Pradel Pompilus présente Le problème linguistique haïtien


Pradel Pompilus lit un extrait de son oeuvre présentant la complémentarité de la littérature haïtienne et la littérature française, avant de lire un extrait de l’Avant-Propos de son étude, Le problème linguistique haïtien, publié aux Éditions Fardin en 1985.
Enregistrement de 10:31 minutes. Filmé à Port-au-Prince en 1992, l’une des vidéos d’auteurs haïtiens de Jean-François Chalut.

00:00 – Introduction à la lecture.
02:06 – Premier extrait.
04:55 – Introduction à la lecture de l’extrait.
05:19 – Extrait de l’Avant-Propos, Le problème linguistique haïtien.


Le problème linguistique haïtien

(extraits)

Introduction à la lecture

Je vais faire une déclaration sur la fonction rétrospective de la littérature française et la littérature haïtienne dans l’enseignement, parce que la littérature française est en difficulté. Peut-être parce que le programme de littérature haïtienne est court, parce que les jeunes gens se sentent mieux concernés par la littérature haïtienne, par les auteurs haïtiens, par les situations qui font le fond des romans haïtiens, ils sont en train de boycotter la littérature française. C’est pourquoi je reprends une déclaration que j’ai faite à un séminaire sur l’enseignement de la littérature. Un élève du Centre d’Études secondaires (mon école) – un élève de première – m’a demandé une fois, « Quand est-ce que la littérature française remplacera la littérature haïtienne dans l’enseignement ? » Alors je lui ai dit, « je regrette que vous soyez toujours à voir les choses en des termes antagoniques, en termes de destruction, de substitution, de remplacement. Je vous ai suffisamment habitués à voir les choses en termes de complémentarité, en termes de cooperation. La littérature française et la littérature haïtienne doivent rester dans l’enseignement haïtien, chacune avec sa fonction. »

Premier extrait

Je vous ai suffisamment habitués à voir la littérature haïtienne et la littérature française en termes de complémentarité. En étudiant le cénacle haïtien, je vous ai fait voir la dette de ce groupe envers le romantisme français encouragé en cela par les chefs de fil qui sont allés chercher leur dénomination même dans l’histoire du romantisme français. Avant d’étudier les parnassiens haïtiens : Edmond Laforest, Constantin Mayard, Seymour Pradel qui étaient anticipés sur le programme de littérature française et exposer pour vous la doctrine parnassienne telle qu’elle a été élaborée par Leconte de Lisle, j’ai souligné pour vous la dette d’Oswald Durand et de Massillon Coucou envers Victor Hugo. La littérature haïtienne et la littérature française ont chacune dans notre enseignement des fonctions bien précises et complémentaires, mais non exclusives. La nôtre nous aide à mieux nous connaître, à mieux apprécier notre identité culturelle en offrant notre admiration des créateurs, des penseurs qui sont de chez nous, à mieux connaître l’homme de notre milieu. Elle confirme des informations que nous avons déjà sur ce qui nous entoure. Elle soulève des problèmes qui nous intéressent dans l’immédiat. Elle met en oeuvre des situations qui nous touchent plus sûrement par l’effet de la connotation. Pour être plus anciennes, pour avoir connu un développement plus uni, pour avoir été l’oeuvre d’écrivains professionnels dont quelques-uns ont exercé leur art pendant 30 ans, 40 ans, 60 ans, la littérature française est plus apte à former notre goût, à nous donner le sens de la composition ordonnée. De plus, parce que des épopées du onzième siècle aux romans de François Mauriac, elle a été centrée sur l’étude de l’âme humaine parce qu’elle a constamment lié les situations particulières qui en constituaient le contenu au plus haut problème de la destinée humaine. Énigme de la destinée, inquiétude devant l’infini, elle est aussi plus apte à fortifier chez nous ce sens de l’humain sans lequel il n’y ait pas de développement qui vaille la peine.

Introduction à la lecture

Ce texte que je vais lire est un passage de l’Avant-Propos de mon livre Le problème linguistique haïtien. Je ne vous rappellerai pas le contenu de ce livre. Vous en jugerez même à la lecture de ce passage de l’Avant-Propos. 

Avant-Propos (extrait) du Problème linguistique haïtien

Pour moi, je tiens que tous les Haïtiens ont droit à l’épanouissement total dans leur communauté tout au moins, par le biais de toutes les ressources de la culture populaire. Comme les Albanais jouissent d’une vie matérielle, intellectuelle et spirituelle normale basée sur leur culture et leur langue nationales qui sont l’apanage de seulement 2.000.000 d’habitants. Comme les Norvégiens jouissent d’une vie matérielle, intellectuelle et spirituelle normale fondée sur leur culture et leur langue nationales qui sont le partage de seulement 4.000.000 de personnes.

Il y a de l’outrecuidance de la part des élites à croire qu’elles sont seules à faire l’histoire, parce qu’elles sont seules capables de l’écrire et de l’interpréter. En réalité, c’est le peuple tout entier qui fait l’histoire.

Les organismes internationaux de financement le savent bien : quand ils veulent calculer le P.I.B. d’un État, le diviseur qu’ils retiennent n’est pas le nombre de ceux qui sont riches du passé de tous les hommes, mais le nombre total des habitants du pays. Quand ils veulent classer un pays dans le concert des nations, ils ne se demandent pas combien de grands hommes il a fournis à l’humanité, mais quel est le niveau moyen de ses masses, quel est son taux d’analphabétisme, quel y est le taux de la mortalité infantile, quelle y est l’espérance de vie. L’examen des réponses à toutes ces questions nous a fait classer parmi les P.M.A.

Le patriote, qui souffre de cette situation d’autant plus qu’il s’est efforcé de jeter quelque lustre sur son pays, doit s’affermir dans la conviction qu’il n’y pas de sauvetage individuel au familial et que notre développement se fera sincèrement par la base et avec les ressources dont la base est porteuse ou il ne sera pas. En dehors de là, nous ne pouvons aboutir qu’à une croissance ou même une excroissance du sommet de la pyramide sociale avec un débordement sur l’extérieur. Que nous le voulions ou non, chaque Haïtien est responsable de tous les autres Haïtiens et la responsabilité de chacun est en proportion de ses ressources matérielles et culturelles. Vous n’arriverez pas à vous dissimuler votre responsabilité en vous isolant dans votre villa de Peggyville ou de la Montagne Noire, car les bidonvilles qui vous assiègent de près ou de loin sont là pour vous rappeler que votre réussite personnelle est précaire et pleine de périls. Vous ne vous y déroberez pas davantage en vous éloignant du pays, puisque les embarras que vous causent les différents consulats, les longues files d’attente, les regards inquisiteurs et soupçonneux des agents de l’Immigration de Pointe-à-Pitre, de Miami, de Montréal à la seule vue de votre passeport sont encore là pour vous rappeler que vous avez partie liée avec les boat people de la Floride, les briseurs de grève de la Martinique, et les immigrants de la Guyane.

Il est affligeant qu’on en soit encore à souligner ces évidences 55 ans après Ainsi parla l’Oncle et à 20 ans d’intervalle du second centenaire de l’indépendance d’Haïti. C’est à croire qu’en deux siècles près la fusion ne s’est pas opérée, dont le creuset de la nationalité haïtienne, entre les Ibos, les Congos, les Aradas, les Mondongues, les Mandingues, les Caplaous, les Haoussas, les Saintongeois, les Poitevins, les Angevins, les Normands, les Berrichons, etc. qui peuplèrent Saint-Domingue. Chaque famille, chaque clan est une nation dans la nation et même dans chaque groupe, chaque membre est une forteresse dressée contre les autres et contre lui-même.

Ce que je défends dans ce livre, c’est, par delà un vrai bilinguisme, l’unité et la solidarité nationale, sans quoi il n’y aura pas de vrai développement. Les obstacles à notre développement sont de deux sortes. Il y en a de matériels et il y en a d’humains. Les obstacles matériels, nous pouvons les vaincre par l’intelligence et la ténacité qui sont encore grandes chez nous. Mais les obstacles humains, les vieux démons de l’ambivalence, de l’égotisme, de la vanité, les aurons-nous bientôt exorcisés pour la réconciliation avec nous-mêmes et avec nos frères et soeurs ?

Pradel POMPILUS
29 mai 1983


Pradel PompilusPradel Pompilus (1914-2000) présente Le problème linguistique haïtien (extraits, vidéo).
Port-au-Prince (1992). 10:31 minutes. Île en île.
Mise en ligne sur YouTube le 14 novembre 2020.
Caméra : Jean-François Chalut.

Pradel Pompilus lit deux extraits de son oeuvre. Nous n’avons pas trouvé le premier. Le deuxième texte est un extrait de l’Avant-Propos de son essai, Le problème linguistique haïtien, publié pour la première fois aux Éditions Fardin à Port-au-Prince en 1985, pages 7 à 9.

Enregistrée à Port-au-Prince par Jean-François Chalut, la vidéo fait partie d’une série de films tournés en Haïti entre mars et mai 1992. Voir la liste complète des vidéos d’auteurs haïtiens de Jean-François Chalut.

© 1985 Pradel Pompilus (texte)
© 2020 Île en île (vidéo)


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mis en ligne : 14 novembre 2020 ; mis à jour : 5 janvier 2021