René Philoctète, « Entre les saints des saints » et d’autres textes


René Philoctète lit trois textes : Entre les saints des saints (extrait d’un roman inédit*), « Dans la maison de Léon Laleau » (inédit) et un extrait de Ces îles qui marchent.

Enregistrement réalisé à Port-au-Prince en 1992, l’une des vidéos d’auteurs haïtiens de Jean-François Chalut.

Vidéo de 7 minutes, disponible avec des sous-titres (pendant la lecture, cliquer CC).

Dossier présentant l’auteur sur Île en île : René Philoctète (1932-1995).

début – Introduction
01:25 – Entre les saints des saints, extrait, inédit.
03:13 – « Dans la maison de Léon Laleau », inédit.
05:26 – Ces îles qui marchent, extrait.

* Entre les saints des saints, roman inédit en voie de création au moment de cet enregistrement de 1992, publié à titre posthume en 2016 (Port-au-Prince: C3 Éditions).

L’auteur dit avoir composé « Dans la maison de Léon Laleau » la veille de l’enregistrement.


Entre les saints des saints

Introduction au texte

Ébauche du roman en préparation, Entre les saints des saints est l’histoire d’amour de deux enfants de la rue, pris dans le tourbillon politique, les entrelacs politiques, entre le gouvernement de Prosper Avril, en passant par celui d’Ertha P. Trouillot et jusqu’à la veille des élections de 1991.

extrait lu par l’auteur

L’enfant de Dieu, quand il vint en mission de pêcheur sur la terre, fut nourri par Joseph le menuisier. Il écoula son temps à faire monter et à faire descendre le soleil qu’il avait créé de toutes pièces du rire de son père céleste, et en sa compagnie. Lorsque dans la rue passait le carrosse du roi de Judas, il y montait, s’y installait sans que personne n’y vit quoique ce fut. Il profita de ces escapades pour mettre des chameaux en lieu et place des prisons, s’arrêter aux bords des fontaines et changer l’eau en vin, courir les champs et traire les vaches pour le lait des marmots, activer les ruches pour le miel des filles. Puis, la nuit venue, il gagna l’atelier, rangea le marteau, le rabot, la scie de Joseph, fleurit d’un baiser le front de Marie, éteignit la lampe à l’huile d’olive, et s’en alla dormir au ciel, avec une régularité exemplaire.

Pauvre terre ! Pauvre terre ! La lampe à kérosène n’existait pas encore. Ni la génératrice, ni la plaque d’énergie solaire encore moins la pile nucléaire.

La maison de Léon Laleau

Texte poétique en mémoire de Léon Laleau

À la tête de l’eau, à La Coupe, Pétion-Ville, dans une maison haute, en bois, verte et blanche, à demi recouverte d’un treillis de fleurs mauves, habitait Léon Laleau.
Là, comme dans le poème de Baudelaire, tout était Amour, Lumière, Volupté.
Sur la cour, je me rappelle, des hannetons allaient et venaient comme s’ils cherchaient un parfum perdu.
Les oiseaux, y chantent-ils encore ? Ou bien sont-ils partis avec Léon vers d’autres dérives ?
Il est si douloureux d’aimer ces temps-ci chez nous !
Il y avait aussi dans la maison de la tête de l’eau, une horloge qui coupait l’heure comme une césure.
Voyons Laleau, c’est le moment plus que jamais de concevoir un sonnet et d’attacher la bagatelle au clocher de Saint-Pierre !
Il y avait encore les pas des ans, que lui seul, Léon Laleau entendait dans un craquement de soleil aux persiennes, ou dans l’usure du ciel entier sur le toit.
Il y avait la dodine, les pantoufles, le chat au rire de Magloire Saint-Aude, les livres, beaucoup, et l’escalier qui n’est jamais redescendu.
On comprend que le résident de la maison à la tête de l’eau aima la poésie, et qu’il en fut comme Rimbaud, le féal.

Ces îles qui marchent

(extrait, Chant 2)

     Mes camarades ont des jeux d’enfants chagrins Ils inventent en décembre un ciel clair sur lequel ils dessinent un grand soleil patibulaire qu’ils mènent en laisse comme un roi fainéant Les camarades du soleil s’en vont par le trou des métro hiératiques de douleurs bues et dans leurs yeux dépolis voyage un vol d’oiseau du pays Leur voix carillon lointain dans la bise vole d’azur en azur comme pour se donner l’écho d’un beau dimanche du pays [fin de l’enregistrement] Aux écureuils aux bouleaux curieux ils content parfois des choses drôles Et qui verrait à leurs paupières une larme s’éblouir penserait plutôt au verglas qu’à des pleurs chus comme rosée J’aime leurs pas sur les trottoirs comme goélettes qui vont tanguant C’est que mon île ils gardent encore ta démarche de fille déhanchée Et dans leur tête bruissent vos parfums mers courtisanes partout présentes !
À vous mes amis je pense ce soir plus que jamais Serge Roland Jean-Richard Émile À Carmenta aux sourires de Mont-Carmel À Rosie la jeune maman coquelicot Gigi dont la mémoire en moi siffle comme une crinière À ce bon zigue d’Anthony Phelps Tous qui buvez de la bière en pensant à René Philoctète.
Davertige à Paris cherche l’ombre de Van Gogh en rêvant aux délices de l’anthropophagie Puissent les alouettes lui tourner une couronne !
À Montréal près de Decelles un soir je jetai dans la boîte aux lettres un billet pour ma patrie Oh qu’il retourne à mes amis qu’il leur dise que le soleil claque plus haut d’un jour vermeil J’ai le coeur qui ruisselle comme un nid dans l’azur !

René Philoctète. Ces îles qui marchent. Port-au-Prince: Spirale, 1969; 2e édition Port-au-Prince: Mémoire, 1992, page 37 (le début du Chant 2).


René Philoctète

René Philoctète.  Entre les saints des saints, « Dans la maison de Léon Laleau » et Ces îles qui marchent), extraits lus par l’auteur.  Port-au-Prince (1992).
Vidéo. 7 minutes. Île en île. Mise en ligne sur YouTube : 18 mai 2013.
Cette vidéo était auparavant disponible sur Dailymotion (mise en ligne le 5 mai 2010).

Caméra : Jean-François Chalut.
Notes de transcription : Duckens Charitable.

© 2010 Île en île


Retour:

/rene-philoctete-textes-lus/

mis en ligne : 5 mai 2010 ; mis à jour : 26 octobre 2020