Malice !, Mimi Barthélémy ou l’art du conte

par Kathleen Gyssels

Photo © Kathleen Gyssels 10 novembre 2000, espace Senghor, Bruxelles Mimi Barthélémy présente Soldats marrons, spectacle qui évoque l'histoire d'Haïti jusqu'à son indépendance en 1804. Elle chante, danse, conte et célèbre avec le guitariste Serge Tamas.

Photo © Kathleen Gyssels
10 novembre 2000, espace Senghor, Bruxelles
Mimi Barthélémy présente Soldats marrons, spectacle qui évoque l’histoire d’Haïti jusqu’à son indépendance en 1804. Elle chante, danse, conte et célèbre avec le guitariste Serge Tamas.

À côté de la «grande» littérature antillaise, de poètes et romanciers entre-temps canonisés, certaines voix antillaises oeuvrent, un peu à l’ombre, pour la littérature de jeunesse. Certes, quelques romanciers ont atteint un public, large et sans âge, tel que Joseph Zobel continue d’attirer de jeunes lecteurs, d’autant plus que La Rue Cases-Nègres a été porté à l’écran par la Martiniquaise Euzhan Palcy. Il en va de même avec Pluie et vent sur Télumée Miracle de Simone Schwarz-Bart. Tenants d’une littérature réaliste, dans laquelle l’élément magique est cependant présent, ces romanciers ont pour vocation de révéler l’identité (culturelle) caribéenne, et plus particulièrement antillaise; l’authenticité et la «simplicité» semblent les constantes de publications sur lesquelles le temps n’a pas de griffe.

La littérature de jeunesse reste cependant négligée, et c’est précisément le but que se pose Mimi Barthélémy.  Elle se consacre tout entière à «la parole de nuit» (pour employer le titre de Ralph Ludwig, 1994), pas seulement pour ce qui est du contenu de son oeuvre, mais encore pour la forme: elle façonne une écriture vivante, certes imprimée, mais qui n’a de sens sans déclamation orale, sans performance vocale, sans récitation théâtrale. Emportant son audience sur les vagues de sa tendre enfance, elle ré-embouche les paroles entendues, les fables tirées, les contes éternellement débités des «conteuses» haïtiennes.

Je la rencontrai dans une salle obscure, pleine de spectateurs, lors de la représentation de «La Dernière lettre de l’Amiral» (1992), à Bruxelles en 1997.  Après le spectacle, on parla des Antilles et de sa vocation, ainsi que des auteures qu’elle admire particulièrement: Suzanne Sylvain, Maryse Condé et Edwidge Danticat, à ce moment fraîchement découverte.

Née en 1939, Mimi Barthélémy est titulaire d’un doctorat d’études théâtrales et cinématographiques (Paris VIII). Mariée en premières noces à Gérard Barthélémy (anthropologue spécialiste du milieu rural haïtien, auteur, e.g., de Créoles-Bossales, Ibis Rouge, 2000, Mimi Barthélémy épouse en secondes noces Guillermo Cardet, ferronier d’art.

Mère talentueuse qui passa ses dons artistiques à ses filles, Barthélémy illustre à elle seule – dans sa carrière professionnelle qui se confond avec une pure passion – la «créolité» comme mode de vie et «lecture du monde». Eprouvant un réel plaisir à vadrouiller et «porter la parole», elle «interprète» le fond créole et l’imaginaire du conte haïtien, véritables caractéristiques qui moulent sa personnalité.  Sa carrière débute en 1982 et elle n’a cessé, depuis, d’exporter l’oralité antillaise en métropole d’abord, et ensuite très vite, vers les confins de la francophonie, les îles d’abord (des Antilles françaises à la Dominique, de la Nouvelle Calédonie à la Réunion) et aujourd’hui même, à l’heure de la globalisation, dans des régions non francophones.

Mimi Barthélémy choisit de travailler pour les jeunes qui font leurs premiers pas en littérature et qui cherchent, dans des personnages enfantins, à tâtons, leur propre individualité et le reflet de leurs propres angoisses et le miroitement de leurs songes et aspirations. Dans chacun de ces contes, retravaillés à partir de contes «classiques», ou de variantes enregistrées et annotées par Madame Suzanne Sylvain, Barthélémy entraîne son public dans des aventures d’un autre temps et d’un autre lieu, mais qui restent étrangement actuelles et modernes.

Ceci dit, elle est aussi souvent à l’affiche dans des spectacles tels que «la veillée d’hommage à Toto Bissainthe» (1934-1994), aux côtés de Raoul Peck (Toto joua la grand-mère dans L’homme sur les quais), de Serge Tamas et de Mariann Mathéus, entre autres.

Mimi Barthélémy appartient à la famille de Merle Collins (Grenade) qu’on a pu voir à l’oeuvre lors du colloque «Third Conference of Caribbean Women Writers» à Curaçao (1993), puis à Grenade même (1997): son «Cric Crac, monkey Pomerac» étant comme l’équivalent de «Malice chez le roi». Comme Merle Collins qui s’adresse avant tout à son peuple, à sa communauté et parmi elle aux plus jeunes – Because the Dawn Breaks!  Poems Dedicated to the Grenadian People (1985) (1) – Barthélémy galvanise les «énergumènes de l’alphabet» et consacre son travail aux petits et grands Haïtiens, où qu’ils soient. Comme Opal Palmer Adisa, la petite Jamaïcaine qui écrit, comme elle le dit, «the poem of the pebble» (2) et dont on a subi l’envoûtement a plus d’un colloque consacré aux auteures caribéennes anglophones(3), Barthélémy se voue à léguer une parole ancestrale et vivante que «la francophonie» a reconnue bien plus tard que le Commonwealth. Pourtant, Mimi Barthélémy a bien, à elle seule, fait rattraper le retard:  consciente à quel point il incombe aux Caribéennes d’étaler les richesses inépuisables des arts caribéens, engagée comme Opal Palmer Adisa à passer le flambeau, ensemble avec d’autres femmes artistes et critiques féminins caribéens, elle a su relever le défi avec succès en misant sur trois lignes directives de la créolité:

D’abord, pas mal de ses recueils sont bilingues: sa toute première publication, parue dans la collection «Quatre vents» chez L’Harmattan, nous parle du «monstre Bagay, Conte de la tradition orale haïtienne» (1989).  Ce conte, initialement fourni par Suzanne Comhaire (-Sylvain), a été ensuite adapté en français par Barthélémy. Si la transposition créole fait défaut, il y a toujours de nombreuses incursions du créole haïtien, comme dans «Malice et l’âne qui chie de l’or» (publié dans la collection du même nom), autre conte puisé dans le Roman de Bouqui de Suzanne Comhaire-Sylvain. Souvent, Barthélémy a écouté elle-même, lors d’une veillée, les contes qu’elle retranscrit: il en va ainsi pour «Siné»: au sud de l’île d’Haïti, dans le village de Grigri, elle écouta ce conte de «paysans, descendants de soldats polonais dissidents des troupes napoléoniennes, venues de France pour réduire la révolte des esclaves», et qui «avaient encore les yeux bleus, verts, or et la peau claire». («Avant la séance»)

Ensuite, les contes sont illustrés, soit par sa fille Clémentine, soit par Elodie, peintre et sculptrice de renom (on a pu la voir dans «Haïti: anges et démons» au printemps 2000 à Paris).

Enfin, les contes sont souvent accompagnés de cassettes: «La reine des poissons» est ainsi lu et chanté par Barthélémy et accompagné d’un superbe livre en couleurs avec des dessins baroques de la main de Clémentine Barthélémy.  Ce «frémissement du récit vivant» qu’affectionne Chamoiseau, on le trouve de manière constante dans les récits que tisse Mimi Barthélémy.


Notes:

1.  Collins, Merle. Because the Dawn Breaks. London: Karia, 1985. [Poetry]
—. Angel. London: Women’s Press, 1987. [Novel]
—. Rain Darling. London: Women’s Press, 1989. [Short Stories]
—. Rotten Pomerack. London: Virago, 1992. [Poetry]
—. The Colour of Forgetting. Longon: Virago, 1995.
— and Rhonda Cobham, eds. Watchers and Seekers: Creative Writing by Black Women in Britain. London: Women’s Press, 1987.  [retour au texte]

2.  « How to Write the Poem of the Pebble: A Hybrid Caribbean Identity », Postcolonialism & Autobiography, Alfred Hornung et Ernstpeter Ruhe (eds), Amsterdam/Atlanta: Rodopi, 1998: 197-210. [retour au texte]

3. It begins with tears (Heinemann).  [retour au texte]


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mis en ligne : 30 janvier 2002 ; mis à jour : 25 avril 2021