Mayotte Capécia, La négresse blanche

France Hebdo, Mayotte Capécia Lucia

France-Hebdo, nº de 1949 
Cliquez pour voir l’image en grand format

par Christiane Makward

« L’Amour de Lucia » (chapitre trois)

«L’Amour de Lucia» est le troisième chapitre de La Négresse blanche. Il parut en 1949, en tant que nouvelle, dans le magazine France-Hebdo, avant la publication du second roman. Je le présente ici pour les illustrations de Guillemin. Je souligne que mes conclusions de Mayotte Capécia ou l’aliénation selon Fanon sont que des «nègres» blancs (des scribes), amis de Mayotte Capécia, l’ont aidée à rédiger ses livres en s’appuyant sur ses souvenirs et en inventant aussi divers épisodes. L’anecdote présentée dans ce chapitre est toutefois authentique.

     Les protagonistes sont Isaure, la «négresse blanche» qui tient un bar où elle ne sert que des officiers de marine, sa servante Lucia et un jeune enseigne qui lui fait blanchir son linge. Il s’agit de la tentative de séduction de du Taillant par la jeune domestique d’Isaure, que la chasteté du jeune officier blanc émerveille: «Lucia était du type africain le plus pur. Elle avait de grosses lèvres, le nez épaté, les cheveux crépus et la peau d’un noir tout brillant. Elle était belle à sa façon, se distinguant de tous les demi-blancs et demi-noirs qui forment le fond de la population de la Martinique. Depuis ses lointains ancêtres importés par les négriers, du temps du Père Labbat, il ne devait y avoir eu aucun croisement dans son ascendance. Aucune goutte de sang blanc. Avec sa mentalité d’esclave, elle était dévouée corps et âme à Isaure» (36). En passant par la cuisine on apprend à faire le calalou [sic.] et le court-bouillon. Isaure elle-même, malgré sa passion pour Daniel, n’est pas insensible au charme de du Taillant qui semble appartenir à un autre monde et dont elle est le seul contact avec la population locale. Isaure sent qu’elle exerce sur lui un certain attrait ce qui n’est pas le cas de sa servante, sidérée par le puceau: «Le fait que du Taillant restât fidèle à une femme avec qui il n’avait même pas couché lui semblait digne d’une extraordinaire admiration» (35). Lucia ayant échoué dans sa tentative de séduction (elle attend, nue sur un lit d’apparat, un lieutenant qui ne vient pas), Isaure va jusqu’à plaider sa cause, car il ne faut pas que sa servante tombe malade d’amour! La situation tourne au vaudeville. Cependant du Taillant invite Isaure à un bal au Lido, bonne occasion pour lui faire préciser «Mais vous n’êtes pas noire, Isaure, vous êtes à peine métisse, vous avez la peau presque blanche. Dans quelques années, quand vous aurez gagné des millions avec votre bar, vous vous ferez construire une maison sur le plateau Didier et vous passerez pour une créole» (44). Isaure manifeste alors son côté «noir» et son mépris pour les békés goyave: elle refuse l’invitation. Survient son frère, qui est « blanc » tout en lui ressemblant: il est venu lui emprunter de l’argent, occasion pour Isaure d’affirmer son indépendance et sa désapprobation des expédients (marché noir) dont vit ce frère.

– Christiane Makward


Cette présentation de La négresse blanche de Mayotte Capécia a été publiée pour la première fois dans Mayotte Capécia ou l’aliénation selon Fanon de Christiane Makward (Paris: Karthala, 1999), pages 80-81.

© 1999, Christiane Makward


Retour:

/mayotte-capecia-la-negresse-blanche/

mis en ligne : 7 janvier 2003 ; mis à jour : 29 octobre 2020