Max Rippon, « Un arbre est mort »

Rue Beaurenom
au sortir du bourg
rangs serrés
sabliers épineux

un sablier est mort ce matin
dernier d’une série
rouleaux inutiles et gauches
troncs gisants à même le macadam
fumant

viennent à mes oreilles lasses
plaintes rythmées
chant rageur
tronçonneuses acharnées

un sablier est mort ce matin
le dernier…
nous ne chanterons plus les défis
d’antan
– kikiyiki wa dè kòk…!
nous n’entendrons plus
démarche claudiquante kabwa de fortune
sur l’asphalte mal pris

un sablier est mort en ce frêle matin
nature en berne ciel obscur
larmes d’indignation
qui barrez mon regard
et je crie
et je hèle
et je peste
contre ceux qui le privent
de vivre

sabliers de tendre enfance
compagnons attentifs des premiers jeux
livrés à merci
sans défense
assassinés ce matin d’août
moignons dressés blessés
à même l’écorce de vos chairs

j’aurais aimé donner mon dernier souffle
en échange de votre sursis
mais ils ont méprisé la nature
mais ils ont négligé d’entendre
les cris ça et là sortis
des poitrines
oppressées

un sablier est mort
assassiné
sucriers sisizèb boustabak
vols bas nids en dérive
et le temps marque le deuil
et les hommes déchoukés
détournent des regards affligés

j’aurais aimé offrir mon dernier souffle
pour épargner un arbre centenaire
utile impuissant et seul…

il pèse désormais sur mon coeur
une peuplade de moignons
marqués à vie

des arbres sont assassinés
pans de mon histoire jetée aux orties
amis de toutes parts
attentifs
venez avec moi cueillir les lambeaux encore tièdes
de l’écorce blessée du dernier sablier de Bòwno

– Grand-Bourg, le 28 août 1998


« Un arbre est mort » est un poème inédit de Max Rippon, publié pour la première fois sur Île en île. Il est publié par la suite dans le recueil, Débris de silences, aux éditions Jasor en 2004.

© 2002 Max N. Rippon


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mis en ligne : 3 octobre 2002 ; mis à jour : 26 octobre 2020