Ismaÿl Urbain, Voyage d’Orient (extraits)

Deux extraits de Voyage d’Orient

Voyage d’Orient

(extrait du 3e cahier)

Courez de par la ville, allez rassembler mes amis ; anges du ciel, déployez vos ailes et volez l’annoncer à mes sœurs et à mes frères, à ma mère et à ma grand-mère, à tous mes parents, cette heureuse nouvelle. Réveillez dans son tombeau mon père endormi, appelez avec lui tous ceux qui sont morts et qui m’aiment. Conviez-les à ma noce. C’est sur le bord du Nil qu’est la maison de l’époux, dans un kasr et, de mes fenêtres, on voit les palmiers qui balancent leurs feuilles et le Nil qui coule vers la mer.

C’est un grand jour de fête : qu’aucun n’oublie de se vêtir de ses plus riches habits ; que ma mère vienne avec toutes nos négresses et qu’elle leur achète des camisa de mousseline aux mille couleurs pour mes fiançailles. Que mon père amène des musiciens et des danseurs de France ; que mon ami de Chypre conduise de belles grecques et surtout qu’il y ait des chanteuses et des danseuses arabes avec leurs joueurs d’instruments…

Exaltation

Cette nuit !…………. !…………. !

… Elle est venue… Elle faisait un pas, s’arrêtait… écoutait… puis encore un pas… et elle retenait son haleine, et l’on entendait un balancement des pièces d’or qui ruissèlent sur sa safa, et elles s’entrechoquaient doucement cmmme un léger bruit de feuilles !

Moi le corps penché en avant, hors du lit, je l’attendais…

Je l’ai prise, enlevée, couchée ; je l’ai serrée dans mes bras, je l’ai caressée, je l’ai baisée sur le front, sur les yeux, sur la bouche, entre ses deux tétons, partout !

Et tandis que ma passion débordait sur tout son corps et l’inondait, la voix éclatante et sonore du mouezzin appelait les fidèles à la prière de la nuit. Et moi aussi, je priais Dieu du plus profond de mon cœur lorsque de ses deux mains cette femme fermait mes yeux pour éviter leur éclat.

Or je vous dis que cette femme qui s’en allait sous moi par soubresauts ; cette femme qui me criait merci ! et puis encore grâce ! cette femme dont l’odeur m’enivrait… c’est encore une noire ! Comprenez donc que je suis l’apôtre de la chair noire ; Dieu l’a écrit sur tous les jours de ma vie…


« Voyage d’Orient » et « Exaltation » sont des textes d’Ismaÿl Urbain, publiés pour la première fois en 1834. Ils sont extraits de Voyage d’Orient, suivi de Poèmes de Ménilmontant et d’Égypte (édition, notes et postface par Philippe Régnier), Paris: L’Harmattan, 1993, pages 82 et 287.


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mis en ligne : 25 septembre 2017 ; mis à jour : 2 novembre 2020