Robert Berrouët-Oriol, « Chabine Ô »

vain voile d'amnésie
sur mes lettres
chabine
ma parole              aube
                                 en ses artères fêlées 
se tait
j'aurai lors las
chaussé mes mots de faïence
à chacune des bouées
de tes pores
l'or las
les cils brûlés de lune
        je ramone encor tes berges
        porteur d'un ultime vent salin
        d'un alphabet de rut drapé
sans vains mots cloutés
j'apure
mes petits naufrages
à tisser
l'alpage de ton corps
        noué
        dénoué
        flambé 
en ses hoquets somnambules
un rauque râle s'agenouille
ci-gît
        l'en-dit
        en toi sans toit 
toutes toitures
de dentelles rouillées
en berne de gestes bègues
la brume
à tes embouchures îliennes
s'offre rieuse
tes pas dans mes pas
Chabine ô
mes noctuelles en bandoulière
j'accorde la nuitée de l'offrande
une calligraphie d'absinthe
tout enrouée
se délite
                nomades rumeurs
                sur ton col blessé
une procession d'aptères guette mes suppliques
fragiles brûleries
sur ta mantille
bavarde délavée
ci-gît l'en-toi
à l'enclos des jours bègues
de longue méditation d'un chant
        l'hibiscus l'hiver
        n'arbore plus l'Automne de l'âge 
demeure
l'eau
noire lumière
bue à la suture de l'éclat
chaque escale
dérobée
en haute rumeur des siècles
décline
ses suffixes de dentelle
macula
de lèpre déradée
l'île première
                parmi ses crues de sang
                parmi ses ossements 
la mémoire pétrifiée
aux déclinaisons de l'encan
ébruite son coma
futile orgeuil des Pères
et babillarde liturgie des Fils
aux mains botes
tels spasmes ressacs
de fers en cales
                parmi l'abîme 
la surdité des lèvres
                parmi tes plaies 
le muettement du labour
nul écrin
nuls pleurs
                parmi tes ruines 
aux marches testamentaires du Poème
ne te seront dédiés
Chabine ô
aux murmures des labiales
ta forge
mate plainte des plantations
dans l'archipel des langues
la sourde clameur des langues
tu lies
au jour du jour
nos précaires boutures
toutes les géographies de l'oubli
hissent à cargue à glaise
d'ultimes ratures
au cérémonial des gestes déchus
l'île primipare
        mime
        trame
        ponce 
en sa laie forclose
        dicte sa légende

Ce poème de Robert Berrouët-Oriol, « Chabine Ô », a été publié pour la première fois dans la revue RALM en février 2006. Remanié, il paraît dans la revue Interculturel 11 (2007) et puis dans le recueil En haute rumeur des siècles, publié à Montréal chez Tryptique en 2010, pages 9-27. Dans une version de 2005, il est reproduit sur Île en île avec la permission de l’auteur.

© 2005 Robert Berrouët-Oriol


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mis en ligne : 5 février 2013 ; mis à jour : 22 octobre 2020