Jean F. Brierre, « Dieureudief »

photo de Jean Brierre des archives du CIDIHCA, D.R.

photo de Jean Brierre des archives du CIDIHCA, D.R.

Avant que la nuit tombe
que derrière les marécages herbeux
de mon regard,
lotus,
chavire la lumière,
je veux dire : MERCI.
Avant le brisement de ma voix
dans l’ultime ressac,
cette boule purulente refoulée toute la vie,
qui brusquement monte,
verticale, à votre cou,
inonde votre gorge et vous assomme du dernier croup,
proliférant dans chaque battement,
chaque globule,
marée sur la mémoire,
marée sur la conscience,
je veux dire : MERCI.

Pour les horizons rêvés,
les horizons approchés,
Pour Gorée la douloureuse,
mon escale et ma patrie,
Gorée où des enfants jouent à la marelle
sur la terre battue des calvaires,
négrier ensablé où geint une guitare,
Je veux dire : MERCI.

Pour le pain, le toit, le soleil partagés,
pour les longs crépuscules sur la Corniche,
le sourire neigeux de la nubile noire
flottant dans l’harmattan,
je veux dire : MERCI.
Pour la paix offerte,
l’offrande du havre,
la route des ténèbres et le bout du chemin du jour,
le miracle du sang coagulé et des larmes converties
en vin,
le Bois sacré et la paillote de boue rose
du roi pourpre d’Oussouye,
je veux dire : MERCI.

Pour les palétuviers et les mangroves
où nichent les oiseaux du vent
pour la Sicap,
le riz cassé,
l’agape des Almadies,
pour Liberté I,
Liberté II,
Liberté III,
pour le Vert, le Jaune étoilé et le Rouge,
pour la culture de la table et celle du verbe,
la voix franche du frère et l’avenir à bout de bras
comme un ciel étoilé dru
je veux dire : MERCI,

Pour le voisin de la mosquée,
ses toiles de soleil,
pour les mains douces de Tonhuka
sur mon front blessé aux récifs de la nuit,
pour Tonhuka de la saudade,
je veux dire : MERCI.

Pour la seconde initiation
à la cadence de l’Afrique sans mesure,
au nom de la diaspora haïtienne
rencontrée, reconnue, identifiée
dans la ferveur des jours fastes,
au nom de ceux qui avaient tout perdu,
au nom de ma mère de la montagne Noire,
du mystère de la distance et du code amer de
l’encre blanche,
au nom d’une femme douloureuse restée en véronique dans le tissu rugueux
de l’exil,
au nom des rosiers morts de notre jardin,
je veux dire : MERCI.

Un merci houleux comme la mer,
droit comme la voile vent debout,
un merci profond,
hallucinant comme l’appel auroral du muezzin dans
l’acoustique des berceuses insomnieuses du balafon,
un merci d’altitude,
un merci de plaine heureuse et de vallées inviolées,
MERCI
à Léopold Sédar Senghor,
avant que la nuit tombe,
que chavire la lumière
derrière les marécages herbeux
de mon regard,
lotus


« Dieureudief » est un poème inédit (sans date) de Jean F. Brierre, offert aux lecteurs d’Île en île par Lucien Lemoine, qui gardait ce texte de son ami poète dans ses archives personnelles.


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mis en ligne : 11 septembre 2005 ; mis à jour : 29 octobre 2020