Trois textes de Robert-Edward Hart

Robert-Edward Hart sur La-Roche-qui-pleure Photo D.R. Photo Museum

Robert-Edward Hart sur La-Roche-qui-pleure
Photo D.R. Photo Museum

Les enfants ont sauvé le monde

Les enfants ont sauvé le monde
Et le monde ne le sait pas
Mais les fées nous sont revenues
Pour respirer les parfums innocents.
Oubli de soi-même, oubli
Dans les carillons limpides
Du matin tourbillonnant.
Evohé ! Le monde est fluide
Et tout ce qui pèse ment.
Redeviens un petit enfant
Si tu veux voir les choses vierges
Danser parmi la lumière
Du soleil et de la lune.
L’essentiel est d’aimer
Dans la douleur ou la joie.
Mais la douleur est meilleure
Pour rythmer les élans cosmiques
Du monde solaire et mystique
Où les larmes sont plus belles
Que les fraîches rosées.

Chanson XVI, Vingt-quatre chansons.
Florilège.
1937

La Nef, la maison à Souillac – faite de coraux – offerte à Robert-Edward Hart par ses amis Photo © Tristan Bréville

La Nef, la maison à Souillac – faite de coraux – offerte à Robert-Edward Hart par ses amis
Photo © Tristan Bréville

La montagne fée

Debout entre les Plaines-Wilhems et la Rivière-Noire, dominant de loin la mer, et dressée vers le ciel, couleur de clématite, la voici, ce matin, bleuâtre et verte, modelée comme un visage humain, estompée de nuages vermeils.

Les jeux nuancés de la nue se reflètent amoureusement sur sa robe toujours changeante et belle toujours. Elle est une montagne fée, jaillie tout droit de la plaine, noble de profil, aux incurvations harmonieuses.

À son versant septentrional une silhouette d’homme est étendue, qui ressemble à un roi gisant mort sur un lit de parade. Mais la montagne est frappée du sceau d’une royauté plus haute. Élan de la terre vers les dieux, elle prie d’une oraison dont les heures déterminent la liturgie et le chant. C’est vers elle que mon humanité, oppressée par le prosaïsme des nains qui rampent à ses assisses, c’est vers elle que mon humanité – anxieuse, comme la grenade mûre, d’éclater – élève le cri muet qui délivre l’âme, l’exorcise, la sauve.

Mont d’exaltation et de sérénité alternées ; front de pierre où défilent, avec l’ombre des nuages, tant de pensées éternelles ; autel de géants pour l’offrande aux maitres invisibles de l’azur ; mystérieuse aïeule agenouillée devant le mystère ; vestale, druidesse, vierge solaire tendue vers le soleil… J’essaie avec ferveur de percevoir son rythme, sa musique secrète, son message.

Elle a l’air d’être immobile, et dormante, et morte. Pourtant elle vit de toutes ses clartés, de toutes ses pénombres. D’ici je crois entendre son appel. Ô Déité protectrice de ma terre et de ma race, Inspiratrice qui sais dompter la douleur et discipliner la Joie, je t’aime comme un enseignement de la Nature, comme un signe du divin.

Le cycle de Pierre Flandre. La joie du monde. 1934.

Pérennité

D’autres vous lègueront, ô frères, leurs enfants
Et les vastes espoirs des essors triomphants.
Pour moi, je suis poète, et le seul héritage
Que je vous laisserai, – plus fol, ou bien plus sage –
Ce sera presque rien et peut-être un peu plus :
Le témoignage en vers de mes jours révolus,
Quelques chants, quelques cris, des sanglots et des rires,
La rumeur de ma vie et l’écho de ma voix :
Ce qui subsiste encor des anciennes lyres
Que le dernier silence exile en l’Autrefois.
Ce sera là pourtant le meilleur de moi-même.
L’arbre donne son fruit, le rimeur son poème ;
Lors ils peuvent mourir, car leur rôle est rempli.
Mais si l’arbre tombé s’abîme dans l’oubli
Le poète demeure et son œuvre se mêle
À l’immense trésor où l’âme universelle
Se cherche, se connaît, puise et se renouvelle.
Créateur d’idéal, de pensée ou d’émoi,
Puisqu’il survit longtemps à son fragile moi
Le poète est vraiment celui-là qui demeure.

Si l’œuvre doit durer, qu’importe que l’on meure ?

 L’ombre étoilée, 1924

tombe de Robert-Edward Hart au cimetière marin de Riambel photo © 2002 Hubert Rogers, prise pour Pérennité, anthologie inédite de Robert-Edward Hart (Stefan Hart de Keating, éd. Quatre-Bornes: Les Arts Éditions, 2002.)

tombe de Robert-Edward Hart au cimetière marin de Riambel photo © 2002 Hubert Rogers, prise pour Pérennité, anthologie inédite de Robert-Edward Hart (Stefan Hart de Keating, éd. Quatre-Bornes: Les Arts Éditions, 2002.)


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mis en ligne : 31 janvier 2014 ; mis à jour : 26 octobre 2020