Barlen Pyamootoo, 5 Questions pour Île en île


Barlen Pyamootoo répond aux 5 Questions pour Île en île, à Trou d’Eau Douce (Île Maurice), le 21 juin 2009.

Entretien de 25 minutes réalisé par Thomas C. Spear.
Caméra : Anjanita Mahadoo.

Notes de transcription (ci-dessous) : Fred Edson Lafortune.

Dossier présentant l’auteur sur Île en île : Barlen Pyamootoo.

début – Mes influences
03:21 – Mon quartier
07:59 – Mon enfance
17:28 – Mon oeuvre
22:26 – L’insularité


Mes influences

Il n’y a pas beaucoup de textes qui ont influencé mon écriture. Peut-être quelques-uns. J’aime l’écriture non didactique et descriptive de Dashiell Hammett. C’est une écriture qui part d’un lieu pour aller vers un autre. J’aime James Joyce, son œuvre illustre le sommet de la littérature. Je l’ai lu plusieurs fois et je continue de le lire. Au-dessus du volcan de Malcolm Lowry est un très grand texte. Ce sont des textes que j’ai lus plusieurs fois. Voyage au bout de la nuit de Céline est un immense texte. J’adore Le bruit et la fureur de William Faulkner.

Voilà les auteurs qui me plaisent beaucoup. J’aime lire continuellement leurs œuvres. J’adore Savinien Mérédac, un auteur mauricien qui a écrit un chef-d’œuvre dans la littérature mauricienne avec un langage cru, qui dit les choses et les nomme. J’aime Carl de Souza pour son livre extraordinaire Les jours Kaya. J’aime également L’homme qui penche de Bertrand de Robillard.

Mais quand j’écris, j’aime bien aller vers Joyce, Malcolm Lowry et Dashiell Hammett.

Mon quartier

Il y a plusieurs lieux qui m’habitent. Je veux parler d’abord de Flacq à l’Île Maurice. Je suis né et j’ai vécu au centre de Flacq jusqu’à l’âge de 16 ans. Ensuite, j’ai vécu de longues années à Strasbourg. Je vis maintenant à Trou d’Eau Douce depuis une quinzaine d’années. La particularité de Trou d’Eau Douce, c’est la mer. J’aime marcher au bord de l’eau, regarder la mer et les montagnes. C’est pour moi une sorte de sérénité de paix, de contemplation et de méditation. J’aime les gens de Trou d’Eau Douce ; ils ne sont pas comme les Dubliners de Joyce, mais il y a quelque chose de très fort chez eux.

Quand je suis revenu à Trou d’Eau Douce en 1994, j’avais une question en tête : pourquoi l’Occident cherche-t-il à comprendre la primitivité ? C’est parce que la primitivité n’est pas antioccidentale, mais ante-occidentale, c’est-à-dire que la primitivité est l’enfance de l’Occident.

Quand j’ai laissé Flacq, je suis allé à Strasbourg où toutes les choses intellectuelles et artistiques étaient ouvertes à moi. Revenant à Trou d’Eau Douce, j’avais l’impression de retomber en enfance. Cela m’a aidé à écrire. Trou d’Eau Douce a influencé mon écriture, le fait d’être retombé en enfance, d’avoir vu des choses primitives. J’ai connu ces deux aspects de mon monde : la primitivité et l’occidentalité. Dans Bénarès, je parle beaucoup de la primitivité, quelquefois avec un regard ou une écriture autre. Il m’a fallu connaître Trou d’Eau Douce pour entrer véritablement en littérature. Je me souviens, car j’étais enseignant, avoir enseigné le « Bateau ivre » de Rimbaud à Strasbourg. Quand Rimbaud parle des aubes navrantes, c’est ici que j’ai eu l’impression de comprendre ce qu’il voulait dire. Trou d’Eau Douce me ramène à la fois à ma primitivité et à une sorte d’extase solaire ou poétique.

L’autre quartier que j’aime beaucoup à Maurice, c’est Flacq, le lieu de mon enfance. On dit que c’est « Little India ». Flacq, c’est vraiment l’Inde, alors que Trou d’Eau Douce est un mélange d’Inde, d’Afrique et d’Europe, parce qu’il y a beaucoup de touristes.

Mon enfance

Flacq me ramène à mon enfance et à mes origines indiennes. J’ai l’impression de me retrouver, pas tout à fait en Inde, mais dans une Île Maurice assez profonde. Un peu retirée du monde touristique. Flacq m’est très sentimental. J’aime tous les lieux de l’Île Maurice. J’aime Rose Hill parce que je m’y retrouve et j’y suis allé très souvent pendant mon enfance. Curepipe est la ville de mon adolescence. J’aime ce pays, j’aime me balader en voiture à regarder les beaux paysages. Il y a quelque chose de profond, surtout quand les cannes sont coupées… On a l’impression des plaines étendues, immenses et infinies. Je crois en parler dans Bénarès. C’est un lieu magique pour moi. Il y a quelque chose d’éblouissant à Maurice. La lumière d’hiver n’est pas la même qu’en été, et dans la lumière du crépuscule, il y a quelque chose d’assez magique. C’est très inspirant pour moi. Et je trouve tout cela universel. Cela a une importance dans l’écriture. Sartre, par exemple, a écrit La nausée presque la même année que L’Étranger de Camus. Chez Sartre, il y a l’eau visqueuse et la brume, parce qu’il est hanté par le nord de la France. Alors que chez Camus, il y a véritablement l’odeur de l’absinthe, la mer et surtout cette lumière. L’extase solaire. Cela donne deux esthétiques différentes. Chez Camus, c’est l’esthétique méditerranéenne. Chez Sartre, c’est la mer du nord, la mer noire.

Mon premier et le plus vieux souvenir : j’étais dans la cour de notre maison, ma mère cuisinait à l’extérieur avec du bois, et j’étais en train de pleurer. J’avais environ deux ans. Peut-être parce qu’elle ne s’occupait pas de moi. Je me souviens de plusieurs enfants entourant ma mère et le foyer. Quelquefois je me demande quelle était la perspective de ma mère, ce qu’elle voyait là où elle s’asseyait. Le feu ou la grosse marmite ? Il y avait des enfants, la cuisine, la cour, la maison de mon oncle et les champs de canne.

Je me souviens, la première fois que je sois allé au cinéma avec mes parents : en sortant de notre maison, qui était au bord de la route, j’ai vu beaucoup de personnes vêtues des habits de dimanche. Elles descendaient vers le centre du village pour aller au cinéma. C’était la fête pour moi. On y allait voir un film indien. Ma mère était très belle ce jour-là. Je regardais le film qui était alors en noir et blanc quand, à un moment donné, je pensais que ma mère n’était plus assise à côté de moi, qu’elle était elle-même l’actrice que je voyais sur l’écran. Je pensais qu’elle avait disparu. Je me souviens d’un moment de panique intense. La disparition et la séparation d’avec ma mère… Ensuite j’ai regardé auprès de moi et je l’ai vue. J’ai été soulagé.

La séparation est un thème qui m’a marqué. Ce souvenir de la petite enfance, je le retrouve quand j’ai eu 12 ans, quand ma mère nous a quittés pendant six mois pour aller travailler en France. Elle est revenue deux mois à Maurice, puis elle est repartie définitivement avec ma petite sœur. Les enfants sont allés la rejoindre tous les ans. Moi, j’ai mis cinq ans pour y aller. La séparation est un thème qui m’habite. Le premier souvenir de la séparation était au cinéma, lié à ce moment de panique.

Je me souviens encore que mon oncle instituteur. Il aidait des enfants de façon bénévole. Un jour, comme je devais lui apporter du lait, je le voyais assis à côté des enfants. Il n’était surtout pas un professeur traditionnel. Il était assis à côté d’eux, les aidant individuellement. Cela aussi m’a influencé, car je voulais toujours être professeur.

Mon œuvre

J’ai écrit trois livres : Bénarès en 1999, Le Tour de Babylone en 2002 et Salogi’s en 2008.

J’aime l’écriture dépouillée. Vraiment dépouillée. Je rature et j’enlève beaucoup. Le tour de Babylone est l’écriture vers laquelle je voulais aller plus profondément.

Quant au mon quatrième livre, mon livre à venir, je sais déjà par quoi le commencer et par quoi le terminer.

Deux balades m’intéressent dans la vie : la balade géographique et la balade littéraire. À chaque livre que j’écris, je revendique une balade géographique et une balade littéraire. Je bouge d’un lieu à un autre.

Il y aussi une balade métaphysique. Dans Bénarès, j’évoque le voyage spirituel en Inde. Dans Le Tour de Babylone, la balade géographique concerne Trou d’Eau Douce et la balade spirituelle, l’Irak. Je veux retrouver tout cela avec mon quatrième livre.

Ce qui marque mon œuvre, c’est l’écriture. Je veux aller vers ce dépouillement.

Absolument.

L’Insularité

J’aime beaucoup les auteurs insulaires. Joyce est un insulaire pour moi. Pour certains amis écrivains comme Bertrand de Robillard, l’île est une prison. C’est tout a fait le contraire pour moi. L’île est une ouverture immense.

Je ne sais pas si l’insularité a une influence sur l’écriture ou si les écrivains insulaires se ressemblent. Je crois que l’esprit va au-delà de la question d’insulaire. J’aime les auteurs insulaires, même s’ils ne le sont pas. J’ai l’impression que Camus est insulaire. Mais il ne l’est pas du tout ; l’Algérie n’est pas une île, mais il y a la mer. Cela n’a aucune importance de vivre dans une île. Mais vivre près de la mer, cela a une sacrée importance. Cela devait influencer Camus, vivant près de la mer. Joyce évoque la mer étrange de l’Irlande. Que l’Algérie soit une île ou pas, cela n’a aucune importance, mais seule est importante la mer. Elle joue un rôle important dans mon écriture. La mer me calme complètement.

J’aime bien écrire la nuit, quand tout le monde dort. J’ai comme l’impression que le monde est serein et qu’il n’y a de guerre nulle part. Aucun bruit. Quand j’entends le bruit de la mer, je commence à écrire. C’est plutôt la mer que l’île qui m’habite. Je le crois. Mais je n’en sais foutrement rien.


Barlen Pyamootoo

Pyamootoo, Barlen. « 5 Questions pour Île en île ».
Entretien, Trou d’Eau Douce (2009). 25 minutes. Île en île.

Mise en ligne sur YouTube le 25 mai 2013.
(Cette vidéo était également disponible sur Dailymotion, du 25 décembre 2009 jusqu’au 13 octobre 2018.)
Entretien réalisé par Thomas C. Spear.
Caméra : Anjanita Mahadoo.
Notes de transcription : Fred Edson Lafortune.

© 2009 Île en île


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mis en ligne : 25 décembre 2009 ; mis à jour : 26 octobre 2020