Christophe Charles, 5 Questions pour Île en île


Poète, essayiste, éditeur et éducateur, Christophe Charles répond aux 5 Questions pour Île en île.

Entretien de 27 minutes réalisé à Pétion-Ville le 27 juin 2011 par Thomas C. Spear.
Caméra : Kendy Vérilus.

Notes de transcription (ci-dessous) : Ségolène Lavaud.

Dossier présentant l’auteur sur Île en île : Christophe Charles.

début – Mes influences
04:53 – Mon quartier
08:57 – Mon enfance
12:16 – Mon oeuvre
20:30 – L’enseignant, l’éditeur
23:39 – L’insularité


Mes influences

Christophe Charles a été très marqué lorsqu’il était écolier, « par tous les livres de la très belle bibliothèque qui lui sont tombés sous la main », de l’école des Frères de Jean-Marie Guillot, où il avait libre accès. Il les a presque tous lus. Cela veut dire que la passion de la lecture est venue très tôt et cela a continué lorsqu’il était en secondaire.

Parfois il fréquentait les bouquinistes que l’on trouvait un peu partout à Port-au-Prince, particulièrement rue Bonnefoy, au marché Vallières (le « marché d’en bas »). Il faisait parfois un

choix douloureux entre acheter un livre de mon argent de poche, ou bien rester sans manger. […] Je me rappelle avoir acheté un livre parce que ne pas manger un jour le matin, ça ne va pas me tuer, mais si je ne prends pas ce livre, […] dans quinze minutes, quelqu’un d’autre l’aura pris.

En secondaire, il a commencé à étudier la littérature, et s’est enfoncé dans la lecture des grands auteurs. Il avait été particulièrement marqué par Arthur Rimbaud : Une saison en enfer, Les Illuminations, ce fut une révélation. Ces textes l’ont marqué. Lorsqu’il a commencé à étudier la littérature haïtienne certains auteurs du XXe l’ont beaucoup influencé, et on retrouve ces influences dans ses poèmes du début. Par exemple dans son adolescence à 17/18 ans : Jacques Roumain, Jean Brière, René Depestre. Il pense avoir également été principalement marqué par les surréalistes : Paul Éluard, par la musique et la fluidité de la poésie, plus légèrement par André Breton. Il ne se considère pas comme un auteur surréaliste, mais pas non plus tout à fait classique. Il y a « une mixture » à travers ses textes, car il se « refuse à écrire des textes complètement hermétiques sans tomber complètement dans une écriture de communication au niveau de la poésie ». Il est fondamentalement poète et s’il fait allusion à ces auteurs de poésie, il reconnaît qu’il y a également de grands auteurs de prose, qu’ils soient américains, français au autre, qui ont également marqué ses débuts d’écrivain et dans une certaine mesure son œuvre poétique.

Ayant plutôt fait des livres de poésie ainsi que beaucoup de critique littéraires, de contes, des récits fantastiques, dont récemment Un trafic de zombis – il n’a pas encore publié de roman, mais en a 4 ou 5 en chantier ; il espère que le premier sortira pour le Salon Livres en folie, l’année prochaine.

Mon quartier

Jusqu’en 2000, il habitait à Carrefour-Feuilles, rue Bécassine. Depuis dix ans, il habite Delmas « un quartier tout simple », loin du centre ville. Pour atteindre la rue Xaragua, il faut monter au sommet de la colline, sur la butte, à gauche. Il s’interroge sur l’origine des noms et les rapports que les promoteurs avaient avec les Indiens, dont les rues Xaragua, Magua et Marien

En bas de la colline, il y a un marché des deux côté de la rue où en général il s’approvisionne, sans compter les visites au supermarché. C’est une rue asphaltée, peu longue où il a très peu de contacts avec les voisins. Ce sont des locataires, pas des propriétaires. Ils se saluent, mais ne se visitent quasiment pas. Plus bas, il y a un bidonville qu’il ne connaît pratiquement pas. Il y est rendu une fois, mais n’est pas réellement entré, étant à la limite du quartier :

C’était à l’occasion du séisme du 12 janvier. J’y suis entré, il y avait tellement de maisons, j’ai fait le tour du quartier pour aller constater les maisons effondrées et à un bloc plus bas, il y a quelqu’un qui avait laissé sa maison, qui a été s’abriter devant une ligne de clôture, et malheureusement le mur est tombé sur lui et je voyais le cadavre par terre, comme ça. Après, on a recouvert le corps, l’ambulance est venue et on l’a emporté. Mais je flâne très peu dans le quartier.

Il sort très tôt le matin pour aller à son travail et ne rentre que tard vers 7 ou 8 heures, et parfois travaille sur son ordinateur, regarder la télé, lit. Dans ce quartier tout simple il y a majoritairement des maisons d’un étage.

Au début de la rue, il y a une boutique, un bazar comme on dit chez nous. La boutiquière, c’est une de mes anciennes élèves, on a plus ou moins de nouveaux rapports, mais je n’y vais pas très souvent. Il n’y a rien de très particulier dans mon quartier, la rue Xaragua à Delmas 31.

Mon enfance

Christophe Charles a peu de souvenirs de sa petite enfance, vers 3 ou 4 ans. Ils habitaient le quartier de Martissant. Il se rappelle, lorsqu’il avait environ 5 ans, de son père rentrant l’après-midi avec son chapeau et son costume de tissu appelé « Palm Beach ». Avec lui, il a appris avec des petits cailloux, les rudiments de calcul. Parfois en cachette de son père, il jouait aux billes avec les gamins du quartier, il surveillait le retour du père et courait dans la maison, car s’il était surpris, il avait droit à une bastonnade.

Lorsqu’il était en primaire, à Jean-Marie Gaillot, son père était très exigeant. Il ne tolérait pas une place en-dessous de 3e et s’il était 4e, il était encore bastonné. « Ça a été très dur pour moi, peut-être que ça a porté ses fruits parce que ça m’a poussé à travailler et j’ai gardé ces habitudes ». Après la mort de son père, il est toujours resté tête de classe. Il n’a pratiquement pas connu sa mère, décédée lorsqu’il avait 3 ans, et en a peu de souvenirs. Quant à son père, il le perdra à 9 ans. Il fut pris en charge par sa marraine, proche parente encore célibataire, elle l’a élevé jusqu’à son mariage quand elle est partie suivre son mari aux U.S.A. ; il avait 12 ou 13 ans. Ensuite sa grand-mère maternelle prit le relais jusqu’à sa mort, alors qu’il avait une vingtaine d’années. Il était en philosophie à la faculté, à l’École Normale Supérieure. Depuis il a fait son chemin tout seul.

Mon œuvre

Les premiers textes qu’il a « griffonné » furent des vers, des réflexions de nature un peu philosophique. Ensuite il a publié, il avait écrit une vingtaine de textes et à 16 ans son premier recueil était composé. C’était sous Duvalier (Papa Doc), il fallait une autorisation de la préfecture pour publier ; aidé d’un oncle, une série de démarches se révéla infructueuse car malgré l’obtention du sceau de la préfecture, il n’avait pas l’argent nécessaire, car c’était à compte d’auteur. Il n’y avait pas de maisons d’édition et jusqu’alors il y en a très peu en Haïti. Son premier recueil L’Aventure humaine, a pu être publié en 1971. « Peut-être dans le sillage d’André Malraux, je venais de lire La Condition humaine. Il y a une pensée de Malraux en exergue du premier recueil ». En 2011, Charles célèbre plus ou moins ses 40 ans en littérature. Il a publié environ une trentaine de recueils de poèmes, une centaine de publications. Tous genres confondus : poésie, essais, biographies, essais politiques, essais esthétiques, contes… une centaine de publications, brochures et livres. L’un de ses premiers textes à succès, Le Cycle de la parole « est un grand chant d’amour où le thème de la femme et le thème de l’île s’entrecroisent ». En 1975, il publie le recueil Désastre, texte assez risqué sous Baby Doc. À partir d’un montage de ces textes, des comédiens du Conservatoire d’Art Dramatique ont monté un grand spectacle son et lumières à l’Institut français d’Haïti, ce qui donnait des « frissons » quand le gouvernement faisait pression sur les créateurs. Il vit un matin devant sa maison quelqu’un posté portant des lunettes noires ; pris de panique, il s’est caché. Dans son recueil Hurler, il écrit « Il pleut du sang sur Port-au-crime / Tous les hommes disparaissent ». Cela justifiait sa peur, se sentant « pisté ». Son ami Gasner Raymond, journaliste au Petit Samedi Soir a été assassiné ; Dany Laferrière en parle dans son livre Le Cri des oiseaux fous. Un autre ami journaliste, Ezéchiel Abelard a été kidnappée et puis « disparu », et Dany Laferrière a laissé le pays pour émigrer à Montréal.

Il se dit non irréductible, cependant lui n’a jamais quitté le pays refusant quiconque à l’obliger à partir, même s’il a eu à se « mettre à couvert … [cela] a permis de nourrir mon œuvre poétique ; mais pour la comprendre, il faut la mettre en parallèle avec cette dictature qui a dirigé le pays de 1957 à 86 ». Ils étaient obligés de recourir à une « poésie allusive » quand ils ne pouvaient dire les choses directement, « sous peine d’être mis en prison ou même d’être assassiné tout simplement ».

Son œuvre est fortement politique et sociale. Il cite le Dr. Pradel Pompilus, pour son Histoire de la littérature haïtienne, (1975/1976) qui, au chapitre intitulé « Les Accusateurs publics », souligne le caractère contestataire, social et politique de son œuvre en forme de contestation, sous la dictature, qui en fait sa diversité. Christophe Charles est « marqué par l’angoisse existentielle », très importante dans son œuvre poétique. Pour l’érotisme, il s’approche de René Depestre, marqueur de son œuvre poétique. Ainsi, il évoque surtout ses premiers recueils, L’Aventure humaine, Le Cycle de la parole et Désastre.

Les dix dernières années, ses oeuvres tournent, par exemple, autour de la ville de Port-au-Prince, dont les recueils Port-au-Prince, mon amour et Ma ville à la chevelure de vertige.

Il y a toute une génération qui tourne autour de ce maelström. Un critique l’avait appelé « La génération de vertiges ». C’est le genre poétique qui m’accapare. Jean Cocteau disait « On ne se consacre pas à la poésie, on s’y sacrifie ». Je n’ai pas voulu aller aussi loin que Rimbaud, ou Verlaine ou Lautréamont. Je me suis bien gardé de tomber dans ce « gouffre » dont parlait Charles Baudelaire. J’ai préféré la lucidité à la folie, mais ce grain de folie, on le retrouve dans toute mon œuvre poétique. »

J’ai fait aussi des contes et j’ai une ébauche de plusieurs romans, je crois que je vais me lancer dans l’aventure du roman. 

L’enseignant, l’éditeur

Il a fait les lettres et la philosophie à Normale Supérieure, mais ne se destinait pas à l’enseignement ; il voulait, auteur et écrivain, approfondir ses connaissances de la littérature. À 19 ans, il est rentré à l’École Normale Supérieure qui demandait des moyens financiers. Il a accepté de donner des cours et est ainsi entré dans la carrière d’enseignant il y a plus de 40 ans, et y est resté ; cela est son principal revenu. Depuis deux ou trois ans, quasi préretraité, le métier d’éditeur prend la pas, il y gagne beaucoup plus qu’avec le métier d’enseignant. Sa journée commence vers 8 heures, par le bureau où il traite les manuscrits, effectue les corrections, les sous-traitances avec l’imprimerie. Il assure quelque cours très diversifiés : le journalisme à l’Université Xaragua ; l’histoire diplomatique d’Haïti à l’Académie nationale diplomatique et consulaire ; le créole à l’Université Episcopale. Il vit de la conjugaison des deux activités. Son travail d’éditeur est beaucoup plus lucratif que celui de professeur, en Haïti les professeurs ne sont pas très bien payés.

La ferveur autour du livre a pu être constatée par les nombreux visiteurs au stand [à Livres en Folie, juin 2011] des Éditions Choucoune qui ne désemplissait pas. La demande se voit pour les livres de jeunesse, les essais littéraires, les contes ; en revanche, la poésie se vend beaucoup moins. Cependant, la maison s’en tire bien.

L’Insularité

« C’est incontournable, qu’on le veuille ou non, on est marqué par cette insularité, par cette identité. Même si j’écris en français, je suis un poète créole. Les questions d’identité – d’insularité, d’Antillanité – on les trouvent à toutes les pages de mon œuvre », par son vocabulaire et l’ambiance générale de l’œuvre. Malgré lui. À l’instar de [Wole Soyinka], Charles rappelle que « Le tigre n’a pas besoin de proclamer sa tigritude ». Il pense que [l’insularité,] c’est « incontournable […] et que c’est l’avantage d’avoir vécu tout le temps en Haïti ».

Grand voyageur cependant il est resté, même « s’il j’ai dû me faire tout petit pour échapper aux sbires du régime duvaliériste, et ai construit ma vie en mouvement ascendant/descendant avec des dents de scie, une sorte de marronnage par rapport à la situation socio-politique ».

Ce qui lui a permis de survivre.

Même quand on le lit, même d’une manière superficielle, on va sentir cette marque de l’insularité et de l’Antillanité à travers mon œuvre poétique. Quand on va dans les contes, c’est vraiment un plongeon dans l’essence même de la culture haïtienne. Certains titres – Un Trafic de zombis, ou des légendes de la mer, du dieu Agoué – c’est de la culture haïtienne, extrêmement riche. Un auteur haïtien peut difficilement ne pas être influencé par cette culture très forte, qui fascine les étrangers.

En tant qu’auteur haïtien, c’est difficile d’y échapper, et encore moins de ne pas exploiter ce que l’on a.


Christophe Charles

Charles, Christophe. « 5 Questions pour Île en île ».
Entretien, Pétion-Ville (2011). 27 minutes. Île en île.

Mise en ligne sur YouTube le 15 juin 2013.
(Cette vidéo était également disponible sur Dailymotion, du 6 mai 2012 jusqu’au 13 octobre 2018.)
Entretien réalisé par Thomas C. Spear.
Caméra : Kendy Vérilus.
Notes de transcription : Ségolène Lavaud.

© 2012 Île en île


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mis en ligne : 6 mai 2012 ; mis à jour : 26 octobre 2020