Jean-Marc Rosier, 5 Questions pour Île en île


Jean-Marc Rosier répond aux 5 Questions pour Île en île.

Entretien de 16 minutes réalisé à Fort-de-France le 25 octobre 2011 par Thomas C. Spear.
Caméra : Janis Wilkins.

Notes de transcription (ci-dessous) : Marie Denise Grangenois.

Dossier présentant l’auteur sur Île en île : Jean-Marc Rosier.

début – Mes influences
01:29 – Mon quartier
03:38 – Mon enfance
09:16 – Mon oeuvre
14:37 – L’insularité


Mes influences

Trois écrivains m’ont marqué, Louis-Ferdinand Céline (Voyage au bout de la nuit, Mort à crédit), Stefan Zweig (Le joueur d’échecs, la pitié dangereuse) et Romain Gary / Émile Ajar (La promesse de l’aube, La vie devant soi). Ce sont des écritures singulières, une langue qui comme le dit Céline « vous embarque dans le métro émotif ». Il y a aussi Jorge Amado (Bahia de tous les saints), Gabriel García Márquez et bien d’autres. Pour la poésie : Aimé Césaire, Saint-John Perse.

Mon quartier

Fort-de-France me fascine par son côté hétéroclite, baroque. C’est une ville où les contraires se côtoient, c’est la ville du carnaval, de l’effervescence mais c’est aussi une ville paisible, où l’on peut se promener le samedi après midi et le dimanche en levant la tête vers les balcons en fer forgé.

Cette ville unit le passé et appelle le devenir.

Fort-de-France est ma ville de prédilection pour l’écriture. J’y pose mes personnages, j’y tisse mes intrigues. Cette ville est un prétexte dont j’utilise le décor pour mieux la faire vivre. C’est une ville historique aussi où se sont livrées de nombreuses batailles.

À Fort-de-France, le quotidien s’épuise sans ressorts, c’est une ville qui appelle à la flânerie, il y fait bon vivre dans des maisons « hautes et basses » ; on y trouve des cours intérieures fabuleuses. L’imaginaire peut s’en nourrir, s’émanciper et vivre.

Mon enfance

J’ai grandi à Ducos, anciennement appelé Trou-au-chat, nom poétique, la nature avait toute sa place. Mes journées commençaient tôt, elles étaient remplies de mes promenades dans la nature. C’est une ville où tout semblait heureux, ma petite enfance s’est déroulée comme cela jusqu’à ce que je découvre la littérature, la forêt devient mon refuge pour lire Balzac, Alexandre Dumas, Enid Blyton (Le club des cinq).

Ce sont des années bénies, l’école de mon enfance était un grand ensemble à l’architecture spéciale, chaque classe avait sa maison, les maîtres étaient rigoureux, aimaient les choses bien faites. Tout servait la réussite, la littérature comme les autres matières. Malgré quelques coups de bâton qui ont fort heureusement disparu aujourd’hui, les maîtres nous donnaient le goût d’apprendre. Nous savions qu’ils nous aimaient, ils étaient complices de nos parents, nos parents étaient solidaires d’eux.

Ma petite enfance semble loin du temps que nous vivons aujourd’hui, je suis enseignant mais je ne me reconnais pas, nous sommes loin de ce que j’ai connu. Le temps d’aujourd’hui est plus violent, moins tolérant, plus dur, une violence latente mais présente que la littérature post créolité donne à voir en l’amplifiant car cette violence on ne la voit plus !

Mon œuvre

Noirs néons évoque l’errance de Jonas Margérant homme à qui la vie sourit mais qui décide de se suicider socialement. Son obsession, c’est les nuiteux qu’il assimile symboliquement aux néons. Pour Margérant, il y a deux humanités : celle du jour et celle de la nuit qui est le reflet de lui-même.

Avec sa caméra, il décide d’aller à la rencontre des nuitards, aidé d’un jeune dealer Ricardo qui a reconnu l’ancien journaliste qu’était Jonas Margérant et l’emmène dans les bas fonds de Fort-de-France, Foyal en fait.

Margérant y découvre une ville où la « sombreur », la noirceur est reine. Cette humanité sombre ne va pas aussi loin qu’il le voudrait dans l’exploration des profondeurs, dans la deuxième partie du livre il décide de se replier sur lui-même pour se découvrir. Il restera plus de trois jours dans sa propre noirceur contrairement au Jonas biblique il ne remontera pas à la lumière du jour, il restera dans cette profondeur sombre car il s’y complaît.

L’objectif du livre est d’explorer la question de l’identité martiniquaise, la folie d’un peuple qui n’a pas de racines ou qui les laisse se diluer. La question de la langue est posée. Au début la langue du livre est débarrassée de son influence créole, c’est une langue blanche proche de la langue argotique française, à mesure que le personnage avance dans son expérience on retrouve le créole.

L’Insularité

Loin d’être un handicap, l’insularité est une situation d’ouverture. Je pense aux Caraïbes qui passaient d’une île à l’autre très aisément, toutes ces îles étaient un grand continent. Métaphoriquement, l’insularité peut être restituée dans l’écriture par ce qu’elle offre d’ouverture, de diversité.


Jean-Marc Rosier

Rosier, Jean-Marc. « 5 Questions pour Île en île ».
Entretien, Fort-de-France (2011). 16 minutes. Île en île.

Mise en ligne sur YouTube le 8 juin 2013.
(Cette vidéo était également disponible sur Dailymotion, du 31 juillet 2012 jusqu’au 13 octobre 2018.)
Entretien réalisé par Thomas C. Spear.
Caméra : Janis Wilkins.
Notes de transcription : Marie Denise Grangenois.

© 2012 Île en île


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mis en ligne : 31 juillet 2012 ; mis à jour : 26 octobre 2020