André Paradis, 5 Questions pour Île en île


Romancier et chroniqueur, André Paradis répond aux 5 Questions pour Île en île.

Entretien de 35 minutes réalisé à Rémire-Montjoly (Guyane) le 21 juillet 2010 par Thomas C. Spear.

Notes de transcription (ci-dessous) : Ségolène Lavaud.

Dossier présentant l’auteur sur Île en île : André Paradis.

début – Mes influences
03:37 – Mon quartier
07:44 – Mon enfance
16:22 – Mon oeuvre
28:40 – L’insularité


Mes influences

« Mes influences ? c’est une question qui me gêne ! » André Paradis épisodiquement a lu des choses de partout, n’importe où, sur tout, beaucoup sur ceci, beaucoup sur cela ; à un moment, la littérature antillaise, et jusqu’à la fin de ses études, de la littérature nord-américaine ou anglaise. Avec son Diplôme d’Études Supérieures, il devient professeur d’anglais, alors des œuvres exclusivement anglo-saxonnes, particulièrement du XVIIIe siècle britanique l’ont marqué, comme Fielding, Defoe, Richardson. Il estime que ce sont eux qui ont inventé le roman, des formes nouvelles fort intéressantes.

Jeune, il adorait dans la littérature française : Eugène Sue, un romantisme débridé – façon Les Misérables ou Notre-Dame de Paris, mais plus inquiétant, mystérieux. Il aimait Les Mystères de Paris, Le Juif errant. Pour le XXe siècle : Marcel Proust. À 22 ans, resté alité six mois, il a lu entièrement son œuvre et en fut profondément influencé, tant par la forme que l’entreprise elle-même. Retrouver Le Temps perdu lui a permis de se retrouver lui-même tel qu’il était, entreprise fort intéressante.

Mon quartier

Tel qu’on le voit dans son environnement actuel, la notion de « quartier » doit être élargie en un paysage.

Il est arrivé en Guyane en 1966 et jusqu’en 1975 a vécu Cité Zéphir. Pas encore un endroit « mal famé » à l’époque, mais de réputation médiocre. Il n’y avait ni transports en commun ni voitures à Cayenne, hormis les fonctionnaires qui eux pouvaient en sortir. Quartier sympathique, mais au charme limité dont ses enfants gardent un souvenir ému. Sa femme travaillait à l’école de la Cité Zéphir avec des gens bien connus aujourd’hui, enseignantes retraitées : Madame Castor, Madame Bermude, Madame Paradis, qui ont marqué l’éducation en Guyane. Ce qu’elles y faisaient était très différent de ce que l’on faisait, par exemple, dans le XVe arrondissement [à Paris] ! C’était très difficile et pas toujours sous un regard positif. Ce quartier agréable et ouvert est devenu un quartier populaire. Par le passé on pouvait « partir de chez soi en laissant la porte et les fenêtres ouvertes », même à la Cité Zéphir qui était déjà une cité-dortoir. Un Centre social avait été ouvert, on pouvait y emprunter des livres, mais ils ne revenaient jamais et peu à peu cela a disparu.

Depuis il a remplacé ce quartier par un paysage tranquille et silencieux, où il se sent bien parmi les fleurs et les oiseaux.

Mon enfance

Né en automne 1939, son enfance est liée à la guerre. Redoutant l’arrivée des Allemands, sa mère fuyant l’est de la France avait rejoint sa famille dans la région parisienne, les Allemands arrivèrent par le nord. Les premiers souvenirs de ce petit village, devenu une grande ville, sont ceux d’une vie paysanne, rurale, dans la ferme des grands-parents, dans la France profonde, presque celle du Moyen Âge. Une impression de l’économie du village et de son école à classe unique d’une quinzaine d’enfants. Il y resta deux ans, jusqu’en 1946.

Les premiers vrais souvenirs remontent à la Libération. Arrivée des Américains d’un côté, de l’autre les Allemands, et « entre les deux, quelques jours dans une cave » et les tirs réciproques au-dessus d’eux l’ont beaucoup marqué. Les bombardements, les caves, car vivant à côté d’un aéroport occupé par les Allemands, les Américains le bombardait jour et nuit. « C’était ambigu ».

Son père partant travailler dans la métallurgie, dans le nord, commence une nouvelle vie dans la France industrielle, à Denain à côté de Valenciennes. Mines, sidérurgie, grandes usines aujourd’hui disparues. C’était la plus belle prospérité de la France de l’après-guerre qui livrait des locomotives à vapeur au Brésil.

Ses meilleurs souvenirs sont ceux de la région parisienne, il y retrouvait, avec sa sœur ses grands-parents pendant les vacances, cette France rurale dont il aimait les activités paysannes et champêtres.

Il est difficile de discerner dans les souvenirs où s’arrête l’enfance et commence autre chose.

Vers 14 ans, retour à Paris. Ce ne sont plus des souvenirs d’enfance qui eux sont de la fin de la guerre. Ce sont les étapes : l’enfance, l’étape intermédiaire, puis, être grand lorsque l’on prend le métro et va au cinéma tout seul.

Les premiers souvenirs intéressants quant à la lecture datent du CM 2. Il était obligatoire chaque samedi d’emprunter un livre à la bibliothèque et de l’échanger la semaine suivante. Il a lu toute labibliothèque verte : Jules Verne, De la Terre à la lune… Alexandre Dumas dont Le Comte de Monte-Cristo reste un souvenir vivace qu’il relit ponctuellement.

Peu de souvenirs du collège.

En seconde au Lycée Voltaire, il est dans une section technique où il s’ennuie. Il rencontre Jean-Louis Bory, professeur de français et auteur connu. Ce dernier l’influence profondément et oriente son avenir, cela le décide à devenir professeur ; Bory, nommé au lycée Henri IV, fait changer Paradis d’orientation et y entrer en philo. Ce n’était plus l’enfance, hypokhâgne puis khâgne.

Mon œuvre

« La question est presque gênante, je ne sais pas si j’ai réellement une œuvre […] à part peut-être une œuvre de charité ! » Paradis a publié : un recueil de nouvelles – trois* romans et un roman pour enfants ou adolescents. Son œuvre : le plus intéressant est ses vingt années de chroniques quotidiennes à la radio, qui lui a apporté la notoriété en Guyane. N’étant pas publié en France, il a eu peu de lecteurs. Il fut, après vingt et un ans, « mis à la porte odieusement » de son émission La Plume à l’oreille. Il s’y sentait vraiment à l’aise devant un micro et le regrette. Il assure une chronique hebdomadaire dans La Semaine guyanaise.

La littérature est un passe-temps, surtout les premières nouvelles et il garde la marque profonde de Jean-Louis Bory qui l’avait influencé dans sa jeunesse, et beaucoup écrit des textes jamais publiés.

Tant le manque d’éditeur en Guyane, que le mépris total des éditeurs français vis-à-vis des écrivains de Guyane : « ça n’existe pas… » ont provoqué son arrêt de l’écriture. Il suppose que c’était peut-être mauvais, mais accuse surtout le préjugé profond en France contre la Guyane. Il s’est remis à l’écriture à la fin du siècle précédent … car enfin il y avait un éditeur en Guyane, pour qui il a écrit ses premières nouvelles, Marronnages, écrites sur la Guyane comme sujet exclusif. Son premier roman L’Année du fromager – suivi de Le Soleil du fleuve.

Moquant le sujet bateau récurrent au baccalauréat il répond : « Est ce qu’on écrit pour soi ou pour les autres, c’est une question absurde. On écrit pour être lu » sinon on n’écrit pas hormis ceux qui tiennent un journal jamais montré, et parfois publié des années après leur mort. Il dénie le fait « qu’écrire est un jeu ». « La littérature est un moyen de communication. On écrit […] pour communiquer avec autrui. Comme […] à la radio, cela permet de donner une image de soi […] elle est une forme de communication. » Sans oublier son activité politique qui, elle aussi, est une manière de communiquer. Si on voulait publier ses œuvres complètes, il faudrait recenser tous ses écrits qui n’ont pas été publiés et sont anonymes, ils ont cependant une importance considérable. « On n’est pas seulement ce qu’on veut bien montrer ». Il est déçu par cette communication en Guyane et n’écrit plus.

André Paradis met un an pour écrire un roman « C’est un énorme travail d’écrire un roman […] travail difficile ». Il veut que ce soit bien écrit, donner une image de lui qui le satisfasse, il s’autocritique avec rigueur, sévérité et exigence. « Un an de travail jour et nuit pour être lu par 200/300 personnes en Guyane… » développe un sentiment d’échec de ne pas être reconnu par les Guyanais, comme l’un de leurs écrivains qui apporte quelque chose. Les enfants guyanais n’ont pas grand-chose qui leur parle de la Guyane et il pensait pouvoir combler un vide.

Il briguait le Prix Carbet des Lycéens – un public qu’il connaît bien, ayant passé sa vie avec eux. C’est pour eux qu’il a commencé à écrire. Le prix lui ayant échappé, il s’était vexé et a atteint son but l’année suivante. Ce livre était écrit pour ses élèves depuis 2006. « Une fois publié, le livre devient le problème du lecteur et plus celui de l’écrivain ».

Souhaitant une plus large audience il les a soumis à de gros éditeurs parisiens qui l’ont rejeté « très, trop vite, et soupçonne que certains n’ont pas vraiment lu les livres … et leur pardonne étant lui même un lecteur qui reconnait parfois lire très rapidement, par désintérêt ou manque de temps ». Froissé, il a « laissé tomber » et se contente actuellement de ses chroniques hebdomadaires d’actualités.

À 70 ans, il se trouve d’un « âge canonique ».

Ses chroniques radiophoniques ne peuvent être transcrites, car ce n’est pas du tout la même manière. Il eut fallu en faire des disques que personne n’aurait achetés. Depuis 1985-86, tout est enregistré, mais vingt ans après, à peine un sur dix a conservé un intérêt. Suivant l’activité quotidienne, l’oubli est passé et peu pourrait, peut-être, subsister.

L’Insularité

La notion d’insularité est imposée à la Guyane, compte tenu de l’absence de communication pour elle avec les pays voisins : Brésil, Surinam. Cet espace français francophone est isolé sur un continent hispanophone et lusophone. En fait, la Guyane est comme une presqu’île, car rattachée aux Antilles. Une partie de la population est d’origine martiniquaise, antillaise. À Fort-de-France, dans le cimetière, les tombes portent les mêmes noms que ceux de Cayenne.

Sur le plan de la population, c’est une presqu’île, mais sur le plan culturel, c’est une île. Le créole guyanais est proche du créole antillais, mais on entend très souvent le créole martiniquais. Outre l’influence venant du nord (des Antilles), il y a d’autres influences même très ténues de cette région d’Amérique du Sud avec les autres régions reliées par l’esclavage et le colonialisme. Il y a une multiculturalité de fait en Guyane, et qui continue à croître – voir l’importance de la population bushinéngué – par les faces changeantes de la culture. « La Guyane est encore à la remorque des Antilles pour la littérature ou d’autres formes d’art ; encore influencée par la littérature antillaise », car très riche. Il y a de très grands écrivains des Antilles et, en Guyane, il n’y en a pas beaucoup.

Léon Damas a peu subi l’influence antillaise, annonciateur d’une identité indépendante future.

La Guyane est influencée par Chamoiseau, Confiant… pas toujours bénéfique. Chamoiseau est très axé sur la créolité actuellement dépassée et ne correspondant plus aux problèmes guyanais, d’où la nécessité de trouver un mode d’expression spécifiquement guyanais, actuellement inexistant. André Paradis croit voir qu’elle commence à prendre forme. Avec l’influence de la télé et la presse, elle résiste bien.

 

* L’entretien a eu lieu en 2010. Pour les publications depuis, voir la page de présentation de l’auteur.


André Paradis

Paradis, André. « 5 Questions pour Île en île ».
Entretien, Rémire-Montjoly (Guyane, 2010). 35 minutes. Île en île.

Mise en ligne sur YouTube le 15 juin 2013.
(Cette vidéo était également disponible sur Dailymotion, du 21 avril 2012 jusqu’au 13 octobre 2018.)
Entretien réalisé par Thomas C. Spear.
Notes de transcription : Ségolène Lavaud.

© 2012 Île en île


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mis en ligne : 22 avril 2012 ; mis à jour : 26 octobre 2020