Anne Bihan, La nuit, l’incendie

(extraits)

Nuit australe
native
nuit de Kanaky
j'écoute le son
des canettes
tombées sur les niaoulis
bière de Noël
et les branches trinquent
les femmes craignent la dengue
les enfants cognent
deux jouent aux menottes
sur les rondins
deux astiquent leurs copains

Les autres         se taisent.

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Je pleure sur les cases
qui ne naîtront plus
la paille est cendre
et le bois rongé
la lune couchée
n'ose plus sa pâleur
la montagne en feu
dit adieu

au dernier bruissement
d'herbe
                        et d'eau. 

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Gousse longue du flamboyant
sexe d'arbre
à foison
tu brûles
tout est cendre ce soir même
l'homme dans sa case
l'enfant
le ciel où la montagne
part en poussière,

et l'igname pleure
l'eau rêvée
de l'étrangère.

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Le feu s'est tu
tout est opaque
j'en viens à pleurer
sur l'arbre en incendie
et l'herbe affolée
s'offrant à la marche
du vent.

Des souffles dans l'ombre
déclinent les cendres,
s'apaisent.
Ils aiment le feu,
nous parlons de mort,
ils parlent sous la case,
nous hors du cercle.

L'eau a bu
la terre
tout est opaque
j'entre dans l'ignorance
la trouve douce

à l'écart du ciel
le vide se penche.

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Guetter le sens à la racine
                                                         du geste 

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Terre de feu
sourd
et les bruyères.

Atteindre l'intensité
du vert
derrière le toucher sec.

Et sous les pépites
nickélifères
reconnaître la question
qui nous habite.

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Cette île
plus que toute autre
et l'étreinte du rêve
des manguiers
dans les narines.

Marcher
au risque de se perdre
dans l'absence de Soi
et

quand l'océan se fera
visible enfin
prendre le parti
de la pulpe.

Ces poèmes sont extraits d’un recueil inédit d’Anne Bihan, La nuit, l’incendie, et sont offerts aux lecteurs d’Île en île par l’auteure.

© 2005 Anne Bihan


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mis en ligne : 22 juin 2005 ; mis à jour : 22 octobre 2020