Davertige, « La beauté et l’amour comme inquiétude »

Davertige, photo © Johanne Assedou, août 2003

photo © Johanne Assedou, août 2003

Nous ignorons peut-être l’évolution des arbres et des forêts
Nous qui sommes poètes et fils de la nature
Car à l’heure où j’écris sur cette table chargée de fossiles
Un peuple de bonheur meurt par dessus le voile de l’aurore
Des fruits profonds s’adoucissent sur des branches
La mer franchit cette frontière de l’extase et de la passion
La Beauté et l’amour sont donc à reconstruire
Sur les astres et sur les joues la tour secrète unie à nos angoisses
Pardonne à mes rêveries et à mes errances
Une putain a le sexe pur de la tornade
Une aurore vagabonde change le jour et prend le centre
Des tourments qui viennent sur le dernier bateau
Mon dernier port galopant aux pieds de la prairie
Petit cheval du soir aux yeux de romarin
J’ai tourné sur ma tête l’herbe sans prix pour ma mémoire
Je m’en souviens et les vagues se remémorent
Où sont les joies et les plaisirs du Début de l’Amour
Je la connais la femme qui fait vibrer le paysage
La sève s’amplifie et recolore nos souvenirs anciens
L’amour nous prend et nous explique le chemin de l’Éden
Que l’enfant qui s’en va baise mes joues fanées
La roue de mer tourne les folles vagues et doit tourner
Hier la forêt près de nous était un livre
Et des oiseaux chantent sur nos épaules
L’hirondelle vers les Pôles tournait ses yeux opaques
Ce seul soleil de charbon contournant les larmes du ciel
Collier de voix autour du désert de nos corps
Celle qui venait avec cette aurore que j’aime
Qu’au centre de leur jardin se repose ma lampe
Elle s’éteint comme un tombeau sans souvenir
Cette mer fraîche c’est son profil scintillant dans le demi-soir
Un miroir aveugle aveuglant dans cette nuit sans chiffre
Ce fruit voyant dans le verger mûr de ma chambre
Ses doigts d’huile sensible réglant la geste d’incertitude
L’Équateur ce bâton de grains de réglisse dans l’émail du cancer
La structure broussailleuse limitant la vue du Poète
Au bas des ciels de zinc meurent mes yeux céruléens
Toute la NATURE est absente dans mes rêves

Et tournent et tournent les mers et les déserts
Les ciels gris de cristal les quais aux brides de l’Enfer de Rimbaud
Et non dans les mers de Cravan Arthur Arthur Artaud
Horizon lâché à midi du signe des yeux mortuaires du monde
Comme gueules battues aux battants pour l’embarcation
Le verre frotte ses doigts sur la pâleur de nos miroirs
Viennent des saisons au front de l’orage qui gronde
Horizon renversé d’obus derrière la course du mal-aimé
Apollinaire
L’azur dans la courbe des sens reprend sa douceur d’autrefois
Et au cœur du matin nous sommes à la rencontre de l’espérance
Mon île liée au péril de ma vie
Le piroguier Césaire dans les pirogues des Antilles
Marche marche dans les tuyaux de nos oiseaux aventureux
Et ce nuage d’homme d’une mémoire de course
Est le cœur plein de vie des astres de Tzara
L’amour entre et sort et fait de nous un lac sanguinolent
Dans la plainte des larmes qui charrient nos enfances
Ô larmes de la mort dans l’ivrognerie de Dylan Thomas
Corbeaux mon panthéon aux vitres de l’azur
Clouées au front du ciel entre les mains ouvertes d’Edgar Poe
Dans cet espace indivisible aucun ange n’a répondu
La chute de l’enfance a refermé le Temple
Et Rilke a ouvert la lumière sur le paysage inconnu
La rose parée de sève plus belle que le jour
Le couple de pluie Éluard et Nush se tenant d’innocence
S’en allait à travers le jour et se couchait partout
Et toi assise sur le seuil de ta grâce subtile
L’étoile que tu portes au front se souviendra de ma passion
Je me regarde dans le miroir ton enfance devient ma jeunesse
Et le vertige remplit le ciel du poids de ce poison Un pont sur ta main
Claire et tes doux yeux
Une ville reconstruite dans le parfum du demi-soir
Un oiseau chante au coin de mon miroir
Ô ciel fou de Goll au moulin de la jalousie
La PROSTITUTION a des cheveux malades comme des bêtes féroces
Dites Lautréamont derrière un vieil Océan
Ce sont les chants du monde et les nuits à la recherche du fantôme
Puisque poète ma voix a dénoué le ruisseau
Sous les arcades de l’amour des poissons au-dessus des eaux
Entourées de bois de chandelle et de quinine
La CONVULSION de L’Immaculée Conception au front de l’ombre de Breton
Ô Desnos sur le pont de la vie où passent les Nazis
Je découvre la lame sans queue mordant nos cœurs
Un seul amour ininterrompu persécuté dans cette nuit
De cyclamen quand la France dans son cycle par toi abat l’infini
Et c’est aussi sur une même route avec Elsa
Ô mes chants érigés en stèles de sable remarquable
Comme des ciels de tuf aux horizons tabous où dialoguent les Parias
Par-dessus St-Aude et le soleil au coin de la rue St-Honoré
Riez e ne riez pas de ceux qui veulent tuer leur Roi
Qui fut en pays étrange étranger de son labyrinthe de propriété
Car à chacun appartiennent les monstres qui rejettent les lois
Autour de toi Michaux l’abîme exorcise nos plaintes
Je les connais aussi ceux qui s’élèvent avec leur libation
La mer montée vers nous dans le Temple-de-Mer de Perse
L’océan dans son architecture plus grande que l’avenir

Merdre aux voyous décervelés
Merdre Merdre au Père-Ubu
Un poète fait son portrait en crabe
Là où Jésus déménage pour laisser ses cornets à dés
Ah qu’ils s’effritent ces paumes de chaux
J’ai péché sur la lampe les pierres et les hommes
Hommes de l’inquiétude je ne vous ai jamais connus
Tant que la pente sera mouvante je prendrai toujours mon bateau
Si c’est une fenêtre lyrique que l’on me donne des fleurs
J’ai des bras comme les autres pour travailler des lèvres pour baiser
Je me connais Davertige de tous les vertiges des siècles
Je les connais ces ciels de romarin où les enfants mal-nés gémirent
Où la patrie et ses nuits sauvages d’amour dialoguent
Passants dans la merveille des saisons arrêtez-vous devant ma lampe
Nos mains ont besoin d’écume et de sève
Ève ne portera plus le tort des désirs déchaînés par ses sens
Ni les voyous la puanteur qui accable le monde
Par-delà le vertige mon être pris de toute connivence
Avec les astres et les hommes

Au bras des ciels de zinc se raniment mes yeux céruléens
Toute la NATURE est présente dans mes rêves.


Ce poème de Davertige, « La beauté et l’amour comme inquiétude » a été publié pour la première fois en 1962 dans la première édition d’Idem. Le poème a été récrit par l’auteur pour sa publication dans l’Anthologie secrète (Montréal: Mémoire d’encrier, 2003, pages 18-21).

© 1962, 2003 Davertige; © 2003 Mémoire d’encrier


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mis en ligne : 26 décembre 2003 ; mis à jour : 22 octobre 2020