Jacqueline Scott-Lemoine

Jacqueline Scott-Lemoine, photo © Antoine Tempé Dakar, 2003

photo © Antoine Tempé
Dakar, 2003

Née Jacqueline Scott le 28 octobre 1923 d’un père ingénieur architecte et d’une mère institutrice à Port-au-Prince, Jacqueline Scott-Lemoine vit à Dakar, avec son mari, le poète Lucien Lemoine. Le 10 avril 1966, jour de son arrivée au Sénégal pour le Festival mondial des arts nègres (Fesman), elle sait déjà qu’elle ne va plus quitter l’Afrique, en l’occurrence, cette terre sénégalaise qui est devenue depuis la sienne. Il y a certes tout un symbolisme autour de ce voyage effectué dans un contexte qu’on n’a pas encore revu : Senghor, alors président du Sénégal, lance le Festival des arts nègres, la première fois, cette occasion unique, comme le rappelle Jacqueline, où on a vu « tous les drapeaux du monde : allumés ! tous les damnés de la terre : rédemptés ! ».

Après une formation classique – études au Collège du Sacré-Coeur (Filles de la Sagesse) puis au Lycée de Jeunes Filles d’Haïti où elle obtient son baccalauréat – Jacqueline Scott enchaîne avec l’Institut Commercial Maurice Laroche et la Croix Rouge de Port-au-Prince avec à la clé, un diplôme de sténodactylo et un autre en puériculture et premiers soins. Sa formation de comédienne peut alors débuter au Centre d’Art Dramatique de l’Institut Français d’Haïti avant de se poursuivre au Conservatoire d’Art Dramatique de Port-au-Prince. Elle y jouera plusieurs pièces, dont Negro spiritual d’Yves Jamiaque et Antigone d’Anouilh.

De 1950 à 1953, on la retrouve à l’Ambassade d’Haïti à Paris avant de s’établir en Haïti en 1956, après un court séjour à New York. C’est alors que l’Ambassadeur de l’époque en Haïti, Monsieur Charles Le Génissel, impressionné par ses émissions sur les antennes de Télé Haïti (Le Club 5), lui propose, en 1963, une bourse pour la Maison de la Radio en France. Elle y obtient un Certificat de stage de l’ORTF (Office de Radiodiffusion Télévision Française). Elle fréquente alors le tout-Paris culturel : des réalisateurs, des hommes de théâtre et des poètes, comme Louis Aragon, avant de rencontrer Jean-Marie Serreau qui lui propose le rôle de la reine dans La tragédie du roi Christophe d’Aimé Césaire. C’est le début d’une longue aventure à la fois dans la vie (elle épouse vite fait Lucien Lemoine au Consulat d’Haïti à Paris le 15 juillet 1964 et Aimé Césaire se retrouve comme premier témoin) et au théâtre où elle enchaînera plus d’une cinquantaine de rôles.

La Tragédie du roi Christophe est créée en 1964 par la Compagnie du Toucan en Autriche, puis fera le tour d’Europe, plusieurs villes françaises dont Paris avec une série au Théâtre de l’Odéon. En 1966, elle est retenue dans la programmation du Fesman à Dakar ; la représentation a eu lieu au Théâtre National Daniel Sorano. Le public n’est pas des moindres : le président Senghor en personne mais aussi l’empereur Haïlé Sélassié, le neveu du roi du Maroc, Duke Ellington, Josephine Baker, Alioune Diop, Léon-Gontran Damas, James Baldwin, Abdou Diouf, Katherine Dunham, Langston Hughes et bien sûr, Aimé Césaire. Jacqueline Scott-Lemoine y interprète la reine puis restera pensionnaire du Sorano pendant plus de dix-huit ans.

À Dakar, le désormais couple de Jacqueline Scott-Lemoine et Lucien Lemoine (amants éternels, encore plus amoureux que le soir de la rencontre !) côtoie des compagnons de l’errance qui ne les quitteront pas, dont les poètes Jean Brierre, Roger Dorsinville et Morisseau-Leroy : ces « législateurs non reconnus de l’univers », comme elle les appelle, les compatriotes qu’elle récite au détour de n’importe quelle conversation, quel que soit le sujet. Et à force, la poésie devient art de vivre, les vers remplacent les mots ordinaires. Ainsi, il arrive même qu’un extrait d’un Roumer, un Philoctète ou un Depestre soit préféré à un proverbe, avec la même efficacité. Marquée par les romans de Jacques-Stephen Alexis (entres autres), Jacqueline Scott-Lemoine évoque le style élégant d’une Danticat ou loue un Frankétienne qui peut écrire en français et en créole, avant de convenir toutefois qu’elle ne fait partie d’aucune école. Y a-t-il une autre raison d’écrire sinon qu’une réponse à sa nécessité même ?

Les routes qui ne promettent pas le pays de leur destination, disait René Char, sont des routes aimées. Devenue citoyenne sénégalaise en 1976, Jacqueline Scott-Lemoine revendique avec la même force sa part du Sénégal et celle d’Haïti. Toute une génération – de journalistes sénégalais, de personnalités du monde des lettres et du théâtre africains – a vu le couple enseigner et vieillir ensemble. Jacqueline Scott-Lemoine est une référence telle à Dakar qu’il arrive, s’amuse-t-elle à rappeler, qu’un chauffeur de taxi vous ramène chez elle depuis l’aéroport Léopold-Sédar-Senghor, rien qu’en évoquant son nom. Le modèle du couple, amants éternels, est sans doute pour quelque chose, mais le charisme naturel de Jacqueline et sa jeunesse figée à jamais (est-ce la poésie ?) sont indéniables. Est-ce à dire qu’elle n’a pas ses moments de doute ? Sa persévérance soulève les montagnes : quand le 13 avril 1997 son fils unique décède d’un accident de voiture à Paris, elle décide de poursuivre le chemin, pour elle, pour lui.

Pendant ses dernières années, tout en s’occupant de la rédaction de la revue Entracte, elle encadre Lucien Lemoine sur un atelier de recherche et de pratiques théâtrales à l’Université Cheikh Anta Diop de Dakar (UCAD). Après la radio, le théâtre (sa dernière représentation a lieu en 2006 pour les 40 ans du Sorano avec L’Exil d’Alboury), Jacqueline Scott-Lemoine publie Les Nuits de Tulussia chez Présence Africaine en 2005 et une pièce de théâtre, La ligne de crête au Nègre International en 2007. Elle se pencherait déjà sur ses Mémoires (Cyvadier, ou 50 ans de feux de la rampe et autres souvenirs) dans laquelle elle tente de remonter le fleuve jusqu’à la source. Avec la liberté que lui confère sans doute cet exil assumé (en 45 ans, elle n’est retournée en Haïti que quatre fois), mais pas toujours évident parce qu’il faut, loin de l’odeur si précieuse des amandiers et de la citronnelle, puiser quelque part cette énergie nécessaire pour continuer à tourner les pages.

Jacqueline Scott-Lemoine est décédée à Dakar le 9 juillet 2011, un an et demi après son mari.

– Giscard Bouchotte


Oeuvres principales:

Roman:

  • Les nuits de Tulussia. Préface d’Amadou Lamine Sall. Paris: Présence Africaine, 2005.

Récit:

  • Cyvadier, ou 50 ans de feux de la rampe et autres souvenirs. (inédit).

Théâtre:

  • La ligne de crête. Dakar:Le Nègre International, 2007.

Nouvelle:

  • « Mérissia Ti-Sia ». L’Étrangère et douze autres nouvelles primées dans le cadre du 9e concours radiophonique de la meilleure nouvelle de langue française. Anne-Marie Niane, éd. Paris: Haitier, 1985: 51-60.

Articles sélectionnés:

  • « Et vint l’Anthologie, mais d’abord ». Poésie nègre et liberté : 1948-1998, cinquantenaire de l’Anthologie de la nouvelle poésie nègre et malgache de langue française de Léopold Sédar Senghor. Dakar: Fondation Léopold Sédar Senghor, 1998.
  • « Césaire et nous – et Haïti; Pour ses 90 ans glorieux ». (23 juin 2006).
  • « D’Haïti au Sénégal, la remontée du fleuve ». Africultures 58 (janvier-mars 2004): 145-149.
  • « Musique en Haïti ». Présence Africaine 169 (2004): 157-166.

Représentations théâtrales en France:

  • La Tragédie du roi Christophe d’Aimé Césaire, mise en scène par Jean-Marie Serreau créé pour le festival de Salzbourg, 1964; au Théâtre de l’Odéon, 1965.
  • Gouverneurs de la rosée de Jacques Roumain, mise en scène par Hervé Denis.
  • Les crocodiles ne pleurent plus, mise en scène par Serge Nail, Théâtre du Préau, Vire.
  • Le Malade Imaginaire de Molière (Célébration des 300 ans de la mort de Molière), 2003.

Représentations théâtrales au Théâtre National Daniel Sorano à Dakar:

  • Monsieur Pots de vin et consorts, adaptation (du Révizor de Gogol) et mise en scène de Maurice Sonar Senghor.
  • L’Os de Birago Diop, mis en scène de Maurice Sonar Senghor, avec Serigne Ndiaye Gonzalès.
  • L’Exil d’Alboury de Cheikh Alioune Ndao, mise en scène de Raymond Hermantier.
  • Sikasso, ou la dernière citadelle de Djibril Tamsir Niane, mise en scène Coly Mbaye (Assistante à la mise en scène).
  • La Fresque sur l’Afrique et l’Homme noir, mise en scène par Jean-Pierre Leurs et Siba Fassou Comnos, avec Mamadou Dioum.
  • Les Amazoulous d’Abdou Anta Kâ, mise en scène par Raymond Hermantier.
  • Le Malade imaginaire de Molière, mise en scène par Raymond Hermantier (rôle de Toinette).
  • Les Bouts de bois de Dieu de Sembène Ousmane.
  • Général Manuel oh ! Prix Albert Husson de la ville de Lyon.
  • Tête d’Or de Paul Claudel (la Meneuse).
  • Le Sacre du Ceddo d’Alioune Badara Bèye (la Reine mère).
  • Conscience de Tracteur de Sony Labou Tansi, mise en scène de Tola Koukoui.
  • Macbeth de Shakespeare.
  • Turandot, d’après le livret de l’opéra de Puccini, mise en scène Pierre Roman.
  • Emigrés, adaptation de la pièce de Flawonir Mrozek, avec Alpha Oumar Wane et Daouda Lam.
  • L’Exil d’Alboury de Cheikh Alioune Ndao, dernier rôle pour les 40 ans du Sorano, 2006.

Café-Théâtre:

  • Le Mot de Cambronne de Sacha Guitry, mise en scène Lucien Lemoine.
  • Les Boulingrin de Courteline, mise en scène Lucien Lemoine.
  • Le grand vizir d’Obaldia, mise en scène Gérard Chenet.
  • Lady Macbeth de Tania Balachova, Mise en scène Lucien Lemoine.

Filmographie:

  • Le Decaméron noir (Il Decamerone Nero), comédie dramatique réalisée par Piero Vivarelli. Italie, 1979, 100 min.
  • Amok, réalisation Souheil Ben-Barka (d’après Pleure ô mon pays bien-aimé d’Alan Patton). Maroc, 1982, 103 min.
  • Un court métrage de Moussa Bathilly.
  • Le Revers de l’exil. Gérard Chenet, Jacqueline Scott-Lemoine et Lucien Lemoine. Court-métrage réalisé par Angèle Diabang et Fabacary Assymby Coly (2007, 26 minutes).
  • Jacqueline et Lucien Lemoine, un poète et sa muse, documentaire réalisé par Maxence Denis et Fred Koenig. Dakar, Aïdawedo productions, 2010.

Prix et distinctions:

  • Lion d’Honneur du Lion’s Club de Dakar.
  • Médaillée de l’Ordre des Femmes Pionnières du Ministère de la Femme et de l’Enfant, au Sénégal.
  • Chevalier de l’Ordre National des Palmes Académiques (Sénégal).
  • Officier de l’Ordre des Arts et des Lettres (Sénégal).
  • Chevalier de la Légion d’Honneur (France).
  • Grand Croix de l’Ordre National du Mérite du Sénégal.
  • 2008     Prix Alioune Badara Bèye, pour La ligne de crête.
  • 2009     Commandeur de l’Ordre des Arts et des Lettres (France).

Sur l’oeuvre de Jacqueline Scott-Lemoine:

  • Talleyrand, Daniel. « Rencontre avec Jacqueline Lemoine ». Haïti-Tribune 18 (1er quinzaine avril 2005): 1, 19
Jacqueline Scott-Lemoine et Lucien Lemoine chez eux à Dakar, février 2006 photo © 2006 Joëlle Vitiello

Jacqueline Scott-Lemoine et Lucien Lemoine chez eux à Dakar, février 2006
photo © 2006 Joëlle Vitiello


Liens:

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ailleurs sur le web:

sélection d’hommages à Jacqueline Scott-Lemoine (1923-2011):


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Dossier Jacqueline Scott-Lemoine préparé par Giscard Bouchotte

/scott/

mis en ligne : 16 février 2009 ; mis à jour : 11 janvier 2021