Raharimanana, 5 Questions pour Île en île


Raharimanana répond aux 5 Questions pour Île en île.

Entretien de 13 minutes réalisé au Salon du Livre de Paris le 28 mars 2010 par Giscard Bouchotte.

Notes de transcription (ci-dessous) : Ségolène Lavaud.

Dossier présentant l’auteur sur Île en île : Raharimanana.

début – Mes influences
02:45 – Mon quartier
05:10 – Mon enfance
08:33 – Mon oeuvre
10:53 – L’insularité


Mes influences

Pour commencer, Belle du seigneur d’Albert Cohen m’a complètement enivré. Quand je le lisais, je ne voulais pas qu’il s’arrête – il me donnait le vertige – je laissais le livre, puis recommençais. Jusqu’à maintenant, je peux dire que je n’ai pas lu le livre ! parce que je fais en sorte de toujours, toujours recommencer. Des influences, je ne m’en sers pas pour tirer un style, je n’en ai pas besoin. Mais [Belle du seigneur] c’est un livre qui m’a beaucoup touché.

Les contes malgaches sont énormément importants : j’en dégage des schémas narratifs que je reprends dans mes livres. Par exemple Zatovo ou Ratovoantanitsitonjanahary, que j’ai mis dans Za, et les zazavavindrano, c’est-à dire (non pas des « belles du seigneur », mais) les « belles de l’aube », ou plus exactement les « filles de l’eau », apparaissant souvent à l’aube. Ça tourne autour des images de femmes extraordinaires et de femmes de tous les jours, des paroles et dialogues générés par ces personnages.

Mon quartier

Quartier imaginaire ou quartier réel. Je voyage plus dans les quartiers imaginaires.

S’installer dans un quartier, c’est déjà se perdre. Faire le choix d’un lieu, d’une identité, vivre dans un pays, c’est me priver des possibilités de vivre un autre lieu ou pays. J’aurais aimé être « le » cosmopolite, pas lié à un lieu. Mais la chose ne se passe pas comme cela – il y a le désir et la réalité – et les autres vous renvoient… Vivant en Occident (en France), on va toujours me renvoyer à mon île. Je préférérais habiter un quartier imaginaire, dans des espaces où il y a beaucoup d’herbes hautes qui m’effleurent le visage, le corps et je passe à travers… Me poser quelque part, regarder les pas qui viennent, pas forcément des pas de personnes. Éventuellement demander à ces pas de rester, de parler et de tracer mon voyage, de faire surgir d’autres quartiers, animés par ces personnes.

Je ne me vois pas dans des quartiers très précis.

Mon enfance

J’ai eu une vaste enfance. Une très, très belle enfance. Les collines de Madagascar, à Tananarive. J’allais seul, dans le bruit du vent, dans le son des criquets et dans le son très touffu des papillons. Plus il y avait de papillons, plus il y avait ce bruit étouffé de papillons que j’ai beaucoup aimé.

Des collines, je regardais la cité où on habitait et je voyais les lumières changer au fur et à mesure. D’une seconde à l’autre, elles changeaient toujours.

Solitude et errements d’enfance jusqu’alors jamais retrouvées.

Un souvenir très précis ? … C’est difficile.

Une vieille église, transformée par mon père en salle de cinéma populaire. Il y avait beaucoup de gens dans la salle qui n’avaient jamais vu de cinéma. Qui avaient complètement peur de voir des plans où les personnes « sont coupées en morceaux », ou voir une partie du corps ou un acteur qui est mort au film précédent. Les gens ne comprennent pas : « il était déjà mort … comment se fait-il qu’il est toujours vivant ? …  »

Un souvenir très fort est le film Les dix commandements. Comme c’est moi qui portais les bobines du film, c’était très, très lourd sous le soleil. Cette salle de cinéma s’appelait la « Salle d’œuvres ». Lorsque les films étaient finis, mes amis qui ne comprenaient pas le français me demandaient de raconter le film. Donc, je raconte. Mais souvent, il y a des choses qui ne me plaisent pas dans le film, alors je change. Par exemple, si la fin ne me plaît pas, je la change. C’est peut-être là que j’ai commencé à devenir écrivain.

Mon œuvre

Il y a ce personnage qui se pose des questions sur l’identité, sur la fabrique de l’identité. Celle dont je parle, c’est celle d’être malgache ou d’être français, ou canadien, ou ceci ou cela. Mais en tant qu’être humain, individu, on se construit une identité propre. Lorsqu’on parvient à une identité, est-ce que cela a une valeur de rester dans cette identité ?

C’est une question très personnelle pour moi. Par exemple, quel est l’intérêt pour moi de rester malgache ? Ce n’est pas qu’elle n’est pas belle, mais quel est l’intérêt de rester dedans ? Quel est l’intérêt de prendre une identité ? L’identité, c’est une manière de voir le monde. Une manière de répondre à l’énigme du monde. Il y a différentes manières de répondre à cette énigme. C’est cela qui m’intéresse, mais se figer dans une identité à ce moment-là, c’est s’arrêter de penser à cette identité du monde… Souvent les gens qui s’installent dans une identité ne se posent plus de questions.

C’est ce qui revient tout le temps dans mes livres : dans un livre, je me propose de construire un regard sur le monde. Mais le livre d’après, je démolis tout. Et je recommence. Finalement mes livres sont construction/déconstruction, construction/déconstruction…

L’Insularité

L’insularité et l’exil, ce sont des notions où je n’arrive toujours pas à m’expliquer. Qu’est-ce que cela veut dire, « être en exil » ou « être insulaire » ? Mais je sais très bien que quand je parle avec un auteur qui vient des îles, il y a toujours quelque chose qui me correspond mieux qu’avec d’autres auteurs. Mais je suis complètement incapable de dire en quoi je suis insulaire.

Peut-être que pour moi, être insulaire est la rencontre des courants, la rencontre de beaucoup de cultures ; d’où cette possibilité de pistes de vies, de choix de pistes de réflexions. L’insulaire, c’est le fait d’être toujours entre deux vagues, et d’accepter la vague. Accepter qu’à un moment on est comme ceci et à un autre moment on est comme cela, et ainsi de suite…

L’insulaire, c’est l’éternel étranger, parce que, sur l’île, auparavant, il n’y avait rien. On sait que l’on vient d’ailleurs, et on sait que l’on ne peut pas retourner là d’où l’on vient. Mais on sait aussi qu’on ne possédera jamais l’île. C’est ça qui m’intéresse, cet état d’être étranger.


Raharimanana

« Raharimanana, 5 Questions pour Île en île ».
Entretien, Paris (2010). 13 minutes. Île en île.

Mise en ligne sur YouTube le 1er juin 2013.
(Cette vidéo était également disponible sur Dailymotion, du 4 avril  2012 jusqu’au 13 octobre 2018.)

Entretien réalisé par Giscard Bouchotte.
Notes de transcription : Ségolène Lavaud.

© 2012 Île en île


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mis en ligne : 4 avril 2012 ; mis à jour : 26 octobre 2020