Dr. Louis Mars, Introduction à l’ethnopsychiatrie (Préface)


Le « père » de l’ethnopsychiatrie, Dr. Louis Mars (1906-2000) lit la préface de son essai de 1954, Introduction à l’ethnopsychiatrie. Vidéo de six minutes filmée à Port-au-Prince en 1992 par Jean-François Chalut.


Aujourd’hui, je livre un nouvel* ouvrage au public, Introduction à l’ethnopsychiatrie.

Introduction à l’ethnopsychiatrie

(Préface)

De mon expérience médicale et de mes études sociales, j’ai voulu extraire l’essentiel et en interpréter la matière ductile et ondoyante. De mes enquêtes sur les croyances populaires animistes en Haïti, j’ai cru tirer des éléments d’appréciation sur un sujet qui passionne à l’heure actuelle les anthropologues sociaux du monde entier : les rapports de la culture et personnalité, de la culture et des maladies mentales. Il m’a fallu traiter du vaudou, c’est-à-dire, de l’institution focale qui oriente en Haïti la culture des masses rurales et suburbaines. À de nombreux lecteurs étrangers, ce terme rappellera les plus grossières superstitions d’un peuple nègre isolé dans la mer des Caraïbes. Chez un certain nombre de lecteurs haïtiens, ce terme réveillera d’indicibles souffrances morales nées de la honte d’appartenir à cette petite communauté antillaise où se perpétue jusqu’en ce moment des coutumes et des moeurs originaires d’Afrique. Aux uns et aux autres, il est inutile de faire remarquer que le terme « vaudou » qui les horrifie traduit sous une forme animiste un sentiment religieux élémentaire issue de l’inquiétude de l’homme devant l’inconnaissable. Non pas « la pratique de la magie noire » comme le répètent à satiété calomniateurs et ignorants. 

Il a été nécessaire d’en parler parce que ces croyances animistes font partie de l’architecture de la personnalité et en affectent la trame intime par l’intermédiaire du mécanisme de la possession. Il m’a fallu traiter de la possession d’un point de vue nouveau. La possession est un phénomène universel. Connue en Europe depuis la plus vieille Antiquité, médecins et ethnologues l’ont considérée plutôt comme un fait pathologique tant sous sa forme individuelle que collective. Rencontrée également en Asie et en Afrique, elle a gardé cette même étiquette, autant de possédés, autant de malades mentaux et tous ces peuples seraient la proie permanente de l’hystérie collective d’après la conception strictement occidentale. 

Et si la vérité était tout autre ? Résolument, j’ai pris la décision d’étudier la possession en liaison avec son contexte culturel. J’ai fait de même pour nombre de maladies mentales en Haïti. Il en est résulté une nouvelle approche du fait psychologique normal et pathologique qui cesse de ressembler à une copistologie congelée dans de la paraffine. 

Examiné un peu avec le concours d’un instrument nouveau, l’ethnopsychiatrie, le fait en question demeure un produit vivant parce que nous le saisissons encore plongé dans la chaleur des relations humaines. S’il faut toutefois saisir dans le concept de relations humaines un équivalent de celui d’interaction humaine et de relations sociales, c’est-à-dire, le rapport par lequel les individus s’influencent mutuellement quant à leur conduite et leurs états intellectuels et psychiques, dans le cadre de structures sociales qui sont elles-mêmes en état d’interaction entre elles et avec les consciences humaines. 

Aujourd’hui, nous faisons le dépôt d’une partie de nos pièces, celles qui ont pu être dépouillées. Peut-être ne suffisent-elles pas à convaincre bien des scientifiques. Cependant, si elles pouvaient se joindre à un grand nombre de documents recueillis par des ethnologues, des médecins et des psychanalystes pour persuader les uns et les autres de l’urgente nécessité d’étudier la psychologie des peuples non occidentaux en tenant compte de l’originalité de leur culture, nous n’aurions pas perdu notre temps.  


* Dans cet enregistrement de 1992, le Docteur Louis Price Mars parle d’un « nouvel ouvrage ». Nous n’avons pu retrouver l’ouvrage en question dont il lit la préface. (Le texte ci-dessus est une transcription faite à partir de la vidéo.) S’agit-il d’une réédition de l’Introduction à l’ethnopsychiatrie, publiée d’abord en 1954 ?

N.B. Dr. Louis P. Mars est le fils de l’ethnologue Jean Price-Mars, beau-père de l’écrivaine Kettly Mars et grand-père de l’artiste Tessa Mars.


Dr. Louis Mars

Docteur Louis Mars, Introduction à l’ethnopsychiatrie, publiée pour la première fois à Port-au-Prince en 1954 dans le Bulletin de l’Association Médicale haïtienne, Volume 6, nº 2 (84 pages).
© 1954 Louis Mars ; © 2020 Île en île pour la vidéo.

Enregistré à Port-au-Prince par Jean-François Chalut, la vidéo fait partie d’une série de films tournés en Haïti entre mars et mai 1992. Voir la liste complète des vidéos d’auteurs haïtiens de Jean-François Chalut.


Retour:

/mars-louis_ethnopsychiatrie/

mis en ligne : 26 novembre 2020 ; mis à jour : 26 novembre 2020