Frédéric Ohlen, « Un Éléphant de cristal »

(extraits de La Lumière du Monde)

Dépenaillés
hébétés
parmi les ruines
Soufflés pareils à la flamme

Ce que nous fîmes
semblable à du verre
Ce que nous sommes
parti dans le vent

Nous n’étions pas
dans l’eau furieuse
ni les tôles froissées

Rien de nous
dans l’écorce
issue de nos mains

*

C’est toujours le temps des semailles
Naissance renaissance
et l’impuissance du semeur

En ce temps-là
les armes seules
pensaient

Des bombes intelligentes
cylindres luisants
Et cette excitation malsaine de la guerre

Quelle luxure dans la destruction
Nous-mêmes parmi les ruines
Faire quelque chose

Plus de vacance
se donner soi
scieur de long

Pieds dans la boue
Trois tas bien nets
futiles pyramides
avant que ne revienne
le balancier du Chaos

Merles groggy
gosses dans les flaques
cette joie qui passe à gué
sans cesse

La vie s’entête
Quelle ombre immense
sur la douceur
des paupières

*

J’ai connu un marin
qui avait vu le soleil en face
à Mururoa

Il mourut
de leucémie
à Nouméa

À sa fille j’offris
cette année-là
un éléphant de cristal

*

En moyenne une espèce
vit
quatre
millions d’années

Tous les
500 000 siècles
extinction de masse
tabula rasa

Aérolithe
virus
déluge
glaciation

La prochaine approche

Ce ne sera pas
tel météore trouant l’espace
ni l’eau rugissante
ni la neige

Ce sera nous

*

Matin
Miction impossible
Barre d’aviron
Flor de amor
qui n’en démord
rame et cabestan

Écrans au plasma
Tanks à tous les JT
Tout éméchés de sitcoms
et de soft operas

Drones sillonnant le ciel
Ni putes ni soumises
Un pitt-bull aux yeux clairs
bondissait à la grille

Corpus mundi
Sans cesse boue & lumière
Tigres et tanagras sentent le kérosène
3 500 F pour s’inscrire

à la bibliothèque
Corpus mundi
Baie de la Moselle l’eau monte
( 12 cm en 12 ans)

Rester lisse
Momies sans rides
des bimbos octogénaires
s’injectent des toxines botuliques

Nelson                  fils du Transkaï
apprit                    la boxe
resta                     26 ans
en prison

Bracelets électroniques
cartes
matricules à la con
Plus de majuscules à aucun nom

Plus rien n’a d’importance
L’enfant (par contumace
dans une pipette) brûle
des fourmis avec une loupe

Les hommes naissent et puis
deux à s’élancer
d’une tour en flammes
à la rencontre du vide

Oh bien sûr
on donnait des notes on prenait des mesures
on auscultait à coups de scanner et de statistiques
Dow Jones et Nasdaq

À moins de 15
l’élève Guttierez pleurait
pour 17 à Saulieu
un autre se suicida

Agoras dégoisantes
Banques de teck
Les dieux s’étaient
réfugiés dans les arbres

*

Les Talibans sont venus
Ils ont coupé les abricotiers
brûlé les vignes

Depuis la poussière
se glisse dans les cheveux
et crisse sous les dents
Les plaines
refleuriront
a dit l’enfant


Le poème « Un Éléphant de cristal » a été publié pour la première fois dans le recueil de poésie de Frédéric Ohlen, La Lumière du Monde, paru dans une co-édition Grain de sable et l’Herbier de Feu à Nouméa en 2005, pages 128-135. « Un Éléphant de cristal » est la cinquième partie du recueil.

© 2005 Frédéric Ohlen


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mis en ligne : 10 mai 2005 ; mis à jour : 29 octobre 2020