Chantal T. Spitz, poésie lue par l’auteure

Chantal T. Spitz, poésie lue par l’auteure.  Paris, le 10 avril 2014.
Image et son : Laurence Fosse ; Montage : Dominique Masson ; Réalisation : Estelle Castro-Koshy et Dominique Masson.
Dossier de présentation de l’auteure : Chantal T. Spitz.

Cinq vidéos (avec les textes ci-dessous):

« l’accueil »
« the welcome »
« à mes compagnons de littérature »
« to my companions in literature »
« âmes en exil »


l’accueil

l’accueil une tradition de notre fenua
tu arrives je te cède
tu me veux je me donne
j’étais riche je suis pauvre

l’accueil une tradition de notre fenua
pareu couronne guitare
belles vahine sur la plage
que tu connais au clair de lune

l’accueil une tradition de notre fenua
mensonges des paroles
escroquerie de l’esprit
dépouillement de l’âme

l’accueil une tradition de notre fenua
main tendue âme perdue
sourire aux lèvres envie aux yeux
collier au cou honte au cœur

l’accueil une tradition de notre fenua
nudité de l’âme en détresse
pauvreté du cœur sans honneur
déshonneur d’une vie sans valeur

l’accueil une tradition de notre fenua
tu ouvrais ton cœur debout
tu tends la main à genoux
terrifiante la puissance de l’argent

tu vends la terre de tes enfants
tuant hier
les dépouillant de leur passé

tu vends l’âme de tes enfants
tuant demain
les dépouillant de leur avenir

tu te vends
pour mieux prostituer l’âme de ton peuple
développement progrès évolution
mots pour recouvrir le profit

tu te vends …

terribles les yeux de tes enfants qui te jugent

Tarafarero Motu Maeva après la géniale invention du ministre du tourisme et son slogan « l’accueil une tradition du fenua ».

 

the welcome

the welcome, a tradition of our fenua
you arrive I yield to you
you want me I give myself to you
I was rich I am poor

the welcome, a tradition of our fenua
pareo garland guitar
beautiful vahine on the beach
you know them by moonlight

the welcome, a tradition of our fenua
the lies of speaking
treachery of the spirit
stripping of the soul

the welcome, a tradition of our fenua
hand reaching soul lost
smiling lips envious eyes
garlanded neck shameful heart

the welcome, a tradition of our fenua
nudity of the soul in distress
poverty of the heart without honour
dishonour of a life without value

the welcome, a tradition of our fenua
you stood and opened your heart
you kneel and reach out your hand
terrifying power of money

you sell your children’s land
killing off yesterday
stripping them of their past

you sell your children’s souls
killing off tomorrow
stripping them of their future

you sell yourself
the better to prostitute your people’s soul
development progress change
words to cover profit

you sell yourself…

the terrible eyes of your children who judge you

Tarafarero Motu Maeva, on the Minister of Tourism’s brilliant creation of the slogan “the welcome, a tradition of the fenua”


à mes compagnons de littérature

indicible bonheur
élans de convictions d’impatiences
éclats d’enthousiasmes d’espérances
essors de dignités de confiances
ces yeux qui se confessent, échos de pensées
ces voix qui s’enlacent, tissages de fraternités
ces âmes qui s’accordent, promesses de fécondités
matrice de nos sensibilités
levain de nos originalités
source de nos créativités
nous avons écouté sur tous les modes
émus confondus suspendus convaincus
nous avons réfléchi sur toutes les gammes
désorientés émancipés contrariés augmentés
nous avons parlé sur tous les tons
conciliants insolents exigeants éloquents
nous avons partagé sur toutes les musiques
savoureux lumineux voluptueux majestueux
paroles gestes regards sourires
certitudes conformismes généralités lieux communs
frissons troubles délices houles
la vie déposée dans nos ventres
pour aiguiser nos essences
pour résonner nos diversités
pour allier nos richesses
l’ardeur étincelée dans nos esprits
pour convoquer nos langues
pour séduire nos imaginaires
pour exhorter nos écritures
la constance chatoyée dans nos consciences
pour dissoudre nos réticences
pour dilater nos éloquences
pour exalter nos indépendances
nous voici de nouveau séparés
chacun submergé par son pesant quotidien
devoir familial parental filial marital
devoir social professoral syndical patronal
tous submergés par nos insondables doutes
langue style forme genre d’écriture
témoignage récit fiction théâtre essai
c’était si facile hier
votre soutien me faisait forte
vos sourires me chantaient belle
vos paroles me peignaient claire
c’est moins facile désormais

pourtant

lumineuses dans mon ventre
l’assurance que nos mots guérissent nos maux
l’évidence que nos maux fleurissent nos mots
l’exigence que nos mots grandissent nos mots
l’insolence que nos mots pâlissent leurs mots
mélodieuses dans mon âme
la flamboyance de nos générosités
la luisance de nos fertilités
la luxuriance de nos sensualités
la brûlance de notre humanité

quelques lignes pour vous
compagnons de littérature
compagnons d’ouverture
compagnons d’écriture
pour vous remercier

… indicible bonheur

Tarafarero Motu Maeva
20 mai, 2002

 

to my companions in literature

unspeakable happiness
bursts of conviction of impatience
bursts of enthusiasm of hope
flights of dignity of confidence
those eyes telling all, echoes of thoughts
those voices mingling, weaving companionship
those souls meeting, promises of fruitfulness
the womb of our sensitivities
yeast of our originalities
source of our creativities
we listened in every key
moved confused entranced convinced
we pondered in every way
disoriented liberated irritated invigorated
we spoke in every tone
conciliating insolent demanding eloquent
we shared to every music
delightful insightful voluptuous majestic
words gestures looks smiles
certainties conformities generalities clichés
shivers shudders delights upheavals
the life cradled in our bellies
to sharpen our essences
resonate our diversities
combine our riches
the starry fire of our spirits
to summon our tongues
seduce our imaginations
exhort our writings
constancy shimmering in our consciousness
to dissolve our reticence
to expand our eloquence
to exalt our independence
here we are separated again
each of us dragged under by our daily burden
family responsibilities
social and professional responsibilities
all dragged under by our fathomless doubts
language style type genre of writing
personal fictional theatrical essay
it was so easy yesterday
your support made me strong
your smiles sang me beauty
your words coloured me bright
it’s not so easy now

and yet

glowing in my belly
the certainty that our words heal our wounds
the proof that our words grow our words
the insolence that our words fade their words
harmonious in my soul
the fire of our generosities
the glow of our fertilities
the exuberance of our sensualities
the blazing of our humanity

these few lines for you
companions in literature
companions in openness
companions in writing
to thank you

… inexpressible happiness

Tarafarero Motu Maeva
20 May 2002


âmes en exil

j’ai navigué tant d’écrits
sillonné tant de bonheurs
traversé tant de douleurs
d’une écriture océanienne marginale
littéralement
en marge d’un système occidental
ni vraiment à l’intérieur
ni vraiment à l’extérieur
de plusieurs cultures
de multiples écritures
océan d’îles
âmes en exil
identités fragmentées
cultures démembrées
dans un rapport complexe à la langue à la pensée à l’idée dominantes
comme une stratégie de résistance
pour donner nouveaux sens aux mots de l’autre

et voici que ces mots faits miens
taillés de coups de to’i énergiques
dévoilent une histoire mal-dite mé-dite non-dite
diverse mais si semblable
petits bouts d’histoires qui ne font pas l’Histoire
dans une différence qui revendique une multiplicité ondoyante mouvante dansante
dans une langue qui transcrit traduit travestit des mémoires brûlantes
imaginaire de liberté originée originelle originale

et nous
océaniens de tous levers couchers de soleil
suiveurs d’étoiles de courants
orateurs de mythes de généalogies
désormais écriveurs
tentons une nouvelle fondation pour ceux qui nous continueront
désespérément tendus dans un rêve d’éternité
oiseaux frileux cherchant équilibre
tissant l’océan de nos mots écrits
nattant le ciel de nos textes dits
pour continuer la traversée en tous sens

j’ai tant buriné de doutes
j’ai tant épuisé de déroutes
infinie quête d’une écriture conforme à mon essence
dans l’ insolente utopie
que
l’idée a forcément un mot pour être dite
le mot porte forcément la plénitude de l’idée

après toutes les genèses
ne me reste que cette béance
fondamentale
fondatrice
de mon écriture

l’écart entre l’image et le mot
le vide entre l’essence et les sens

ainsi se déroule ma sente d’écrivain
ardue drue nue
sans mot pour dire
sans langue pour écrire
dans une pitoyable im-présence
dans une pathétique in-conséquence
en marge d’un alentour qui s’estompe
brouillé de mes incapacités multipliées
obscur de mes avortements répétés

ainsi vais-je cheminant
dans l’insoutenable certitude
de mon insondable solitude
traçant mes mots déserts
tordant mes textes soufferts
pour rencontrer l’autre
tous les autres
les mêmes les divers
dans une probable émotion
dans une semblable partition

voici
donc
encore
vains
mots de l’incomplétude
pour être
entièrement
à l’humanité

Tarafarero Motu Maeva, 2007


Chantal T. SpitzChantal T. Spitz : poésie lue par l’auteure. Cinq vidéos filmées à Paris le 10 avril 2014.
Image et son : Laurence Fosse.
Montage : Dominique Masson.
Réalisation : Estelle Castro-Koshy et Dominique Masson.
Mise en ligne sur YouTube le 24 juin 2016.

Trois poèmes de Chantal T. Spitz, lus par l’auteure (et deux en traduction) :

« l’accueil », publié pour la première fois dans Pensées insolentes et inutiles. Papeete : Éditions Te Ite, 2006, pages 123-124. « the welcome », traduction par Jean Anderson.

« à mes compagnons de littérature », publié pour la première fois dans dans Pensées insolentes et inutiles. Papeete : Éditions Te Ite, 2006, pages 168-169. « to my companions in literature », traduction par Jean Anderson.

« âmes en exil », publié dans Sillages d’Océanie. Nouméa : Association des écrivains de Nouvelle-Calédonie, 2007.


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mis en ligne : 24 juin 2016 ; mis à jour : 2 novembre 2020