Gary Klang, 5 Questions pour Île en île


L’écrivain Gary Klang répond aux 5 Questions pour Île en île.

Entretien de 52 minutes réalisé par Thomas C. Spear le 20 novembre 2009 à Montréal.

Notes de transcription (ci-dessous) : Josaphat-Robert Large.

Dossier présentant l’auteur sur Île en île : Gary Klang.

début – Mes influences
08:57 – Mon quartier
14:10 – Mon enfance
24:48 – Mon oeuvre
41:23 – L’insularité


Mes influences

Mes premières influences ont été les auteurs de romans policiers et le premier d’entre eux, James Hadley Chase, l’un des plus grands romanciers qui soient. Il a le don de décrire une atmosphère et des personnages en quelques lignes, à la différence d’un Balzac, par exemple, ce qui bien sûr n’enlève rien à ce dernier.

Adolescent, j’ai aussi beaucoup lu Jean Bruce et son héros OSS 117, puis les grands auteurs de thrillers, Robert Ludlum et Frederick Forsyth, surtout.

Le genre thriller est le plus difficile. Il faut dire juste ce qu’il faut : ni trop afin de garder le suspense, mais juste assez pour intéresser le lecteur.

Citons aussi Georges Simenon, un des plus grands romanciers de langue française.

Cessons de faire la différence entre romans policiers et romans « littéraires ». Borgès disait que le genre policier était ce qui remplaçait la grande tragédie classique au XXe siècle.

J’ai aussi beaucoup lu les écrivains russes et surtout Dostoïevki et Tolstoï.

Des romanciers anglais également, Dickens, Emily Bronte, etc.

Les écrivains américains et le premier d’entre eux : Henry Miller que je regretterai toute ma vie de ne pas avoir rencontré. J’ai une lettre manuscrite de lui. Miller m’apporte un sentiment d’énergie et de liberté absolues.

Naturellement les écrivains français. Hugo, Balzac, Proust (j’ai fait mon mémoire de maîtrise et ma thèse de doctorat sur lui).
Rousseau, Voltaire, bien sûr, il y en a tant.
En poésie, Aragon, ma passion, après Hugo, qui est le plus grand par sa maîtrise incomparable du verbe. J’ai aussi beaucoup lu les modernes : Éluard, Perse, Apollinaire, Rimbaud…
Je suis en train de relire Le Fou d’Elsa d’Aragon. C’est tout simplement gigantesque.

Il y a peu, j’étais invité à un grand festival littéraire au Mexique. J’y ai rencontré un poète français lancé par Aragon, et qui m’a raconté qu’il y avait chez Pablo Neruda à Paris deux grandes photos accrochées au mur : une de Pablo lui-même et l’autre de Victor Hugo, qu’Aragon lui aussi considérait comme le plus grand.

Je n’aime pas le mot influence. Le sujet de ma thèse était d’ailleurs sur l’«influence» de Ruskin sur Proust. Marcel Proust écrit Jean Santeuil, un bon roman, mais pas un chef-d’œuvre, travaille sur Ruskin, et trouve sa voix (voie) ; il abandonne alors Ruskin et se met à La Recherche : « Longtemps, je me suis couché de bonne heure… »

Une anecdote : Roland Barthes allait utiliser ma thèse pour un séminaire lorsqu’il est mort.

Mon quartier

À Montréal, je vis dans le même quartier de l’Ouest, Côte-des-Neiges, depuis mon arrivée en 1973.

J’adore ce lieu car j’ai tout sous la main : le métro, les meilleures librairies, le café La Brûlerie, etc.

La Brûlerie où nous nous réunissons tous les vendredis soir pour discuter de tout et de rien. Mais ce n’est nullement un cénacle, personne ne s’y prend au sérieux.

Émile Ollivier y était assidu. On y voit parfois Dany Laferrière, Rodney Saint-Éloi, Josaphat Robert Large, Thomas Spear, et régulièrement Roland Paret et beaucoup d’autres.

À Montréal, il y a une sorte de coupure : Est/Ouest, comme au beau temps du communisme, sauf qu’ici il n’y a pas de conflit, pas de mur, juste un esprit différent.

Mon enfance

Une petite enfance heureuse avec mes parents, jusqu’à l’arrivée au pouvoir de Duvalier, le médecin malgré lui, comme je l’appelle.

Mon modèle absolu c’est ma grand-mère maternelle, qui m’a appris l’essentiel : toujours rester dans le positif, ne jamais haïr, ne jamais faire de mal. Ceci paraît simple, mais c’est extrêmement difficile à mettre en pratique.

Je n’ai rencontré qu’une seule autre personne comme ma grand-mère : un vieux sage hindou que Davertige et moi avions visité à Paris dans les années 60. Nous l’aurions suivi au bout du monde s’il nous l’avait demandé.

Après la petite enfance, il y eut l’école que j’ai détestée. Je me rappellerai toujours la première journée où je suis resté tout le temps accroché à la soutane du frère Clair.

Il y a au moins deux grands traumatismes dans la vie : la naissance, que fort heureusement nous oublions, et le premier jour d’école où nous sommes arrachés à notre cocon. L’école marque la fin de l’enfance.

Mon œuvre

J’écris dans tous les genres : poésie, roman, essai, théâtre, nouvelle et conte.

Mon premier livre fut une commande sur la méditation transcendantale. Grand best-seller qui m’a mis en contact avec Henry Miller qui voulait faire méditer une de ses maîtresses qu’il trouvait névrosée. J’ai une lettre manuscrite de lui. Un psychiatre algérien m’a aussi écrit pour savoir comment faire entrer la méditation en Algérie.

Premier recueil de poésie : Ex-île.
Grand succès et premier prix de poésie en France.
Beaucoup d’autres recueils, dont Il est grand temps de rallumer les étoiles.

Plusieurs romans : trois sur la dictature de Duvalier et un sur la solitude dans une grande ville, en l’occurrence Paris.
J’ai traité la dictature sous l’angle tragique, L’île aux deux visages, mais aussi satirique dans L’Adolescent qui regardait passer la vie. Dans ce roman, je mets en scène un jeune Juif en Haïti, Julien Freud, qui se moque avec beaucoup d’ironie de l’absurdité absolue de la dictature.

Dans Un homme seul est toujours en mauvaise compagnie, je traite de la solitude à Paris en poussant le drame jusqu’au bout.

Un recueil de nouvelles : Kafka m’a dit. L’action se déroule un peu partout.

Un pièce de théâtre, L’Immigrant, écrite pour la télévision. Je n’étais presque jamais d’accord avec le metteur en scène sur son interprétation.

Un conte pour la France.

Ma problématique actuelle : sortir de la nostalgie. Je ne renie rien de mes premiers poèmes, je ne rejette pas mon île natale, mais il faut faire différemment. S’ouvrir au vaste monde. Résoudre le problème oedipien avec la terre mère. Sortir des clichés, de ce que tout le monde attend automatiquement d’un auteur né en Haïti. On peut écrire sur son pays natal, mais on n’est pas obligé de le faire. Il faut avant tout suivre sa boussole intérieure, comme disait Proust. Comme l’enfant doit se libérer des jupes de sa mère, l’écrivain doit s’affranchir de son lieu de naissance, sans toutefois le renier.

L’Insularité

Que dire de l’insularité ? En fait, je n’aime pas la mer. Est-ce parce qu’elle représente un obstacle entre le monde extérieur et moi ? Je l’ignore.

Il y a là une contradiction : je me sens à la fois enfermé dans mon île, mais en même temps libre devant cet espace dégagé que représente la mer. Île en île. D’une île à l’autre. De Port-au-Prince à Montréal, en passant par Paris.

Aucune importance pour moi d’être né sur une île.

Mon premier recueil de poésie s’intitulait Ex-île, mot que j’ai inventé et dont je suis très fier puisqu’il exprime tant de choses. J’espère qu’un jour un dictionnaire me fera l’honneur de l’enregistrer.

Ce qui me frappe aujourd’hui sur mon bout d’île c’est son immobilisme. Plus rien ne bouge, la misère demeure et les politiciens n’ont aucune volonté politique. Ils n’attendent même pas Godot et, si ça continue ainsi, les écrivains haïtiens n’auront peut-être même plus envie d’en parler.


Gary Klang

Klang, Gary. « 5 Questions pour Île en île ».
Entretien, Montréal (2009). 52 minutes. Île en île.

Mise en ligne sur YouTube le 1er juin 2013.
(Cette vidéo était également disponible sur Dailymotion, du 6 juin 2010 jusqu’au 13 octobre 2018.)
Entretien réalisé par Thomas C. Spear.
Caméra : Thomas C. Spear.
Notes de transcription : Josaphat-Robert Large.

© 2010 Île en île


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mis en ligne : 6 juin 2010 ; mis à jour : 26 octobre 2020