Henri Jean-Louis Baghio’o

Henri Jean-Louis Baghio'o

Henri Jean-Louis Baghio’o (1874-1958) vers 1945.
D.R. Archives privées Jean-Louis

Henri Jean-Louis (dit Baghio’o, Jean-Louis Baghio’o, ou Jean-Louis Jeune) est né le 5 décembre 1874 à Sainte-Anne en Guadeloupe, fils naturel de Louis Joseph Jean-Louis, homme de couleur, grand propriétaire terrien et Conseiller Général, et de Lætitia Lantin. L’enfant est reconnu par le père le 20 mars 1875 et légitimé, par le mariage des parents, le 11 novembre 1882.

Après ses études au Lycée de Pointe-à-Pitre de 1886 à 1894, Henri Jean-Louis ne veut pas travailler dans l’agriculture et l’élevage, et rejoint la métropole en vendant trente bœufs des troupeaux de son père. Engagé au 15e Dragon de Libourne pour quatre ans en 1895, il devient brigadier, mais se voit libéré de son contrat en 1896, comme fils aîné de veuve (son père venant de décéder à Sainte-Anne). Son retour en Guadeloupe, en grand uniforme de Dragon, est fracassant car, moqué à sa descente du bateau par Pauvert, un fils de planteur blanc, il aurait battu ce dernier dans un duel à l’épée.

En 1898 il entre au Service des Contributions comme commis à Basse-Terre, mais demande un congé dès 1901 pour entreprendre des études de lettres à Paris, où il vit avec la musicienne créole Fernande de Virel, qu’il épouse à Pointe-à-Pitre le 5 septembre 1903. Madame Jean-Louis aurait publié des études littéraires dans le journal L’Émancipation (1904-1906), un organe hebdomadaire socialiste fondé en 1901 en Guadeloupe, dont son mari était le directeur et le rédacteur principal. Ayant obtenu une licence ès lettres en Sorbonne en 1905, Henri Jean-Louis retourne au service des contributions en Guadeloupe où naissent ses deux premiers enfants en 1906 et 1908, et où il commence des études de droit.

Entre 1908 et 1911 la jeune famille vit en Martinique où Henri Jean-Louis fréquente l’École d’Agriculture, et où naît le second fils, Victor, le 21 décembre 1910, avec l’assistance de Rémy Nainsouta, grand ami d’Henri Jean-Louis, et employé aux Services vétérinaires de Fort-de-France à cette époque. En 1913 Henri-Jean-Louis est auditeur libre de l’École d’Agriculture Coloniale de Nogent, tout en continuant des études de droit à Paris où il décroche sa licence. Le retour à Basse-Terre en Guadeloupe est assombri par la mort accidentelle de la petite Henriette. Henri Jean-Louis demande un congé en France d’août 1917 à novembre 1918. Durant cette période, Cécile Jean-Louis, la future Moune de Rivel, naît à Bordeaux le 7 janvier 1918.

De retour en Guadeloupe, Henri Jean-Louis est avocat près la Cour de Basse-Terre, avec résidence à Pointe-à-Pitre, de novembre 1918 à décembre 1921, puis sollicite du Ministère des Colonies un poste dans la magistrature coloniale. Nommé juge suppléant à la Martinique, il rejoint avec sa famille son poste de Fort-de-France, où il exerce jusqu’à fin octobre 1923. Il se serait attiré de solides inimitiés pour avoir fait arrêter le propre fils du gouverneur de Martinique et se retrouve nommé juge suppléant à Brazzaville (Congo). Henri Jean-Louis quitte la Martinique fin octobre 1923 pour Paris, où il dépose ses fils Edward et Victor au Collège Sainte-Barbe, avant de repartir pour l’Afrique. À l’escale du Cameroun, il rencontre le prince Richard Manga Bell (qu’il défendra six ans plus tard) et arrive à Brazzaville le 15 mai 1923 pour y travailler jusqu’à un congé de mai 1925 à juin 1926. Sa femme et les deux filles débarquent à Saint-Nazaire le 17 octobre 1924 et restent à Paris. Fernande Jean-Louis n’ira jamais rejoindre son mari en Afrique et ne retournera plus aux Antilles jusqu’à sa mort en 1953.

Dès 1924, Henri Jean-Louis écrit au député Diagne du Sénégal pour dénoncer le traitement des indigènes en AEF. Cela déplaît ou dérange. Nommé Lieutenant de Juge à Tamatave (Madagascar) en juin 1925 pendant un congé en France, Henri Jean-Louis (qui s’était lié en Afrique avec Marie-Anne Ankombié, petite-fille du Roi Denis du Gabon) refuse de rejoindre son poste puis démissionne en janvier 1926 pour s’inscrire au barreau de Brazzaville avec résidence à Port-Gentil au Gabon. À la même époque paraît à Paris L’école de la boxe de Jean-Louis Baghio’o, une comédie-ballet créole, se moquant de la vie d’un couple antillais huppé à Paris, dans une édition annonçant douze autres titres du même auteur, dans des genres très divers (essais historiques, poèmes, tragédies).

De février 1926 à octobre 1931, Henri Jean-Louis est avocat près la Cour de Brazzaville malgré les objections du gouverneur et les rapports de police signalant que Baghio’o devient un militant passionné du panafricanisme, qu’il préside un « Honorariat Nègre », et qu’il assiste à la réunion de la Ligue de Défense de la Race Nègre à Paris le 14 février 1930. De 1931 à 1933, Henri Jean-Louis réside principalement à Paris comme journaliste et il publie notamment l’article sur « La race créole » dans le premier numéro de la Revue du Monde Noir en 1931. En sus d’une surveillance policière et administrative tant en France qu’en Afrique, Henri Jean-Louis est l’objet de poursuites judiciaires et de sanctions disciplinaires aboutissant à sa radiation du barreau de Brazzaville.

Suite au cyclone qui détruit la maison familiale de Sainte-Anne en 1928, Henri Jean-Louis fait un voyage éclair à Paris et aux Antilles, éblouissant sa famille avec les richesses (argent et œuvres d’art) qu’il apporte d’Afrique. De 1929 à 1931, il est le conseiller juridique du prince Douala, Alexandre Manga Bell, et de collectivités du Cameroun qui adressent deux pétitions à la SDN en 1929 pour enlever à la France le mandat du Cameroun. À ce titre Henri Jean-Louis est suivi de près par la police coloniale. Éprouvant des difficultés grandissantes à financer ses déplacements, il demande, sans succès, à être réintégré dans la magistrature, avant de quitter définitivement l’Afrique en septembre 1933.

De 1933 à 1936, Henri Jean-Louis est de retour aux Antilles où il travaille comme journaliste et poète, d’abord à Sainte-Anne en Guadeloupe, puis à Fort-de-France en Martinique où, suite aux festivités du Tricentenaire des Colonies, il crée Le Progrès Colonial de Saint-Pierre, hebdomadaire dont quelques numéros paraissent en juillet-août 1936, et dont certaines phrases très critiques sur les colonialistes français en Afrique lui valent d’être poursuivi pour atteinte à la sécurité de l’État. Il quitte la Martinique et va se réfugier à Trinidad de 1936 à 1939, où il vit de leçons de français et de latin à Port-of-Spain, rédige de nombreux poèmes, et entre en contact avec Marcus Garvey durant la brève escale de ce dernier à Trinidad en 1937.

L’entrée en guerre de la France contre l’Allemagne lui inspire « Le Noir Clairon », un poème de 19 strophes, vibrant de patriotisme guerrier, qu’il rédige juste avant de rentrer précipitamment en Guadeloupe le 6 septembre 1939. Son engagement dans l’armée française étant refusé à cause de son âge, il tente de se rendre à Cuba via Haïti en juillet 1940, avant de passer en Martinique où il réside jusqu’à l’été 1943, et participe à des passages de dissidents vers la Dominique en compagnie d’une institutrice de Fort-de-France qui a aussi été sa secrétaire durant deux ans. La paix revenue, il soutient ardemment son ami Rémy Nainsouta, fondateur du Parti Guadeloupéen ou des Indépendants d’Extrême Gauche, pendant les campagnes électorales de l’immédiat après-guerre, en rédigeant pamphlets et brochures.

C’est encore Henri Jean-Louis qui accompagne Rémy Nainsouta, délégué de la Guadeloupe à la Conférence des Indes Occidentales à Saint-Thomas en mars 1946, faisant escale pendant un mois à Porto Rico sur le chemin du retour. Il reste très impliqué dans la politique locale jusqu’en 1948, se portant candidat aux élections du Conseil de la République en décembre 1946 et en novembre 1948, présidant la Fédération culturelle de Guadeloupe, et militant de façon générale pour l’Indépendance des Antilles. Délégué à la troisième Conférence Caribéenne à Basse-Terre, il y prononce le 1er décembre 1948 un violent discours. En mai 1949 il est très affecté par la mort, à vingt-deux ans, de sa nièce et secrétaire, Clotilde Pédurant, des suites d’une longue maladie.

En octobre 1950, il publie à Fort-de-France une brochure contenant trois lettres inédites de Victor Schoelcher et le discours que lui-même avait tenu sur Schoelcher en 1935 en Guadeloupe, précisant que son propre père, Louis Joseph Jean-Louis, aurait joué le rôle de guide de Schoelcher lors de sa visite en Guadeloupe dans les années 1830. S’il reste désormais à l’écart de la vie politique officielle, Henri Jean-Louis, quoique presque aveugle en raison d’une cataracte, continue de bourlinguer dans la Caraïbe et fait au moins deux longs séjours en France, en 1956 et 1957. Son legs privé contient des centaines de poèmes manuscrits inédits, démontrant une curiosité universelle et une combativité inextinguible. À deux semaines de sa mort, le 25 août 1958, sur son lit d’hôpital à Saint-Claude en Guadeloupe, il esquisse un dernier « Projet de Constitution des Départements autonomes de la France d’Outre-mer ». Sa tombe dans le cimetière de Sainte-Anne porte la légendaire épitaphe qu’il avait préparée de longue date : « Ci gît Henri Jean-Louis. Il n’eut ni gens ni louis. Mais il en rit. »

– Charles W. Scheel


Oeuvres principales

Livres, brochures, tracts:

(publiés à compte d’auteur ; parmi les titres cités, seuls de rares exemplaires sont conservés dans diverses archives ou bibliothèques)

  • L’Île bleue. Roman socialiste, 1904.
  • Histoire élémentaire de la Martinique de 1635 à 1848 à l’usage des écoles primaires et secondaires (Livre premier : L’Ancien Régime de 1635 à 1788). Brochure de Jean-Louis Jeune. Fort-de-France, 1911.
  • L’École de la Boxe, comédie-Ballet en un acte (pour 6 acteurs, danseuses créoles et orchestre à cordes) de Jean-Louis Baghio’o. Paris, 1925.
  • Victor Schoelcher, homme d’Etat et écrivain français, émancipateur de la race noire : sa correspondance inédite ; suivi de Lettres martiniquaises 1829-1881, Jean-Louis Jeune. Paris: Revue mondiale, 1935.
  • Odes et aquarelles. Poèmes antillais de Jean-Louis Jeune, 1935.
  • La Martinique poétique. Fort-de-France, 1936.
  • The Secrets of the African Medecine, by Jean Louis. Trinidad, 1938.
  • Visions of Africa. Ten Years of Voyages of a West Indian Lawyer, Poet through the Western and Equatorial Black Continent, by Jean Louis. Port of Spain, Trinidad, 1938 (traduction du manuscrit d’une conférence : « 10 ans d’Afrique : Souvenirs des voyages d’un nègre au pays des nègres, 1923-1933 »).
  • Le Noir Clairon, poème patriotique. Guadeloupe, septembre 1939.
  • Le Premier Noël de la Seconde Guerre Mondiale, Guadeloupe, 1939.
  • Le livre de Cérès, ou dictionnaire de cuisine créole, par Cibrelis Reine Michanol et Jean-Louis Jeune. Pointe-à-Pitre, 1943.
  • Joseph Lagrosillière, Le Bon Samaritain, Fort-de-France, 1950.
  • La Bible de la Santé ou le Dictionnaire de Médecine Créole, Sainte-Anne, 1949.
  • Souvenirs de Jeux floraux. Trophées d’or. Poèmes antillais de Jean-Louis Jeune, dit Baghio’o. Pointe-à-Pitre, 1949.
  • L’Éden de la Martinique. Poèmes touristiques de Jean-Louis Baghio’o, Fort-de-France, 1950.
  • Lettres de Victor Schoelcher, émancipateur de la race noire (2 fascicules. Préface et introduction par Jean-Louis Baguio [sic], Martinique, 1950.

Articles:

  • L’Émancipation (journal socialiste fondé en 1901 en Guadeloupe, dont Henri Jean-Louis a été directeur et rédacteur principal).
  • « La Race Créole / The Creole Race » par Maître Jean-Louis. La Revue du Monde Noir 1 (1931): 8-11 (rééd. Paris: Jean-Michel Place, 2005).
  • Le Progrès colonial de St-Pierre (hebdomadaire créé par Henri Jean-Louis, publié à Fort-de-France ; 5 numéros parus en juillet-août 1936 ; Henri Jean-Louis est le rédacteur principal, voire unique, sous divers pseudonymes).

Titres d’ouvrages non référencés en librairie ou en bibliothèque:

  • Patrie et Liberté (drame en 5 actes).
  • Les Créoles en Orient (drame en 5 actes).
  • L’Enfant du Barbare (drame en 2 actes).
  • Le Miracle de la Marne.
  • Les Teutons.
  • Le Négrophobe.
  • Saynettes africaines.
  • Henriette d’Afrique.
  • Debout, la France (tragédie en vers et en 5 actes).
  • Saynettes Créoles.
  • Christophe Colomb.
  • Sous le joug des Barbares.

Tapuscrits et manuscrits:

(sélection parmi plus de 700 titres du legs privé Jean-Louis Baghio’o, conservé aux Archives Départementales de Martinique)

  • Le miracle de la Marne. Drame historique.
  • Christophe Colomb. Drame historique en cinq actes.
  • L’Haïtiade, drames historiques (La vocation de Toussaint Louverture en 2 actes et Dessalines ou la Renaissance d’Haïti en 1 acte).
  • Poèmes en trois volumes : I-Nature, II-Humanité, III-Divinité.
  • « L’Africaine », hymne naturel de la Confédération Afrique-Antilles, sur l’air de la Marseillaise.
  • « L’Évangile du Front démocratique guadeloupéen », janvier 1944.
  • Cahier de poèmes sur Saint-Pierre de la Martinique.
  • Ébauche de « Collection des Annales de la Revue Noire en 12 volumes ».
  • « Histoire de la Civilisation africaine, Conférences sur la vie intellectuelle des Africains ».
  • « Histoire de la poésie européenne » (sous forme de quatrains).
  • « Le lion de Juba, sonnet historique dédié à Mussolini, Duc d’Italie (FdF le 25 août 1935).
  • « La victoire de la France ou l’épopée du Tchad », poème historique en honneur du général Félix Eboué, 21 oct 1944.
  • « Le problème colonial », sonnet à la gloire du Président Roosevelt.
  • « Histoire poétique de la Guadeloupe ».
  • « Méditations sur l’assimilation ».
  • « Le suicide des Caraïbes », poème historique dédié à la Société littéraire La persévérance du Gosier ».
  • « Chant de guerre, la Marseillaise des soldats coloniaux ».
  • Sonnet à Victor Sévère, l’infatigable maire de FdF.
  • « Sonnet historique à la Fédération des Antilles anglaises » 1947.
  • « Sonnet philosophique sur la Religion socialiste » dédié à Guy Mollet.
  • « Ode à son Altesse Mohamed V Sultan du Maroc ».
  • « Notes sur Marcus Garvey ».
  • « La Sainte Bible de l’Humanité », poème philosophique par Mohamed Baghio’o, 1938.
  • « Lettre ouverte au Gouvernement de France sur la crise marocaine et algérienne », 1956.

Sur l’oeuvre d’Henri Jean-Louis Baghio’o:

  • Baghio’o, Jean-Louis (Victor). Le Colibri blanc. « Mémoire à deux voix ». Paris: Éditions Caribéennes, 1980 (réédité Paris: L’Harmattan, 2016).
  • Belair, Filip. « Petite histoire des grands Guadeloupéens : Henry Jean-Louis dit Baghio’o ». Nouvelles Étincelles 67 (mai 1999): 15.
  • Corzani, Jack. La Littérature des Antilles-Guyane françaises, 6 volumes. Désormeaux 1978 (« Jean-Louis Jeune » est mentionné à plusieurs reprises dans les volumes 1-5).
  • Dupland, Edmond. Les Poètes de la Guadeloupe. Anthologie bio-bibliographique et critique. Paris: Jean Grassin, 1978 (les pages 143-151 sont consacrées à « Jean-Louis Jeune dit Baghio’o »).
  • Lara, Oruno D. De l’oubli à l’histoire. Espace et identité Caraïbes: Guadeloupe, Guyane, Haïti, Martinique. Paris: Maisonneuve et Larose, 1998 (les pages 258-272 sont consacrées à Jean-Louis Jeune).
  • Sainton, Jean-Pierre. La Décolonisation improbable. Cultures politiques et conjonctures en Guadeloupe et en Martinique (1943-1967). Pointe-à-Pitre: Jasor, 2012. (Jean-Louis Jeune est cité plusieurs fois, notamment dans les sections concernant la Conférence de Saint Thomas en 1946, pp. 132-173).
  • Scheel, Charles W. « Jean-Louis Baghio’o père et fils : Deux écrivains antillais du vingtième siècle entre quatre continents », étude critique. Revue de Littérature Comparée 357.1 (2016): 63-77.

Liens:

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Dossier Henri Jean-Louis Baghio’o préparé par Charles W. Scheel

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mis en ligne : 15 mai 2016 ; mis à jour : 4 juin 2016