Roger Parsemain

Roger Parsemain

photo © Marie-Claire Angèle Parsemain
à l’embouchure de la Rivière-Pilote, le 22 septembre 2018

Roger Parsemain est né le 20 novembre 1944 dans la commune du François (Martinique). En primaire, il rafle bien des Prix d’excellence et plus tard, il étudie au centre littéraire de Guadeloupe avant de retourner enseigner les Lettres, l’histoire et la géographie en Martinique de 1965 à 2002. Il aura eu comme professeur Xavier Orville et condisciple, Vincent Placoly, deux autres grands écrivains martiniquais.

Avide lectrice, récitant à ses enfants des poèmes – les fameuses récitations – qu’elle avait appris à l’école, sa mère lui transmet l’amour des lettres, du mot et du livre. Enfant, la découverte des premiers mots dans un livre de géographie des années vingt parlant de l’Afrique, de la Chine et affichant des images des « quatre races » – comme cela était présenté à l’époque – lui procure le goût de l’écrit. Pour l’enfant qu’il est, l’écrit donne au monde un aspect magique.

Il s’est exercé à écrire des « poésies » à partir du Cours Moyen 1. Devant la qualité d’une rédaction qu’il avait composée sur la réalisation d’une salade de laitue, son maître, Monsieur Planet, l’avait fait lire par toutes les maîtresses et tous les maîtres de l’école. Au Cours Moyen 2, son maître, Monsieur Marie-Catherine, fut enchanté de ses poèmes. Un autre maître d’école, Monsieur de Fabrique-Saint-Tours, petit béké qui avait épousé une femme dite de couleur, utilisa le créole pour « débloquer » parole et confiance, au début des années 1950, chez des garçons de milieux créolophones, quasiment muets en classe, donc en panique et résignation précoce. Ils purent « faire leur chemin ». Ces influences lui activèrent le terreau de la création littéraire et de son être au monde.

Sa pratique de l’écriture fut toutefois précédée d’un processus de maturation par la lecture à commencer par celle d’une version pour enfants de Les trois mousquetaires d’Alexandre Dumas. S’ajouta, au lycée, l’œuvre de Michel Zévaco avec les Pardaillan. C’est là qu’il saisit le sens du héros-hidalgo qu’il explore à travers son recueil de poèmes L’Hidalgo des campêches. L’exceptionnel sens de l’honneur et de la parole donnée de ces héros démunis l’a toujours frappé. Le rapprochement de cette figure de l’hidalgo avec celle de son père, et plus généralement avec certains Martiniquais, s’en trouva logique. Il en est de même pour la correspondance entre hidalgo et Campêche, ou « Bois de Campêche » (Haematoxylum campechianum), espèce rustique des forêts sèches de l’Amérique tropicale.

L’individu Hidalgo des campêches ne confond pas essentiel et superflu. Posséderait-il tout l’avoir matériel que cela ne déterminera pas son être.

« Celui qui possède tous les chevaux ne les compte pas. Il sera l’Hidalgo des Campêches ». (L’Hidalgo des Campêches, 3).

Son sens du discernement et d’éthique lui permettra d’ailleurs de choisir d’être Hidalgo des campêches. Pour Roger Parsemain, son père, Théodore Parsemain, était un hidalgo des campêches. Alors qu’il était matériellement humble, ce dernier se considérait comme « aristocrate », mais non « konparézon » au sens martiniquais du terme désignant le mépris des parvenus arrogants. Théodore avait redéfini les termes « aristocrate » et « konparézon », estimant que l’Être prime sur l’Avoir ; de quoi déterminer l’aristocratie vraie. Il disait que l’aristocrate ainsi défini reçoit et parle au dernier manant de la même manière qu’il reçoit et parle aux premiers des pourvus. Il croyait aux idées promouvant la justice, l’équité et la défense des humbles contre ceux qui les exploitaient. Pour lui, du fait de ces idées humanistes, il se disait « aristocrate » ; ce qui le conduisit de fait à devenir communiste. Roger Parsemain retrouvait son chevalier Pardaillan de Michel Zévaco. En conclusion, son père n’était pas un « konparézon ». L’aristocrate ? Un être se respectant suffisamment pour respecter, tout naturellement, chaque humain. Son père répétait, « Pèsonn pa konnèt sa ki an vré aristokrat » (« la plupart des gens ignore ce qu’est un vrai aristocrate »).

Dans l’adolescence, Roger Parsemain apprend Apollinaire, Laforgue, se passionne pour Prévert, García Lorca, Maïakovsky et découvre les poètes de la Négritude avec l’Anthologie de la nouvelle poésie nègre et malgache de Senghor. En lui, ce ne seront pas des voies de refus, mais des « chemins inondés ». De quoi, alors, l’hidalgo, l’aristocrate vrai, peut-il être riche ? L’expression s’accomplira en titre de son recueil, soixante ans plus tard, Les chemins inondés, en 2003.

Par ailleurs, Roger Parsemain demeure l’adepte et pratiquant d’une agriculture traditionnelle de subsistance. Depuis la prime adolescence, il participe à la vie associative de sa ville, pour la culture et le sport. L’ouverture, pour lui, est essentielle. Par exemple, conseiller municipal, il défend et contribue à la création d’un club de tennis refusant d’admettre comme certains l’affirmaient, que ce serait un sport réservé aux notables et personnes aisées. Il participe, avec des amis d’autres localités, aux premiers pas de la Ligue de hand-ball de la Martinique vers la fin des années soixante. Plus récemment, il s’intéressa à la généalogie avec des amis de l’AMARHISFA (Association Martiniquaise de Recherches pour l’Histoire des Familles). Ces expériences, relationnelles et empathiques, le confortent et impulsent encore son chemin de pensée et d’écriture.

Toutes ces influences culturelles et politiques, depuis sa mère, ses maîtres d’école, son père, ses rencontres et ses lectures, ont forgé l’écriture de Roger Parsemain. D’ailleurs, Prières chaudes, sa première œuvre publiée aux Éditions Caribéennes en 1982, porte les traces de ces influences. Georges Mérida, préfacier de Prières Chaudes, note pour le long poème de « Litanies pour un Canal », que « se dégage de cette poésie la turbulence d’un esprit nerveux, inquiet, sûr de sa vision, mais maniant les mots avec une fébrilité que dément mal une langue soucieuse d’amplitude et quelquefois de solennité, avec l’évocation de ces humbles pêcheurs de son enfance, logeant dans les taudis au bord des marécages, des fanges sombres du bourg et partant chaque jour pour le grand large, bleu et lumineux »(8).

Il y perçoit « un sens peu commun du tragique » :

Comment surprendre la voix des hommes qui ne parlent pas ?
Peut-on parler lorsque l’on côtoie tour à tour le réduit sordide des cases aux bords des miasmes et les abysses sans horizon et sans fonds du ciel et de l’océan ?
L’eau dévoilera-t-elle les messages quotidiens de ces muscles cassés, de ces fronts cymbales du soleil ? (Prières chaudes, 60)

Prières chaudes est la deuxième publication des Éditions Caribéennes après Nostrom de Monchoachi. Roger Parsemain avait écrit à Jacques Corzani, son ancien professeur, qu’il était conscient de publier pour la première fois à un âge tardif, c’est-à-dire à 38 ans en 1982. Jacques Corzani avait répondu que cela était en réalité l’âge de la maturité et qu’il ne relevait pas dans Prières chaudes de « tics césairiens ». René Ménil, philosophe martiniquais, l’avait vivement invité à publier et, lors de la parution, dans un numéro du Naïf, Patrick Chamoiseau apprécia une voix se dégageant, selon lui, de l’ombre évoquée par le professeur Corzani. Patrick Chamoiseau n’avait pas encore publié Chronique des sept misères, son premier roman.

Les influences ayant forgé l’écriture de Roger Parsemain se retrouvent également dans son recueil de nouvelles, Les campêches s’ennuient publié aux Éditions Long Cours en 2020. En effet, la magie de l’enfance et les influences successives opèrent dans le merveilleux de « Le démon pleure ». En fait, dans les onze récits, la narration, le quotidien, les « gens » eux-mêmes, « tout moun-an », le décor avec ses moindres éléments, s’animent, transfigurés dans une irrépressible poésie. Le cas du « Citronnier », témoin méticuleux et vrai chroniqueur des évènements, l’atteste. L’histoire se déroule dans des lieux d’enfance et d’adolescence de l’auteur avec un clin d’œil à un livre de prix de sa cousine Céline Rosette : Trois étoiles filantes de Léonce Bourliaguet (Roger Parsemain avait huit ans), cité en exergue du récit.

– Hanétha Vété-Congolo


Oeuvres principales:

Poésie:

  • Prières chaudes, suivi de Litanies pour un Canal. Paris: Éditions Caribéennes, 1982.
  • Ma ville fervente. Champs d’archipel. Paris: Éditions Caribéennes, 1984.
  • L’Hidalgo des campêches. Paris: Hatier, 1986.
  • Reliquaires des songes, suivis de Les cendres du Phénix. Dakar: Nouvelles du Sud, 1992.
  • Désordre ingénu. Paris: L’Harmattan, 1995.
  • Les chemins inondés. Yaoundé: Silex/Nouvelles du Sud, 2003.
  • L’œuvre des volcans. Paris: L’Harmattan, 2009.

Poésie pour la peinture:

Roger Parsemain a écrit pour des plasticiens, dont Victor Anicet (Martinique), L’eau amérindienne, inédit et Louise Prescott (Canada), dont l’œuvre lui inspira Les chemins inondés. Le travail de Valérie John (Martinique) lui fut souvent déclencheur.

  • Pastels Martinique: Le voyage immobile, du peintre ardéchois Vincent Balaÿ. Fort de France: Éditions Exbrayat, 1987.
  • Sur/Sud, recueil bilingue espagnol/français, pour Yuli Moncion et ses tableaux « Entorno de la lluvia et autres, 1991-1992 ». Santo Domingo: Museo de las Casas Reales, 2002.
  • Estremecimiento dominicano, 10 poèmes en langue espagnol pour expositions et catalogues de la plasticienne dominicaine, Luz Severino.  Fort de France: Villa Chanteclerc / Santo Domingo: Museo de las Casas Reales, mars 2002.
  • Atelier(s), tableaux et planches de Valérie John, textes poétiques de Roger Parsemain. Réalisé et édité par Hughes Jean-Louis. Le François (Martinique): Startraiteur, 2005.

Récits et nouvelles:

  • Il chantait des boléros. Petit-Bourg, Guadeloupe: Ibis rouge, 1999.
  • L’absence du destin. Paris: L’Harmattan, 1993.
  • Les campêches s’ennuient. Le Gosier: Éditions Long Cours, 2020.

Essai:

  • Du passage des Indiens au François. Première édition (brochure) réalisée par L’Amicale du Crédit Artisanal de la Martinique, 1987 (Reprise par la Ville du François en 2003).

Sur l’oeuvre de Roger Parsemain:

  • Chamoiseau, Patrick. « Prières Chaudes ». Le Naïf 397 (octobre 1982).
  • Fardin, Liliane. 12 poètes antillais contemporains. Rennes: Éditions Les Perséides, 2008: 95-103.
  • Kunio, Tsunekawa. Poètes créoles, tome 2 (textes traduits en japonais). Tokyo: Shichōsha, 2018: 320-333.
  • Mansfield, Eric. « Roger Parsemain: une poésie éco-environnementale ». La symbolique du regard: Regardants et regardés dans la poésie antillaise d’expression française (Martinique, Guadeloupe, Guyane, 1945-1982). Paris: Éditions Publibook Université, 2006: 414-422.
  • Prudent, Lambert-Félix. « Présentation de Prières chaudes ». Antilla 29 (1er novembre 1982).
  • Vété-Congolo, Hanétha. « Pour la Martinique : le François et le wach de l’arrière-pays » (Postface). Les campêches s’ennuient, par Roger Parsemain. Le Gosier: Éditions Long Cours, 2020: 291-313.

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Dossier Roger Parsemain préparé par Hanétha Vété-Congolo

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mis en ligne : 28 décembre 2020 ; mis à jour : 28 décembre 2020