Roland Paret, « Nicolas »

(extrait des Archives des grands vents)

Erzulie-Zozo, quand elle revint à Ifé, raconta, le soir même, en sirotant un verre de rhum que Liraide lui avait servi, sa rencontre avec Nicolas. Quand elle parla du membre du jeune homme, de sa taille, Agwé, dont la paresse nocturne était connue, forma le projet d’engager le prodigieux mortel pour tenir compagnie à sa femme pendant que lui, il dormirait en paix. Il se fit expliquer comment trouver Nicolas. Karigoun, qui connaissait toutes les histoires, tous les contes, toutes les légendes, qui, donc, connaissait le cœur des lwa et des hommes, prit la parole et voulut mettre Agwé en garde. « Tu ne peux mettre impunément un mortel dans le lit de ta femme… » Agwé devint rogue. « Alors comme ça, Erzulie-Zozo peut se dévergonder avec un humain, les lwa l’acceptent, moi je ne peux demander à un homme de tenir compagnie à mon épouse ?… » Erzulie ne le laissa pas terminer. « Ce n’est pas la même chose ! Moi, je n’ai aucun mépris pour les Hommes, au contraire de toi, Agwé ! Je les aime, moi ! Et puis je n’ai pas de mari, tous les hommes sont mes hommes ! Toi, tu n’accepterais pas que ta femme aille avec un lwa, ton pareil, tu ferais une scène terrible ! Nicolas n’est qu’un humain ! Pour toi, cela ne tire pas à conséquence… Ce n’est qu’un homme qui dormira dans le lit de ta femme, tandis que si c’était l’un de nous… » Karigoun parla, et il parla longtemps. Agwé haussa les épaules. Agwa, tout à coup, éleva la voix.

– Et moi dans tout cela ? On ne peut disposer de moi comme ça ! Vous croyez que je n’ai pas mon mot à dire ? Et ma volonté ? Mon plaisir ?… Je déciderai moi-même. Je vais voir ce Nicolas…

Une semaine plus tard, une cérémonie était organisée en l’honneur d’Agwé et de sa femme à Marimbé. C’était la fête du village. On avait passé plusieurs jours à préparer les célébrations.

Les relations des habitants de Marimbé et de la mer n’ont pas toujours été bonnes. Ils reprochaient à la mer et à ses lwa, Agwé et Agwa, de ne les avoir pas protégés dans les temps anciens, quand les Blancs les avaient fait traverser les Grandes Eaux, enchaînés à fonds de cale, laisser mourir pendant la traversée, et transporter ceux qui n’étaient pas morts jusqu’ici pour être esclaves. Voum Bagola, quelques jours après l’apparition de Ifé, avait eu une conversation avec les dieux marins, et ils avaient conclu un accord : le passé serait oublié, et, désormais, Agwa et Agwé aideraient les Nègres. On avait bu beaucoup de bouteilles de rhum pour sceller l’alliance.

La cérémonie avait à peine commencé, que se manifesta Agwa ; elle ordonna de sa voix coulante de lui amener Nicolas. Le jeune homme vint, et il se demandait avec angoisse ce que Agwa pouvait bien lui vouloir : il n’avait jamais eu affaire avec la mer. Comme la plupart des habitants de Marimbé, il ne savait pas nager ! Ce n’est que plus tard, après son séjour sous l’eau, qu’il sut nager.

Quand Agwa vit Nicolas, quand elle vit qu’il avait belle apparence et belle prestance, quand, sur sa demande, il se déculotta et lui montra ce pour quoi Erzulie-Zozo se déclarait prête à abandonner sa qualité de lwa, elle prit la main du jeune homme et l’entraîna.

– Elle n’a pas dit un mot ! Pas un seul !

On n’est pas d’accord sur le temps que passa Nicolas dans les profondeurs de la mer, prisonnier de la lwa des eaux. Lui-même ne se rappelait pas. « C’est comme si le temps s’était arrêté… », disait-il. Il se souvenait seulement d’étreintes liquides au milieu de requins féroces, d’extases lentes, d’illuminations décisives. « Vous voyez comment un corps va quand il est plongé dans l’eau ? C’est la même chose pour les sentiments et tout ce qui concerne l’âme et l’esprit, et aussi pour le temps… »

Il est certain en tout cas qu’une guerre commença à Ifé, et si Nicolas était moins aimé de Erzulie-Zozo, il était certain que la colère d’Agwé eût anéanti le pays.

C’est que Agwa prenait de plus en plus plaisir à accueillir Nicolas dans son lit. Agwé ne pouvait plus du tout trouver Agwa sur son chemin. Agwa était toujours avec Nicolas. Agwé commençait à croire que les avantages que la présence du mortel apportait dans son palais et à sa tranquillité étaient neutralisés par les désavantages : ne voilà-t-il pas que Agwa s’était mise en tête de faire de Nicolas un lwa ? La déesse, pendant les courts moments où elle n’était pas avec le mortel, essayait de convaincre le Grand-Maître de hisser son amant à la dignité de lwa. Elle avait même l’audace d’entreprendre son mari et de lui démontrer l’intérêt d’avoir Nicolas à demeure. « Tu préfères dormir la nuit, et moi j’aime être dans les bras d’un mâle. Tu pourrais, pendant que je suis avec lui, dormir. Tout le monde serait content… » Agwé trouvait monstrueux le raisonnement de sa femme. « Dire que c’est moi qui lui ai suggéré de prendre ce mortel comme amant ! » Un de ses requins reçut l’ordre de dévorer l’intrus, et seule l’intervention de Agwa sauva le malheureux. Elle arriva au moment où Nicolas, fatigué de sa nuit, dormait et ne se rendait pas compte du danger qu’il courait.

À cause d’un mortel, la guerre éclata entre les lwa. Les uns disaient que Agwa n’avait pas le droit de bafouer ainsi l’honneur de son mari en couchant avec un homme. Les autres prétendaient que Agwa, négligée par Agwé, pouvait aller chercher son plaisir où il était, et si son plaisir était dans les bras d’un homme, alors, qu’elle le prenne dans les bras de cet homme en le convoquant sur sa couche !

Ce fut à ce moment que la rivière Bellor se souleva de son lit et, sur l’ordre de Agwé, commença à étouffer Marimbé. La rivière avait fait un nœud autour du village et serrait de plus en plus fort, et Marimbé voyait déjà le moment où il allait périr étouffé. Les cris de ses habitants alertèrent Erzulie-Zozo qui arriva juste à temps et put sauver le village. Le Bellor se recoucha et reprit ses habitudes pacifiques.

– Il faut régler ce problème ! Agwé peut recommencer à n’importe quel moment, et avec une eau sur laquelle Erzulie-Zozo n’a pas d’influence…

Surtout que la guerre menaçait de s’étendre ! Des lwa, jaloux de leurs prérogatives, et furieux de voir un humain devenir le rival d’un dieu, voulurent exterminer les hommes. Les autres lwa voulaient protéger le genre humain. « Avez-vous oublié », disaient-ils à ceux qui voulaient anéantir Haïti, « avez-vous oublié que les prières des Nègres sont une nourriture pour les lwa, et leurs pleurs un poison ? Quand il n’y aura plus de Nègres, de quelles prières vous vous nourririez ? » La colère est mauvaise conseillère, comme on sait, et Agwé était en colère.

Les habitants du littoral virent un soir la mer se soulever à des hauteurs célestes. Les vagues semblaient vouloir renverser le ciel et inonder Ifé, et c’était bien l’intention de Agwé. Karigoun, Legba, Damballa, Aïda, Erzulie-Zozo se liguèrent pour faire échec aux entreprises de destruction du lwa des eaux. Ils ripostèrent, et l’on vit des masses de feu se déverser sur l’océan comme pour l’assécher. Il était cependant difficile de contrecarrer les plans d’Agwé, l’eau était partout en Haïti et dans Haïti, et dans une bataille entre le feu et l’eau, c’est toujours l’eau qui gagne. En attendant, c’était la guerre qui gagnait le monde.

Il était douteux, malgré tout, que Agwé pût, seul, vaincre les autres lwa, surtout que sa femme s’était inscrite dans le camp adverse. Il alla se plaindre auprès du Grand-Maître. Le Grand-Maître voulut donner raison à Agwé, il n’était pas tolérable de supporter la présence d’un mortel dans le lit de l’épouse d’un lwa, et d’un lwa aussi puissant que Agwé, maître des royaumes liquides, océans et rivières, et la présence du mortel avait provoqué le début d’une guerre.

Le Grand-Maître réfléchit. Il convoqua Erzulie-Zozo et eut avec elle une longue conversation. « La guerre a éclaté dans Ifé », dit-il, « et il faut l’arrêter. Sinon la Création entière est menacée. En attendant, il faut donner un gage de bonne volonté à Agwé… » Et le Grand-Maître ordonna de renvoyer Nicolas.

Le Tout-Puissant ne pouvait rappeler son ordre de renvoyer le mortel. La parole du Grand-Maître s’inscrit dans le Temps et le forme tout de suite : il n’y a pas de distance entre la parole du Tout-Puissant et les événements, et cela, Erzulie-Zozo le savait. Il fallait jouer de telle manière que ce soit Agwé lui-même qui demande la grâce de Nicolas.

Tout reposait sur les épaules de Erzulie-Zozo. Il fallait montrer au lwa des profondeurs océanes les plaisirs de l’amour. Il fallait réveiller sa sensualité. Elle arriva chez Agwé alors qu’il conférait avec les baleines, les requins, soldats redoutables qui pouvaient, sur les passerelles d’eau établies par les architectes des lwa de la mer, grimper jusqu’au ciel, faire irruption dans Ifé et y semer le désarroi.

Erzulie-Zozo était la lwa de l’amour. Elle était persuadée que tous les problèmes de l’univers relèvent de l’amour. « Si on règle les problèmes de l’amour, on règle tout ! », proclamait-elle. Erzulie-Zozo s’était dit que si elle parvenait à convaincre Agwé des bienfaits de l’amour, le converti deviendrait plus ouvert. « Il deviendrait souple en devenant raide… », dit-elle, en une formule incompréhensible, qui rendit perplexes les autres lwa.

Elle avait pris son aspect le plus ondoyant, celui qui pût le plus facilement séduire Agwé. Elle avait, en s’avançant vers le dieu des eaux, l’air d’une lame roulant vers un rocher. Elle demanda au lwa marin une entrevue. « J’ai un message du Grand-Maître. » Elle avait mis dans sa voix une sensualité que Agwé, pour la première fois, nota. La harangue qu’il adressait à ses troupes fut arrêtée net. Il resta interdit, fixant Erzulie-Zozo d’un air soupçonneux. « Quelle magie est-elle en train d’exercer sur moi ? »

On ne fait pas attendre un émissaire du Grand-Maître. Il s’écarta de ses baleines et de ses requins. Erzulie frôla le souverain des flots, et Agwé sentit sa gorge se dessécher, il devina que toute l’eau de ses mers et de ses rivières ne parviendrait pas à éteindre ce feu-là. Il n’avait jamais connu cet embrasement de tout l’être. Ses soupçons devinrent certitude. Il savait que Erzulie-Zozo essayait ses charmes sur lui. Cependant, et c’était là le danger, il ne sentit aucune envie d’échapper aux entreprises de la lwa de l’amour. « On ne m’a pas si facilement ! » Il ne savait pas que, dans ces cas-là, la seule issue était la fuite. Par orgueil, il ne voulut pas fuir : c’était, se disait-il, une solution humaine. Il croyait qu’un lwa comme lui, l’un des plus puissants, pouvait résister là où les Humains succombaient. Il demanda d’une voix brève : « Ce message ? »

« Nous nous voyons si peu », dit Erzulie d’une voix triste, « qu’il faille des circonstances extraordinaires pour nous réunir, une mission du Grand-Maître, par exemple… » Elle regarda autour d’elle, et l’univers liquide d’Agwé parut lui plaire. « Que c’est beau, ici, que je m’y plais ! On sent la présence d’un être d’exception, d’un lwa en même temps puissant et délicat… J’aimerais bien vivre dans ce palais d’eau ! » Elle examina Agwé qui s’adoucissait. « Les mâles, Lwa ou Humains », se dit-elle, « sont les mêmes. Il faut les flatter. »

Elle s’approcha de lui et lui mit les deux mains sur la poitrine. Elle sourit, et les derniers doutes d’Agwé tombèrent. Une espèce de chaleur passa des paumes de Erzulie-Zozo à sa poitrine. Agwé s’avisa que la sécheresse de sa gorge augmentait et diminuait en même temps. « Quelle curieuse sensation ! »

« Les lwa comme les humains ont des réactions inattendues en matière d’amour », dit le Grand-Maître, voyant Agwa froncer les sourcils et s’agiter en s’apercevant que Erzulie-Zozo prolongeait son séjour sous les eaux et que Agwé prenait plaisir à sa compagnie. Karigoun disait qu’il y avait des histoires très curieuses qui se déroulaient sous les étoiles, que Dieu, qui ne connaît pas le temps, qui ne connaît donc pas les histoires, ne pouvait deviner. Karigoun ajouta : « Ils ont des comportements imprévisibles, Seigneur. » Le Grand-Maître vit dans l’attitude d’Agwa une issue à la crise. Il était en train de discuter avec Karigoun quand, tout à coup, il vit un immense jet d’eau, un geyser s’élever de la mer et mouiller le ciel ; en même temps un cri puissant comme un tonnerre roula sous les étoiles. Agwa, qui s’en venait trouver le Créateur, reconnut la voix de son mari et sursauta. C’était bien la première fois que Agwé criait dans l’amour, et un cri aussi fort ! « L’univers entier en tremble ! », dit Karigoun, qui ajouta, perfide : « Il n’y a pas de doute, Erzulie-Zozo connaît en amour des choses qu’aucune autre femme ni aucune autre lwa ne connaît. Elle peut tirer d’un lwa des sons que sa femme elle-même ne réussit pas à lui faire pousser… »

– Il n’y a pas à dire, Agwa, Erzulie-Zozo réussit à faire ce que tu n’as jamais pu faire : faire jouir ton mari…

Agwa n’aimait pas le ton de Karigoun. Elle n’aimait pas son persiflage. Elle n’aimait surtout pas que les éternités futures se souviennent d’elle comme d’une lwa incapable de faire jouir son mari, incapable elle-même de jouir avec lui, comme d’une lwa réduite à faire appel à un humain pour connaître l’extase.

On n’a jamais su ce que Agwa et Erzulie-Zozo se dirent devant la couche de Agwé, alors qu’il dormait. Les uns prétendent que les deux lwa se battirent. D’autres avancent que Erzulie se moqua de Agwa. Certains énumèrent la liste des injures que Agwa lança à Erzulie-Zozo. On ne sait pas non plus ce qui se passa quand Agwé se réveilla.

Ce que l’on sait, en revanche, c’est que la paresse des sens d’Agwé avait disparu, qu’il devint, quand Erzulie-Zozo les quitta, très actif auprès de sa femme. Ce qui étonna aussi, c’est l’acharnement d’Agwa contre Nicolas. Nicolas, quand il fut abandonné par Agwa, poussa un soupir de soulagement. « C’est peut-être ce cri de soulagement qui le perdit auprès de la lwa. » Son soulagement fut de courte durée : Agwé, depuis qu’il avait connu le plaisir, connaissait la jalousie. Il ne tolérait pas l’idée que Agwa ait pu rencontrer la joie avec un autre que lui, un humain en plus. Il réclama la vie de Nicolas. Agwa appuyait son mari avec une vigueur qui ne surprit pas Karigoun.

Le Grand-Maître, dans son immense sagesse, estimait que la paix entre les lwa valait la vie d’un homme. Il ne protesta pas quand Agwé fit valoir ses exigences, au contraire de Erzulie-Zozo qui devint furieuse, une fureur telle, que le Tout-Puissant craignit une autre guerre. Il soupira : cet humain était la cause de bien de catastrophes ! Il entendit les arguments des uns et des autres. Erzulie-Zozo voulait la vie de Nicolas. Agwé voulait la mort de Nicolas. Ogoun, le dieu des combats, voulait la guerre et attisait le feu, il était contre tout ce qui était pour et pour tout ce qui était contre, pourvu qu’il y ait la guerre. Karigoun voulait une belle histoire, il se demandait laquelle, la mort ou la vie de Nicolas, en ferait une meilleure.

Ce fut Karigoun, rongé par l’indécision, voulant faire une belle histoire, balançant entre la vie et la mort du héros, qui trouva la solution. Il proposa un duel entre Agwé et Nicolas. C’est ainsi que Karigoun, lwa des légendes, des contes, trouva une loi fondamentale de la composition des histoires : quand l’auteur hésite entre deux solutions, il faut choisir une troisième qui réunisse ou mette en balance les qualités des deux premières. Ce fut une des manifestations du génie plastique de Karigoun, créant et remodelant de manière de plus en plus large des motifs qui s’organisent dans des structures de plus en plus englobantes. C’est ainsi, en trouvant les points communs de deux aboutissements différents d’une même histoire, que Karigoun parvenait à relier deux conclusions opposées : par les idées médianes, et l’histoire atteignait ainsi à une unité supérieure, comme le bien et le mal qui forment une harmonie qu’on ne peut voir que si on considère l’ensemble qu’ils forment.

Erzulie-Zozo, qui faisait partie de cette histoire, qui était trop impliquée dans l’action et ne pouvait en voir l’ensemble, protesta : l’issue d’un combat entre un lwa et un mortel ne faisait pas de doute, aucun homme n’est de taille à lutter contre un lwa, et contre un lwa aussi puissant que Agwé. Elle convainquit le dieu marin d’envoyer un champion à sa place. « Ce serait plus honnête, plus honorable. Quel plaisir à vaincre un adversaire indigne, aussi chétif ? Tu n’aurais aucune satisfaction ! » Agwé choisit comme champion une baleine très grande, très forte, la plus guerrière de ses baleines et la dépêcha au combat qui devait avoir lieu dans la mer juste en face de Marimbé. Erzulie-Zozo eut beau protester qu’une baleine était trop forte pour un homme, elle ne put changer la décision d’Agwé, qui avertit sa baleine de se tenir prête. Karigoun, dès lors qu’il apprit que Nicolas serait opposé à une baleine, commença à se désintéresser de l’histoire : l’issue d’un combat entre un homme et une baleine ne faisait pas de doute. « Il n’y a pas de surprise, et la surprise est l’élément moteur d’une belle histoire. Il faut étonner ! Il faut tenir ceux qui écoutent ou ceux qui regardent en haleine ! »

La baleine choisie par Agwé s’appelait Kronk. Agwa voulut narguer Nicolas. « Je veux bien lui accorder la vie sauve s’il réussit à vaincre ma baleine ! » Personne, ni lwa ni humain, ne comprenait le revirement de Agwa, et sa soudaine haine de celui dans les bras duquel elle s’animait avec tant d’ardeur il n’y a pas si longtemps.

– Le pénis de l’homme contre le clitoris de la baleine ! Si Nicolas perd, je donnerai son pénis à manger à ma championne ! S’il gagne, il pourra manger le clitoris de Kronk.

Et pour montrer qu’elle était sérieuse en disant cela, elle prit le Grand-Maître à témoin : « Que le Grand-Maître efface mon nom de sa mémoire si je manque à ma parole ! » Erzulie-Zozo dit : « Agwa se souviendra que sa parole est dans la tête et entre les mains du Grand-Maître ! » C’est ainsi que Agwa engagea sa parole. Agwé alla plus loin. Il en voulait au village de Nicolas dans son ensemble, il proclama les habitants de Marimbé complices de l’ancien amant de sa femme. Erzulie-Zozo eut beau protester, Agwé n’en démordait pas. « Si ma baleine sort victorieuse du combat, tous les habitants de Marimbé devront périr ! »

– Si Nicolas est vainqueur, ils auront la vie sauve.

Les habitants du village, dans leur totalité, étaient présents, alignés sur la plage. Ils étaient d’autant plus intéressés qu’ils savaient leur vie en danger. Rien ni personne, lwa ou humain, ne pouvait les sauver si Nicolas perdait le combat. Ils passèrent la nuit précédant le jour qui risquait d’être leur dernier jour à prier le Grand-Maître d’avoir pitié. En face de Marimbé, les lwa de la mer se tenaient, entourés des officiers de leur cour, et la mer, de ce côté, était blanche de l’écume que les spectateurs marins soulevaient. À certains signes que lui seul pouvait noter, Virgile sut que Ifé, la ville sainte, était dans les airs, juste au-dessus du rivage. Il savait que les lwa étaient accoudés à la terrasse et se préparaient à regarder. Il savait que, pour Karigoun, le sort des habitants de Marimbé était secondaire : ce qui était important pour le lwa des histoires était un beau spectacle, « et personne ne sait ce qui est beau pour un lwa ». Il ne fallait pas compter sur Karigoun.

Marcellus était là : pour rien au monde, dit-il à Clodélia, sa commère, il ne voulait manquer un combat qui risquait d’être le dernier spectacle du pays. On devine bien, argumenta-t-il, les intentions des lwa : la disparition de la ville du Cap-Haïtien les indique assez ! Agwé ferait, à coup sssûr, périr le village de l’ancien amant de sa femme, comme il l’avait juré. Il ne tolèrerait pas l’existence d’humains pouvant se rappeler son infortune. Malgré l’ordre du Grand-Maître de faire la paix, quoique sa femme ait déposé sa parole entre les mains et dans la tête du Grand-Maître, Agwé, si Nicolas sortait vainqueur du combat, ne pourrait résister, dans son désappointement, au désir de se venger. Si, en revanche, sa championne gagnait, Agwé pouvait très bien, dans l’ivresse de la victoire et pour montrer son pouvoir, persécuter Marimbé et Haïti tout entière. Marcellus était pessimiste.

– Dans les deux cas, il y a danger. On ne sait jamais avec les lwa ! Il faut espérer que le Grand-Maître veillera à ce qu’Agwé respecte sa parole et celle de sa femme, et maintienne le combat uniquement entre Nicolas et Kronk. Notre sort est entre les mains de Nicolas.

La baleine, guerrière victorieuse de bien de combats, et qui connaissait les feintes les plus subtiles, les ruses les plus compliquées, qui, en plus, était d’une grande force, rit quand elle apprit que son adversaire serait un humain.

– Un avorton d’humain !

L’hilarité de Kronk redoubla.

Pendant le temps qui précéda le duel, elle banqueta avec les autres baleines et avec les requins. Elle promit le pénis de Nicolas à son mâle. « On dit qu’il est gros pour un humain ! »

– On le mangera ensemble !

Nicolas tremblait. Il avait déjà appris à nager. Il ne voyait pas ce qu’il pouvait faire de plus. Sa protectrice elle-même, Erzulie-Zozo, ignorait comment il pourrait sortir vainqueur d’un combat contre une adversaire aussi redoutable, grande, forte, intelligente, pleine de ressources. Elle alla consulter Ogoun, dieu des batailles, qui savait tout ce qu’il était possible de savoir sur les combats, et lui demanda conseil. Ogoun ne voulut rien dire. Elle revint, sombre et pensive, auprès de son protégé. Tout à coup, elle pensa que les mâles et les femelles sont semblables, qu’ils soient lwa, humains ou baleines. Elle passa la nuit précédant le combat à donner ses instructions à Nicolas.

Le grand jour arriva. Le rivage était noir de monde. Les lwa eux-mêmes étaient intéressés par le combat : « Un duel entre une baleine et un homme ! L’issue ne fait point de doute ! » Ogoun était catégorique. Erzulie eut un sourire froid. Karigoun se désintéressait du duel, car la rencontre ne comportait pas de surprise, même si elle pouvait s’avérer spectaculaire. Il n’y aurait pas de rebondissements. Les rebondissements sont nécessaires pour relancer l’action. À ce moment de sa réflexion, Karigoun remarqua le sourire de Erzulie-Zozo. « Oh ! Oh ! » Erzulie-Zozo était l’une des rares, humains ou lwa, qui pouvaient encore l’étonner. Il devint attentif et trouva, lui-même ne savait pourquoi, un grand intérêt au spectacle. C’est ainsi qu’il apprit que la surprise n’était pas un élément essentiel d’une histoire : elle était, certes, importante, elle n’était pas la plus importante. Karigoun se dit que, même si on connaît le dénouement d’une histoire, on peut la suivre avec intérêt, car il y a, au-dessus de la surprise, la construction, la manière dont les différents éléments s’emboîtent les uns dans les autres. Pour les esprits supérieurs qui écoutent une histoire, la construction est bien plus intéressante que la surprise, comme, pour quelqu’un qui regarde Ifé, ce qui est intéressant, ce n’est pas la beauté de la terrasse ou d’un palais en particulier, ce qui est intéressant pour ces esprits supérieurs, c’est l’ensemble de la ville. Il fut distrait pendant quelque temps. Il se souvint que les Lwa et les Humains peuvent entendre certaines histoires un nombre infini de fois, avec la même impatience. Il est vrai que ce sont les meilleures des histoires. La vie elle-même, la plus merveilleuse des histoires qui, pour les Humains, se termine par la mort, c’est-à-dire qui se termine toujours de la même façon, est-ce qu’ils ne la suivent pas avec la même attention que le premier couple qui vécut, même s’ils en connaissent le dénouement ? Il y a davantage : lui-même Karigoun, qui connaît tous les moments de la vie des Humains, est-ce qu’il ne suit pas avec intérêt leur vie recommencée et toujours la même ? Oui, on peut maintenir l’intérêt d’une histoire même si on en connaît l’épilogue. Cependant, le sourire de Erzulie-Zozo lui faisait croire que peut-être la surprise serait, malgré tout, présente. Il eut le temps de penser qu’au-dessus de la surprise, au-dessus de la composition, il y a le spectacle lui-même, qui pouvait, à lui seul, justifier son existence, un spectacle extraordinaire en lui-même, tellement fascinant que la surprise, la composition, les arrangements, la distribution des moments et le lien entre ces moments, l’ensemble même, deviennent secondaires, et la vie est un de ces spectacles. « Il est vrai que, de ces spectacles, il y en a très peu… »

Legba, donna le signal du combat. À peine ce signal donné, qu’on vit Nicolas nager vers la baleine et plonger sous son ventre. Kronk ne fit pas attention à l’avorton. Elle saluait à droite, à gauche, elle souriait, découvrant ses blancs fanons, à son mari, qui se comportait avec ses amis comme l’époux d’une grande comédienne à une pièce de théâtre dont elle est le principal personnage, à Agwé et à Agwa qui se tenaient par la main, aux spectateurs humains qui étaient sur le rivage, aux lwa qu’elle savait accoudés à la terrasse. Ce fut le dernier sourire de Kronk. On l’entendit chanter d’une voix qui fit froncer les sourcils à son mâle. Kronk se mit à battre la mer de sa queue, mais lentement, langoureusement, et l’écume atteignait les spectateurs qui se demandaient pourquoi la combattante avait des gestes si peu guerriers. Ses cris étaient de plus en plus forts. Le mari de Kronk fonça auprès de Agwé et lui signala la conduite de sa compagne. « Le salaud est en train de la sucer, Maître ! » Le mâle de Kronk était indigné.

– Je reconnais ses cris quand je la suce !

Nicolas avait foncé sur le clitoris de la baleine, l’avait pris dans sa bouche et avait commencé à le sucer avec une ardeur et une science d’autant plus grandes que sa vie et celle des habitants de son village en dépendaient, dépendaient du plaisir qu’il pourrait donner à Kronk, de sa capacité à la distraire, à éloigner ses esprits de tout projet guerrier. « La jouissance », avait dit Erzulie-Zozo, « est ta plus grande alliée. Fais-la jouir, et pendant qu’elle jouit, coupe-lui son clitoris. » Erzulie-Zozo, lwa de l’amour, avait, et pas qu’une fois, possédé une baleine, elle avait été heureuse dans le corps d’une baleine, et elle savait ce qui les fait jouir. Elle avait, en conséquence, instruit Nicolas, et Nicolas avait bien retenu les recommandations de sa protectrice. Il savait comment sucer le clitoris d’une baleine. Kronk poussa un cri plus fort que les autres. Elle jouissait. Alors, Nicolas, de ses dents mortelles, trancha le clitoris de la baleine. L’eau, autour de Kronk, rougit. Le râle de jouissance se transforma en râle d’agonie. Nicolas se dépêcha de s’éloigner du grand corps, et il nagea vers le rivage avec une vitesse qu’on ne croyait pas possible à un terrestre. Il avait le clitoris dans sa bouche et le serrait entre ses dents. L’air était empli des lamentations de la baleine. Le mari de Kronk s’approcha d’elle, courroucé, et semblait souffrir autant que sa conjointe. Il la couvrit de son grand corps. On connaissait l’amour qui liait les deux époux. On vit le mâle, de sa mâchoire puissante, se couper le pénis. Puis il descendit dans les profondeurs de l’océan, entraînant sa femelle avec lui. Lentement, les deux baleines gagnèrent le fond de l’eau, laissant après elles un sillage sanglant, et se laissèrent dériver, plutôt que nagèrent, vers le cimetière des cétacés ; elles s’immobilisèrent sur les sables, au milieu des squelettes des baleines mortes. Elles moururent peu de temps après.

C’est pour cela que la mer, devant Marimbé, devint rouge : le sang des deux baleines l’avait rougie, et certains ne désignaient pas Marimbé autrement que « Marimbé la rouge ».

La victoire de Nicolas était évidente. Le silence qui se fit du côté de l’eau disait la consternation de la mer. Agwé, Agwa, les amis requins, tous les habitants des profondeurs aqueuses, et les parents de Kronk et de son mari n’en croyaient pas leurs sens. Un humain, « un avorton ! », avait vaincu Kronk, la championne de tant de combats ! Agwé et Agwa étaient stupéfaits.

– C’est le moment dangereux ! C’est le moment critique !

Erzulie-Zozo savait que, dans leur colère et leur honte, les lwa de la mer pouvaient se livrer à des actions extrêmes. Il fallait les calmer. Elle courut trouver le Grand-Maître et lui demanda d’agir. « Il faut porter leur esprit à des occupations pacifiques. » Dieu se rangea à l’avis de Erzulie-Zozo. « Il faut protéger la Création ! Elle succomberait si les lwa de la mer déclaraient la guerre… »

– Il faut renverser leur rage !

Prenant grand soin que Ogoun ne s’aperçût pas du subterfuge, ce qui eût été fatal, car il s’attendait à une belle guerre où il pût trouver son accomplissement, Erzulie-Zozo utilisa des charmes puissants et dirigea la volonté d’action de Agwé et de Agwa vers le désir l’un de l’autre. Le Grand-Maître leur fit savoir, en outre, qu’il tenait le résultat du combat entre Nicolas et la championne de la mer pour valable, qu’il avait dans sa tête et dans ses mains la mémoire des serments de Agwé et de Agwa, et que, dorénavant, il voulait que la paix règne entre la mer et la terre.

Nicolas s’installa sur la plage et mangea le sexe de la baleine devant les habitants de Marimbé. On fit cercle autour de lui, et personne n’osa réclamer un morceau du gigantesque clitoris. Nicolas le mangea jusqu’à la dernière miette.

La gloire de Nicolas, déjà grande, devint universelle. Il était connu comme celui qui avait vaincu la baleine. « Nicolas le mangeur de clitoris de baleine ! » Sa geste fut partout contée. Le soir, dans les villages, pendant que les vieux buvaient un godet de rhum et fumaient une bonne pipe, pendant que les jeunes laissaient aller leurs yeux au loin et revivaient en pensée les aventures du héros qui avait sauvé le village, on faisait cercle autour du conteur qui commençait par ces paroles :

« Écoutez maintenant l’histoire de Nicolas bien membré, vainqueur de la baleine et mangeur de clitoris… »

Le conteur regardait autour de lui pour vérifier si tout le monde écoutait : tout le monde écoutait, les jeunes, les vieux, tout le monde…

« Nicolas de Marimbé était tellement bien membré que Kronk, la plus redoutable des guerrières qui dominent les mers, tomba amoureuse de lui. Kronk, quand elle vit Nicolas, quand elle vit sa prestance et son allure dans la mer, quand elle vit l’engin qui déjà l’avait rendu glorieux, oublia la guerre, oublia le combat entre l’homme et elle, et ne songea plus qu’à l’amour. Elle ne voulut plus combattre, elle ne voulut que jouir de celui qu’elle devait vaincre, qu’elle avait mission d’écraser. Elle oublia que le peuple de la mer comptait sur elle, que le sort du peuple de la terre dépendait de l’issue de la bataille. Le pénis de Nicolas avait causé cela. Elle regarda Nicolas avec des yeux tendres, et Nicolas le bien membré n’eut aucun doute sur les sentiments de Kronk. Il vit dans l’amour de la baleine le moyen de se sauver, de sauver son peuple, le peuple de Marimbé. Il rassembla son courage, le banda. Il s’approcha de Kronk, et Kronk fut ravie. Elle fut heureuse, elle chanta et tous, le peuple de la mer et ses souverains Agwé et Agwa, Ifé et ses lwa, Marimbé et ses hommes et ses femmes, tous furent témoins de la joie de Kronk. Le mâle de Kronk, désespéré de voir sa conjointe amoureuse d’un humain, fonça sur elle. Il dit : « Puisque ton clitoris a pris de la joie avec un autre que moi, eh bien ! il ne te donnera plus de joie ! Ni à toi, ni à moi ni à personne d’autres ! » Et le mâle de Kronk, de ses fanons puissants, coupa le clitoris de sa femelle. À cause de Nicolas, Kronk avait perdu son clitoris. Elle n’avait plus qu’à mourir, et elle alla au cimetière des baleines, où bientôt elle expira. Son mâle mourut en même temps qu’elle, car il était amoureux de son épouse et ne pouvait vivre sans elle. Le clitoris de la baleine, comme s’il ne voulait pas rester séparé de celui qui lui avait donné tant de joie, laissa les vagues le porter vers Nicolas. Le vainqueur de la baleine reconnut le clitoris et le mangea devant les Marimbois assemblés sur la plage. Gloire à Nicolas, le sauveur de Marimbé ! »

Le Grand-Maître fronça les sourcils : « Ce n’est pas du tout comme ça que cela s’est passé ! », dit-il.

– Ce Diogène est un menteur ! Il raconte des choses qui ne se sont pas passées ! Il invente. Les choses ne se sont pas passées comme il le dit. Ce Diogène mérite d’être puni !

Karigoun prit la défense du conteur.

– Une histoire, Grand-Maître, a ses règles propres. Les règles d’une histoire, d’un conte, d’une légende ne correspondent pas à ce qui est la vérité. Les légendes, les contes, les histoires ont leurs vérités que la Vérité ne connaît pas. La vérité, pour une histoire, est la vérité de cette histoire. Cette vérité-là seule compte. Seul existe ce qui est à l’intérieur de la tête des Humains, Grand-Maître, ce qui est dans une histoire. Ce qui n’est pas dans une histoire, ce qui n’est pas dit par une histoire, par les mots d’une histoire, n’existe pas. En vérité, Grand-Maître, je vous le dis : ce qui s’est réellement passé n’existe pas s’il ne se passe pas dans la tête des hommes et des femmes, s’il ne passe pas par les mots des hommes et des femmes. Et ce qui est dit par les mots des hommes et des femmes est ce qui s’est passé. Grand-Maître ! Vous avez vu ce que vous appelez « ce qui s’est réellement passé » ! Grand-Maître, l’avez-vous dit ? Non ! Les hommes et les femmes l’ont dit. Et ce sont ceux qui disent une histoire, qui disent la vérité. Les mots appartiennent aux hommes, Grand-Maître, ainsi que l’histoire, et l’Éternité est à vous. Oui, Grand-Maître ! Diogène a le droit, Grand-Maître, de raconter comme il le juge bon de raconter ce qui s’est passé entre la baleine et Nicolas, et les humains ont le droit de croire que ce qui s’est passé entre la baleine et Nicolas s’est passé comme Diogène le raconte. Oui, Grand-Maître !

Ainsi parla Karigoun, le lwa des histoires, des contes, des légendes, Karigoun le donneur de sel, et le Grand-Maître l’entendit. Karigoun dit :

– Et puis, Grand-Maître, il y a une infinité de manières pour une histoire de se dérouler ! Il y a une infinité de manières pour une histoire d’être vraie ! Il y a autant d’histoires que d’êtres humains, Grand-Maître. C’est pour cela que Vous avez donné la liberté aux êtres humains : pour que chacun vive son histoire, sa propre histoire, pas celle qu’on lui impose, que la vérité des autres lui impose ! Oui, Grand-Maître…

Karigoun sourit.

– Le Grand-Maître oublie que c’est Lui qui, le Neuvième jour de la Création, créa les contes, les histoires, les légendes ! Le Grand-Maître Lui-même avait dit, ce jour-là, que les hommes et les femmes étaient, sans les contes, les histoires, les légendes, incomplets, inachevés, qu’extérieurement ils étaient bien mais qu’intérieurement ils étaient imparfaits. Le Grand-Maître avait même ajouté que les histoires, les contes, les légendes avaient achevé la Création ! Le Grand-Maître ne se souvient-Il pas combien Il s’ennuyait, le Huitième jour de la Création, quand, après avoir créé le ciel et la terre et tout ce qui y vit, Il ne trouva plus rien à faire, quand il n’y avait pas encore les contes, les histoires, les légendes ?

Le Grand-Maître se souvenait, et il sourit à son tour. C’était ce jour-là, le Neuvième jour de la Création, qu’il avait créé beaucoup de mots, les mots « poésie », « conte », « histoire », « légende », entre autres, et aussi le mot « mentir ».

Karigoun conclut : « Ce n’est pas seulement parce que le Grand-Maître s’ennuyait que le Grand-Maître a inventé les contes, les histoires, les légendes, et pour se distraire, car, installé dans son éternité, le Grand-Maître a besoin des contes, des histoires, des légendes comme intermédiaires entre Lui et les Humains, qui, eux, vivent dans le temps, pour entrer en contact avec eux et maintenir ce contact. Seuls les contes, les histoires, les légendes sont en même temps dans le temps et dans l’éternité, Seigneur… »


« Nicolas », par Roland Paret, est un extrait du « Très sage roi Salomon ! », publié pour la première fois dans les Archives des Grands Vents à Montréal au Éditions du CIDIHCA, 2001, pages 24-43.

© 2001 Roland Paret


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mis en ligne : 23 août 2006 ; mis à jour : 26 octobre 2020