Mohamed Toihiri, « La femme et le repas familial »

Ce passage est choisi pour les lecteurs d’ « île en île » pour montrer comment l’auteur décrit avec ironie la condition de la majorité des femmes comoreinnes.

(extrait du Kafir du Karthala)

     Kassabou avait préparé pour midi, du coeur de palmier en entrée, un plat de riz à la sauce poulet-coco avec du matapa. Le tout accompagné de rougaille ayant pour pricipale vertu d’enflammer la bouche. Comme boisson il y avait du jus de corrossol, de l’eau, et du coca. Un plateau de fruits trônait sur la table basse. On y trouvait des goyaves, des mangues-boutons, des oranges, des litchis, un ananas et une imposante papaye.

Lafüza, Kassabou, Issa et Idi se mirent à table. La présence de Issa ne mit personne mal à l’aise. Dans ce pays, il y a toujours une assiète pour le visiteur inattendu. Par contre Issa, lui, trouvait étrange la présence de Lafüza et de kassabou à table. Elle constituait une atteinte aux us et coutumes comoriens. De la provocation. La place des femmes est à la cuisine. C’est leur monde. Monde qui est bien sûr interdit aux hommes, sauf aux garçons de moins de douze ans à la sexualité encore en sommeil. La cuisine et la place qui sépare cette dernière du salon constituent leur royaume. Elles y cuisent, y cousent kandus et koffias, y pilent matapa et riz. Elles y reçoivent amies et parentes.

Là elles peuvent à loisir cancanner, caqueter, papoter, pépier, piailler et ragoter. Elles donnent libre cours à leur fertile imagiantion: elles surprennent, mais seulement par leur sagace imagination, des jeunes filles dans les vallas; celles-ci sont déflorées, mises enceintes, toujours par la vigoureuse imagination des commères; elles y décident de faire divorcer tel couple, de marier tel autre; elles affublent untel d’une maladie honteuse ou incurable. C’est là que naissent ces chants spontanés, redoutés comme la peste par les rivales.

Il est certes pemis à la femmes de faire quelques apparitions dans la salle de séjour, mais pour servir l’homme, pour desservir, ou pour recevoir un ordre. Et voilà qu’avec cette nouvelles génération, surtout ceux ayant séjourné chez les Wazungus, on voit des jeunes femmes pousser l’audace jusqu’à recevoir des visiteurs dans la salle de séjour, aller même jusqu’à s’asseoir sur une chaise ou un fauteuil, converser avec des hommes et les regarder dans les yeux, ce sans bwibwi, ni lesso, ni chiromani. Et Idi qui pousse le uzungu jusqu’à manger avec la sienne et à donner le mauvais exemple à cette petite Lafüza. Une femme manger avec un homme! Mais où va le monde mon Dieu! Sub Hana Lwah! Une femme qui montre impudiquement sa bouche mastiquant à un homme! Ne sait-elle pas que cette bouche supérieure est le miroir de la bouche inférieure?

Une femme qui ne se contente pas de manger dans la marmite à la cuisine avec sa fille, sa mère, ses soeurs et ses cousines? Vous vous rendez compte qu’il y en a qui osent se servir de la viande ou du poisson! Quelle impudeur! Il n’y a pas de doute nous vivons le dernier ds mondes. Asta Firou Lwah!


« La femme et le repas familial » est un extrait du roman de Mohamed Toihiri, Le Kafir du Karthala, publié pour le première fois aux éditions L’Harmattan à Paris (1992, pages 73-75).
© 1992 Mohamed Toihiri


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mis en ligne : 14 avril 2003 ; mis à jour : 26 octobre 2020