Rodney Saint-Éloi, Lecture de poésie


Rodney Saint-Éloi, lecture de poésie enregistrée à Sousse (Tunisie) en mai 2000 lors du Congrès du CIÉF (Conseil International d’Études Francophones).

vidéo © « À travers la lumière » 2000, Robert Balas & Anne George


Introduction. Rodney Saint-Éloi lit des sélections de son recueil,

J’avais une ville d’eau de terre et d’arcs-en-ciel heureux

(Port-au-Prince: Éditions Mémoire © 1999)

777 Palimpseste

  0:48 ma ville est morte, c’est peut-être hier, elle l’étrangère que je connais à peine m’a téléphoné de sa prison et m’a dit trois mots comme l’annonce d’une tragédie: ville mort soudaine. Je me rappelle pas du tout sinon le claquement de cette voix à l’autre bout étouffé, j’en suis gêné de ne pouvoir vous dire la date exacte, c’était, autant queje me rappelle, un matin des années cinquante; et ma ville amnésique est morte comme hier, sans histoire, sans échouage, là au pied d’une mer mourante dans la grisaille du vent.

 

25
1:38 ma ville est morte hier comme l’amandier brun qui me fut ami, sans géographe ni postulant, morte sans sacrement, sans sentiment dans le labyrinthe des couleurs avec une tache de sang sur sa paupière gauche, je me rappelle pas trop le nom des assassins, c’est peut-être toi, et c’est peut-être moi, car les murs de nos silences construisent une cathédrale de souvenirs, et chacun pleure en la mort de cette ville sa mort de poche dans un miroir ovale 26
2:12 ma ville pour mentir s’invente des mots en TION, ils ouvrent en nous tous les jours une blessure, ils dansent sur nos murs et entrent jusqu’à notre sommeil nous vendre le miracle, sur l’étal de nos vies, ils rampent comme des araignées et nous regardent béats
MODERNISATION

PRIVATISATION

DÉMOCRATISATION

CAPITALISATION

RATIONALISATION

DÉRATISATION

ALPHABÉTISATION

RESTRUCTURATION

NORMALISATION

DÉDUVALIÉRISATION

DÉLAVALATISATION

LEBRUNISATION

FONDATIONISATION

IRISATION

ONGTION

EXTRÊMONCTION

EXCRÉMENTION

60

Collage 77727-77

3:08 de cette ville à moi, il y a la distance d’aimer
de cette ville à moi, il y a la distance de mourir
cette intention de poète ou de soldat
65
3:20

Toporythme

Géopoétique

Cauchemardesque

1. manière de voir, de sentir, de manger, de chier, de mourir, de coucher, de baiser, de pleurer, de rire, de jouer, de disparaître, de revenir, d’habiter

6. on est si gentil ici que la gentillesse devient comme la peste, elle prend des proportions géantes.

7. dans mon pays, il y a deux présidents, celui qui dirige et l’autre qui dodine, la démocratie a ses jeux que personne n’est censé ignorer

13. j’ai rencontré ma fiancée, elle vient de baiser à pointe-à-pitre, j’ai trouvé ça génial, août 1995

14. je t’aime moi non plus ainsi va le corps, la ville et les élans de l’une à l’autre

21. le mari est du parti au pouvoir, la femme est à l’autre camp, ils ont divorcé pour incompatibilité politique, six mois après, ils se rendent compte que l’arrière-garde passe à l’avant-garde

29. 50% de bisexuels, 23% d’homos, 23% de lesbiennes, 3% d’indécis et 1% de gens dits normaux, profil d’une statistique optimiste, novembre 1998

38. qui disait d’une sexologue de renomn qu’elle était vierge, n’est-ce pas.

52. mademoiselle voulez-vous danser non monsieur je suis fatigué, elle a fermé ses jambes, sa robe et ses seins entre ses deux mains réunies, octobre temps d’embargo

55. l’origine des fortunes de chez nous, les grandes familles n’ont pas toujours été grandes, elle ont commencé dans la gêne et dans la petitesse, puis elles ont volé durant deux générations et ont consolidé après ce qu’il faut de notabilité

73. jeune homme dans la trentaine nostalgique cherche amie pour partager coeur et gâteau au chocolat

81-95 (sélections)
5:30 pour aimer ma ville, j’oublie seulement la déraison de ses hommes et ferme à double clef mes élans de cannibale pour mieux comprendre que toute ville est une musique plantée en moi en toi et que l’on chante jusqu’à épuisement vocal et que l’on finit par danser à chaque pas, à chaque air dans toutes les métropoles, seul à l’autre bout de son miroir et souvent même dans l’absence de son ombre, rien que pour mourir en paix dans les doutes que l’on s’était construits 105
pour habiter ma ville, j’ai appris à fermer les yeux et à ouvrir mon corps, dans l’espérance de la nuit et la surabondance des couleurs, j’ai vu la ville à son premier été en minijupes, arc-en-ciel troué dans ses tourmentes de mers errantes

pour épeler ma ville, j’ai compté les arbres que j’ai croisés dans mes fugues et s’il y a un oiseau qui chante, je m’assieds au seuil de cette ville à moi à venir dans l’urgence des miracles avec des feuilles d’automne qui ne savent plus mourir

104
6:34 Pour terminer, Rodney Saint-Éloi improvise un poème en créole pour le public à Sousse.

Rodney Saint-ÉloiRodney Saint-Éloi, lecture de poésie enregistrée à Sousse (Tunisie) en mai 2000.
Sélections de son recueil, J’avais une ville d’eau de terre et d’arcs-en-ciel heureux publié à Port-au-Prince aux Éditions Mémoire en 1999.
Vidéo © 2000 « À travers la lumière », Robert Balas & Anne George.
Mise en ligne le 12 mars 2002 ; sur YouTube le 4 septembre 2020.

 


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mis en ligne : 19 mars 2002 ; mis à jour : 26 octobre 2020