Monchoachi, Lémistè (Deux poèmes du recueil)

La beauté noire

Et là ils sont dans les nuages
               Errent les enfants
                    comme cheins fous au gré des vents
                         dans les tourbillons et les turbulences du vent
          Sans rame, sans voile, sans barre, sans mire
               Seuls amers les constellations d'étoiles
                    Seuls paysages
                         des nuages la teinture fugace.
Lors le criquet divinò poussa sa délirante stridente
     Nuages percés vers le bas
          tombées les eaux du ciel      en-bas
               et au dessus du trou
                    nimbés d'un vert guère comme les nuages
                         raides penchés ils virent :

                    Un la-chai' délectable, ils virent
                    (Pas une chair, un la-chai, entendez-le, un sacré la-chai', ouaille !)
                    Splendeur insoupçonnée en-bas là
                         Fèves et miel,
                         Piments et boissons enivrantes
                         Et des oiseaux oranges dans l'air vert
                         Et des oiseaux rouges, et des oiseaux diaprés
                              Et des poissons misant leurs belles lumières
                                   dans les cavernes de la mer
                              Et des poissons rares
                              Avec les belles arêtes qui font les belles parures
                         Et des fleurs, doux-Jésis !
                                             Des fleurs comme tellement les enfants
                                        Ne peuvent en voir sans laisser éclater leur joie
                                                  Sans lasser les cueillir
                                                  Les tresser et les offrir
                                             Des néfliers, des baumes camphrés
                                                       Des amarantes roses
                                             Des fuchsias-montagne aux pétales laineux
                                             Des bégonias, des grappes drues d'amanoa

Et ils crièrent et dansèrent de joie
     Et on les envoya demeurer sur terre
     On les chassa avec des bourrades
          Pour qu'ils ne reviennent pas mélanger les lignages

               Et l'un derrière l'autre à la file ils coulissent vers le sol
Et là ils foulent,
                         Ils pressent la terre en ses teintures
                         dégraisseurs d'étoffes en leurs teintures
Et les oppresse là-même
                    Là même tout aussitôt les oppresse la beauté noire.

La fille à la calebasse

« Puis avons tous bu, puisant dans la coupe
Avec nos mains ou un coquillage,
Suçant des cailloux ou des os,
Les serrant ensuite à notre cœur pour nous rendre forts.
Avons gardé la médecine forte et amère
                         dans nos bouches
Avons pris un morceau d'argile »

Lui, parle de la sorte : « Écoute mes paroles.
Ne mange pas seul à tes repas, mais fais venir des gens
Et partage ce que tu as »
(Conmèce grand-moun longtemps).
Alors quand vient un homme pieds nus
Quand vient surgir un homme qui marche,
Quand vient paraître un homme
couvert rhades piècetés
Sur la tête chapeau paille en filangue,
                         chapeau noir de fumée et de crasse,
noir de la patine
                         noir des concrétions

Alors ils baissent leur corps jusque terre
                         alors ils flétrissent leur corps
S'inclinent et se rabaissent
                         alors devant lui ils mangent la terre
donnent un beau à ses pieds nus
Puis mettant leur corps debout,
passent à son cou colliers
guirlandes de fleurs
colliers d'hélianthes et de magnolias,
                         colliers plusieurs rangées
colliers nattés
                         colliers en plumes tressées
Le couvrent ainsi de fleurs
               le couronnent de fleurs

Et les femmes arrachent leurs parures pour l'en vêtir
Garnissent ses doigts de bagues
Ornent ses oreilles
Lissent ses cheveux et les embaument

Et elles crient, elles s'écrient, elles s'exclament, elles s'étonnent
Elles s'émerveillent, elles restent bèbè

Et, parmi, y' en a un qui dit en chantant : « Sois le bienvenu, frère.
Viens manger un peu, puisque tu es passé devant notre maison
et que tu as faim,
Assurément tu dois manger.
Restez ici, assise vot' corps
                         pose vot' sang »
Et on lui donne à manger,
on lui porte à manger toutes qualtés :
Paniers gâteaux galettes manioc galettes maïs
                         bol sang caillé bouc
Toutes sortes viandes : dindes et zoeufs dindes poules cabrites
Toutes sortes fruits : sapotilles jaunes prines, griyaves
figues-pommes jujubes caroubes
Et à boire bons rafraichis sirop l'orgeat
Sirop l'anis laloë.

Et il mange puis il se lave les doigts.
Et disant qu'il a bien mangé, il dit comme ça :
« J'ai bien mangé, frère. Je désire me préparer à partir. »
Et on lui répond : « Va sans crainte, frère. Tu es venu chez nous
          j'ai honte de la nourriture que je t'ai donnée. »

Et un à un, tous viennent le saluer tour à tour
les vieillards les premiers,
viennent au devant de lui,
viennent le voir
les vieillards douvant-douvant
Tous devant lui placent leurs corps rangés
Devant lui frottent leurs lèvres de farine
          Et ils soufflent trois fois vers l'Est.
Et ils lui demandent de discourir
Faire un causement tout simplement,
un laudience
« Tout simplement voyez et envoyez »
Et il dit, il déclare, il indique, il raconte,
il dépose en leur cœur
Un petit maintenant      un petit message
Une petite offrande      une petite fumée
« Quoi que ce soit, de quelque façon que ce soit,
nous en serons émerveillés »

« …ET ELLE TOMBA BLIP À TERRE SUR LE DOS, SON CORPS GONFLA LA-MÊME
ET DE SES SEINS SORTIRENT DES COURS D'EAU QUI FORMÈRENT UN LAC ».

Et après ça, ils vont pour dire, ils parlent pour lui dire,
ils disent
ils veulent l'entendre
tout simplement,
seulement écouter le bruit de sa voix
tout simplement,
une petite fleur de montagne      un petit oiseau bleu
une petite rosée
« Quoi que ce soit, de quelque façon que ce soit,
nous en serons émerveillés »

« …ET IL OTA LES HUIT CORDES DE JONC QUI COUVRAIENT SA POITRINE
ET IL PRIT LA FORME D'UN POISSON POUR S'INTRODUIRE DANS LA CALEBASSE
QUE LA JEUNE FILLE REMPLISSAIT D'EAU À LA RIVIÈRE »,

Il dit, il raconte, il dépose en leur cœur.

Ainsi l'offrande dispose la parole,
Et la parole est offrande portée dans le ventre fertile
comme telle la vie naissante
Portée devant ce qui est devant
               et jetée bouler à côté      craps

               comme un coute zos monté 

Et l'on donne à manger aux mendiants
Comme on donne à manger aux dieux.

Ces deux poèmes de Monchoachi, « La beauté noire » et « La fille à la calebasse » sont extraits du recueil Lémistè, publié à Bussy-le-Repos (France) chez Obsidiane en 2012. « La beauté noire » est tirée de la partie « Les Voluptés » (pages 129 à 132) et « La fille à la calebasse » de la partie « Les pieds poudrés » (pages 129 à 132). Ils sont reproduits sur Île en île avec la permission de l’auteur.

© 2012 Monchoachi


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mis en ligne : 11 février 2013 ; mis à jour : 26 octobre 2020