Lenous Suprice, alias Nounous, « Souvenirs d’Andalousie »

Sous les parasols des oliviers
à l’écoute de cette musique du terroir avec toi
il y avait un élixir
à n’en plus finir on dirait
qui meublait le décor de nos gestes.

Invariablement
une chute se dressait devant les yeux
belvédère parmi les pierres en sueur
tandis que nous dégustions à tue-tête
Séville la savoureuse
au bon goût d’une orange.

Bohèmes par mimétisme
nous nous installions
avec des harmonicas dans les sens
quelques notes de Bizet bien en vue
pour des concerts plus ou moins passagers
en cette jolie ville de notre liaison.

* * *

Bille en tête
et bien amène surtout
avant la fin du voyage
beaucoup plus tard
tu as trouvé l’élan de m’envoyer des noms d’oiseaux rares
sur un fil à courte distance
en des envolées de Carmen la provocante
à la mesure de ta langue maternelle.

À un moment précis
sur la plage
tu me pilotais cerf-volant à ta guise
tout au long de nos promenades
à Torremolinos la touristique
assez loin merci de Ville-Marie-la grande
à grands coups d’air entre tes ailes-éventails.

* * *

Je caressais ton sucre-musique
sur des rondes lumineuses
buvais une boisson d’essaim
et savourais de la confiture aux oranges
sur une petite langue de terre
en ta ferme à Calera
lieu d’élevage de tous ces taureaux pour la corrida.

* * *

Des lianes suaves
qui peuplaient la savane de tes mains
à qui mieux mieux
ont installé leurs tentacules dans les miennes
au seuil de la maison grande des touristes
à toute heure ouverte dit-on
pour une sieste ou autre à leur mesure.

Au même instant
ton goût-papillon a fait le saut
par-dessus les pièges de l’impudence
est venu se répandre sur ma lampe-langue.

La plus suave omelette que j’ai savourée est espagnole
mijotée sur ta douce flamme
dans l’espace enchanteur de notre voyage.

* * *

Dans le gris train de la vitesse
qui nous ramenait de la campagne
à la principale ville de l’heure andalouse
déjà tu brûlais tes anciennes copies de la retenue
et ta prose avait le feu comme boussole
qu’elle remettait au chercheur de voies en mes pages.

* * *

J’ai recousu nos songes à point
pour en faire un lieu pas si abordable que ça
au commun des curieux à la page
entre Tarifa et Cadix
après avoir franchi dix anses belles
cinq fois de suite
en ce parcours long chapelet d’heures qui nous englobe.

Entre ton deux-mâts
à Séville une fois de retour
pour accélérer le voyage
à ta demande surtout
j’ai mis du vent large un peu partout
au plus fort de ma capacité.

* * *

À mon arrivée à ton bercail
tu as failli répéter un geste d’autrefois
m’as-tu dit par confidence
en attachant ma somptueuse monture
à un arbre derrière l’obscurité de ton champ-miroir.

J’ai redoublé d’ardeur
cette fois-là
en dansant une sevillana inattendue avec toi.

* * *

À l’improviste
j’ai découvert ce qui se cachait
derrière l’oiseau-hibiscus
en ses trilles sous tes aisselles.

* * *

Dans leur extrême étirement
tes ailes gymnastes ont été vues
en flagrant exercice de délits imprévisibles…

* * *

À la va-vite
un matin
je t’ai prise en sourdine
comme embarcation
dans mes bras fleuves accomplis
au beau milieu d’un aller-retour
entre des côtes pittoresques.

Une noirceur en tes champs
bien rapidement
a ingéré ma lampe à reculons
au temps des labours du printemps.

Au bout d’une certaine attente
au ralenti en visite
j’ai pénétré dans un ancien château à ta suite…

* * *

Installe-toi en ma niche
pour mieux te voir toi-même
m’as-tu dit
par un magique instant.

Qui es-tu donc
être ou miroir ?

* * *

Pourquoi suis-je entré en tous ces endroits derrière toi
alors que je voulais sans bruit m’assoupir
non loin sous un oranger ?

L’attrait des bars tout autour
la foule en fête
et ta guide-silhouette
en semblant d’une tenue pour le bain
surtout n’étaient pas à négliger.

Bien sûr
je n’étais pas sur les traces
d’aucun conquistador
de nul guerrier de la foi
comme tu semblais l’insinuer.

Matador seulement
je tenais à être
dans ma tête ces fois-là
en m’approchant plus ou moins
de ta bête la plus pure
avec ou sans muleta.

* * *

Une brise s’énerve
à minuit
dans mes cheveux
guitare interdite de tes branches.

Une bête enchanteresse
en ma basse-cour
ouvre ses ailes
rien qu’à lorgner ta chair de poule en liesse.

* * *

Par une porte sans clé
côté cour le plus souvent
où s’offre un beau jardin aux visiteurs
mon taureau en fuite
a eu accès à ta demeure immense.

Tout près d’une colline
un colibri sur ma langue
en ton inflorescence
quêtait sa part d’ivresse.

* * *

Je m’attends à ce que tu m’offres encore
tes bras de forêts symphoniques
pour abriter mes ortolans mélomanes.

* * *

À chaque recoin de mon sommeil
il y a tes lunes pleines
comme autrefois
au plus fort des nuits et des heures andalouses
tes feulements de chatte en mes ruelles.

* * *

À temps perdu, tu as roulé dans la commune auto, de longs matins de sécheresse en petits matins de pluie, pour, après, m’envoyer colombe voyageuse, un peu vite, à la recherche d’une branche à nid, d’une paille à frissons, derrière une vaste étendue en tes chants d’un blé adorable.

Déjà, tu comptais les pas des flux et reflux de ta montre en avance, au passage d’un train entre mes flancs, dans la gare où, voyageuse en escale, tu t’agenouillais presque, en tes habituelles dévotions, fin mars-début avril.

En ce temps-là, les fleurs qui d’habitude nourrissaient les abeilles de l’abstinence étaient plutôt dérisoires en tes nues-propriétés.

* * *

Des bourgeons éclataient en ton rire
tellement le chaud était d’aplomb
en mon terreau
pour t’accueillir.

Que faire
à nouveau
pour contempler ton magnolia en fleurs ?

* * *

La fontaine de ma mémoire pourrait toujours boire
à tes lèvres de receleuse
si tu laissais pousser plus de quiétude à ta hauteur.

Serais-je toujours d’humeur
belle ouvrière
à t’ouvrir le dortoir de mon hibiscus en floraison ?

* * *

Je donnerais beaucoup
même un peu plus
pour ôter ces folles herbes qui peuplent
l’ancienne propriété de tes mains sur mon ombre…

* * *

Me voici maintenant à nu dans la rade
sans goélettes ni voiles au vent
dans la mer haut risque de tes avancées
en chaque option que tu m’indiques de choisir
à ton passage dans mes yeux.

Vrai dé né de moi-même
dans les yeux d’une aiguille en transe
je rêve de me (re)coudre un beau jour
comme un vêtement tout partout que tu porteras…
en ta Cordoue baroque.

Au plus fort du silence
nuit et jour à l’occasion
en mon océan tout au long
ta folle embarcation hisse ses voiles
pour le large par hasard.

Au son d’un flamenco du tonnerre
je relis encore la cartographie des moments d’Andalousie
passe en revue des lieux autrefois visités en ta compagnie.

À chaque note
à chaque battement
en levant les bras
pour cueillir d’insondables oranges par l’imaginaire
que d’eaux et de vents j’entends tout de suite
avant même cette prétendue traversée
la plus haute entre tes mâts du dedans.

Étourdi comme pas un
en mon être promeneur
sans avoir
je te poursuis malgré moi
en des lieux où je ne saurais facilement te trouver…

* * *

Aucune eau de Cologne
ne réussira pas à étancher ma sueur en soif de toi.

Il me reste tant de parcours à tutoyer
avant d’offrir un autre espace navigable
pour leur migration en ton réel
aux canards du printemps de mes songes
tellement l’air est instable en ce que t’inspires
en ce que j’indique comme messages à déchiffrer.

* * *

Il ne nous reste qu’une abondante famine
à garnir en sourdine
entre lièvres de la précipitation
et autres gibiers de la temporisation.

Je m’installerai tout simplement ombre discrète
derrière la forêt toute belle du désir
pour voir comment rêvent certains chevaux migrateurs
après leur si long vol de retour
couchés au bas de tes ranchs très herbus.

* * *

Un long chemin d’eau
le Guadalquivir en fait
en ton petit rire de gorge
par les canaux de ta flûte nasillarde
prendra toujours la première lettre de sa source
au syllabaire de mes souvenirs…

Là où je suis
même si tu n’y es pas
partout où tu es
sur la place du marché ou ailleurs
quelque part entre arabesques et traits de cathédrales
là où je t’imagine
tu es ma ligne de miel
dans les effets d’un miroir qui m’élargit.


Le poème « Souvenirs d’Andalousie », par Lenous Suprice (Nounous), est publié pour la première fois sur Île en île avec la permission de l’auteur. Ce poème fait partie d’un recueil de poèmes, Ruminations.

© 2008 Lenous Suprice


Retour:

/lenous-suprice-alias-nounous-souvenirs-dandalousie/

mis en ligne : 7 mars 2008 ; mis à jour : 10 octobre 2021