Elvire Maurouard, Deux poèmes

Prière pour l’Homme Sépharade

Tous les orages habillés de chair rouge
Tous les souverains éperdus d’éternité
Tous les songes de Moïse fiancés aux saisons
Tous les Sabas dénudés par le désir
Tous les espaces enchantés
Tous les sons engendrés par l’extase
Tous les déluges silencieux
Tous les essaims aux essences secrètes
Tous les vertiges fermentés
Tous les poèmes fécondant la nuit
Tous les chatoiements du galbe féminin
Tous les cosmos à l’âme sacrée
Tous les torrents véhéments de la volupté
Tous les rites immémoriaux
Tous les symboles d’absolu
Tous les esprits scintillant de paradoxe
Tous les tons des alcôves éblouies
Ressuscitent pour t’engendrer homme sépharade
Terre à la poitrine ardente
Un homme frappe à la porte
Nous scandons tous en chœur
Qu’il naisse

Dames Sarah

Nous Dames Sarah ! Nous sommes les pêcheurs de lune ;
Le tremblement de terre a maudit nos nuits sur la lagune
Nous Dames Sarah pourtant sans verge et sans patrons
Notre vaillance broie, au choc des avirons,
En Haïti, le séisme fatal règne en maître
Déchire notre chair pour nous soumettre
La mer, la mer ne veut plus être notre nourrice.
Ô Traîtrise des vents du grand large… Avarice
De la vague ! Colère et deuils des nuits d’enfer
La rancune du sort a, désapprobatrice,
Posé sur notre front son gantelet de fer.
Aussi nous recousons, sur nos grabats de brande,
La voile déchirée où sèche un peu de sel,
Même si la dîme de nos maux est encore plus grande
Nous résistons aux blessures de notre cœur mortel
Nous remplaçons le mât quand la nef se démâte,
Nous taillons d’autres bois quand sa poupe prend l’eau
Le pleur ne peut plus brûler notre figure mate.
Mais un enthousiasme éternel et nouveau
Celui de Toussaint illumine nos cerveaux,
Louverture avec toi, malgré l’adversité funeste,
Nous renouvelons la beauté de notre geste
Nous serons mères cinq fois, six fois, dix fois
Avec nos mains, nous renverserons les croix
Nous sommes les croyants vers les hauteurs partis,
Nous opposons, aux flots vides, nos démentis.
Et si le séisme prenant nos dernières amies
N’en laisse qu’une, parmi les hardes de ses voiles
Nous savons que l’espoir tenace embrasera ses moelles


« Prière pour l’Homme Sépharade », par Elvire Maurouard, est publiée pour la première fois dans le recueil Coquillages africains en terre d’Europe. Paris: Éditions du Cygne, 2009, page 54.

Le poème « Dames Sarah » paraît pour la première fois dans Terre de femmes; 150 ans de poésie féminine en Haïti. Bruno Doucey, éd. Paris: Éditions Bruno Doucey, 2010, pages 225-26.

Ces deux poèmes sont reproduits sur Île en île avec la permission de l’auteure.

© 2009 et 2010 Elvire Maurouard


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mis en ligne : 29 novembre 2010 ; mis à jour : 26 octobre 2020