut de ‘orero. Une façon de redynamiser l’art oratoire et d’affirmer la vigueur d’une culture littéraire proprement polynésienne.

Définition

Voici la définition commune du «’orero» aujourd’hui. Il désigne deux réalités qui sont:

  1. l’orateur, l’expert en art oratoire dans l’antique société polynésienne, celui qui prononce un discours, assurant la fonction de messager de la famille, de la population, du roi, des divinités. Cet orateur est issu d’une lignée de ‘orero, issu de la noblesse ou d’une famille royale. Durant toute son enfance, il suit l’enseignement d’une confrérie de tahu’a (prêtres) reconnus pour leur maîtrise de la culture et du patrimoine des Polynésiens. Une fois qu’il avait assimilé les connaissances requises, le ‘orero était choisi par le arii (chef) comme messager. Il était chargé de réciter des discours de circonstance durant des cérémonies sur le marae (lieu de culte polynésien).
  2. L’art oratoire, l’art de manier les mots de manière à convaincre une assistance et intéresser, capter l’attention d’un auditoire. Par extension métonymique, c’est la parole même, l’essence même du parler, l’éloquence, la rhétorique, le discours lui-même.

L’etymologie du terme « ‘orero »

Les origines du terme «’orero» ne sont pas évidentes. Il serait arbitraire de vouloir en rendre compte sans émettre quelques doutes. La langue tahitienne en effet ne distingue pas les verbes des noms sauf par l’adjonction du déterminant défini(te) ou indéfini(e) d’où l’impossibilité de précéder par dérivation étymologique. Le vocable «’orero» apparaît donc plutôt comme un terme composé de plusieurs unités sémantiques plus ou moins utilisables indépendamment les unes des autres.

Voici l’étymologie imaginative qui est donnée au sein des cours de ‘orero au Conservatoire Artistique Territoriale (de Polynésie Française), étymologie que nous avons essayé d’approfondir et de déployer.

Un découpage syllabique, ou plutôt par unités de sens, semble être une solution pour aborder l’origine ou les origines de ce mot. Il est important de noter que plusieurs segmentations sont possibles. «’Orero» peut être segmenté en cinq unités de sens: ‘o/re/ro/’ore/rero. Cependant, les possibilités de sens ne s’arrêtent pas là car chaque unité peut avoir plusieurs significations.

‘O ‘O: un jardin cultivé, un enclos, une terre = article personnel précédant un nom propre, le sujet d’un verbe ou un prédicat
ö (sans glottalisation): un don de dieu, une offrande, des ressources nécessaires à la vie de l’homme = pouvoir entrer, entrer. Par extension, cela évoque la plate-forme où l’homme forge son expérience, sa sagesse
RE
victoire remportée lors de jeux ou de compétitions
action laborieuse et préparée où la recherche de l’appui des divinités est une nécessité et une garantie pour que son résultat soit une réussite.
fourmi: La fourmi est un insecte dont la particularité est d’évoluer avec un esprit d’entreprise et de groupe. Elle représente le travail organisé et méthodique.= toron de corde (voir le Dictionnaire de la langue tahitienne de Tepano Jaussen)
‘ORE ou AORE adverbe se plaçant après le verbe afin d’en inverser le sens
Notons: ‘ORE NOA = adj., qui cesse de soi-même
‘ORE ‘ORE = v. i, cesser progressivement
AORE = le chiffre zéro, l’atmosphère, le ciel, le vide
Expression de la négation, «AORE» évoque l’acte individuel pour le Polynésien d’antan, l’acte personnel et isolé. Cet acte est voué d’avance à l’échec pour ce dernier car il ne répond pas aux normes exigées par la société qui était régie par le principe de la vie en communauté.
RERO ou plutôt REKO = «RERO» ne semble pas exister dans la langue tahitienne mais est assimilé au terme pa’umotu (de l’archipel des Tuamotu) «REKO» qui désigne la parole, le parler, le moyen de communication, de transmission du savoir . Notons qu’il ressemble au terme «REO» qui, en tahitien, désigne la voix, la langue, le mot, l’air ou la mélodie musicale.

Commentaire

Tous ces termes pris séparément offrent des possibilités de sens différentes mais trouvent leur point commun dans le fait qu’ils évoquent la notion importante qui était à la base de la société polynésienne de l’époque, c’est-à-dire la notion de communauté.

Le ‘orero est la personne qui permet la vie en communauté par sa capacité à discourir, capacité qui est envisagée comme un don divin grâce auquel il véhicule sa sagesse, sa compétence, l’histoire, l’identité du lieu auquel il appartient.

Les termes étudiés ci-dessus évoquent bien le rôle du ‘orero qui est d’assurer le lien entre le peuple et les dieux. L’art oratoire est comme un jardin que le messager cultive.

Notons que «’orer» peut être segmenté en ‘ore / ro = «pas ou plus de fourmi». Ce sens peut apparaître comme dénué de tout rapport avec le sens que nous donnons au terme «’orero». Pourtant, il existe une interprétation possible. La fourmilière évoque souvent quelque chose qui grouille ou l’idée d’un bourdonnement. Or, la récitation des généalogies était réputée pour être très ennuyeuse à entendre, par sa longueur étonnante et le ton monocorde du ‘orero. Le rythme monotone et interminable qui était une caractéristique du discours du généalogiste semble tout à fait correspondre avec cette idée de bourdonnement.

Le ‘orero serait-il donc, selon ce point de vue, une volonté de faire cesser ce bourdonnement, cette monotonie durable au profit d’un art et d’un discours plus affiné?

Il faut voir que le second sens de «rö» donné dans le Dictionnaire de la langue tahitienne de Tepano Jaussen n’est pas moins intéressante car il désigne un toron de corde et, par extension, ce toron de corde évoque le récit même du généalogiste (ou du ‘orero) qui consiste à rattacher tous les individus membres d’une même famille. Il évoque également l’outil dont se servait cet orateur pour mémoriser ces généalogies. En effet, à la manière des catholiques récitant leurs prières avec un chapelet, les généalogistes avaient à leur disposition une sorte de rosaire appelée «viriviri» («torsadé»). Ce viriviri était un aide-mémoire. On l’obtenait en tordant une feuille de cocotier et en lui faisant des noeuds à intervalles plus ou moins réguliers. Chaque noeud correspondait à un nom de la généalogie. Cet objet était utilisé non seulement pour les généalogies mais aussi pour le compte des prières. C’est une garantie à usage mnémotechnique pour les strophes de chants, des récits, des événements historiques importants.

Ainsi, cette approche du mot «’orero» rend compte du caractère interminable du discours et de la volonté d’en faire un art plus raffiné. Il met également en avant un accessoire particulier qui était propre au généalogiste.

Il reste une dernière approche du mot «’orero». On peut, en effet le considérer comme étant la contraction de l’expression «eö nä te ärero» qui signifie: «C’est un don de la langue». Rappelons également que «ö» signifie «entrer» et qu’il corrobore à l’idée que le ‘orero est considéré comme un don, comme quelque chose qui est entré en nous sans qu’on l’ait voulu ou provoqué. Cette approche met en avant l’idée que le ‘orero est don avant d’être une simple technique et qu’il est bien quelque chose de naturel au départ, une sorte de donné divin. Ceci valorise la première fonction du discours qui était une fonction purement identitaire pour le Polynésien d’autrefois, Polynésien dont la finalité était d’avoir une pleine connaissance de ses origines.

Le ‘orero est nécessite donc une connaissance parfaite de sa langue et de ses origines et comme un facteur essentiel de sociabilité, une ouverture d’esprit.

D. Yau mentionne des mots dérivés selon un point de vue sémantique qui contredit ou du moins complète la reconstruction étymologique à laquelle nous nous sommes essayé:

‘OREROMO’O méditer, réfléchir, se parler
‘ORERONUI un bavard
‘ORERORERO disputer, contester
‘ORERORI’IRI’I murmurer pour ne pas être entendu

Le ‘orero à travers le temps

Le ‘orero, une fonction sociale majeure

Certes, la définition, n’est ni inexacte, ni totalement contradictoire avec la réalité même du ‘orero. Cependant, à l’origine le ‘orero n’est pas un art et que l’orateur n’a pas la condition d’artiste que nous lui accordons de nos jours. Cette esthétisation du ‘orero est récente.

Elle laisse à penser que le ‘orero est réservé à une élite de connaisseurs et qu’il consiste en un simple exercice de style. Il apparaît comme le résultat d’une simple technique qui est enseignée uniquement à une classe de privilégiés.

Or, il faut savoir qu’à l’origine (et nous suivons désormais le travail majeur, la source capitale: Teuira Henry: Tahiti aux Temps Anciens) le ‘orero, en tant que discours, était une fonction qui faisait partie intégrante de la vie de tout Polynésien. Il était pour lui une garantie, la preuve même de son identité. En quelque sorte, le ‘orero était un moyen individuel qui permettait à chacun d’affirmer son appartenance à une tribu et une terre.

Par conséquent, la définition du mot «’orero» a évolué et ce dernier ne renvoie pas aux mêmes réalités au fil de l’histoire. La condition du ‘orero évolue entre l’installation de la civilisation Lapita (qui aurait migré depuis l’ouest de la Mélanésie jusqu’en Polynésie) et le dix-septième siècle (implantation à Tahiti du culte du dieu ‘ORO).

Des écoles et un enseignement particuliers

Il faut savoir que, très tôt, il existait déjà des écoles de ‘orero. Cependant, il est difficile de les situer, aussi bien géographiquement que chronologiquement. De plus, ces lieux d’enseignement ne doivent pas être perçus comme les institutions scolaires de nos jours, mais comme des lieux où l’entrée était libre à tous les Polynésiens. Tout ce qui semble probable, c’est que ces lieux d’instruction étaient désignés pour la plupart du temps par des appellations commençant par «fare» ou «ana».

La particularité de ces écoles est que l’enseignement qui y était donné était essentiellement oral. Comme dans de nombreuses sociétés anciennes, la littérature orale tenait une place essentielle dans la Polynésie d’antan. Le souci pour les élèves était de retenir, de mémoriser, à défaut de pouvoir écrire. Il s’agissait de «stocker» le plus d’informations possibles, ou plutôt d’en «manger» afin d’être capable de les restituer de manière parfaite. «Manger» se traduisant par «’ai» ou «’amu» en tahitien, nous pouvons penser que le «’a’ai» ou «’a’amu», qui veut dire «histoire», «récit» ou «légende» en tahitien, découle de cette conception particulière qu’ont les Polynésiens en ce qui concerne la mémorisation et l’apprentissage. Pour eux, la mémorisation apparaît comme une «consommation» du savoir. C’est du moins une «étymologie» retenue de nos jours par certains linguistes et par la plupart des personnalités représentatives de la culture polynésienne.

Une fonction identitaire et pédagogique

La fonction essentielle du discours était la fonction identitaire et, par là, a émergé la notion importante du rôle pédagogique assigné au discours oral. Dans la société polynésienne traditionnelle, retenir le savoir appris était tenu pour une exigence aussi importante que le besoin de se nourrir, de subsister. L’importance de la transmission de ce savoir (qui pouvait toucher le domaine religieux, géographique, historique ou technique) se justifie ainsi de manière compréhensible. La parole comme restitution de la mémoire était considérée comme un élément vital. Pour tout Polynésien de cette époque, il était normal et naturel d’entretenir, de faire perdurer ce savoir. Le ‘orero, en tant que discours, était comme un moyen de subsister, d’assurer sa survie. Dans l’archipel de la Société, adresser des prières (que ce soit aux ancêtres ou aux dieux) constitue un moment fort de la vie sociale. On priait, on faisait appel aux ancêtres avant tout acte cérémonial ou quotidien. Le discours était le facteur de la communication par excellence.

L’enseignement des écoles reposait essentiellement sur l’apprentissage et la mémorisation de chants. Les Polynésiens avaient, à la manière des aèdes grecs antiques, le talent d’improviser des poèmes ou des chants de circonstance qui recouraient à des métaphores ou de comparaisons empruntées à la nature.

Haere po et marae

Les «Haere pö» sont de jeunes élèves quelconques qui se sont efforcés de retenir, «d’absorber» le plus d’informations concernant leur île, leur terre, leur culture, grâce à l’enseignement qui était offert dans ces petites écoles. Ils doivent leur appellation particulière («marcher la nuit») au fait qu’ils arpentaient de long en large des lieux tranquilles à une heure tardive de la nuit, dans un état de concentration maximum afin de pouvoir réciter l’enseignement qu’ils avaient suivi et afin de pouvoir vérifier s’ils avaient réussi à l’assimiler complètement. On dira par la suite que ces lieux de méditation étaient des marae (temple). Or, à l’époque, le terme «marae» ne désignait pas le lieu sacré et religieux des Polynésiens tel que nous l’entendons aujourd’hui. La plupart du temps, quand une personne âgée s’exprime en disant «ua marae te fenua», elle veut tout simplement qualifier une terre en mettant en avant le fait qu’elle est bien entretenue, qu’elle est propre. À l’origine, «marae» signifie tout simplement «bien entretenu» et désigne un endroit tondu et nettoyé.

Le paparaa tupuna

Chaque Polynésien se devait d’être ‘orero. Ce rôle relevait de la fonction particulière du généalogiste. Il s’agissait pour l’élève d’apprendre par coeur la généalogie de sa famille ainsi que celle des différentes familles qui constituaient les chefferies de l’île. Le cadre de retransmission du savoir était essentiellement basé sur le paparaa tupuna («fondation ancestrale»), à savoir, la généalogie ou plutôt les rapports de parenté et par extension les rapports humains. Il s’agissait de restituer, sans en émettre aucun, tous les noms des membres d’une famille ainsi que tous les noms de lieux qui existaient sur l’île. Ceci représentait l’unique moyen d’affirmer son identité, sa singularité, sa particularité par rapport aux autres tribus et les autres îles. À l’époque, il était important de pouvoir dire quelles étaient ses origines familiales et géographiques. Il s’agissait de déclamer sans erreur son identité, par la présentation de sa généalogie et de sa localisation spatiale.

À cette époque très reculée, il n’y avait donc pas de ‘orero comme nous le définissons de nos jours, c’est-à-dire des orateurs issus d’une élite, formés par une confrérie de tahu’a et officiant uniquement sur des lieux de cultes. Il était permis à chacun d’être ‘orero. Tout Polynésien qui se respectait et honorait ses coutumes se devait de connaître son île, ses origines, son histoire, sa généalogie.

Le ‘orero, un art au service du arii

Au fur et à mesure pourtant, les arii (à ne pas traduire par « roi » au sens de monarque comme on le fait souvent, mais plutôt par «chef») vont éprouver le besoin d’avoir constamment à leurs côtés un messager, un intermédiaire entre le peuple et eux.

Le arii, un rôle de médiateur dans le partage

Jusqu’alors, la préoccupation première du chef était de subvenir aux besoins alimentaires de toute sa tribu en faisant le partage équitable des récoltes et de la pêche sur le «marae», sorte de forum polynésien où se pratiquaient diverses activités artisanales, que ce soit le tressage, la confection du tapa (étoffe faite avec l’écorce du banyan ou de l’hibiscus) ou encore la construction de pirogue. Le partage de la nourriture correspondait aux besoins de la personne âgée ou du nouveau-né. Avoir un messager lui assurait une protection particulière, dans la mesure où ce dernier lui garantissait sa place de chef par ses compétences en généalogie.

La dignité, critère essentiel

Le ‘orero devait assurer la communication entre son arii et les autres tribus ainsi qu’avec celles des îles voisines. Il devait parler pour le bien de son clan et de son arii. Pour cela, le chef choisissait parmi les haere po celui qu’il pensait être le plus digne de lui; la dignité étant la qualité première que devait présenter l’élève orateur. Ce dernier devait convenir au arii, aussi bien physiquement que moralement: le arii ne choisissait pas d’individu affecté d’un handicap quelconque comme un chauve par exemple, un bossu ou un borgne (ces défauts étant jugés comme contraire à la volonté des dieux).

Le ‘orero, messager de confiance polyvalent

Des liens harmonieux unissaient le chef et son porte-parole. Bientôt, il n’était plus nécessaire que le arii dicte à son messager la conduite à suivre car ce dernier le connaissait suffisamment pour les deviner. Ceci lui permettait de prendre place aux réunions que le arii organisait. Il pouvait être assisté par un autre messager dans la mesure où certains messagers étaient parfois spécialisés davantage dans un domaine que dans un autre. Par exemple, un messager qui détenait plus de compétences dans le savoir de la cueillette des fruits pouvait faire appel au savoir d’un messager spécialiste du secteur de la pêche, et vice-versa. A ce sujet, il est intéressant de savoir que les ‘orero n’étaient pas forcément désignés par leur propre nom mais plutôt par la fonction qu’ils tenaient et dans laquelle ils s’illustraient le plus.

Convaincre autrui de sa supériorité

Le ‘orero détenait le sort de sa tribu entre ses mains. Il devait être en mesure d’obtenir les faveurs du arii voisin ou être capable de lui annoncer son hostilité. C’est dans cette perspective qu’il était désigné par learii de la tribu dans laquelle il avait grandi. Il devait prouver ses talents de déclamation et de rhétorique. La manière dont il s’exprimait devait être convaincante. C’est à partir de là que le ‘orero est devenu un art à proprement parler: il ne s’agissait plus uniquement d’affirmer son identité où d’enseigner son savoir à la génération suivante, mais d’user du discours pour attirer les faveurs de quelqu’un ou pour le provoquer. Le messager devait prouver la supériorité de son chef grâce à ses talents mnémotechniques mais surtout grâce à ses prouesses en rhétorique.

Le caractère de généalogiste qui s’attachait à tout Polynésien apparaît désormais comme un gage de sécurité personnelle pour le arii. C’est certainement là qu’est apparu le concept d’individualité alors que jusque là prédominait la notion de communauté. Il a fallu que les simples haere pö prouvent leur capacité à jouer avec les mots face aux messagers des autres tribus et face aux camarades de leur école. Les prétendants au statut de messager devaient être aptes à réciter des incantations et la généalogie de leur arii de manière très rapide. L’orateur bénéficie d’ un statut reconnu et envié à partir du moment où il a fallu rivaliser de savoir pour obtenir le privilège d’être choisi comme le porte-parole de son clan. La «classe» des ‘orero (telle que nous la définissons aujourd’hui) voit le jour avec la notion de mérite: elle n’est plus un droit pour tous, mais réellement un art à affiner constamment et dans lequel il faut être un expert.

Des écoles plus spécialisées

La discipline libre et naturelle qu’était le ‘orero perd de son caractère vital et s’institutionnalise par le biais d’enseignements dans des écoles beaucoup plus contraignantes. De même qu’autrefois, chaque district compte son (ou ses) école(s) et son orateur.

Notons quelques exemples mentionnés dans le recueil Tahiti aux temps anciens de Teuira Henry (82):

À Teporionuu (ancienne subdivision de Tahiti comprenant Pare et Arue), le grand chef était Tunui-a’e-i-te-atua, le chef messager était Turuhe-mana, les écoles étaient Va’uri, ‘Utumea et Fare-fatu, le maître d’école était Matau.
À Faaaa, le grand chef était Te-arii-vae-tua, le messager était Tau-vini, l’école et le maître d’école, Tau-vaa.
À Papara, le grand chef était Terii-rere, les messagers étaient Haia-toti et Haia-tota, l’école était Fare-ee et le maître, Tio-tahu’a.

Ces «fare haapiiraa» (écoles, ou littéralement, «maisons d’apprentissage») étaient des écoles de maîtres qui accueillaient des hommes mais notamment des fils aînés issus de familles dominantes ainsi que des femmes. L’enseignement était rémunéré en nature: provisions, tapa, vêtements, ornements ou plumes d’oiseaux. On y enseignait les mêmes matières qui étaient étudiées dans les toutes premières écoles: la généalogie, l’histoire, la géographie, le mouvement des astres, les vents, la numération, les techniques de navigation, la faune, la flore, des devinettes, l’art héraldique, les récits mythiques et cosmogoniques.

Il existait également des «fare ‘airaa upu» (littéralement, des «maisons pour absorber les invocations») qui, quant à elles, étaient destinées aux hommes et exclusivement consacrées à la formation de prêtres. Par conséquent, le contenu de l’enseignement était essentiellement religieux mais il était complété par l’apprentissage de discours politiques et guerriers.

L’école de Haapape (commune de Mahina à l’heure actuelle) aurait été fréquentée par les enfants de la famille royale de Tahiti et de Ra’iatea. Les maîtres étaient des femmes qui apprenaient l’art héraldique. Cette école était connue comme étant l’école des savants de famille royale, sous l’appellation de «fare ‘airaa upu ana-vaha-rau», «ana-vaha-rau» signifiant «la grotte aux nombreux orifices» et connotant l’idée du savoir et de la connaissance.

Mana, paari et tapu

Notons qu’à cette époque apparaît avec force la notion de lignée: on est ‘orero ou prêtre de génération en génération avec une prédilection pour les fils aînés par respect pour le principe de primogéniture en vigueur dans la société polynésienne d’antan. Notons également la discrimination vis-à-vis des femmes, femmes qui ne sont pas acceptées dans les écoles de prêtrise.

Dans la transmission des savoirs traditionnels, trois notions apparaissent et se greffent à la fonction ou l’art de l’éloquence:

La première est le «mana» (le pouvoir): elle désigne ce qui donne au savoir et à la science toute son essence, sa profondeur, son efficacité et son impact.

La deuxième est le «paari» (la sagesse, le savoir, la connaissance): elle désigne tout le savoir accumulé de génération en génération.

La troisième est le «tapu» (l’interdit): elle désigne les limites qui permettent la protection de la fonction de ‘orero et le moyen de connaître les limites du mana.

‘Orero: une question de lignée, une affaire de prêtrise

Le concept de ‘orero tel que nous le comprenons aujourd’hui émerge ainsi progressivement. De généalogiste quelconque avant tout instruit pour la préservation de son identité, le ‘orero acquiert un statut de privilégié par un changement de mentalité dans la société polynésienne: l’individualisme évolue au détriment du concept de la communauté, concept qui était à sa base. Spécialiste en rhétorique et doté d’une mémoire infaillible, le ‘orero doit être issu de la famille des arii ou d’une famille dominante et avoir été éduqué dans une école spécialisée ou encore être membre de la classe des spécialistes artisans qui, par leur connaissance exhaustive dominaient les activités essentielles de la vie polynésienne. La fonction de ‘orero devient l’apanage d’une classe à part de la population polynésienne d’antan, à savoir la famille royale ou supérieure qui, de par sa croyance en son ascendance divine, se réclame d’un accès privilégié à cet art qu’elle considère comme sacré: l’art oratoire par conséquent nécessite des tapu. Le statut de‘orero semble alors se confondre avec celui de prêtre car désormais, la dimension du religieux paraît être profondément rattachée à la notion de messager. En effet, les arii se prétendant les descendants des divinités, le ‘orero devait désormais être un connaisseur dans le discours religieux. Ainsi, la part d’individus ayant la licence de prétendre à ce titre est réduite considérablement, l’ordre de naissance devenant un critère de sélection.

Le parcours vers la prêtrise

Pour devenir prêtre, l’apprenti devait quitter sa famille pour accomplir son initiation avec la confrérie des tahu’a. Une fois qu’il se sentait prêt, il comparaissait devant ses éducateurs et devait montrer ses talents de rhétorique. S’il réussissait, il était consacré prêtre sur le marae sinon, il devait reprendre sa formation. Pour se défendre contre quelque éventuelle critique ou mise en doute de son titre, il devait nommer ses éducateurs. Ensuite, il pouvait officier en public.

La femme ‘orero en question

Soulevons une question qui aujourd’hui oppose encore des esprits: la question de la femme ‘orero. La femme peut-elle jouir de ce statut d’oratrice? En effet, de nos jours certains persistent à dire que le ‘oreroest interdit aux femmes dans la mesure où «à l’époque», elles n’avaient pas le droit d’accéder au marae car elles étaient considérées comme impures. Leurs menstruations leur communiquait une sorte de souillure inadmissible sur un lieu sacré. Notons que le sang menstruel était désigné de la même manière que la boue en tahitien, à savoir par le terme «vari». À en juger ce principe, et le fait qu’elles n’étaient pas acceptées au rang de prêtresses, il semble que la fonction de ‘orero ne soit pas permise à une femme.

Cependant, il existe un contre-argument qui vient renverser cette thèse. En effet, il réside dans le fait même que la conception du ‘orero a été instable et n’a cessé d’évoluer tout comme celle de la femme. De plus, certains prétendent que cette conception de la femme impure ne date que de l’époque où ‘Oro, dieu sanguinaire et dieu de la guerre, adoré jusqu’alors à Ra’iatea, a été «importé» de cette île et est parvenu à Tahiti où il est venu se substituer à Tane, dieu de la beauté et dieu pacifique, durant le règne de Tamatoa Ier, prince de la famille Pomare qui devint par la suite l’incarnation du dieu ‘Oro (Henry Teuira, Tahiti aux temps anciens: 136). Avant l’implantation de ce dieu, d’après certaines personnes soutenant que la femme a la droit d’être ‘orero, les arii veillaient au respect de la femme comme incarnation même de la fécondité et de la reproduction. Ainsi, tout comme on respectait la terre, on respectait la femme. Ce principe coïncide avec celui de l’humilité (idée de se rabaisser au niveau de la terre) qui dirigeait les ariiavant le règne de ‘Oro. Ce dernier apporta un bouleversement dans la conception de la femme qui, avant lui, avait sa place de messagère et de généalogiste dans toutes les écoles de la Polynésie d’antan. Certains prétendent même qu’on a choisi la couleur rouge comme la couleur du prestige, couleur des fameuses plumes ‘ura (rouges), par association avec la couleur des règles de la femme, symbole même de la fécondité.

Ainsi, le concept de ‘orero a connu une évolution remarquable au fil de l’histoire en se dotant sans cesse de nouvelles caractéristiques et de nouveaux principes. À défaut d’être resté un caractère propre au Polynésien, comme le moyen exclusivement réservé à la préservation de son identité le ‘orero est devenu un discours de circonstances.

Nous tâcherons de déterminer dans quelles circonstances et à quelles occasions des discours étaient prononcés.

Les circonstances du ‘orero

Tout d’abord, il faut dire que des prières étaient prononcées avant tout acte quotidien, avant toute activité dans laquelle le Polynésien devait faire preuve de ses talents techniques (construction de pirogue, pêche etc.). Elles pouvaient être consacrées au chef et surtout aux dieux et selon leur finalité, elles portaient des noms différents.

Voici une liste de circonstances au cours desquelles on donnait des prestations orales:

  • cérémonies d’accueil de tribus voisines: chaque tribu apportait des offrandes pour son voisin. Le messager du arii se présentait à celui du arii voisin et déclinait longuement son identité et celle de son chef en vantant les mérites de ses ancêtres et de l’espace géographique où il habitait. Le messager de l’autre tribu faisait de même. C’est le arii de chaque tribu qui avait le mot de la fin pour conclure cet échange, sinon cette tâche revenait au grand prêtre. Dans son recueil Tahiti aux temps anciens, Teuira Henry décrit une rencontre entre les populations de chaque district et le roi Pomare 1er entouré de sa cour. Cette rencontre a eu lieu à Arue qui, à l’époque était le siège de la monarchie. Chaque porte-parole présentait son district et offrait des présents au nom de ce dernier, sur le marae.
  • Célébration de la première récolte des fruits: cela rappelle le moment où le arii partageait la récolte sur le terrain de réunion des Polynésiens, entretenu pour accueillir toutes sortes d’activités durant les temps les plus reculés (le marae originel). À cette occasion les ‘orero sont là pour prononcer des discours.
  • Conseil de guerre: les orateurs étaient là pour donner leur avis quant à l’engagement de leur tribu dans une éventuelle guerre. Pour défendre leurs opinions ils devaient argumenter. La dernière décision revenait au arii.
  • Cérémonie nuptiale: Nous citons un travail inédit de Dominique Yau: «Il ne reste actuellement que des bribes de cet usage qu’il n’est pas aisé de reconstituer: il consiste à donner un nom aux deux mariés et aux deux premiers enfants qui naîtront de cette union. Lors du mariage, l’orateur prononce un discours en faveur des mariés, en les armant pour la vie» sans oublier de mentionner «le papa ni’a» et la «papa raro», ascendance des futurs époux».
  • Avant la guerre: trois jours avant, les prêtres du marae royal faisait des sacrifices humains. Un ‘orero était chargé de remettre au prêtre des offrandes, notamment des pirogues, pour le récompenser de ses mérites mais aussi pour obtenir les faveurs des dieux.
  • La guerre: elle donnait lieux à de nombreuses manifestations orales comme des prières mais aussi des chants guerriers.
  • La négociation de paix: l’orateur qui demandait la paix parlait en premier, tandis que l’autre l’écoutait avant de lui donner enfin la réplique. L’échange oratoire des parties se terminait par le discours duarii qui était considéré comme supérieur.
  • Maladie et mort: elles donnaient lieu à des lamentations et des chants de circonstances. À l’occasion des funérailles, ils «retracent la génalogie (‘aufau fetii) du défunt en mettant en valeur le lignage et en évoquant les noms des enfants, des descendants. […] On invoque enfin les ancêtres endormis dans le «pö» pour qui ils viennent chercher le cadavre du défunt et conduire son âme jusqu’au paradis des Polynésiens appelé «Rohotu no’ano’a».(D. Yau).

Bientôt certains discours sont exclusivement réservés à la classe des experts, à savoir:

  • La récitation de généalogie, notamment celle des arii qui se réclamaient comme étant de naissance divine. Ces discours très longs étaient les plus considérés car ils nécessitaient une mémoire infaillible.
  • Les chants cosmologiques: ils supposaient la connaissance exhaustive de la généalogie des dieux et des héros divinisés.
  • Les chants destinés à conserver le mouvement des astres et des constellations, le cycle des mois et des saisons en relation avec les plantes et la pêche.
  • Les légendes, quant à elles, constituaient un divertissement pour l’auditoire.

Genres, formes et tonalités oratoires

Le paripari fenua

À l’origine, tout discours était un paripari fenua. Le paripari fenua constitue le genre originel.

Pari = falaise située au bord de mer. Elle est le point de repère qui indique au voyageur qu’il est à proximité d’une terre. «Pari» signifie également «moucharder», «rapporter des faits».

Le paripari fenua, c’est l’identification d’une terre, d’une montagne. Il s’agit de montrer, de situer des zones géographiques. C’est avant tout un genre déictique à volonté pédagogique. On peut comparer ce discours à la récitation de la «carte d’identité» d’une terre, d’un lieu géographique. Il s’agit de décrire parfaitement des éléments du relief et des zones géographiques.

Extrait d’un paripari fenua (extrait de Tahiti aux temps anciens, Teuira Henry, 78):

« E moti Ea’ea e haere roa i Ana-pü, o Maha’ena ia fenua
Te mou’a i ni’a, o Taia-mano; tei reira te pere ra, o Taia-vete
Te tahua i raro, o Poro’ura
Te ‘outu, i tai, o Fare-tai
Te vai, o Faarahi e o Faa-iti
Te marae, o Ra’i-ipu ma Raauta-tai…»
« De Ea’ea à Ana-pü, s’étend le territoire de Maha’ena
Les collines qui dominent sont Taia-mano, il y a la fortification Taia-vete
Le terrain de réunion est Poro’ura
La pointe extérieure est Fare-tai
Les rivières sont Faarahi et Faa-iti
Les marae sont Ra’i-ipu et Raauta-tai…»

Le faateni

Teni = hauteur, l’idée de beauté

«Teni» est donc un terme qui connote la notion d’éloge. On parle d’un ‘orero faateni quand il est question d’un discours vantant les beautés d’une terre, d’un homme, d’un événement. Cependant, il faut aussi savoir que ce discours est différent du paripari fenua et qu’il est un genre qui apparaît postérieurement. La différence est certes, l’emploi de la tonalité laudative mais surtout la référence à l’homme en plus de celle de la terre. Il semble même que ce qui est à l’origine du faateni c’est le fait que l’homme veuille avoir des éloges. L’homme aurait voulu se substituer aux éléments naturels qui lui servaient de repères. On peut constater que le ‘orero faateni est beaucoup plus subjectif et métaphorique que le genre originel (pari pari fenua). L’homme a apporté sa touche personnelle et a rompu avec la tradition d’origine qui était de se situer géographiquement par le biais de la parole. L’homme aurait voulu remplacer la montagne, si l’on peut s’exprimer ainsi. Le discours a changé d’objet et n’a plus une simple fonction d’identification. La tonalité laudative est entrée en compte.

Extrait d’un faateni (extrait de Tahiti aux temps anciens, Teuira Henry: 88), chant de Papara:

« O Papara e moe ra i te ahinavai!
O Papara nui ia ‘Oro hua re’a

E manu vau nei, e Teva
E Teva i te ua, e Teva i te mamari
Mamari iti no ‘Oro hua re’a
A tuu i te vanaa e pehe ai

O Rua_roa, o Papara
O te Mava’e tua ana
O Papara ho’i te tauira i te potii
O Papara e moe ra i te ahinavai »
« C’est Papara voilé d’une brume blanche!
C’est le grand Papara de ‘Oro au corps jaune

Je suis un oiseau, un Teva
Un Teva dans la pluie, un Teva dans l’ombre
La petite ombre de ‘Oro au corps jaune
Que les hérault chantent

Du solstice d’été, c’est Papara
Aux alizés avec mer à clapotis
C’est Papara qui abrite les filles
Papara voilé d’une brume blanche. »

Autre exemple de faateni (auteur: M. Raphaël Teihotua Tehiva):

Hura tini nä ‘Urataetae
« I roto i te hanahana o te ra’i tuatini
Ta’u i haro’a.
Faatoro a’e ra to’u hiro’a,
Neva a’e ra to’u manava,
Topa turi a’e ra o ia
I mua i te faahiahia e te ‘aravihi
No te hura tini
Hura tini ‘arere
Hura tini paheehee
Hura tini vairipo
Hura tini matameha’i
Hura tini nä ‘ai’ai
Hura tini nä faatura
Hura tini nä ‘Urataetae
Hura tini atua »
« Dans la splendeur du ciel infini,
J’entendis
le son mélodieux du tambour divin.
Mes sens filèrent le son,
Mes émotions cherchèrent,
et se relâchèrent sur mes genoux
devant tant de beauté et de maîtrise
de la danse
Danse aérienne
Danse filante
Danse tourbillonnante
Danse originelle
Danse de l’esthétisme
Danse de l’hommage
Danse de ‘Urataetae
Danse divine »

Le faatara

Tara = la pointe, le pic, aussi bien au sens propre qu’au sens figuré. «Tara» évoque aussi la parole sèche, provocatrice, l’avertissement. Par ces paroles sèches, un individu fait comprendre à son interlocuteur à quel point il peut le surpasser en force ou en technique. Le ‘orero faatara est un discours affirmé, franc et sec grâce auquel l’orateur fait entendre à une assistance qu’elle lui doit un respect total. C’est un discours de défense, de protection mais cela peut aussi être une marque d’hostilité. Ce discours peut tenir de la polémique. Par conséquent, on s’attend à ce que celui qui le prononce ait une expression du visage beaucoup plus froide voire fière ou menaçante, un comportement relativement agité ou violent et un ton rude. Le discours peut en effet être l’expression de l’exaspération de l’orateur.

Extrait de faatara, prononcé avant un combat (extrait de Teuira Henry, Tahiti aux temps anciens: 311):

Un guerrier se lève:

« E vanaa tama’i teie i ma’a
Na taua i te riri e Huri aau
Na taua i te onoono
I te iha, i te tote !

A ta’i i te a’e !
O vau teie, o Te-aho-roa
No te hui toa tui roo vau nei … »
« Un défi de guerre obtenu en ceci
Pour nous deux en colère ö Huri aau
Pour nous deux en persistance
En vexation, en fureur!

Pleure pour les morts!
C’est moi Te-aho-roa
Je viens d’une race de guerrier fameux… »

Le guerrier adverse lui répond:

« Pa’ipa’i i te rima ia huha
A fava ei puaa tote !
Auaa i ape au nei i te ra’o
E puahiohio te riri, e Te-aho-roa

O vau teie, o Huri aau toa hau
A’e to’u metua i to’oe.
E ‘ore ta’u ‘omore e mae a’e ia ‘oe.»
« Frappe les mains sur les hanches
Fonce, la tête en avant comme un cochon enragé
Une mouche ne me fait pas hésiter
La colère est une tornade, ö Te-aho-roa

C’est moi, Huri aau, mon père était
Un plus grand guerrier que le tien.
Tu ne peux soulever ma lance.»

Le pehepehe

À vrai dire, on ne peut pas parler d’un genre mais plutôt d’une dominante tonale car «pehepehe» signifie tout simplement «poème» et désigne le texte en lui-même, le discours. C’est à la lecture ou à la récitation d’un pehepehe que l’on peut dire s’il s’agit d’un paripari fenua, d’un faateni ou d’un faatara. Certaines personnes considère qu’on peut parler d’une tonalité «pehepehe». Pour ces personnes, réciter un‘orero en pehepehe, c’est le réciter avec une certaine douceur, en le chantonnant, en lui apportant une certaine touche musicale. Notons que «pehepehe» peut également désigner le texte d’une chanson, le ‘oreroet la chanson étant intrinsèquement complémentaires. Les premiers himene tärava seraient en effet des paripari fenua sur lesquels on aurait ajouté une petite mélodie.

Le ta’u ou päta’uta’u

Ta’u = compter, adresser une prière, invoquer
Päta’u = celui qui mène un choeur, qui rythme les travaux de halage = le fait de diriger un choeur.

Le päta’uta’u est une récitation ou un chant scandé. La diction est hachée comme si chaque syllabe d’un terme était mise en valeur. On utilise ce genre pour compter, énumérer des actions dans un but mnémotechnique. Tout comme pour le pehepehe, on ne saurait dire que c’est un genre oratoire, du moins pour son contenu, car la particularité qui le distingue des autres «genres» à proprement parler est exclusivement la diction. Notons que dans le dictionnaire de la langue tahitienne de Davies, figure le terme «tötorouto». Ce dernier désigne le päta’uta’u chanté par les femmes qui battaient du tapa.

Caractéristiques de la composition rhétorique

Comme un homme de justice, le ‘orero débute son discours un exorde. Il doit capter l’attention de l’assistance, la disposer à l’écouter. Il peut commencer par une apostrophe aux auditeurs et ensuite par un éloge avant de se présenter lui-même. Ensuite, il peut présenter les enjeux de son discours.

Exemple d’exorde:

«E teie naho’a e, ia ora na e manava i to tatou farereiraa. Manava ia ‘outou paato’a i teie ‘aru’i. Fârii mai i te täpa’o no te aroha . Eie au e ta’u pehepehe iti i mua i to aro. Nä ‘ oe ho’i te reira e färii mai. Te tumu parau o ta’u pehepehe iti, te parau o te taure’a ia.» «À tous qui êtes réunis, bonjour et bienvenue à l’occasion de cette rencontre! Bienvenue à vous tous en cette nuit. Veuillez accueillir toute ma compassion. Me voici devant vous avec mon récit. C’est à vous qu’il s’adresse. Le propos de mon discours concerne la jeunesse.»

 

En ce qui concerne la narration, elle doit être claire et vivante. La voix doit se moduler selon la tonalité du discours. Il doit y avoir une logique dans ce qui est dit. La voix, tout comme le geste doit s’accorder aux émotions, au contenu du discours. Il s’agit de ne pas le prononcer sur un ton monocorde. Il s’agit pour l’orateur de tirer parti du timbre de la voix mais également des soupirs et des silences.

Le discours est une argumentation, un moyen de convaincre. Il s’agit de s’attirer les faveurs de l’auditoire par la justification de son discours et par la défense d’une thèse, d’un point de vue. La tâche du généalogiste était de prouver, grâce au développement du paparaa tupuna que son chef était le meilleur. Le ‘orero, comme tout discours originel, est un éloge.

Le discours s’achève par la péroraison. Cette dernière touche correspond à une sorte de résumé du discours, de récapitulation. Elle peut être une prière, parfois même un autre éloge adressé à l’assistance.

Il faut savoir que le type de discours qui était employé par les premiers orateurs polynésiens était plutôt épidictique: il était question de célébrer des lieux, des personnages ou des événements historiques et légendaires importants. Le discours était l’expression d’une admiration, un hommage, concept même du faateni.

Ainsi, à travers ces quelques lignes, nous constatons qu’il est assez ambigu de parler de «genre» oratoire car il faudrait alors définir les critères même de ce qu’on appelle «genre oratoire». Pourtant, il semble que trois notions essentielles entrent en compte dans le discours, à savoir le thème, la tonalité et la manière dont on le prononce, la diction. Ainsi, il y aurait trois genres de ‘orero qui sont le paripari fenua, lefaateni et le faatara qui se distinguent relativement bien par leur contenu, leur finalité et leur fonction. Ces genres peuvent être déclamés en pehepehe (si l’on admet que le pehepehe est une tonalité du discours), bien qu’il semble que la douceur et la musicalité ne semblent pas les meilleurs atouts pour déclamer un faatara. De même, si l’on se concentre sur le ta’u, on voit que ce qui le définit est sa diction. Or, il est possible de réciter un paripari fenua, un faateni, un faatara en hachant les syllabes de chaque mot. Par conséquent le ta’u n’est pas un genre mais agit au même titre que le pehepehe mais sur un autre registre.

Comment dire le ‘orero?

Attitudes, hygiène et diction

Caractéristiques corporelles

L’importance pour l’orateur réside dans le fait de mémoriser parfaitement son texte et de le restituer mais cela ne veut pas dire que la discipline du ‘orero n’est qu’une simple récitation. Il ne s’agit pas uniquement de déclamer, de parler mais d’assimiler pleinement son discours et de lui donner vie.

Le discours est une épreuve en plus d’être une privation. En effet, mémoriser suppose un certain travail. Le discours est une expérience.

Il est donc indispensable pour le ‘orero de mener une vie sobre et de respecter une certaine hygiène.

D. Yau, qui a recueilli des témoignages directs auprès d’orateurs réputés insiste sur la diététique des ‘orero: il mange en aspirant au préalable le plus d’air possible; sa langue doit trier la chair des arêtes du poisson… Il se prépare en effet au discours comme à un combat et donc doit éviter de s’alourdir de nourriture même si, par tous les moyens, il doit chercher à renforcer son corps: la consommation du ufiufi (lait de coco, gras de poisson, graisse de porc) est même conseillé. Ne doit -il pas acquérir de la voix?

L’orateur doit avant tout s’imprégner du lieu où il va déclamer son allocution. Pour cela, il se doit de se concentrer et d’avoir un contact direct avec ce lieu. Ainsi, il est préférable qu’il soit pieds-nus. Le don est ce qui entre en soi or, chez les Polynésiens, le respect de la terre comme donneuse de toutes les richesses était très important. La principale source de tous les dons étant la terre, les Polynésiens encourageaient le contact direct avec le sol (bien que ce don du ‘orero soit considéré comme un don de dieu).

Le corps, la tenue doit être en harmonie avec le discours. Le geste également doit être en harmonie avec ce qui est dit. L’orateur est en représentation et ne doit pas avoir peur de théâtraliser son discours. Il s’agit de mimer et de faire passer un message. Il est parfois même possible d’exécuter des pas de danse si on le juge nécessaire.

Il y a communication physique et verbale avec l’assistance qui doit comprendre et participer au discours. Le ‘orero s’inscrit dans un espace vivant et s’expose à la réaction du public. Si le discours l’exige, il peut faire des gestes plus ou moins violents, hausser le ton ou murmurer. Cependant, le discours ne doit pas être noyé dans un excès de gestes et de mouvements: il y a un juste milieu à trouver entre la mise en scène et la parole.

L’orateur doit faire de son mieux pour gérer l’espace dans lequel il est amené à évoluer. Pour cela, il est libre de bouger, de se déplacer ou de rester immobile s’il le désire.

En ce qui concerne les accessoires, le ‘orero est souvent muni de feuilles de ‘auti (Cordyline Terminalis, plante généralement verte que l’on trouve facilement en Polynésie) qu’il agite à son gré pour appuyer des parties de son élocution. Autrefois, le prêtre ouvrait sa marche avec une grande feuille de ‘ape (Alocasia Macrorhiza) et avait son viriviri accroché à son poignet gauche. Quant au ‘auti, il faut savoir qu’il représente la plante sacrée des Polynésiens par excellence car on prétend qu’il est capable d’éloigner les mauvais esprits. On lui attribue aussi des vertus médicinales et on l’utilise pour diverses fonctions.

Aujourd’hui, il n’y a pas de vêtements spécifiques à la discipline de ‘orero. Les femmes portent soit des pareu (étoffe) en coton et se coiffent d’une couronne de ‘auti. Pour le cou, il en va de même. Certaines se vêtent d’une robe-missionnaire (robe que les femmes ont été obligées de porter après l’arrivée des missionnaires), dite robe «mümü», avec une petite étoffe accrochée à la taille (servant à s’éponger). Souvent, elles portent un chapeau et ont un éventail à leur disposition. Les hommes peuvent être vêtus d’un pareu attaché en long, en pans, ou encore porte la chemise et le pantalon ou une tenue végétale. Aujourd’hui, il n’y a pas de tenue vestimentaire obligatoire mais seulement une tenue suggérée. Quant à auparavant, on ne sait pas grand chose: les Polynésiens portaient certainement une tenue faite avec l’étoffe et les végétaux qu’ils avaient à leur disposition.

Il était important de parler avec justesse. Toute parole devait être contrôlable, toute récitation infaillible. La notion de dignité était primordiale. Être orateur relevait d’un choix (après avoir été longtemps considéré comme naturel), il fallait être le meilleur. Les prêtres faisaient l’objet d’un grand respect de la part de la population car ils incarnaient le savoir. Le peuple polynésien – tout comme les citoyens athéniens au temps de Socrate (au Vème siècle avant J-C) – avait compris que celui qui maîtrisait parfaitement l’essence du parler détenait le pouvoir. Etre ‘orero est devenu une marque de prestige et de puissance.

Actualité du ‘orero?

Il faut savoir que l’acculturation du Polynésien au mode de vie occidentale a occasionné un bouleversement des moeurs et de la mentalité originelles. De nos jours, les Polynésiens – et notamment les plus jeunes – n’ont pas du tout la même approche vis-à-vis de leurs origines. Il y a eu une rupture dans la transmission des traditions de génération en génération, fossé qu’il est difficile de se représenter objectivement.

Cela s’explique peut-être par le fait que le ‘orero a été l’apanage de la famille royale et de la classe issue des prêtres. Par conséquent, la transmission des connaissances ancestrales n’a plus opéré de manière optimale au sein de la classe des manahune (peuple), qui ne pouvait plus prétendre à ce droit devenu un privilège.

L’autre explication est le fait que la littérature orale a perdu de son hégémonie au profit de la littérature écrite. Les Polynésiens à l’époque ne réalisaient pas qu’il était possible que leur patrimoine puisse se perdre. Ainsi, il reste peu de témoignages écrits concernant toutes les connaissances qui constituaient l’identité même du Polynésien. Souvent même ce savoir n’est pas divulgué de peur d’être détourné et utilisé à tort. Il est par conséquent en danger de disparition.

De plus, depuis l’intrusion de la société occidentale, le concept d’individualité a détrôné celui de la communauté, détruisant ainsi les bases mêmes sur lesquelles était fondée la société des Polynésiens.

Le ‘orero est enseigné depuis la rentrée scolaire 2000, au Conservatoire Artistique Territorial par M. Raphaël Teihotua Tehiva (dit «Rafio»), à raison d’une heure par semaine pour les élèves ayant presque atteint la fin de leur cursus dans l’apprentissage de la danse traditionnelle, mais également pour toutes les personnes intéressées par cet enseignement. L’enseignement du ‘orero a le même statut que celui de la danse et les percussions traditionnelles ou encore que celui de la musique classique au sein de l’école artistique territoriale de Tahiti.

Pour l’instant, il s’agit d’une volonté de ré-appropriation de cet art oratoire et d’une volonté de faire prendre conscience – au Polynésien surtout – de l’existence de cette discipline en tant que richesse de son patrimoine. Il s’agit d’une prise en main de ce patrimoine plus que d’une nostalgie ou que d’un regret par rapport au passé.

Bien que les contours de cette discipline ne soient pas bien délimités, l’enseignement dispensé au Conservatoire a pour tâche de familiariser l’enfant à la mémorisation et à la récitation en langue tahitienne. L’enseignement consiste, entre autre, à habituer l’enfant à des prestations orales en public. L’élève est invité à faire preuve d’imagination pour écrire un texte en français sur un thème imposé. S’il se juge capable de le traduire en tahitien, libre à lui de le faire. Il ne s’agit pas encore, à ce stade, de réaliser l’enseignement originel, c’est-à-dire l’enseignement exhaustif et la mémorisation des généalogies, des lieux géographiques, de l’astronomie, de l’histoire, des récits mythiques, des mouvements des astres etc.

Notons que le professeur n’impose pas de règles de comportement particulières à l’élève récitant. C’est une façon de voir comment l’élève se comporte vis-à-vis de son discours et de l’oral en général. C’est également un moyen de le rendre responsable de son propre texte. L’élève doit en effet s’imprégner profondément de sa création et doit l’exploiter selon ses sentiments. Le professeur est là pour le guider et l’amener à faire «un» avec son discours.

Le thème qui a été imposé en 2001-2002 aux élèves est la jeunesse.

Voici un exercice que j’ai composé dans le cadre de l’enseignement au Conservatoire:

« E aha mau na ho’i
E aha ho’i te taure’a
E ta’o päpu ‘ore e te päpu ato’a
E tau anei ra no te faufaa tumu tei ma’iri
E tau taa’ë tei atea atu ia hee te rä
Ha’iha’i ho’i ia faahitihia
E ‘otahi, e ha’uti e rua te taure’a
Te papa no te oraraa
E tau no te ‘ata e te ha’uti
E tau ato’a no te haapaariraa
Te haapii e te ‘ohipa e fä noa
Te parau a te tupuna o te parau ‘äpi ia
Te tehu e te ‘äpi e tito
Taure’a, tau huru ‘ë
Tau e ‘ati ai te feaa e te tau’a ‘ore
Taure’a te uiuiraa maere e te tuutuu ‘ore
Hotu i roto i te aore et te täpiri
Taure’a ‘uaa, taure’a araaraa
Taure’a ui maere
Taure’a e ‘uputa i vaho
E mate o ia ia morohi te taiä e te hiaai
Are’a te taure’a e färiu o ia i te ao
Te ma’imiraa tuutuu ‘ore tä na ia na
Te taure’a, aore atu o ia
Maoti rä te i’ei’e e te ora »
« Qu’est-ce donc?
qu’est-ce donc que la jeunesse?
Un mot à la fois vague et évident
Est-ce le temps de nos prestiges passés?
Un temps qui s’éloigne de nous au fil des jours?
Ce serait peu dire hélas!
La jeunesse est unicité et jeu de double
Elle est le fondement de notre existence
Elle est le temps des rires et des jeux
Certes, elle est aussi le temps des apprentissages
Les morales et les leçons se succèdent
La parole des anciens devient le quotidien
L’expérience et la nouveauté se confrontent
La jeunesse, temps de l’étrange
où doute et insouciance semblent mêlés
Jeunesse ? Etonnement et persévérance
Germe de l’inconnu et éclosion de l’étrange
Jeunesse fleurit, Jeunesse éclôt
Jeunesse s’étonne
Jeunesse est ouverture vers l’ailleurs
Elle meurt lorsque le doute et le désir s’effacent
La jeunesse est d’abord jeu avec le monde
Recherche perpétuelle de soi
Car qu’est-ce donc que la jeunesse
si elle n’est pas avant tout vivacité et vie. »

Les cours de danse, de chants, de percussions traditionnels, les cours de ‘orero et de culture générale sont complémentaires. Ils forment un «tout» relativement consistant. Les enseignants font en sorte que l’élève ait une connaissance minimum du patrimoine polynésien. Le Conservatoire ne prétend pas à un enseignement complet. Aujourd’hui, il semble peu probable que le ‘orero puisse retrouve son statut d’origine, son éclat d’antan. Les orateurs contemporains ont certainement une certaine connaissance de leur patrimoine mais ce savoir n’est pas exhaustif. De plus, la population ne porte plus le même intérêt àla littérature orale. En effet, la jeunesse en est même déjà arrivée à ne plus prêter une grande attention à la littérature écrite. Le Polynésien d’aujourd’hui ne veut plus perdre son temps à mémoriser des «leçons», il a trouvé d’autres moyens plus rapides de se faire valoir.

Le ‘orero a perdu de sa sacralité et s’ouvre à tout le monde. L’ascendance généalogique n’est plus un critère exclusif de sélection bien que pour beaucoup de connaisseurs de nos jours, le ‘orero ne doit pas être pratiqué par «n’importe qui». Ces personnes croient encore fortement en l’idée que malgré l’évolution des moeurs et de la mentalité, le ‘orero est et restera «tapu» (spécialement réservé à la descendance royale). Elles prétendent que le discours, s’il est profondément lié au passé culturel, peut être à l’origine de conséquences néfastes pour celui qui le prononce et la terre qui l’accueille, s’il n’est pas émis comme il le faut et si l’orateur ne répond pas aux exigences du tapu.

Le ‘orero aujourd’hui est plutôt de l’ordre de la récitation et l’orateur, de celui du récitant. Les marae, souvenirs concrets des croyances religieuses d’antan, ne sont plus que des lieux touristiques qui accueillent des cérémonies de reconstitution d’événements historiques, pour le plaisir et la curiosité des touristes et de la population. Ce sont certainement les rares occasions où l’art oratoire s’illustre de nos jours même si, aujourd’hui encore, on trouve des personnes qui récitent des ‘orero à l’occasion de mariage. En effet, il est coutume de décliner l’identité et la généalogie des deux mariés. Le papa ni’a correspond à l’ascendance du marié tandis que le papa raro est l’ascendance de la femme.

Les cours au Conservatoire Artistique Territorial portent cependant déjà leurs fruits et offrent une véritable relance pour le ‘orero qui est capable de renaître, mais bien sûr sous une forme particulière.

Il est incontestable en tout cas que le ‘orero ait connu un infléchissement considérable à travers l’histoire mais il reste néanmoins un invariant à cet art dont la valeur est d’une grande modernité: le «orero» demeure une manière spécifique d’exprimer son expérience, de donner une certaine solennité lors de moments forts de l’existence. À ce titre, cet art oratoire constitue une excellente école d’expression, un noble moyen d’affirmer avec dignité ses émotions, ses pensées, son identité.

Par Vaihere Cadousteau
Université de la Polynésie française


Remerciements:

     Définir objectivement ce qu’est le ‘orero n’est pas évident, voire possible. Peu d’écrits en témoignent et chacun a une vision différente de ce concept. Mon étude n’est qu’une tentative pour en rendre compte.
     Je tiens à remercier particulièrement mon professeur de ‘orero M. Raphaël Tehiva, dit «Rafio», le Service de la Culture en Polynésie, et de nombreuses personnes oeuvrant, elles aussi, dans le monde de la culture polynésienne.
     Grâce à tous ceux que j’ai la chance de côtoyer dans ma formation de danseuse (aussi bien au sein du Conservatoire Artistique Territorial qu’au sein du groupe Temaeva), j’ai pu acquérir un certain nombre de connaissances et élaborer ce travail sur le ‘orero.
     J’ai pu également bénéficier d’un travail inédit (en tahitien) de M. Dominique Yau, réalisé dans le cadre de la licence de reo maohi à l’UPF en 1997. J’en cite (dans la traduction française que j’ai établie) de larges extraits.
     Ce travail a bénéficié de la minutieuse relecture savante de M. Pierre Vérin, Professeur à l’Université Française du Pacifique, Président honoraire de l’UFP.

     Je remercie enfin mon professeur de Lettres à l’Université de Polynésie Française, M. Patrick Sultan, qui m’a suggéré l’idée de ce projet.

Témoignages

     Service de la Culture, M. Raphaël Teihotua Tehiva, M. Edwin Tautu, M. Jérôme Ye-On

Bibliographie

  • Cadousteau, Maiarii Geneviève. Généalogies commentées des îles de la Société. Papeete: Société des Etudes Océaniennes/ Académie tahitienne, 1996.
  • Davies, John. A Tahitian and English Dictionary, with introductory remarks on the Polynesian language, and a short grammar of the Tahitian dialect. Honolulu: University of Hawaii Press, 1991 (1ère éd. 1851).
  • Dictionnaire tahitien-français, Fa’atoro parau tahiti-farani. Papeete: Académie Tahitienne – Fare Vana’a, 1999.
  • Encyclopédie de la Polynésie française, La vie quotidienne dans la Polynésie d’autrefois, volume 5. Papeete: Christian Gleizal/Les éditions de l’Alizé, 1986.
  • Henry, Teuira. Tahiti aux temps anciens. Paris: Publications de la Société des Océanistes, n°1, Musée de l’Homme, 2000.
  • Jansen, Tepano (Mgr). Grammaire et dictionnaire de la langue tahitienne. Papeete: Archevêché de Papeete, 1969 (5e édition).

Lexique des mots tahitiens utilisés:

‘ai, ‘amu manger
‘aai, ‘aamu histoire, récit, légende
ana grotte
«ana-vaha-rau»= «grotte aux nombreux orifices» .
‘ape Alocasia Macrorhiza (grand taro sauvage).
aore adverbe se plaçant près le verbe afin d’en inverser le sens (le chiffre zéro, l’atmosphère, le ciel, le vide).
‘arero langue (organe).
arii chef, roi
‘auti Cordyline Terminalis: plante généralement verte que l’on trouve facilement en Polynésie.
Plante à laquelle sont attribuées de nombreuses vertus notamment thérapeutiques.
Plante qui éloignerait les mauvais esprits.
faatara genre oratoire, discours affirmé franc et sec par lequel l’orateur fait entendre à une assistance qu’elle lui doit un respect total. Discours de défense, de protection mais aussi d’hostilité.
armer quelqu’un, lui fournir de quoi se défendre.
faateni discours ou chant faisant l’éloge d’un lieu, d’un événement ou d’un homme. Forme apparue postérieurement au paripari fenua. Le discours n’a plus une simple fonction d’identification, la tonalité laudative est entée en compte.
fare maison.
fare ‘airaa upu «maison pour y absorber les invocations»: écoles de formation de prêtres dans l’antique société polynésienne.
fare ‘airaa upu ana-vaha-rau désignation pour l’école de la commune de Haapape (actuelle commune de Mahina) dans la société polynésienne d’autrefois, école des savants de la famille royale.
Heiva concours de chants et danses polynésiennes
passe-temps, divertissement.
fare haapiiraa «maison d’apprentissage», école.
fenua terre, île, pays, domaine, propriété.
haere pö «promeneurs de nuit», «marcher la nuit»: dans l’antique société polynésienne, jeunes élèves arpentant un endroit tranquille afin de mémoriser l’enseignement qui leur a été donné dans les écoles.
himene chant (hymne).
himene tärava variété de chant polynésien imitant les bruits de la mer.
mana pouvoir, force, puissance, autorité
manahune classe sociale dans l’antique société polynésienne, peuple. Classe qui se situe en-dessous de la classe des arii et de celle des raatira (chefs inférieurs).
marae adj. Entretenu, nettoyé, tondu, défriché
sorte de forum polynésien où se réunissaient des activités comme le tressage de fibres naturelles, le battage de tapa, la construction de pirogue
lieu de culte polynésien associé à des cérémonies à caractère social ou politique se présentant la plupart du temps comme une plate-forme de pierres.
mümü robe
robe «missionnaire», robe large et au col remonté imposée aux Polynésiennes par les missionnaires protestants.
‘o jardin cultivé, enclos, terre.
article personnel précédant un nom propre, le sujet d’un verbe, un prédicat.
ö don de dieu, offrande, ressources nécessaires à la vie de l’homme.
pouvoir entrer, entrer.
‘ore adverbe se plaçant après le verbe pour en inverser le sens.
‘ore noa adj., qui cesse de soi- même.
‘orero orateur, discours.
‘ore’ore v.i, cesser progressivement.
‘Oro dieu de la guerre qui prédominait à Ra’iatea et à Tahiti dans l’antique société polynésienne.
paari sagesse (traditionnelle), intelligence, prudence, ruse, ténacité.
papa pierre plate
soutenir par dessous: par extension, les fondements d’un raisonnement.
papa ni’a ascendance de l’homme qui va se marier.
papa raro ascendance de la femme qui va se marier.
paparaa tupuna «fondation ancestrale»= ascendance familiale, généalogie, liens de parenté et, par extension les rapports humains.
pareu terme (francisé en «pareo» ou «paréo») qui désigne l’étoffe dont se couvrent les Polynésiens, pagne.
pari falaise située au bord de mer
«moucharder», rapporter des faits, blâmer, critiquer
paripari fenua chant ou poème célébrant un élément du relief, une montagne, une zone géographique. Genre originel, sorte de carte d’identité d’une terre, d’un élément du relief.
päta’u celui qui mène un choeur, qui rythme les travaux de halage + pätau’tau: formule qui permet de dénouer un mystère.
pehepehe poème, poésie, discours, texte ou tonalité douce, musicale
chanter, célébrer par un chant.
victoire remportée lors de jeux ou de compétitions.
reko (rero) terme pa’umotu (de l’archipel des Tuamotu) désignant la parole, le parler .
reo voix, langue, mot, air de musique, mélodie
fourmi/ toron de corde
tahu’a prêtre ou spécialiste
tapa terme moderne pour désigner les étoffes indigènes fabriquées à partir de certaines plantes ou de certains arbres (hibiscus, banian…)
tara pointe, pic aussi bien au sens figuré qu’au sens propre.
ta’u ou päta’uta’u discours ou chant scandé.
ta’u compter, adresser une prière, invoquer .
tapu sacré, consacré, restriction, serment, interdit.
teni hauteur, l’idée de beauté.
tötorouto päta’uta’u chanté par les femmes qui battaient du tapa. P. Vérin mentionne également pour ce type de chant le terme de «anapanape».
tupuna ancêtres.
vari boue, vase, terre meuble
menstrues, pertes de sang.
viriviri torsadé: sorte de rosaire, de chapelet qui servait d’aide-mémoire aux généalogistes dans la société polynésienne d’antan. On l’obtenait en tordant une feuille de cocotier et en lui faisant des noeuds à intervalles plus ou moins réguliers. Chacun de ces noeuds correspond à un nom de la généalogie.
‘ura rouge pourpre: plumes rouges jadis consacrées aux dieux, symbole de prestige.

« Le ‘Orero : le renouveau d’un antique art oratoire », de Cadousteau Vaihere, est publié pour la première fois sur Île en île.
© 2002 Cadousteau Vaihere et Île en île


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mis en ligne : 29 mai 2002 ; mis à jour : 25 avril 2021