Lettres adressées à Suzanne Comhaire-Sylvain

Lettres d’Alfred Métraux et de Jean Price-Mars adressées à Suzanne Comhaire-Sylvain

(voir les textes des lettres en-dessous des images)

Alfred Métraux à Suzanne Comhaire-Sylvain, page 1Alfred Métraux à Suzanne Comhaire-Sylvain, page 2

 

Lettre d’Alfred Métraux

Lettre d’Alfred Métraux à Suzanne Comhaire-Sylvain, lui implorant de continuer sa mission ethnographique sur les paysans à Kenscoff.

Port-au-Prince le 20 octobre 1948

Madame Comhaire Sylvain
38 Cavell Road
Oxford

Chère Madame,

Il y a quelques jours j’ai reçu un mot de M Comhaire qui me disait que vous étiez tous deux intéressés au projet haitien tel que je l’ai formulé en termes très généraux dans une lettre antérieure. Je lui avais promis de vous en parler de façon plus précise à cette date-ci. Si aujourd’hui je m’adresse plus particulièrement à vous c’est que la proposition que je m’apprête à vous faire constitue en quelque sorte une continuation de vos travaux antérieurs et qu’il m’apparaît plus logique de vous en entretenir directement bien que je réalise que la collaboration de votre mari sera de la plus haute utilité, si mon offre vous paraît acceptable.

Voici ce dont il s’agit. Vos soeurs vous auront sans doute parlé du projet que l’Unesco se propose de réaliser en Haiti. Mon rôle a été celui de l’ethnographe qui reconnaît et explore le terrain. J’ai travaillé avec une équipe de jeunes haitiens dont votre soeur Jeanne a été un des membres les plus actifs et les plus dévoués. Jamais je ne pourrais assez la remercier de son zèle intelligent. Notre méthode a été rigoureusement ethnographique. Nous nous sommes concentrés sur l’étude de la famille paysanne, de son économie et nous avons enquêté sur les aspects religieux de la vie rurale. En cinq mois nous avons recueilli un amas de matériaux de toutes sortes dont je voudrais tirer les éléments d’un ouvrage bien documenté sur le paysan haitien. Or, je sais deux choses: tout d’abord que nos travaux comportent de graves lacunes (j’en signalerais deux qui me paraissent évidentes: l’éducation des enfants (child training) et la vie sexuelle) et secondement, que la partie statistique de nos recherches est faible sinon inexistante.

En ce moment nous avons en Haiti une Commission des Nations Unies formée d’experts en économie, finances, médecine et éducation et qui s’apprête à faire une enquête générale sur le pays, enquête qui doit aboutir à un vaste programme de réhabilitation. Nos travaux ont fortement intéressé la Commission qui va se transporter à Marbial et utiliser nos observations et conclusions. J’ai pu ainsi me rendre compte que ce que nous avons cherché à réaliser peut avoir une valeur pratique non pas seulement pour Marbial, mais pour l’ensemble d’Haiti.

J’ai mis fin à l’enquête de Marbial le mois passé. En ce moment nous travaillons tous à mettre nos notes à jour. D’ici deux semaines je vais retourner aux Etats-Unis sans que je sache si ce départ est définitif ou simplement un arrêt momentané de mes activités haitiennes.

En faisant mes comptes, je découvre qu’il reste un solde de la somme accordée à l’Unesco par le Viking Fund. Mon intention première avait été de remettre cet argent à votre soeur Jeanne de façon à ce qu’elle put continuer ses enquêtes seule ou en collaboration avec d’autres experts. Or, comme vous le savez, elle s’apprête malheureusement à partir au Venezuela. Lorsque j’ai appris que vous songiez à revenir en Haiti, l’idée m’est alors venue de mettre à votre disposition 1500$ (mille cinq cents dollars) pour continuer nos travaux et combler nos lacunes. Je vois dans ma proposition un moyen de compléter les recherches que vous aviez entreprises à Kenscoff et peut-être même de le publier je vous aiderai sur ce point. Personnellement je vous demanderais de lire nos notes attentivement, de constater nos lacunes et de les combler au cours de brefs voyages à Marbial et si possible en d’autres endroits de la République.

Comme seule condition, je vous demanderais de me fournir un rapport aussi détaillé que possible rectifiant nos erreurs et réparant nos omissions. Il est bien entendu que si j’écris un livre sur l’ethnographie paysanne d’Haiti votre contribution sera reconnue de la façon la plus scrupuleuse. D’ailleurs je ne tiens pas à écrire un gros ouvrage, mais un ouvrage exact, c’est à dire que j’utilisiserai les donées générales plutôt que le détail. Libre à vous de nous donner la grande monographie sur Kenscoff que nous attendons de vous depuis tellement d’années.

Si mon offre convient à vous et à votre mari, veuillez me le faire savoir le plus vite possible pour que je puisse notifier l’Unesco et le Viking Fund qui, j’en suis certain, ne feront aucun obstacle à mon projet. Je pense en partant laisser la gestion de ces fonds à votre soeur Jeanne qui me remplacera pendant mon absence jusqu’au moment où elle partira pour le Vénézuela.

Inutile de vous dire combien je désire votre collaboration et celle de Mr. Comhaire. Je serai fier et heureux d’avoir contribué çà vous faire reprendre vos études haitiennes car personne n’est mieux qualifiée que vous pour nous donner une bonne sociologie de ce pays. Il me serait fort agréable de continuer ma collaboration avec la famille G. Sylvain, car mes rapports avec elle ont beaucoup contribué à rendre mon séjour en Haiti fructueux et agréable. Grâce à vos soeurs, votre maison a été un peu la mienne.

Veuillez transmettre mes meilleurs souvenirs à M Comhaire et agréer, chère Madame, l’expression de mes sentiments distingués.

A. METRAUX

Mon adresse à New York sera C/O Unesco 405 E 42st


Jean-Price Mars à Suzanne Comhaire-Sylvain

Lettre du Dr. Jean-Price Mars

Recteur de l’université
11, rue Faubert
Pétionville, Haïti

Port-au-Prince, le 2 mars 1956

Madame Suzane Comhaire Sylvain
En Ville –

Chère Madame,

J’ai eu le grand plaisir de recevoir la belle contribution que vous avez bien voulu m’envoyer pour répondre à l’appel de ceux qui veulent célébrer le jubilé de mes activités intellectuelles à l’occasion de mes 80 ans le 15 octobre prochain. Je vous en remercie profondément. Le comité central du jubilé ayant divisé les manifestations y afférentes en trois catégories distinctes, soit 1°) un livre d’hommages, 2°) un congrès d’ethnologie, 3°) un congrès d’histoire nationale, nous avons pensé que votre manuscrit a sa place marquée parmi les communications qui doivent être adressées au Congrès d’Ethnologie.

Toutes les communications seront réunies et publiées ultérieurement en un compte rendu des travaux du Congrès.

En vous renouvelant mes remerciements, je saisis cette occasion pour vous offrir encore une fois, l’assurance de ma respectueuse admiration et de ma profonde gratitude.

Dr. Jean PRICE-MARS
Recteur


Les textes reproduits ci-dessus proviennent des copies de lettres inédites confiées à Kathleen Gyssels par feu M. Jean Comhaire pour établir un dossier sur sa femme, Suzanne Comhaire-Sylvain.


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mis en ligne : 21 novembre 2002 ; mis à jour : 29 octobre 2020