Nathalie Heirani Salmon-Hudry, 5 Questions pour Île en île


Nathalie Heirani Salmon-Hudry répond aux 5 Questions pour Île en île.

Entretien de 19 minutes réalisé à Paris, à la Délégation de la Polynésie française le 24 mars 2014 par Estelle Castro et Dominique Masson.

Notes de transcription (ci-dessous) : Estelle Castro.

Dossier présentant l’auteure sur Île en île : Nathalie Heirani Salmon-Hudry.

début – Mes influences
01:46 – Mon quartier
02:34 – Mon enfance
05:16 – Mon oeuvre
15:28 – L’insularité


Mes influences

Moi et les livres, ça a commencé très tôt. Je me rappelle, ma maman m’avait abonnée à des livres donc j’en recevais tous les mois. C’étaient des grands livres, très imagés, très joyeux, avec une bonne morale. Quand je les recevais, on se mettait toujours dans un coin avec Maman et elle me lisait l’histoire. Ça, c’était mon premier contact avec le livre. Plus tard, une amie m’a dirigée vers les classiques. J’ai lu tous les Victor Hugo, tous les Maupassant, et vraiment j’ai adoré. Parce que quand je prends un livre, je m’évade de mon quotidien. Je pars avec les personnages, dans leur promenade, dans leur vie, et je quitte la mienne.

Mon quartier

J’ai grandi à Pirae. Pirae, c’est la ville à côté de Papeete. Donc on n’a pas tous les inconvénients de Papeete, mais on est à deux pas. On fait un kilomètre et on est au centre-ville. On a tout sous la main et on a un cadre de vie extraordinaire. Pirae est très fleuri, très joyeux, c’est vraiment une commune où il fait bon vivre.

Mon enfance

Mon enfance. Je tiens à préciser quelque chose : je n’étais pas sage. Je n’étais absolument pas sage. C’est vrai, on croit que quand on est en fauteuil, on ne bouge pas. Non, non, quand j’étais petite, je n’étais pas en fauteuil, je me promenais sur les jambes donc j’allais partout. Maman m’avait acheté je ne sais plus combien de pantalons parce que j’allais dans le jardin sur les jambes. Alors les pantalons après avaient changé de couleur. Mon enfance a été magnifique parce que tu ne te rends pas compte de ton handicap, tu ne vois pas toutes les difficultés, tu vois ça après. Donc pour toi, t’es normal(e). J’ai eu une jolie enfance.

Un souvenir marquant. Il y en a un. Ma famille habitait à Paea donc un peu plus loin de Papeete. On y allait, et à chaque fois que j’étais là-bas – on avait accroché une balançoire, dans un arbre, assez haute –, je demandais toujours à mon cousin de m’amener là-bas parce que je m’accrochais à cette balançoire pour me lever. Une fois debout, mes cousins venaient à côté pour voir qui était le plus grand, la plus petite. Bien sûr on regardait où était Maman parce qu’elle n’aimait pas trop… Je pouvais tomber, me blesser. Moi, je voulais me lever à tout prix. Je crois que c’est ces souvenirs que je garderai précieusement, quand je me levais et que tous mes cousins étaient à côté.

Mon œuvre

Je suis née morte a connu un début un peu comme le mien. Il ne devait pas être un livre. Quand j’ai commencé à écrire, c’était vraiment pour m’occuper. Je m’ennuyais. Je n’arrivais pas à m’insérer dans la société. J’étais vraiment toute seule. Bon, j’étais bien dans ma famille, mais c’est vrai que tu as besoin de réaliser, tu as besoin de t’insérer dans un groupe et moi je n’arrivais pas. Et je m’ennuyais. Et comme je ne suis pas du genre à aimer à compter les voitures qui passent, un jour je me suis réveillée et je me suis dit : « Non, là il me faut trouver une occupation, n’importe laquelle, mais il le faut. » J’ai regardé autour de moi, j’avais mon ordinateur. J’ai dit, bon allez. Et c’est vrai que ça faisait un moment que Maman me disait : « Écris ! Écris ! » À chaque fois, je ne la prenais pas au sérieux. Je disais : « Mais n’importe quoi ! Ça va pas ta tête. Je ne peux pas écrire. » Mais ce jour-là, je me suis dit, si tu ne t’occupes pas, tu vas péter les plombs. Et là, je ne me suis pas dit, tu écris un livre. J’ai d’abord écrit sur les personnes que j’aimais et qui sont décédées, parce que je trouvais qu’elles étaient parties trop vite. Et dans un silence… On les avait oubliés, la vie les avait oubliés. Et je trouvais ça injuste parce que c’étaient des personnes pleines de vie, qui méritaient d’être connues encore, d’être reconnues encore.

J’ai commencé par écrire sur mon grand-père, que j’ai perdu très jeune et qui me manquait. J’ai écrit sur ma marraine que je venais de perdre et c’était affreux parce qu’elle était pleine de vie. Un foutu cancer est passé par là. Ce chapitre a été difficile à écrire. Difficile parce que tu revis ces moments. Et en même temps, ils te donnent une force. Quand j’écrivais sur mon grand-père, je le sentais là, à côté de moi, presque à me dicter les mots. Pareil pour ma marraine, je la sentais là en me disant : « Allez, chérie, allez, vas-y ! » Après ça, j’ai écrit sur mes souvenirs, ce que je ne voulais pas oublier. On peut dire tout ce qu’on veut, on oublie. Au bout de cinquante, soixante ans, t’as oublié peut-être des détails, mais parfois des détails, ça joue. Je voulais ne rien oublier, donc j’ai écrit.

Petit à petit, des gens sont venus à la maison, la famille notamment. « Qu’est-ce que tu fais ? » « Ben, j’écris. » « Tu écris quoi ? » « Tout, et en même temps, rien. » « Je peux lire ? » « Si tu veux, mais tu connais l’histoire. » Et puis j’imprimais mes feuilles, j’en avais cinq, six. J’imprimais, je donnais. Et toutes ces personnes-là revenaient en me disant : « Je veux connaître la fin. Vas-y continue. Raconte. C’est vrai que tu as écrit sur mon grand-père, sur ma marraine, mais continue. Fais un livre. » J’ai dit : « Ça va pas, regardez ma tête, je n’ai pas une tête d’auteur. » « Écris, écris ! » Premier, deuxième, dixième. Tu commences à te prendre au jeu. Tu te dis : ça fait quand même pas mal de personnes… Et j’ai continué à écrire sur ce que je voulais montrer aux gens. J’avais beaucoup de mal à avoir des amis, à avoir des connaissances. Parce que dès que la personne voit un handicap, elle se ferme. Je n’arrivais jamais à échanger. On ne regarde jamais un handicapé, on ne lui parle jamais. Peut-être par souci de ne pas le gêner, mais honnêtement c’est plus blessant qu’autre chose. Parce que je vivais en dehors de la société, je l’ai vraiment vécu comme ça. Et donc je me suis amusée à montrer le handicap, mais en secondaire, parce que la personne revenait au premier plan. Je ne suis pas différente. J’aime le Jack Daniel’s, j’aime la télé, je mets la musique à fond dès que je peux. Voilà qui je suis. Je ne suis pas handicapée seulement, j’aime la vie, j’aime rire, j’aime parler, la preuve. Et donc je me suis amusée à montrer cet aspect-là aux gens, à tous ceux qui vont prendre le temps d’ouvrir mon livre.

Estelle Castro : Tu parles aussi beaucoup de la persévérance, de l’amour de tes proches.

Nathalie Heirani Salmon-Hudry: Je crois que tu ne peux pas parler d’une vie sans parler d’amour. Tu ne peux pas. Pour moi, s’il n’y a pas d’amour il n’y a pas de vie. Et encore plus quand tu es handicapé. J’arrive à parler devant les gens, j’arrive à m’exprimer parce que je sais que derrière je suis aimée. Je n’aurais pas autant confiance en moi sans cette base solide qu’est ma famille. Je ne pourrais pas. Parce que j’ai conscience que mon handicap est important. J’ai conscience que je ne parle pas comme tout le monde. Mais comme je suis aimée, j’arrive à être moi-même, à me dire : après tout, ça passe ou ça casse, tout simplement.

Estelle Castro : Tu parles aussi dans ton livre de ta foi.

Nathalie Heirani Salmon-Hudry : Oui, parce que tu ne peux pas traverser autant d’épreuves sans ça. Tu ne peux pas. Sinon tu sors de là brisée. C’est là que tu te reposes, quand tu ne sais plus. Quand tu as un handicap, ta vie n’est pas toute tracée. Elle est jonchée de doutes. Tu ne sais pas. Je ne sais pas comment je serai dans dix ans. Je ne sais pas comment je serai dans vingt ans. La foi me donne cette sérénité de me dire : « OK. Dans vingt ans ça arrivera, mais aujourd’hui est déjà là, donc occupe-toi d’aujourd’hui d’abord, le reste on verra. »

L’Insularité

J’ai connu Paris. Paris est une très belle ville. Je prends vraiment plaisir à visiter les quartiers, à voir les monuments. Mais c’est vrai que mon soleil me manque. 34° et passer à 7°, c’est affreux. J’ai eu mon frère, il disait : « Il fait chaud ». Il était torse nu. Toi, t’as deux sous-pulls, un pull, une parka et t’es là : « j’ai froid ! » Je l’ai dit dans mon livre, je vis mieux en France. Parce qu’en France le handicap est pris en compte. On appelle un taxi, on demande un taxi adapté, on a tout. Mais voilà, chez moi, c’est Tahiti. C’est là-bas que j’ai envie de vivre, c’est là-bas que j’ai envie, peut-être à mon niveau, de faire évoluer les choses. Moi, j’ai dépassé la trentaine, donc c’est bon. Mais il y a encore beaucoup d’enfants qui naissent à Tahiti handicapés. J’ai fait le parcours, il n’est vraiment pas facile. Si on peut l’améliorer un peu pour la nouvelle génération, je serai heureuse. Tahiti est chez moi, et j’essaierai de faire bouger les choses.

Estelle Castro : Est-ce que Tahiti t’évoque quelque chose d’autre ?

Nathalie Heirani Salmon-Hudry : La diversité. Je crois que les îles apportent une diversité très intéressante. Plusieurs fois, notamment à Paris, lorsque je dis : « Je suis tahitienne », les gens en face rigolent. Je dis : non, non, je suis tahitienne ! Je n’ai pas la peau bronzée, les cheveux noirs, mais je suis tahitienne et je suis fière de mon identité.

Estelle Castro : Est-ce qu’il y a quelque chose d’autre que tu voudrais partager ?

Nathalie Heirani Salmon-Hudry : Oui, peut-être une phrase que je répète souvent lorsque je vais notamment dans les écoles. On a une différence, c’est mon handicap. Mais je pense qu’on a plein de ressemblances. Efforçons-nous de les rechercher, de les voir, et de les apprécier.


Nathalie Heirani Salmon-Hudry

Nathalie Heirani Salmon-Hudry, 5 Questions pour Île en île.
Entretien, Paris (2014). 19 minutes. Île en île.

Mise en ligne sur YouTube le 6 décembre 2014.
(Cette vidéo était également disponible sur Dailymotion, 2014-2018.)
Entretien réalisé par Estelle Castro et Dominique Masson.
Son : Laurence Fosse.
Image et montage : Estelle Castro et Dominique Masson.
Notes de transcription : Estelle Castro.

© 2014 Nathalie Heirani Salmon-Hudry, Estelle Castro et Dominique Masson


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mis en ligne : 6 décembre 2014 ; mis à jour : 26 octobre 2020