Jimmy Ly, « Le plus grand dénominateur trilingue… »

(extrait de Hakka en Polynésie)

C’est au cours de leurs agapes hebdomadaires où il faut savoir autant ouvrir l’oreille que la bouche, (Pascal ne disait-il pas que nous sommes corps autant qu’esprit?), que [les membres de l’association Wen Fa] sont constamment à la recherche de ces passerelles qui leur permettraient de relier des cultures aussi dissemblables que celles qu’ils vivent au jour le jour. Ils espéraient ainsi secrètement accomplir cette utopie maîtresse qui est de pouvoir marier la joie de vivre du pays, avec la sérénité ancestrale, sous l’éclairage de la raison occidentale, dans un raccourci significatif bien que, j’en conviens, un peu trop rapide, sinon trop sommaire, d’une vision de la future société polynésienne.

Dans cette cuisine des idées, ils pensent à la passion culinaire, qu’elle soit chinoise, française ou polynésienne, comme un des moyens pour arriver à la fusion de ces affinités naturelles, complices et uniques dans une vivante illustration du mythe qui voudrait qu’on ne se nourrit que de ce qu’il y a de meilleur chez les autres. Et à force, ils en arrivent presque à s’identifier à leur plat favori, ce poisson cru dit « à la chinoise », plat de polyglotte s’il en est un, souvent galvaudé par une mauvaise préparation, mais plat mythique quand il est sublimement réussi.

La recette, d’un esthétisme cartésien et rigoureux à la fois, est une savoureuse juxtaposition de fines lamelles de thon frais à peine mariné de jus citron, sur un émincé de carottes et navets frais parsemé de gingembre et de légumes chinois confits aigre-doux, parfumé d’un délicat filet d’huile de sésame et saupoudré d’un nuage odorant de cacahuètes finement écrasées: le tout enfoui sous une chape de vermicelles chinois craquant de bonheur sous la dent. C’est comme une jubilation, un bonheur de vivre et une rédemption tout à la fois, où l’on rêve qu’on puisse faire le bonheur de tout un pays en flattant le goût de trois palais, avec un seul et même plat qui devient le plus grand dénominateur trilingue….


« Le plus grand dénominateur trilingue… » est un extrait de Hakka en Polynésie, de Jimmy Ly (Papeete: Polytram, 1997: pages 108-109). Il est reproduit sur Île en île avec la permission de l’auteur.

© 1997, 2003 Jimmy Lee


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mis en ligne : 5 janvier 2003 ; mis à jour : 26 octobre 2020