Georges Castera, 5 Questions pour Île en île


Le poète Georges Castera répond aux 5 Questions pour Île en île, sur la terrace de l’Hôtel Oloffson à Port-au-Prince.

Entretien de 11 minutes réalisé le 10 janvier 2009 par Thomas C. Spear.
Caméra : Kendy Vérilus.
Notes de transcription (ci-dessous) : Coutechève Lavoie Aupont.

Dossier présentant l’auteur sur Île en île : Georges Castera.

Notes techniques : On entend des bruits ambiants (klaxons, sirène, marteau), surtout au début de la 4e partie de l’entretien.

Note éditoriale : Cet entretien avec Georges Castera était le premier filmé pour la série des « 5 Questions pour Île en île » et parmi les plus courts. Ainsi la série chronologique débute avec un grand poète qui dit ne pas pouvoir s’exprimer en prose !…

début – Mes influences
02:56 – Mon quartier
03:51 – Mon enfance
07:01 – Mon oeuvre
10:00 – L’insularité


Mes influences

J’ai commencé à écrire quand j’étais en France. Au lycée à Montpellier j’ai découvert Aimé Césaire, Senghor, les poètes de la négritude et les poètes surréalistes. Avant ça, je lisais Rimbaud, Baudelaire ; j’ai beaucoup aimé Rabelais aussi, un auteur qui m’a beaucoup influencé. Ensuite, Éluard, Aragon… Puis j’ai pris le large, je suis devenu moi.

[Lecture d’un texte écrit pour la mort de Césaire, « Le chant juste ».]

Mais je ne peux pas m’exprimer en prose, c’est là mon problème, je l’ai dit en poème. J’ai tout dit dans un poème. Je te l’avais dit.

Mon quartier

J’habitais à la Grand’Rue à Port-au-Prince, à l’angle de la Grand’Rue et la rue Pavé. J’ai même écrit un poème en créole : « Kilomèt zero ». À cette époque, Port-au-Prince était une ville sympathique, propre. Il y avait 250 000 habitants, maintenant il y a 3 000 000. C’est une ville sale. Dans un poème, j’ai dit que c’est un trou de rats.

Mon enfance

J’ai eu des parents merveilleux, qui m’ont donné beaucoup d’affection : puis, mes sœurs, mes tantes et mes oncles. En fait, j’étais un enfant gâté. Mais tous les matins, je recevais une raclée. J’étais très turbulent. Je n’étais jamais à la maison. Je n’étudiais pas. Bagarreur. Je faisais des choses bizarres. Choyé, mais en même temps, j’ai reçu une éducation très sévère. J’arrivais des fois à me libérer. À être un peu poète, quoi ! Cela m’a permis d’avoir une vie, une vie à moi.

Mais à l’école, je ne travaillais pas, je travaillais très mal. On m’a chassé du Collège Saint-Martial, de chez les prêtres, parce que j’étais turbulent. Je n’étudiais pas le catéchisme donc, on m’a mis à la porte. Ce jour-là, je n’ai pas mis les pas à la maison. Je suis rentré à minuit. À l’époque, un enfant qui laisse sa maison et qui fugue dans les rues à minuit, c’était le scandale. On me cherchait partout. La police m’a cherché. Finalement, je suis rentré. Mais c’était une tactique que j’avais, parce que je me suis dit : si on m’a chassé de l’école, je ne pouvais pas rentrer comme ça. On pourrait me battre. Et là, au lien de me battre, ils étaient contents, mes parents étaient contents de me retrouver.

Il faut dire je n’ai jamais aimé l’école. Cela m’angoissait. Quand j’allais à l’école, je m’emmerdais. Mon père était médecin. Il a voulu que je sois aussi médecin. Moi, j’ai tout essayé, mais je n’ai pas pu parce que cela ne m’intéressait pas. En fait, j’ai été très proche de mon père. J’ai beaucoup aimé mon père parce que je lui dois tout. Il a tout fait pour que je sois quelqu’un. Moi, j’ai tout fait pour être quelqu’un. Je ne sais pas si j’ai réussi.

Mon œuvre

J’ai écrit pour les enfants parce que je pense qu’on a écrit beaucoup de conneries pour les enfants ; des poèmes ridicules qui sont de mauvais poèmes. J’ai donc voulu écrire pour les enfants et j’ai commencé en créole, avec Alarive lèzanfan [1998]. J’ai un recueil Le Cœur sur la main qui devrait paraître au mois de décembre 2008, peut-être que cela paraîtra en janvier au Canada [paru en 2009 chez Mémoire d’encrier]. Je vais lire quelques poèmes pour que vous y voyiez un peu.

Odile

Une petite fille
toute menue bien jolie
avait une peur bleue
des rivières dont on voyait
à peine le fond.

Cette petite toute menue
bien jolie faisait peine à voir,
elle s’appelait Odile
et elle croyait ferme
que l’animal à la gueule longue
puante et remplie
de dents pointues,
cet animal qui donne
aux rivières des yeux exorbitants
avait dans sa tête
un disque à répétition
qui lui disait :
Croque Odile !
Croque Odile !
Croque Odile !
alors même adulte,
Odile a gardé une peur bleue
des rivières et
des crocodiles.

Le duel

Un jour j’ai bravé
mon squelette,
l’invitant à se battre
en duel.

« J’aurai ta peau »
fut sa seule réponse.

Depuis, j’attends, perplexe
un parapluie désossé
dans la main.

J’habite une ombre inavouée,
la mienne,
en plein soleil.

L’oiseau musicien

Un oiseau musicien
Inspiré on ne peut plus,
– des notes plein la tête,
des notes plein le bec –
décide d’acheter un piano
chez l’ami Dodo
pour composer un concerto
en do,
mais comment mettre un piano au chaud
dans son nid d’oiseau ?

À force de chercher la solution,
le concerto en do
s’est envolé en trémolo
allegreto presto.

En fait, je suis un rebelle. Je suis non-conformiste, mécréant. Je n’ai pas de croyances religieuses ; tout ce qui m’intéresse chez l’homme, c’est la bonté. La bonté avant la beauté. La sincérité.

L’Insularité

Le mot « île » est un mot que je n’aime pas. D’ailleurs, je ne me suis jamais considéré comme un insulaire. J’ai toujours considéré Haïti comme un continent.

Pourquoi ? Parce que … parce qu’on met beaucoup de temps pour aller à Jérémie – dix heures pour aller à Jérémie [de Port-au-Prince ; on met] moins de temps pour aller de Port-au-Prince à New York, par exemple. Haïti m’a toujours paru comme quelque chose de très grand, de très grand aussi de par son histoire.

Haïti, c’est un projet, et on continue encore à fabriquer ce projet (parce qu’on n’a pas encore réussi…).

Insulaire, cela voudrait dire un enfermement, un encerclement par la mer ! Pour moi, il y n’a pas d’enfermement.


Georges Castera

Castera, Georges. « 5 Questions pour Île en île ».
Entretien, Port-au-Prince (2009). 11 minutes. Île en île.

Mise en ligne sur YouTube le 1er juin 2013.
(Cette vidéo était également disponible sur Dailymotion, du 13 avril 2010 jusqu’au 13 octobre 2018.)
Entretien réalisé par Thomas C. Spear.
Caméra : Kendy Vérilus.
Notes de transcription : Coutechève Lavoie Aupont.

Poèmes extraits du recueil, Le cœur sur la main, par Georges Castera (Illustré par Mance Lanctôt. Montréal: Mémoire d’encrier, 2009).
©2010 Île en île


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mis en ligne : 13 avril 2010 ; mis à jour : 26 octobre 2020