Alain-Kamal Martial, Extraits de deux pièces

La rupture de chair

CHAKKA

Mon père ! Je ne saurai accepter de soumettre tout un peuple à une autorité étrangère. Vous m’avez appris à lever la tête, à regarder mon prochain droit dans les yeux, à dire haut ce que je pense… mais ici votre vertu s’estompe.

Quelle hypocrisie ! Quelle hypocrisie !

Soit disant, vous avez voulu bâtir votre société sur des valeurs sûres : piété, honnêteté et vérité.

Mais voilà que vos valeurs morales, celles que vous m’avez enseignées, s’écrasent, se fissurent, se décomposent et apparaissent telles qu’elles sont : mensonges ! Mensonges !

Vous appelez à la loi du silence, que le peuple vive avec ces charognards assoiffés de terre et de pouvoir, estos hijos de puta ! mais que le peuple fasse semblant de le vouloir alors que son cœur est une boue de haine.

Non ! Non ! Je dis non et j’exige justice.

Putain et merde quoi ! Arrêtons là le bien parler, la pseudo-politesse, l’hypocrisie séculaire et appelons les choses par leur nom. Cette histoire me révolte jusqu’à la bite, elle me donne mal aux couilles. Et voici que je deviens la bouche de toute une génération, la bouche d’une jeunesse élevée dans le mensonge et la peur. Je vous dirai notre vérité, je vous dirai que vous nous faites chier, gerber avec vos valeurs hypocrites, vos refuges tombals, coraniques et autres.

Nous voulons que désormais le temps soit fait à la juste mesure de nos espoirs et arrêtez votre politique de mensonge, votre commerce de rêves…

Je vous le dis, si vous me refusez le trône, je vous ferai la guerre et je le prendrai avec ma hache.

Vous êtes mon père, il est vrai, mais la souveraineté d’un peuple vaut plus que la tête d’un roi.

(Chakka et Combo quittent la scène.)

 

Zakia Madi, la chatouilleuse

MWEN

Les morts, monsieur le maire, les morts chassés de leurs tombes, toute une armée de morts, leurs âmes cherchent nos corps, elles veulent nous habiter, c’est l’armée des chatouilleuses révoltées. Ecoutez, tendez l’oreille, regardez, ouvrez vos yeux, ce sont les chatouilleuses chassées de leurs tombes, à leur tête sur son cheval ailé, noir d’ébène, son visage huilé et ses tresses au vent, là-bas ZAKIA MADI ! Ici, exactement sur nos têtes, BWENI ZENA, elle brandit son châle, son saluva noué autour de son corsage, elle descend, les larmes aux yeux, la voici, la voici qui prend votre épouse, monsieur le maire, la voici dans le corps de Ma CHAKA !

 

C’est un fervent hommage qui est rendu à la femme à travers le combat des chatouilleuses. L’écriture se veut un cri jeté dans le monde pour réclamer une justice refusée au martyr du mouvement de la femme mahoraise.


Ces extraits de deux pièces d’Alain-Kamal Martial ont été publiés pour la première fois dans : La rupture de chair (2001). Paris: L’Harmattan, 2004 et Zakia Madi, la chatouilleuse (2002). Paris: L’Harmattan, 2004.

© 2004 Alain-Kamal Martial


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mis en ligne : 7 août 2006 ; mis à jour : 26 octobre 2020