Claire Karm, 5 Questions pour Île en île


Claire Karm répond aux 5 Questions pour Île en île, à Saint-Denis de La Réunion, le 7 juillet 2009.

Entretien de 17 minutes réalisé chez l’auteure par Thomas C. Spear.

Notes de transcription (ci-dessous) : Fred Edson Lafortune.

Dossier présentant l’auteure sur Île en île : Claire Karm.

début – Mes influences
01:17 – Mon quartier
04:05 – Mon enfance
07:54 – Mon oeuvre
14:16 – L’insularité


Mes influences

J’aime particulièrement la littérature mauricienne. Malcolm de Chazal et Édouard Maunick sont des auteurs que j’adore. Je suis intéressée aussi par la littérature malgache avec des écrivains tels que Jean-Joseph Rabearivelo et Jacques Rabemananjara.

J’ai une grande passion pour John Cowper, l’auteur des Sables de la mer. J’aime les poètes maudits comme Rimbaud, et la poésie mystique, baroque.

Mon quartier

J’habite sur Saint-Denis, dans une petite rue qui est presque maintenant sans issue. C’est la rue Tourette. Il y en a deux : rive droite et rive gauche. La mienne est la plus abandonnée.

J’aime beaucoup la tombée du crépuscule. Tous les soirs il y a l’appel du muezzin, prière arabe à laquelle je suis très sensible puisque j’ai grandi pendant un certain temps au Maroc. Je suis très sensible à tout ce qui touche à la civilisation hindou-musulmane.

Mon quartier ? C’est un petit bar de proximité qui se trouve juste en face. Ce sont de petits Mahorais qui viennent cogner à ma porte pour des raisins, des mangues ou des papayes. Ce sont les échanges de plantes avec les voisins ; ils me donnent un frangipanier ; je leur donne une fougère, une orchidée… Je vis comme dans un petit village.

Je marche souvent à pied, je connais toutes les figures de Saint-Denis : les SDF et les gens qui promènent leurs chiens. Mon quartier, ce sont ces échanges avec les piétons. La poésie se situe là.

Je suis très contemplative, j’aime regarder la mer, les couchers de soleil et le beau panorama qui existe tout le long de la rivière Saint-Denis.

Mon quartier, c’est aussi cette vieille église, la toute première qui a été construite sur Saint-Denis, l’église de la Délivrance. Il y a également l’architecture moderne. C’est tout mélangé, métissé comme beaucoup de choses à La Réunion.

Mon enfance

J’ai passé une grande partie de mon enfance en Provence, près de Toulon. Mes grands-parents avaient un vignoble. La maison familiale s’appelait la Sereine, une ancienne magnanerie. Je parle de cette maison dans Nine. J’avais une enfance de rêve, très préservée. Je devais être certainement schizophrène parce que pour moi l’école n’existait pas. Seul existait le domaine avec mes grands-parents et ma famille.

Les trois frères de mon père avaient épousé les trois sœurs de ma mère. Mes cousins étaient doublement germains, nous vivions comme des frères et sœurs dans une ambiance familiale.

Cela a été très douloureux pour moi quand, après le divorce, ma mère est retournée à La Réunion, son pays d’enfance. J’avais laissé quelque chose de merveilleux en Provence. Dans mon enfance, j’avais un univers extrêmement préservé qui a beaucoup joué dans le fait que j’écrive puisque mon père, ma mère et tous mes oncles écrivaient. Je ne fais que prendre une succession.

Mon enfance, c’étaient les raisins, les pêches, les fraises, les amandes vertes et les cerisiers en fleurs. C’était un très beau domaine. Jamais, je n’ai trouvé à la Réunion autant de plaisir et cette vie de rêve qui dépendait de la richesse de mes grands-parents.

Mon enfance, c’était aussi la haine de l’école. C’était très dur. J’étais dans une école religieuse. Je mordais les religieuses qui me frappaient avec des règles en fer. J’étais vraiment solitaire. Je n’ai apprécié véritablement l’école qu’à partir du lycée à La Réunion où j’ai découvert la littérature et la philosophie. Tous mes apprentissages primaires ont été extrêmement douloureux.

J’ai pris beaucoup de temps pour apprivoiser l’île de La Réunion et pour qu’elle m’apprivoise à son tour. J’ai appris à apprécier l’île à travers ses poètes et ses chanteurs.

Mon œuvre

Pour moi, la poésie est dans la vie. Je suis très rêveuse. Je n’ai jamais dissocié ce que j’écris de ce que je vis. J’ai commencé à écrire de la poésie à l’âge de vingt ans. Je croyais que la poésie était plus facile à aborder. À ma première publication, Au danseur du feu, j’ai commencé par remarquer qu’elle exigeait beaucoup de travail.

Mon livre Rue d’Après rejoint mon côté piéton. C’est une poésie très contemplative. Regarder me suffit. Je communique par d’autres moyens que par la parole.

Après, je me suis intéressée au récit. Dans Nine, il y a des passages autobiographiques entremêlés de portraits de femmes réunionnaises.

J’ai écrit deux courts romans. Le premier s’intitule Mouramour, ce qui veut dire « doucement » en malgache. C’est-à-dire, prendre la vie comme elle vient. Ce livre est un portrait d’une femme sculptrice, aimée par deux jumeaux. Elle va faire passer son art avant l’amour et avant la vie.

Quand on est artiste, on est un monstre. C’est difficile de se faire comprendre et de comprendre les autres. Quand on écrit, on a tellement de travail qu’on reste enfermé comme dans une cellule. On est dans son écriture.

Dans mon roman Monstres, j’ai abordé la thématique du cirque ; j’en suis passionnée. Le propos de ce roman, c’est « Qui sont les monstres ? » Toute l’intrigue est basée sur une naine qui reçoit un cirque à La Réunion et qui évoque ses souvenirs de naine, de « monstre ». C’est un roman un peu baroque, fantasque.

Je me suis beaucoup documentée sur le cirque. J’ai des origines slaves et romanichelles de la part d’une arrière-grand-mère, apparentées au cirque.

L’écriture est ma liberté totale. Je n’ai pas peur de la page blanche. Je prépare un roman où je m’intéresse à tout ce qui est magie et sorcellerie.

L’Insularité

L’insularité pour moi a déjà été un voyage, vers une île, celle de ma mère, et de découvrir l’île de La Réunion, le créole. Certaines fois, l’île est peut-être une prison, mais l’île, c’est surtout les horizons, ces immensités : la mer et le ciel, vaste. Sur une île, je ne me sens pas du tout terrestre.

Il m’arrive parfois, comme tous les îliens, de ressentir l’enfermement, mais cela peut être de faire ce que l’on n’aime pas trop faire dans le quotidien et le travail. Alain Gili m’a dit que la route en Corniche – [la route du littoral] qui dessert Saint-Denis, Le Port et Saint-Gilles – est comme le château fort et le chemin de garde : on n’y voit pas l’intérieur de l’île. C’est pour les étrangers, leszorey, qui refusent d’aller vers l’intérieur. J’aime beaucoup la mer, mais j’aime aussi les hauts de l’île, la Plaine des Palmistes… Ça suffit pour me dépayser. Je contemple le ciel et la mer.

L’insularité ne me pèse pas, cela fait quarante ans que je vis sur l’île de La Réunion.


Claire Karm

Karm, Claire. « 5 Questions pour Île en île ».
Entretien, Saint-Denis (2009). 17 minutes. Île en île.

Mise en ligne sur YouTube le 25 mai 2013.
(Cette vidéo était également disponible sur Dailymotion, du 29 décembre 2009 jusqu’au 13 octobre 2018.)
Entretien réalisé par Thomas C. Spear.
Notes de transcription : Fred Edson Lafortune

© 2009 Île en île


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mis en ligne : 29 décembre 2009 ; mis à jour : 26 octobre 2020