Margaret Papillon, 5 Questions pour Île en île


La romancière Margaret Papillon répond aux 5 Questions pour Île en île.

Entretien de 35 minutes réalisé à Miami Beach le 11 janvier 2011 par Thomas C. Spear.
Caméra : Emmanuel J. Duogène.

Notes de transcription (ci-dessous) : Ségolène Lavaud.

Dossier présentant l’auteure sur Île en île : Margaret Papillon.

début – Mes influences
08:22 – Mon quartier
11:53 – Mon enfance
14:40 – Mon oeuvre
31:28 – L’insularité


Mes influences

Margaret Papillon se dit avoir été fortement influencée d’abord par Alexandre Dumas (Les trois mousquetaires, Le Comte de Monte-Cristo…), dont elle rappelle les origines haïtienne et particulièrement jérémienne, dont elle est originaire. Qu’elle associe à Victor Hugo disant « je serai Chateaubriand ou rien », elle déclare « je serai Alexandre Dumas ou rien ». Elle est sensible à leur angle politique. Elle a lu beaucoup d’auteurs haïtiens: René Depestre, Jacques-Stephen Alexis, Jacques Roumain, Gary Victor, Lyonel Trouillot, Jean Metellus. Elle est passionnée par la lecture en osmose avec sa mère aussi grande lectrice.

Elle raconte une anecdote qui l’a marquée : encore écolière, son professeur de littérature notait ses dissertations 2,5 sur 10. Un jour, elle a recopié un texte d’un auteur célèbre et le lui a soumis, elle a eu 0/10. Elle n’a pu s’empêcher de lui déclarer « vous venez de mettre un zéro à Victor Hugo » ! Depuis, quand elle a des doutes, cela la rassure. « Victor Hugo a eu zéro, toi, tu as eu 2,50 ».

Elle a commencé à écrire à 13 ans. Élève très volubile, elle était intarissable. Le professeur ne la voyant pas écrire pendant un cours, lui demande de venir lire son travail à « haute voix ». Margaret s’exécute sans aucun problème, elle invente au fur et à mesure, encouragée par le professeur. Demandant à voir le cahier, l’enseignant stupéfait constate qu’elle a improvisé son discours oral spontanément. Ce non-devoir fut noté 9,5/10 ; un 10/10 aurait demandé des justifications auprès de la direction ! Cela lui a donné une grande confiance et elle affronte des conférences avec des improvisions en public de plus de trois heures sans aucune appréhension.

Mon quartier

Babiole à Pacot, fut son premier quartier. Le Gingerbread de sa grand-mère. Elle y fut heureuse et se remémore les messes dominicales au Sacré-Cœur, les jeux de billes avec cousins et voisins. Ensuite la famille s’installe au Canapé-Vert, quartier magnifique également, mais cependant reste attachée à Babiole où ils allaient chaque week-end, et entendaient les cloches de l’église, souvenir impérissable qu’elle répercute dans son écriture.

Dorénavant, elle habite à Cutler Bay dans la région de Miami près d’un lac superbe, à la riche végétation et aux multitudes d’oiseaux. Elle y joue ponctuellement au tennis, et écrit dans cette ambiance paisible. Sa chambre ouvre sur le lac et bénéficie d’une superbe vue peuplée de canards sur l’eau… très romantique. Des enfants s’amusent sur une petite plage de sable blanc qui lui rappellent Haïti.

Mon enfance

Quoique née sous la dictature de Duvalier, son enfance fut très heureuse. Père mélomane et mère pianiste classique, elle a grandi dans une ambiance musicale. Sa mère grande lectrice lui disputait la priorité de découverte de nouveaux livres ; parfois côte à côte, elles les lisaient en même temps.

Pendant la dictature les fouilles des maisons étaient fréquentes, cherchant des livres sur le communisme – et prétextes à sévices, emprisonnement… Elle se souvient de son père jetant des livres dans les latrines pour échapper aux policiers ; elle en garde un souvenir brûlant.

Ses premiers souvenirs d’école remontent au jardin d’enfants La Ruche, où elle obtint d’être inscrite avant l’âge normal voulant suivre sa sœur, bercée par les cloches du Sacré-Cœur. 40 ans plus tard, cela générera un texte sur les cloches de la cathédrale du Cap-Haïtien.

Mon œuvre

Quoique commencé très tôt, le « vrai décollage en 1984 ». Ayant créé à 22 ou 23 ans un logo pour McDonalds, elle fut lésée de ses droits et attaque en justice l’énorme multinationale, en vain ! Elle en écrit l’histoire qui sera publiée en 2002. De là s’est développé son goût pour l’écriture, en sourdine depuis son premier texte à 13 ans, mais qu’elle avait malencontreusement détruit.

1985 – La Marginale, roman publié en 1987 (en 1986 la dictature des Duvalier ayant pris fin). Avant ce n’était pas possible, car décrivant les horreurs de la dictature. Menace de Fort-Dimanche, la prison… sa mère l’a freinée. « Roman très fort qui commence par le viol d’une jeune fille de bonne famille, au moment du carnaval, et qui a un enfant. […] très copieux, j’avais beaucoup à dire ». Avec surprise, il y a 15-20 ans, elle découvre à la bibliothèque Pye Poudre de Paula Péan des enfants assis par terre en train de lire, et elle en a pleuré. (Sous la dictature cela n’existait pas ! Il n’y avait pas de bibliothèque donc pas de livres pour la jeunesse. Toutes sortes de réunions étaient bannies ». « Un écrivain ne pouvait signer un livre ». Sous Duvalier, il aurait été exilé ou emprisonné. On achetait leurs livres en cachette ; Depestre était considéré comme communiste.) « Le livre eut beaucoup de succès, les gens pensaient que c’était autobiographique alors que c’est une pure fiction, et s’apitoyaient sur mon sort ! » On lui demandait ce qu’était devenu l’enfant !

Ne doutant plus de son talent d’écrivain, « j’ai écrit Martin Toma comme un plaidoyer contre l’analphabétisme. Enfant illettré, il rencontre un homme qui va l’instruire et l’éduquer. À travers son histoire, on voit toutes les phases de la vie haïtienne, le folklore, la dictature, etc. ». Elle garde des séquelles de cette période et cela ressurgit dans son écriture.

Elle rend grâce au ciel et à ses parents d’avoir reçu de l’éducation.

Elle compare l’épisode de La chambre interdite de Yanick Lahens avec ce qui se passe chez ses parents. Son oncle colonel avait disparu. On voyait passer ponctuellement des plateaux de nourriture sans aucune justification, à force d’insistance elle obtient de sa mère, non sans mal, l’explication : son oncle Alexis était caché dans le bureau de son père, Duvalier voulant le tuer. Elle voit son oncle barbu, chevelu, terré là depuis trois mois. Il partit ensuite se cacher ailleurs, car il fallait changer régulièrement de cachette. « À cause des sbires qui lui en voulaient ».

Pour sortir un peu de ce carcan, ce fut La Saison du pardon (1997), où elle évoque le massacre, sous Sténio Vincent, de deux familles du côté de Jacmel. Le héros est un vieillard, dans la peau duquel elle va se glisser. Le livre fut « extraordinairement bien reçu » (cf. article de Dany Laferrière dans Le Nouvelliste) avec Passion composée.

Littérature jeunesse. « À part Bouqui et Malice, il n’y avait quasiment pas de littérature pour les jeunes. Avec Rodney Saint-Éloi des éditions Mémoire, on a commencé en 1999 une collection « Enfants d’Haïti » avec La légende de Quisqueya I ». Ensuite, elle enchaîne, seule, avec Le Trésor de la Citadelle Laferrière, Sortilèges au Carnaval de Jacmel et la suite, « avec un succès phénoménal depuis 10 ans ». Bientôt [2011], Babou chez le faiseur de songes, puisé dans son vécu. « Je guide les jeunes. …  La littérature jeunesse est une littérature extrêmement importante ». Les jeunes « vous accordent une confiance totale. … On ne peut pas dire n’importe quoi ». Leur faire découvrir le patrimoine, partout où il y a eu un combat pour l’indépendance : Le Cap, Le Carnaval de Jacmel, Xaragua (patrimoine UNESCO), La Citadelle Laferrière. Leur donner le goût du tourisme local afin qu’ils puissent ultérieurement le développer.

Le goût de la cuisine haïtienne, afin de susciter des curiosités chez d’autres. Elle évoque son enfance, son adolescence, un passé peut-être disparu, regrettant les longues balades en montagnes en forêt, de cinq heures de matin à dix heures du soir, sans aucun danger. Sorte de réhabilitation du pays qu’actuellement beaucoup cherchent à fuir.

L’Insularité

Être née dans une île des Caraïbes, elle « a passé son enfance à la mer, à la plage, du côté de Mariani ; on allait chaque dimanche. Être sur une île, c’est la mer, la piscine, les jeux, le soleil à n’en plus finir, le beau temps […]. L’impression d’avoir été une personne chanceuse est venue très tard, […] à 20 ans, je suis allée habiter au Canada, et il y faisait très froid ». Là, elle s’est rendu compte du bonheur d’avoir pris naissance « sur une île des Caraïbes, les orteils dans le sable », « des cocotiers, des palmiers »…

Le choix de vivre à Miami, car cela le lui rappelle. « Je ne suis pas née pour rester dans un freezer ».

En Haïti, « la chance inouïe d’avoir des microclimats » – des montagnes, en une demi-heure de route d’être dans la fraicheur de Kenscoff, ou sur la plage, le grand air…

En 2001 : Angie, un texte très important sur la problématique du sida – écrit à Cormier au Cap-Haïtien, marchant les pieds dans l’eau à 5 heures du matin dans les vagues… « Cela n’a pas de prix d’être une îlienne, j’adore ! ».


Margaret Papillon

Papillon, Margaret. « 5 Questions pour Île en île ».
Entretien, Miami Beach (2011). 35 minutes. Île en île.

Mise en ligne sur YouTube le 15 juin 2013.
(Cette vidéo était également disponible sur Dailymotion, du 17 janvier 2013 jusqu’au 13 octobre 2018.)
Entretien réalisé par Thomas C. Spear.
Caméra : Emmanuel J. Duogène.
Notes de transcription : Ségolène Lavaud.

© 2013 Île en île


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mis en ligne : 17 janvier 2013 ; mis à jour : 26 octobre 2020