Joseph Zobel, « Ballade »


Lorsque je vais dans mon village
les gars me regardent
comme si j’étais
de l’or le plus fin
et m’embrassent
comme si j’étais leur bien
et me parlent
avec des mots
qui ont
la saveur affectueuse et touchante
de pots de douceurs
ou de flacons de liqueurs
qu’on a gardés depuis longtemps
pour l’ami le plus cher
et qui m’emplissent le cœur
d’une telle richesse
que j’en deviens tout humble
et tout-puissant

Lorsque je vais dans mon village
les maisons
qui étaient déjà penchées
quand j’étais enfant
me reconnaissent aussitôt
et se disent en souriant
sur leur seuil usé
Voilà Joseph
il n’a pas changé

Et j’embrasse les vieux
et j’embrasse les vieilles
et je danse avec les jeunes
Tous les sentiers viennent à moi
et m’entraînent
de case en case
au bord de l’eau
au fond des bois
C’est comme une fête champêtre
où l’amitié chante
comme l’alcool

Lorsque je vais dans mon village
j’ai parfois de la peine
en apprenant
que Jo est mort
que j’aimais tant
et la pauvre Léa
qui m’aimait bien
Mais ceux qui s’en vont
reviennent un jour
et nos morts ne nous quittent pas
disent les gars
car nous
on s’aime sans tralala
mais c’est pour la vie
et par-delà


Le poème « Ballade » de Joseph Zobel a été publié pour la première fois dans Incantation pour un retour au pays natal (1965). Il est repris dans Le Soleil m’a dit. (Oeuvre poétique), Ibis Rouge, 2002, pages 14-15. Sur l’enregistrement, la voix de l’auteur est accompagnée de Guy-Jean Maggio, sur une musique originale de la guitariste ; enregistrement © 1998 Edelec (Nîmes) ED 980802.

© 1965, 2002 Joseph Zobel © 2002 Ibis Rouge Éditions / © 1998 Edelec pour l’enregistement (2:07 minutes)


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mis en ligne : 23 avril 2005 ; mis à jour : 27 décembre 2020