Bertrand de Robillard, 5 Questions pour Île en île


Poète, musicien, nouvelliste et romancier, Bertrand de Robillard répond aux 5 Questions pour Île en île.

Entretien de 32 minutes réalisé à Curepipe le 22 juin 2009 par Thomas C. Spear.
Caméra : Anjanita Mahadoo.

Notes de transcription (ci-dessous) : Ségolène Lavaud.

Dossier présentant l’auteur sur Île en île : Bertrand de Robillard.

début – Mes influences
04:11 – Mon quartier
08:28 – Mon enfance
12:36 – Mon oeuvre
29:07 – L’insularité


Mes influences

Ce n’est pas par des romans que vient l’influence, mais par des chanteurs auteurs compositeurs à l’âge d’or de la chanson francophone à textes des années 1970 (Brassens, Ferré), et dont on ne parle plus tellement ; les écoutent-on encore ? En comparaison avec des œuvres majeures – les romans – où il a trop de « déchets » anti-littéraires : descriptions du vent, généalogies compliquées de frères, demi-frères, etc. Il préfère la littérature dans la chanson. De Robillard n’est influencé par aucun romancier dont il pourrait se recommander, sauf peut-être Modiano, dont il aime la musique de l’écriture. L’analyse d’un universitaire l’a éclairé sur les points important de l’œuvre.

Mon quartier

Né et vivant dans la deuxième ville de l’ïle, Curepipe fut une petite ville sympathique jusqu’aux alentours de 1970. Depuis 20-25 ans, un développement sauvage l’a défigurée. L’ambiance dès dix-huit heures est celle d’une ville morte ; il faut être bien équipé en bouquins et disques. Jusqu’à récemment il ne voulait pas la quitter. Il supporte mal le climat tropical, occidental égaré sous les tropiques ne supportant ni la chaleur, ni le contact du soleil, ne s’intéressant pas à la mer, il s’est sédentarisé.

Son personnage de L’homme qui penche essaie de rendre concret quelque chose qui ne l’est pas, il se crée un espace à lui, personnel, et n’y parvient pas, tout en croyant y être arrivé.

Mon enfance

Petite maison coloniale en bois avec son toit de bardeaux, comme il n’en existe plus, compte tenu du coût de l’entretient. Elle a une cuisine en extérieur pour les plats très épicés, compte tenu des odeurs fortes, et une intérieure, réservées exclusivement à la cuisinière, comme dans beaucoup de maisons mauriciennes.

Vers deux ans, il aimait grimper aux échelles, un jour sa mère le cherchait s’adresse à l’ouvrier qui réparait le toit, il était assis à côté de lui. Son second souvenir, sa mère était enceinte de Didier, il se souvient d’avoir entendu Piaf chanter : « Moi, j’essuie les verres au fond du café » qui fut son premier souvenir musical.

Des premiers jours d’école : en larmes, car il était terrorisé à l’idée de passer une journée séparé de sa mère, puis s’habitue.

Mon œuvre

Pendant 25 ans, de Robillard écrit des chansons. Le hasard, en 1997, du retour de Barlen Pyamootoo et de sa réinstallation à Maurice, qui allait réunir un volume collectif d’auteurs mauritiens Le Tour de l’île en quatre-vingt lieux, lui propose de soumettre un texte en prose, « sans musique ». Il avait déjà commencé à prendre goût à la prose et travaillait dans la presse, pour des articles hebdomadaires d’opinion. L’écriture de phrases se substitue aux vers de six ou huit syllabes. Non sans mal, il propose une vingtaine de pages sur le restaurant Gool, mais ce ne fut jamais publié. La genèse de L’homme qui penche était un projet collectif au sujet de « la nuit ». Au départ, le projet était la mise en scène d’un personnage mal à l’aise dans son environnement, thème plus ou moins sociologique. Cela a évolué vers une quête spirituelle, mise en scène d’une errance personnelle qui est en quête de lui-même et termine à la fin par penser qu’il a commencé quelque chose.

Pour l’errance, il faut préciser que l’on n’en est pas conscient. Lors d’une rencontre, les élèves de l’université en furent étonnés, ne comprenant pas du tout cette histoire d’errance.

Tout cela a conduit à un éloignement de la musique, de la chanson et un allant vers la littérature. Cela semblait pourtant inimaginable. L’homme qui penche a pris des années avant d’aboutir, entrecoupées de périodes de pannes, conjointement à la préparation de l’album Sité Blouz qui fut un marathon, compte tenu des problèmes de tous ordres, financiers, arrangements musicaux difficiles pendant plus de deux ans et qui se terminent par des arrangements personnels.

L’envie de chanter s’estompait, avec le travail intermittent sur L’homme qui penche et Sité Blouz lassé de prendre sa guitare pour chanter. La bande finale achevé « c’est parti comme sur une autoroute, et là j’avais envie de chanter ». Le succès éventuel de l’une des chansons fut couronné, classée dans les 50, puis dans les 20 chansons de l’année à Maurice ; elle passait tous les jours. Cependant il n’y eut pas de concert et tout le temps fut consacré à L’homme qui penche, ce qui a perduré.

Au début il n’était question que de chansons, dorénavant l’écriture s’exprime en termes de fiction. Il n’a jamais été question de pièces de théâtre. Dans ce cheminement, l’avant est en chansons. Il n’est pas question d’écrire pour d’autres, c’est une écriture strictement personnelle, hormis une fois où une chanson écrite pour une chanteuse bien précise fut reprise et adapté par et pour le chanteur lui-même. Cette écriture est celle de l’urgence qui ne peut être que personnelle, car un autre ne s’y reconnaîtrait pas. L’auditeur oui, mais pas le chanteur. Son approche de la chanson est la même que celle d’un auteur de roman ou de poésie. Elles viennent de loin, ce ne sont pas de simples mots. Écrire en deux heures une chanson à chaud, sur un évènement, est impossible. Il faut aller la chercher profondément. Comme dit Bernard Lavilliers, « La musique est un cri qui vient de l’intérieur ».

L’Insularité

Est-ce que l’insularité a construit Bertrand de Robillard ? Dans ses chansons, c’est un sujet qui l’a obsédé, le ressentant comme une prison ; il en a beaucoup souffert. Lors de ses études à Paris d’entraîneur en athlétisme, il a cherché en vain un moyen d’y rester, n’ayant pu obtenir de permis de séjour. Son retour à Maurice fut difficile et généra les premières chansons.

Un metteur en scène rencontré au Centre Charles Baudelaire lui a dit : « On en a marre d’entendre parler d’insularité » et de Robillard lui a répondu : « Dire cela à un insulaire, c’est comme dire à un chanteur de blues qu’on en a marre d’entendre parler de racisme ».


Bertrand de Robillard

de Robillard, Bertrand. « 5 Questions pour Île en île ».
Entretien, Curepipe (2009). 32 minutes. Île en île.

Mise en ligne sur YouTube le 8 juin 2013.
Cette vidéo était auparavant disponible sur Dailymotion (mise en ligne le 8 juin 2013).
Entretien réalisé par Thomas C. Spear.
Caméra : Anjanita Mahadoo.
Notes de transcription : Ségolène Lavaud.

© 2013 Île en île


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mis en ligne : 8 juin 2013 ; mis à jour : 26 octobre 2020