Patrick Chastel, le raconteur d’histoires (entretien)

Entretien avec l’auteur et les élèves du lycée professionnel privé Saint-Joseph de Outumaoro*

Irvin Tetihia: Nous avons pu constater dans votre curriculum vitae que vous avez beaucoup voyagé à travers le monde. D’où vous vient cette passion ?

Patrick Chastel: Cette passion des voyages me vient de mon enfance avec ce désir de découvrir d’autres langues, d’autres cultures et d’autres mondes qui m’inondait à chaque fois que je découvrais des cartes et des images du monde en cours de géographie.

Stephen Lai San: On sait que vous vivez en Polynésie Française depuis plus de 30 ans. Par quoi avez-vous été séduit ?

Patrick Chastel: Dès mon arrivée dans les années 1970, j’ai été séduit par les Polynésiens, par cette chaleur, leur simplicité et leur beauté. J’ai aussi été séduit par la beauté des paysages, les couleurs des îles, sans oublier le charme mythique des vahinés

Ludovic Ferber: Pourquoi avez-vous voulu devenir professeur ? Est-ce une vocation ?  

Patrick Chastel: Si j’ai voulu être enseignant, c’est grâce à mon professeur d’histoire et de géographie que j’ai eu en primaire, monsieur Bourguignon. Il avait une manière de dérouler l’histoire tout comme dans un film de cinéma. Nous avions l’impression d’y être ! Il faisait vivre l’histoire ! En bref, c’est lui qui m’a donné cette envie d’enseigner. J’ai d’ailleurs eu la chance de le rencontrer un jour à Paris et j’ai pu le remercier de m’avoir transmis cette passion.

Jorgi Mai: Que vous apporte le rôle de professeur dans votre travail d’écrivain ? 

Patrick Chastel: Le métier de professeur me donne beaucoup d’idées et me permet d’alimenter mes textes. Par exemple, Hitinui, Moana et Teahi, les trois héros de mon dernier livre pour enfants, Le marae du grand banian, sont des élèves que j’ai eus dans mes classes il y a quelques années. Par ailleurs, quand on enseigne, on s’efforce d’intéresser ses élèves pour qu’ils aient l’envie de revenir le lendemain ! Quand on écrit un roman, on s’efforce également d’intéresser le lecteur pour lui donner l’envie de passer à la page suivante. C’est donc un échange enrichissant pour l’un et pour l’autre.

Rahiti Buisson: Est-ce que étant jeune vous rêviez d’être écrivain ?

Patrick Chastel:  Je ne sais pas trop. Je ne m’en souviens plus. À ce propos, je vais vous raconter une petite histoire. En classe de cinquième, j’étais peu intéressé par les mathématiques. Pour me changer les idées, je tenais un cahier d’écriture avec mon voisin où nous écrivions à tour de rôle un chapitre. C’était très amusant !

Manutea Teriitahi: Qu’est-ce qui vous à donné l’envie d’écrire des livres ?

Patrick Chastel:  Je ne pense pas être un écrivain mais un raconteur d’histoires. En effet, lorsque ma fille était petite, elle me demandait de lui raconter une histoire presque tous les soirs avant de se coucher. Et chaque soir elle en voulait une nouvelle. Alors j’ai dû faire preuve de beaucoup d’imagination pour la combler ! Je pense que cette envie de raconter des histoires me vient de cette tendre époque de ma vie.

Hitinui Géros: Dans vos textes, on retrouve très souvent le thème des Marquises. D’ou vous vient cette fascination ?

Patrick Chastel: Cette fascination me vient de l’amour que je porte aux îles Marquises et à son peuple. Les Marquisiens ont une vie différente de la nôtre et une histoire fantastique. C’est un peuple à part, hors du commun. C’est dans la vallée de Taipivai à Nuku Hiva que je suis tombé amoureux de cette terre et de ce peuple. Seul, j’ai appris leur langue avec un petit carnet, en griffonnant des mots et des petits dessins. J’ai vite été accepté et mêlé à leur mode de vie. C’était vraiment intense à vivre.

Vérorai Graffe: Quelle épopée retracez-vous dans votre nouvelle « La Terre des Hommes ».

Patrick Chastel: Dans cette nouvelle, j’ai voulu raconter l’arrivée des hommes aux Marquises depuis les archipels plus à l’ouest. Une fantastique navigation qui s’est étalée pendant deux millénaires à l’aide des grandes pirogues doubles.

Teare Tupana: Que symbolise le titre de votre nouvelle « Un pont de pierre blanches »?

Patrick Chastel: Ce titre symbolise les étoiles qui guidaient les anciens Polynésiens pendant leur grand voyage. Dans cette nouvelle, les étoiles guident un missionnaire, qui a vécu près d’un demi-siècle aux Marquises, dans son ultime voyage en maison de retraite en Bretagne. C’est le cœur serré qu’il quitte cette terre qui est devenue la sienne. Cette histoire est d’ailleurs tirée d’une histoire vraie puisque j’ai rencontré ce missionnaire avant son grand départ.

Thierry Yeung Youk: Est-ce que la nouvelle « Incroyable comme le monde est petit » est tirée d’une histoire vraie ?

Patrick Chastel: Non, cette histoire je l’ai imaginée mais elle a sûrement été vécue par de nombreux métropolitains tombés amoureux d’une Polynésienne !

Thierry Yeung Youk: D’ou tirez-vous cette histoire sur la construction des îles Marquises ?

Patrick Chastel: Cette histoire sur la construction des îles Marquises que je raconte dans mon poème, je l’ai tirée de la vraie légende marquisienne. Chaque île symbolise un élément de la maison. Par exemple Ua Pou, l’île aux sept pics, symbolise les piliers de la maison.

Jean-Eric Tamarii: Pourquoi avez-vous choisi d’écrire cette légende sous la forme d’un poème ?

Patrick Chastel:  J’ai choisi d’écrire cette légende sous la forme d’un poème pour me faire plaisir. C’était pour moi l’occasion de faire un exercice de style. En effet, c’est un « ‘orero » en alexandrin ! J’ai donc cherché à mélanger deux formes poétiques : la forme poétique du « ‘orero », ou long poème récité par les « haere po » dans les Temps anciens, et celle de la poésie classique du XVIIème siècle.

Cyril Tuhiti: Dans la cinquième strophe du poème intitulé « Te Haakakai o te fenua enata », il est écrit : « Eiao crie-t-elle, les dieux nous favorisent ». Pouvez-vous nous précisez qui sont ces dieux ? 

Patrick Chastel: Ce sont des dieux marquisiens. À cette époque, les Marquisiens avaient une religion polythéiste. Il y avait un dieu pour tout.

Teare Tupana: Dans un article publié dans le Tahiti Pacifique de mai 2001, intitulé « Hey Brad, dis pai un peu, c’est quoi ton reo top ? », vous vous préoccupez de l’avenir de la langue tahitienne. Pourquoi est-ce important pour vous de la défendre ?

Patrick Chastel: Pour moi, c’est important de défendre la langue tahitienne car c’est le tronc, les racines de la civilisation tahitienne. C’est le « tumu maohi ». Or la langue tahitienne est en train de disparaître petit à petit car les jeunes mélangent les langues tahitienne, française, anglaise, etc. Ailleurs, c’est le créole. Ici c’est ce que l’on appelle le « charabia local ».

– 13 avril 2006


* Cet entretien avec Patrick Chastel a été préparé pour Île en île par les élèves de BEP Électrotechnique de 1ère année du lycée professionnel privé Saint-Joseph de Outumaoro. Propos recueillis par Jason Mathieu.

© 2006 Île en île


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mis en ligne : 30 mai 2006 ; mis à jour : 21 octobre 2020