Margaret Papillon, Innocents fantasmes: un roman osé

illustration © Albert Desmangles

illustration © Albert Desmangles

La littérature haïtienne recèle de romans historiques, sociaux et paysans qui démontrent l’attachement des écrivains haïtiens à des thèmes récurrents comme l’esclavage, la terre, les préjugés de classe et de races. Des œuvres pareilles au dernier roman de Margaret Papillon, intitulé Innocents Fantasmes, sont rares car la société haïtienne réglemente le cours de la vie au rythme de l’hypocrisie. Nous n’aimons guère lézarder le silence, démythifier les tabous, libérer la parole tumultueuse mais verticale.  Innocents Fantasmes fouine dans la libido du mâle haïtien pour y dénicher des secrets devinés mais inavoués.
Dans ce roman l’auteur décrit l’appétit vorace, le cynisme de deux jeunes femmes qui manipulent les hommes dominés par leurs vices. En lisant cet ouvrage de Margaret Papillon, nous nous posons une question double et importante. Le miroir de la vérité révèle-t-il les laideurs des autres ou reflète-t-il notre propre image? Le style limpide de la romancière n’épargne pas les hommes qui pataugent dans la vase de leurs désirs. Margaret Papillon n’appartient pas non plus à cette catégorie de féministes qui innocentent toutes les femmes. Elle nous explique le fonctionnement de la société où les politiciens, les intellectuels, les gens de pouvoir ressemblent à des pantins soucieux de combler leurs frustrations au bénéfice de leurs maîtresses, au détriment de la collectivité.
Innocents Fantasmes; un roman à lire absolument pour comprendre que certaines femmes occasionnent les coups d’État, les guerres civiles. Bref, celles-ci mènent le monde et trônent sur la corruption.

– Jacques Roch


Innocents Fantasmes

roman

Un jour, une femme se plaignit à Dieu du comportement de son mari qu’elle trouvait inacceptable tant ce dernier était tyrannique.

Dieu, dans sa grande sagesse, lui répondit:

«Écoutez, chère amie, j’ai créé les femmes beaucoup plus intelligentes que les hommes. De plus, celles-là sont passées maîtres dans l’art de ruser. Alors, ce n’est pas bien difficile de mettre un homme dans sa poche. Il suffit de le flatter souvent, lui faire accroire qu’il est le plus beau et le plus intelligent, lui laisser l’illusion à tout instant qu’il est un roi, un demi-dieu et il vous adorera. L’homme n’est qu’un enfant. Tout ce qu’il désire, c’est être rassuré sur lui-même et sur sa virilité».

Dieu prit une pause… Puis, l’air tout à fait pensif, il ajouta plus bas:

«Tout ceci est dit tout à fait entre nous. Il ne faudra pas mettre les hommes dans la confidence. Car, cela est un secret entre vous et moi. Disons… un secret entre femmes!»

Et la femme s’en fut, heureuse d’avoir trouvé en Dieu une alliée et un remède à ses maux.

CE LIVRE EST STRICTEMENT RÉSERVÉ AUX ADULTES

Les personnages décrits et les faits relatés dans ce livre sont absolument fictifs. Toute ressemblance avec une quelconque réalité est purement accidentelle.


 

                         …car l’amour de l’argent est la racine de tous les maux

–  Timothée VI, 10.

La pluie mouillait silencieusement la cité et cela faisait des heures que durait ce temps de chien qui paralysait la vie des insulaires, trop habitués à voir le soleil fidèle à son rendez-vous journalier.

Nadine qui, chaque matin, se laissait taquiner par les chaleureux rayons de notre astre céleste avant de sauter sur ses pieds, paressait encore au lit. Malheur à celui qui avait classé la paresse dans la liste des sept péchés capitaux, car pour elle c’était un vrai bonheur de se réveiller avec la perspective de n’avoir rien à faire toute la journée.

Elle sauterait du lit, très probablement vers une heure de l’après-midi, après avoir pris un copieux petit déjeuner, confortablement installée sur ses oreillers grands comme des poufs d’émirs arabes; avec la télé fonctionnant à plein régime. Ensuite, elle irait à ses séances de massage, moments qu’elle adorait par-dessus tout, sous prétexte de faire fondre sa cellulite. En fait de cellulite, elle n’en avait plus. Le tandem massage/gym avait gommé cette sacro-sainte petite horreur depuis longtemps déjà. Mais le jeune et beau masseur lui plaisait beaucoup, et cela n’arrivait pas tous les jours qu’un homme puisse laisser aller et venir ses mains sur sa peau lisse sans qu’après cela ne finisse au pieu.

Personnellement, elle adorait ce petit jeu auquel elle se prêtait en feignant une fausse indifférence, tout en sachant le pauvre homme dans tous ses états à la vue de son corps de déesse. Souvent, elle arrivait vêtue d’une simple robe fourreau sous laquelle elle était nue comme un ver. Elle s’excusait, tout bonnement, avec moue charmante, de s’être rappelée trop tard que ce jour-là elle avait une séance de massage alors qu’elle était déjà en train de faire ses courses. Lui, faisait semblant d’être dupe, ce qui leur permettait à tous les deux de passer d’agréables moments sans aucun problème de conscience. Au fait, Nadine se découvrait de plus en plus une âme d’allumeuse. Ensuite sa journée se poursuivrait en passant chez le coiffeur. Il n’y avait rien de mieux pour se booster le moral que de se faire belle. Une excellente thérapie contre tous les bobos de la vie. Elle prenait un soin fou de son apparence, car sa beauté était son principal atout. Son avenir en dépendait, en dépit de belles études et un diplôme en droit, qui ne lui servait qu’à plaider ses propres causes. De plus, elle ne voulait rien faire de ses dix doigts.

Il faut dire qu’elle avait pris pour modèle sa tante Astrid. Cette dernière avait été toute sa vie une femme entretenue et elle ne le cachait pas. Au contraire, elle s’en vantait.

Elle disait à qui voulait l’entendre que si Dieu lui avait fait don d’un très beau bijou entre les cuisses, ce n’était sûrement pas pour le soustraire à la vue des hommes. Le laisser caché tiendrait carrément de la folie. Pire! ce serait un crime contre l’humanité que de se montrer égoïste envers ceux qui n’en ont pas. Sa vie, elle la gagnerait à la sueur de son cul, n’en déplaisent à ceux qui le font à la sueur de leur front. Elle se disait comblée. Et quand elle faisait visiter sa maison à ses amies croulant sous le poids de la jalousie, elle n’avait pas honte de glousser en disant: «Ma voiture m’a été offerte par François A. Ce superbe salon en cuir par Arnold G. Cette salle à manger par Serge T. Et la maison elle-même par le colonel Untel. La propriété de la côte des Arcadins par le général Untel».

Tout cela était dit avec un tel accent de fierté que sa sœur, Mireille, qui avait passé sa vie «aux travaux forcés» dans l’entreprise de son mari, se sentait toute amoindrie. Cela lui avait servi à quoi d’être une bonne fille, une mère modèle et une épouse fidèle quand vingt-cinq ans plus tard elle se retrouvait seule et sans le sou? Son mari, après lui en avoir fait voir de toutes les couleurs, avait fini par la quitter pour une jeunesse. Il l’avait même, Ô! humiliation suprême, mise à la porte du domicile conjugal pour y installer sa nouvelle maîtresse. N’était la générosité d’Astrid, ses enfants à l’université à l’étranger auraient crevé de faim et de privations de toutes sortes.

Alors, Nadine se disait qu’être une bonne fille n’attirait que des ennuis. Elle avait décidé donc de suivre les traces de sa tante, Astrid. D’ailleurs, à quoi bon s’esquinter quand la vie est si courte et qu’on a la chance, la grâce divine, d’être belle?

* * *
Vers deux heures, le temps se fit beau. Le soleil avait chassé les nuages pour reprendre sa place dans le ciel tout bleu de la petite île caraïbe. Nadine, après avoir avalé, à la hâte, un frugal repas, prit une bonne douche qui dura plus d’une heure (elle prenait toujours un soin fou à sa toilette), puis se vêtit d’une robe blanche hyper moulante. Elle était déjà dans sa voiture quand elle pensa à Alain. Ah, les hommes! Toujours les hommes! Celui-là lui plaisait particulièrement, car elle avait toujours eu un faible pour les mâles forts, beaux et riches. Qu’Alain soit plein aux as la rassurait et l’enchantait à la fois. Elle s’était laissée dire, par une amie qui avait déjà tenté de le prendre dans ses filets, que plus radin que lui, tu meurs. «Mon vieux, avec moi, la seule formule qui marche, le couteau sous la gorge, c’est: La bourse et la vie!» Elle n’allait tout de même pas se faire allonger pour des prunes par un petit malin, ce qui équivaudrait à « gaspiller » sa marchandise entretenue à prix d’or! Il y a certains hommes à qui il faut forcer la main afin qu’ils crachent le morceau. Eh, bien! Celui-là, il allait voir ce qu’il allait voir. Cela faisait deux semaines depuis qu’il fréquentait la maison et on n’avait pas encore vu la couleur de son argent. Incroyable! Il y en a qui croient qu’ils ont du charme et que cela leur permet de faire perdre du temps aux autres. Elle avait des urgences, elle. Ce n’est pas avec le sourire qu’elle payait le loyer de son luxueux appartement du Morne Calvaire. Et ce n’est sûrement pas avec ça non plus, qu’elle pourrait s’acheter une nouvelle voiture. L’actuelle était déjà vieille de dix-huit mois. Et cette fois, elle choisirait une 4 x 4 pour suivre la tendance, faire comme tout le monde, quoi! Ça, elle y tenait, quitte à se taper deux hommes d’un coup. Il y en a qui auraient sorti l’argenterie Christofle des jours de fête mais, elle, elle était un peu fatiguée de s’offrir pour obtenir si peu. Son amie Florence se serait indignée si elle avait pu lire dans ses pensées. «Quoi, une Nissan Maxima, une croisière dans les Caraïbes, un voyage organisé en Égypte, c’est ce que tu appelles si peu? Mais, tu exagères Nanouche! Tu ne connais pas ta chance. Tu es une privilégiée dans un pays où on crève de faim!» Et pourtant non, Nanouche n’exagérait pas puisqu’elle rêvait de yacht, de villa au bord de la mer et de chalet à la montagne, pour en finir avec les loyers. Être une grande comme tante Astrid et s’assurer une retraite dorée à trente ans. Après, elle se choisirait un mari gentil et docile qui ferait ses quatre volontés puisqu’elle ne dépendrait pas de lui financièrement. L’argent pour elle était le plus grand des pouvoirs et exerçait sur elle la plus grande des fascinations. Il fallait qu’elle s’arrange pour ne jamais en manquer. Surtout que, dans ce métier, la jeunesse était un atout majeur. Car les hommes n’aiment les femmes que lorsqu’elles sont jeunes et belles, exception faite de la leur. Encore un peu, ils iraient les prendre au berceau.

Après mûres réflexions, Nadine descendit de voiture, renvoyant à plus tard ses rendez-vous, et alla téléphoner à sa meilleure amie, Florence.

«Allô! Foufoune? C’est Nadine», dit-elle, quand elle entendit la voix enjouée de son amie au bout du fil.

– Oh, Nanouche! Comment vas-tu?

– Très bien, et toi?

– Ça peut aller. Quelles nouvelles?

– Écoute, ma chérie, j’ai besoin de toi. Pourrais-tu passer à la maison vers sept heures demain soir?

– Ah! tu as quelqu’un pour moi? J’espère qu’il a du fric. L’argent me fait défaut ces jours-ci.

Nadine hésita un court instant puis répondit d’une drôle de voix, mi-amusée mi-rêveuse.

– Peut-être quelqu’un pour nous deux!

– Quoi? Je ne comprends pas très bien! s’étonna son amie.

– Inutile de chercher à comprendre. Ce ne sera pas facile. Et c’est long à expliquer. Je t’attends demain, sept heures.

– O.K. Je serai à l’heure.


Cela faisait des heures depuis que Alain était éveillé. Il se tournait et se retournait dans son lit, incapable de trouver le sommeil. Décidément cette femme, cette Nadine, l’obsédait. Elle lui avait été présentée par son frère Jérôme le jour de l’anniversaire de celui-ci et cela fut un véritable choc. Il ne croyait pas au coup de foudre mais il devait se rendre à l’évidence. Cette femme l’avait bouleversé à un point extrême. Il lui trouvait un je-ne-sais-quoi pouvant rendre fou l’homme le plus sage. Comme un subtil mélange de puérilité et de perversité.

Des femmes, il en avait connu beaucoup, car il était coureur. Il aimait la vie, la bonne chère et la chair fraîche. Mais cela n’arrivait pas chaque jour de rencontrer une femme de cette trempe. Belle, soignée jusqu’au bout des ongles, une plastique d’enfer, à la Tyra Banks et cultivée de surcroît. Pour elle, il était prêt à faire des folies.

Il jeta un coup d’œil à sa femme endormie tout contre lui et s’imagina un instant les voir dans les bras l’une de l’autre. À cette seule pensée, il fut pris de vertige. Il tenta de chasser cette image qui avivait ses sens mais n’y parvint pas. Son sang bouillonnait dans sa tête. Ah, ce fantasme! Une véritable obsession, lui aussi. Mais qu’y pouvait-il? C’était la faute au bon Dieu, pas la sienne. Pourquoi avoir créé une telle créature avec un corps tout en rondeurs, tout en douceur qui vous interpellait à chaque seconde de votre vie? Il y en a qui voudraient faire croire que c’est ce même Dieu qui a institué le sacrement du mariage. Quelle plaisanterie! Pour lui, le mariage était une pure invention des hommes voulant s’éloigner le plus loin possible de leur animalité. Lui, il l’adorait, son côté animal. Au diable la fidélité! Dieu a créé la femme pour être baisée. Alors, messieurs, baisons-la avant que le temps ne nous vole notre virilité. Telle était sa devise. Tout ce qu’il voulait, c’était pénétrer leur chair tendre et tiède. Faire un petit tour au paradis, quoi! En avoir un petit aperçu avant le jour où il monterait au ciel ne peut faire de tort à personne. Et puis, les humains se prennent beaucoup trop au sérieux. Les chiens dans la rue, eux, ne s’embarrassent pas de tous ces détails et de tous ces principes. Ils rencontrent une femelle qui leur plaît, chavirent sous l’effet de ses phéromones et se mettent tout bonnement à la lécher sous l’œil amusé des passants. Jeu auquel se prête la femelle en levant une patte sans poser de questions à savoir s’ils ont une femme et trois gosses qui attendent à la maison. Ne pas pouvoir faire comme eux, c’est ça une vraie vie de chien. Cette petite l’obsédait, précisément parce qu’il sentait que son côté animal avait été préservé. Une vraie chatte qui vous lance des regards langoureux accompagnés d’un balancement de hanches à réveiller un mort. Jérôme lui avait dit de prendre garde à cette tigresse qui, comme toute créature qui se respecte, avait des griffes rétractiles. Mais ce genre d’avertissement était tout juste bon pour les petits jeunots fraîchement sortis de l’école. Lui, il se sentait fort de ses quarante ans et de ses expériences Ô! combien nombreuses!

«Allons, allons, cette fille n’est qu’une gamine qui n’a pas vingt-cinq ans. C’est très facile de les manipuler à cet âge. Elles sont encore dociles car inexpérimentées!» avait-il répondu à Jérôme qui s’inquiétait de le voir s’enticher à ce point de cette fille qu’il connaissait à peine.

Au fond, Jérôme était un peu jaloux. Il faisait la cour à Nadine depuis des mois déjà, sans résultats probants. De toute évidence, Alain avait plus de chances que lui de s’envoyer la belle, car il possédait ces signes extérieurs de richesse qui lui faisaient tant défaut.

Alain se savait fort. Ses expériences passées lui permettaient cette dérive. Aucune femelle ne lui avait résisté jusque-là. Il n’était pas du tout de ceux qui donnaient sans compter de l’argent aux femmes. Mais, il les appâtait à coup de dîners dans les meilleurs restaurants de la place, de journées à la plage, de week-end à Santo Domingo ou à Miami (il prétextait alors un voyage d’affaires et sa femme tombait toujours dans le panneau) et le tour était joué. Pas question de s’attarder longtemps dans la même liaison: trois mois, pas une minute de plus. Passé ce délai, les femmes disait-il se mettaient en tête de briser votre foyer sous prétexte d’amour fou alors qu’elles n’en voulaient qu’à votre portefeuille afin de vivre la belle vie. Elles le feraient à d’autres, pas à lui. Les femmes, il les aimait, les adorait, leur vouait même une véritable dévotion. Mais, toutefois, il restait persuadé que le maître c’était lui. Lui seul.

Il jeta un regard à nouveau sur sa tendre épouse, ignorante de toutes ces pensées qui l’agitaient et de ses fantasmes qui le retenaient prisonnier. Heureuse-ment qu’elle le prenait pour un dieu et Dieu ne pense pas à ces choses-là. Qu’il fut pris pour un être suprême par sa compagne le rassurait agréablement. Mais, parfois, il aurait aimé lui avouer combien il se sentait terriblement humain avec ses faiblesses et ses… égarements.

Sa femme se retourna dans le lit. Il la trouva charmante avec ses cheveux défaits et son air apaisé. Elle était comme un bon vin qui, en vieillissant, devenait meilleur. Un ange, vraiment! Il embrassa son sein gauche qui s’était échappé de sa chemise de nuit. Elle eut un sourire béat mais ne se réveilla pas. Il insista, sentant monter en lui son désir de tout à l’heure. Son désir de Nadine.

Les bras de Sophia se refermèrent autour de sa tête. Ses doigts fourragèrent dans ses cheveux. Il embrassa l’autre sein. Elle poussa un gémissement qui prouvait que déjà le désir grondait en elle. Puis, une vague de plaisir haute comme l’Himalaya déferla sur eux, les laissant plus tard ivres et ravis.


Florence avait une telle hâte d’en savoir plus sur ce dont Nadine tenait à lui parler, qu’elle arriva au rendez-vous avec une bonne demi-heure d’avance.

Son amie prenait son bain, et elle trépigna d’impatience en l’attendant.

Par ces jours de grande disette (l’armée avait été dissoute), la denrée «homme» se faisait rare. Et le loyer n’attendait pas. Les factures de la modéliste, celles du salon de coiffure et de l’agence de voyage non plus. Heureusement qu’elle avait de bonnes amies toujours prêtes à lui donner un coup de main quand tout allait mal. Grâce au ciel, il y avait Nadine qui lui passait les hommes dont elle ne voulait plus. C’est vrai qu’elle les purgeait avant, mais il en restait quand même quelque chose capable de lui permettre de solder quelques dettes. Elle se contentait des miettes, des reliefs de table, se sachant moins attirante que Nadine. Celle-ci avait des atouts tels que son teint clair, sa longue chevelure et sa poitrine plus que généreuse. Les hommes raffolaient d’elle. On avait beau être plus belle qu’elle (ce qui était son cas à elle Florence) que cela ne saurait servir d’arguments, tant son teint éclatant et sa sensualité à fleur de peau faisaient des ravages dans le cœur, dans l’esprit et dans le corps des hommes. Mais il fallait avouer qu’elle n’était point égoïste. Au contraire, elle n’hésitait pas à lui céder une part alléchante du gâteau. Récemment, elle lui avait refilé un sénateur. Cet homme du Grand Corps avait un grand cœur. Généreux à souhait, il n’avait aucune peine à délier les cordons de sa bourse (au fait, ce n’était pas la sienne mais celle du pays). Heureux qu’il y ait toujours des hommes comme celui-là! Après la disparition des duvaliéristes, puis des militaires, la pénurie s’était fait sentir et avait affolé ces demoiselles qui envisageaient de mettre fin, la mort dans l’âme, à de si belles carrières de femmes entretenues. Quel bonheur que le gouvernement en place n’ait pas tenu ses promesses d’enrayer la corruption! Sans quoi, il ne leur resterait plus qu’à plier bagages et à s’envoler vers de nouvelles terres plus clémentes et plus propices à leur petit jeu de jambes. Ou, tout bonnement, à faire la tête aux hommes jusqu’à ce que ces derniers se résignent à renverser le gouvernement. Eh oui! c’est ainsi que sont fomentés les coups d’État et les révolutions! Mais ça, il ne faudra surtout pas le dire aux parents de tous ceux qui sont tombés sur les champs de bataille, ceux qui ont perdu bêtement la vie sous les balles assassines des hommes au pouvoir. À tous les coups, les femmes étaient dans le complot afin de protéger leurs acquis et assurer leur avenir.

Florence était à ce stade de pensées, quand Nadine, fraîchement sortie de sa douche, pénétra dans le salon, traînant derrière elle les effluves de son parfum capiteux. Un Dior acheté à prix d’or par un ancien amant, grand argentier de l’État, qui la gâtait outrageusement.

C’est vrai que Nadine était belle, magnifique même. Mieux: irrésistible! Avec ses cheveux tombant en cascade sur son dos, et son corps de déesse provoquant à souhait. Pas étonnant que tous les hommes fussent à ses pieds.

De sa démarche altière, elle se dirigea vers Florence, la prit dans ses bras, la pressa chaleureusement sur son cœur puis l’embrassa sur les deux joues.

«Tu vas bien?» s’enquit-elle d’une voix légèrement rauque.

– Bien sûr! répondit Florence. Mais j’irai bien mieux quand tu m’auras dit la raison de ce mystérieux rendez-vous.

– Sois patiente. Tout arrive à point à qui sait attendre. Viens, allons nous as-seoir sur la véranda. Je te sers une bière?

– Volontiers! C’est très agréable quand il fait aussi chaud.

– Installe-toi confortablement, je t’arrive tout de suite.

Elle revint quelques minutes plus tard avec un plateau d’amuse-gueule et de la bière fraîche.

«Alors, ma grande, quoi de neuf?» demanda Foufoune à brûle-pourpoint.

Le regard de son amie se fit malicieux.

– Voilà! Ma chérie, si je t’ai demandé de venir c’est parce que j’ai besoin d’un sérieux coup de main.

L’étonnement se peignit sur le visage de Florence. D’habitude la situation était toujours l’inverse.

– Ah bon! Et en quoi puis-je t’être utile? Vraiment ce que tu me dis là est surprenant.

– Eh bien! … Tu sais que j’ai un nouveau soupirant…

– Oui, je sais. Tu m’en as déjà parlé. Mais, quoi d’étonnant? Ta vie en est bien jalonnée. Je ne vois vraiment pas en quoi je pourrais bien t’aider. Tu es une grande fille qui se débrouille toujours toute seule. À moins que tu ne veuilles te débarrasser de lui dans l’immédiat. Je trouverais que c’est vite fait quand même. Serait-il sans le sou à ce point?

– Hep, hep, hep! l’arrêta son amie. Tu vas trop vite en besogne. Ta pensée galope. Je ne l’ai pas encore siphonné, car il est plein aux as. Et c’est justement pour ce faire que j’ai besoin de toi.

– Eh bien, dis donc! C’est plutôt nouveau, ça! Il doit être coriace celui-là?

– Il ne s’agit pas de cela. Je crois, tout bonnement, qu’il est temps pour moi de changer de tactique. Disons… de technique de séduction. J’en suis au stade où il me faut parfaire mon art…

– Parfaire ton art? répéta Foufoune, dans un sifflement admiratif. Je ne pensais pas que cela pouvait se faire. J’avoue ne pas te suivre ma chérie.

– Allez, un peu de patience et tu vas tout piger. Écoute, c’est sûr que je veux me faire des sous mais au rythme où vont les choses, si je n’ai pas de stratégie, je finirai par avoir un tableau de chasse très chargé, trop chargé même. Cela risque de nuire à ma réputation et me créer des problèmes à l’avenir.

– Ta réputation? Des problèmes à l’avenir? répéta Foufoune consternée. Décidément tu t’amuses à ne pas être claire, ma vieille.

– Mais c’est clair. Je ne veux pas d’une réputation de pute. Je ne peux tout de même pas coucher avec tous les hommes de ce pays! Si j’aspire à un beau mariage, d’ici quelques années, il me faut me surveiller dès maintenant. Quel homme sensé voudra d’une femme qui a reçu la République dans son lit?

– Un de la diaspora qui, bien évidemment, n’en saura rien!

– Oui, je sais. Mais c’est une espèce en voie de disparition depuis que tout va mal au pays. Il faudra faire avec ceux qui sont sur place. Et il me faut à tout prix m’acheter une espèce de virginité.

– Virginité? Ah! ça ma cocotte ce ne sera pas facile! Comment vas-tu t’y prendre?

Nanouche se leva et arpenta nerveusement la véranda.

– J’ai un plan! finit-elle par lâcher après de longues secondes de silence.

– Ah bon! s’exclama Florence, éberluée. J’ai vraiment hâte de savoir com-ment tu vas t’y prendre.

Sur ces mots, elle se cala dans sa berceuse, se croisa les jambes et alluma une cigarette, comme si elle s’apprêtait à suivre un bon film, puis elle éclata de rire.

«Moi à ta place, je ne me moquerais pas! l’interrompit Nadine. Ceci est une affaire sérieuse. N’as-tu jamais pensé à tes vieux jours? À ce qui pourrait t’arriver lorsque, l’âge aidant, tu feras plus pitié qu’envie? Écoute, mon chou, nous sommes des femmes intelligentes et prévoyantes qui pensons déjà au temps des vaches maigres. Il arrivera un moment où je hisserai le drapeau blanc de la retraite. Un temps où j’aurai les seins qui pendent et les fesses aussi flasques que du jello. Par ces temps de disette, ma vieille, si tu ne veux pas baiser avec des hommes tout à fait fauchés et anonymes, alors là, il te faut une solide assurance vieillesse. Et la seule qui soit c’est de se trouver un mari friqué et cela avant que le temps ne te ravisse jeunesse et beauté. Tu as remarqué que les hommes adorent les petites dévergondées et les grandes perverses tant qu’on ne parle pas d’épousailles. Quand il s’agit de se caser, il préfère le neuf, l’odeur de sainteté. Ils y tiennent, et il faut le leur donner. C’est forte de ces réflexions que j’ai décidé de réviser mon tir. Plus question de livrer mon corps au premier venu pour une voiture ou une montre Cartier. Je vaux bien plus cher que ça. Je veux la respectabilité. Je veux de belles noces toute drapée et voilée de blanc. Je me vois gravir les marches d’un autel au bras d’un mâle qui prendra l’engagement solennel de prendre soin de moi et de notre future progéniture et…».

– Mais, tu es folle ma belle, l’interrompit Foufoune, toute catastrophée. Tu es tombée sur la tête. Qu’est-ce qui t’arrive de tenir un tel discours? Est-ce ce bellâtre qui te fréquente ces jours-ci qui fait miroiter à tes yeux cette vie de petite bourgeoise conformiste? Est-ce pour lui que tu veux devenir une femme bien sur tous les rapports?

– Ah! Ah! Ah! Ouvre grand tes oreilles ma petite Foufoune! car j’ai fait une trouvaille extraordinaire, lui rétorqua Nanouche.

– Sans blague?

– Eh oui! ma chère! J’ai trouvé le moyen de mettre les hommes à mes pieds sans jamais plus m’allonger. De la vraie drague novatrice!

Foufoune émit un long sifflement admiratif et déclara:

– J’ai hâte, alors là, vraiment hâte d’en savoir plus long sur ton procédé. Entre nous, j’espère que tu le feras breveter avant que quelqu’un d’autre ne s’en empare.

– Il ne sera pas donné à toutes de pouvoir l’utiliser. T’en fais pas! D’ailleurs, la première qualité à posséder pour y faire face, c’est l’audace. Une audace sans bornes.

– Ma chère, tu me fais trop languir, j’ai une telle hâte d’en savoir plus sur ta nouvelle méthode: séduire sans s’offrir ni s’ouvrir ni souffrir. Cela me permettrait de maintenir à distance Antoine, ce gros tas de lard suant et puant qui s’affale sur moi après ses orgasmes à faire pâlir un pur-sang anglais. Ma colonne vertébrale s’en trouve tout endommagée, ce qui m’occasionne de nombreuses visites chez le chiropracteur et le physiothérapeute, grevant ainsi mon budget mensuel d’au moins deux cents dollars.

– N’exagère tout de même pas! Le gros tas de lard, comme tu dis, vient de t’offrir un salon tout neuf, et tu sais combien ça coûte un salon en cuir? Tu ne vas pas me faire le coup de la petite fille de la gourde.

– La petite fille de la gourde? C’est quoi exactement?

– Ma chère, c’est l’histoire d’une fillette qui pleurait à chaudes larmes sans aucune raison apparente. Quand on s’enquit de la raison de sa peine, elle hoqueta avant d’avouer avoir perdu la gourde qui se trouvait dans son porte-monnaie. Son parrain eut pitié d’elle et tira de sa poche un joli billet tout neuf qu’il déposa au creux de sa main. À son grand éton nement, la petite se mit à pleurer de plus belle. Surpris, le parrain lui demanda ce qui n’allait toujours pas. Quelle ne fut sa consternation de l’entendre dire:

«Si je n’avais pas perdu la première gourde, j’en posséderais deux à l’heure actuelle!»

Nadine qui s’attendait à faire rire son amie, fut déçue. Celle-ci, de toute évidence, n’avait pas l’air d’apprécier cette blague qui lui renvoyait sa propre image.

– Alors, tu accouches de ton idée oui ou non? Ce n’est sûrement pas le moment de faire des digressions, rouspéta-t-elle.

– Ça va, te fâche pas! Je voulais juste te taquiner un peu. Bon alors! revenons à notre découverte! Heu… heu, comment te dire… heu… est-ce que tu connais le fantasme commun à tous les hommes?

– Plumer la poule, ma chère! ta devinette n’est pas bien difficile.

– Et encore mieux que ça. Tu sais… les hommes, quand ils doivent faire la cour à une femme, savent d’avance quoi lui proposer. Ils devinent tout de suite ses fantasmes. S’ils sentent, une minute, que le rêve de cette femme est de se marier, ils lui offrent d’emblée une bague de fiançailles quitte à la reprendre quelques jours plus tard après avoir obtenu ce qu’il voulait vraiment. Alors il faut calquer leur attitude pour mieux les piéger.

– Ah, Nadine, tu m’agaces! s’écria Florence, légèrement énervée.

Elle se leva brusquement et descendit s’accouder à la balustrade au bord de la piscine.

Nadine la suivit et s’excusa:

«Pardon, dit-elle, je comprends ton impatience. Mais je t’assure que ce que j’ai en tête n’est pas facile à avouer. Bon! je me jette à l’eau! Voilà… Le fantasme le plus puissant des hommes, c’est de voir deux femmes dans le même lit».

Le sang de Florence ne fit qu’un tour dans ses veines et vint enfler ses tempes. Son cœur cogna à grands coups dans sa poitrine.

«Je ne comprends pas. Qu’es-tu en train… d’insinuer?»

– Écoute, pas de panique! Ce que je veux est très simple.

– Très simple… dis-tu? Explique-toi.

– Oui, c’est simple. Pour séduire sans s’offrir ni s’ouvrir ni souffrir, il suffit de leur faire croire que nous sortons ensembles… que nous… sommes copine-copine. Tu comprends… ce que je veux dire?

Florence, estomaquée, devint écarlate.

– Mais quel genre de marché es-tu en train de me proposer? … Écoute, ma grande, je veux bien t’aider, mais là, tu ne trouves pas que tu exagères un peu? Même dans ma débauche, ma foi chrétienne a été sauve. Je suis une bonne catholique qui se rend à la messe tous les dimanches…

– Allons! arrête Foufoune! Ne me raconte pas d’histoires. D’ailleurs, ce que je te demande ne pourra en rien altérer ta foi, voyons!

– Mais tu es le diable venu me tenter dans le désert… Jésus, Marie, Joseph! je suis une bonne fille, moi, malgré quelques écarts coupables, je l’avoue, et…

– Allons, allons! ce que je te demande n’est pas bien méchant!

– Ah ça! j’en suis convaincue! Ce serait plutôt le contraire… ironisa-t-elle.

– Mais attends! Attends que je t’expose mon plan au moins. Tu verras que ce n’est pas compliqué. Et t’en fais pas, notre foi sera sauve.

– Ma chère, je n’y vois plus très clair.

– Accorde-moi quelques minutes tout de même… tu m’interromps à chaque coup. Viens, retournons sur la véranda. Je vais te servir un bon scotch qui mettra K.O. tes scrupules et te permettra de reprendre tes esprits. Tu verras, il n’y a rien de sorcier dans tout ça.

Elle raccompagna son amie en passant son bras autour de sa taille. Elle sentit son corps frissonner contre le sien et comprit son trouble. À ce moment-là, elle sut qu’elle avait gagné la bataille.

Nadine l’installa gentiment sur une chaise longue, flatta sa joue de la main et partit lui chercher son whisky. Elle savait qu’elle lui plaisait et serait prête à n’importe quoi afin de garder son amitié.

Elle attendit que le breuvage fasse son effet pour lui exposer son plan.


Un drôle de bip retentit. Alain jeta un coup d’œil à sa montre. Il était sept heures. Ce qui le poussa à appuyer à fond sur l’accélérateur. Il n’aimait pas être en retard à ses rendez-vous galants, mais une réunion familiale à laquelle il n’avait pu se dérober l’avait retenu plus d’une heure. Il avait eu toutes les peines du monde à convaincre sa femme de l’urgence d’un rendez-vous d’affaires. Les gosses eux aussi étaient déçus de ne pas le voir partager leur repas. Bof! ce sera pour une prochaine fois! À sept heures trente, il était devant l’appartement de Nadine. Pour rien au monde il n’aurait raté cette soirée. Nadine était une fille bien. Très différente de ses aventures précédentes. D’une délicatesse et d’une discrétion à faire pâlir une statue de marbre. Elle n’était pas du genre à vous annoncer dès la première soirée qu’elle avait une facture de téléphone ou un loyer à payer de toute urgence. De toute évidence, pour elle, la relation homme-femme ne se résumait pas à une affaire de fric. Vraiment, il ne regrettait pas d’avoir volé cette conquête à Jérôme. Tant pis. Ce dernier en trouvera bien une autre. Ce n’est pas ce qui manque dans le pays. Inutile de s’embarrasser de scrupules pour le frérot. D’ailleurs, il n’était pas à la hauteur de cette gonzesse. Pas assez de fric, pas de rutilant matériel roulant. Bref, c’était pas sa pointure! Il risquait de tomber et de se faire mal avec des chaussures pareilles. Un grand frère se doit d’être protecteur. Sa mère le lui avait répété dès son plus jeune âge.

Du salon étant, Nadine entendit le lourd véhicule freiner dans l’allée.

«Le voilà!» souffla-t-elle à Florence.

– Dis donc! ce n’est pas trop tôt! Quel mufle! Une heure de retard. Moi, à ta place, je ferais semblant d’être sortie.

– Allez! t’énerve pas, ma grande! C’est là le triste sort des femmes qui sortent avec des hommes mariés. Il faut s’y habituer et faire semblant d’être la patience personnifiée. Tout ce qu’un homme marié attend de nous c’est, avant tout, notre disponibilité. Il faut l’accueillir avec un sourire mielleux accroché à la face et lui laisser croire qu’on aurait pu passer le reste de la soirée à l’attendre.

– Quel métier! soupira Foufoune.

Nadine la tira par la main et l’entraîna vers la chambre à coucher.

«Dans deux secondes, monsieur sera là. Il est temps de lui jouer notre petit numéro!»

Elle tira un bâton de rouge à lèvres de sa trousse et le tendit à son amie.

«Mets-en assez pour que l’empreinte, sur mon débardeur blanc, soit visible». intima-t-elle à sa complice.

Foufoune s’exécuta.

– Sur lequel de tes seins?

– N’importe lequel, voyons! Choisis-en un.

– Voilà!

– Maintenant, pose un baiser sur mon maillot. O.K. c’est fait. À partir de là, tu m’attends sagement ici quelques secondes, le temps que je l’installe. Puis, tu fais ton apparition en essayant d’ordonner ta coiffure. Débrouille-toi pour avoir les empreintes d’un orgasme imprimées sur ton joli minois. Il faut que tu aies l’air embarrassé. Tu le salues brièvement, comme si les… hommes ne t’intéressaient… pas ou comme s’il avait interrompu un moment agréable. Et puis, tu connais le reste, dit-elle précipitamment en entendant frapper deux coups à la porte.

Elle alla ouvrir en ayant l’air de défroisser les plis de sa minijupe et fit semblant de réajuster la bretelle de son soutien-gorge tombant sur son épaule.

«Hi!» dit-elle de sa voix aux intonations volontairement sensuelles.

– Bonsoir, susurra Alain, en se penchant pour l’embrasser. Tu excuseras mon retard, mais…

– Allons! tu n’as pas à t’excuser. Je sais que tu es un homme… occupé. De toute façon, je t’avais réservé ma soirée.

Alain sourit et se félicita à nouveau d’avoir pu mettre la main sur cette perle rare. Une autre à sa place aurait laissé gronder sa colère, lui aurait fait le reproche d’avoir porté atteinte à sa féminité. Somme toute, elle l’aurait traité de mufle. Il jeta un coup d’œil sur le pull de Nadine sous lequel les seins de la demoiselle pointaient. Il remarqua l’empreinte du fard et fut pris d’un violent vertige.

«Ce pull te va à ravir!» dit-il, le trouble dans le regard.

– Merci! répondit-elle, en abaissant illico son regard vers ses seins.

Elle feignit un geste de surprise en remarquant l’empreinte rougeâtre qui trônait sur son sein gauche.

«Quelle maladresse! s’exclama-t-elle toute confuse. Je n’ai pas fait attention en enfilant le maillot».

– Ah, bon! renchérit-il, agréablement surpris, mais tu ne portes pas de rouge.

Elle parut chercher une explication.

– C’est justement… parce qu’il est resté fixé à mon vêtement.

Il hocha la tête et fit semblant de la croire.

– Euh… trouve-moi une débarbouillette mouillée et, en un rien de temps, je ferai disparaître cette vilaine tache qui dépare ton pull. Je suis un expert en nettoyage! plaisanta-t-il.

Nadine se précipita dans la cuisine et revint armée d’un tissu imbibé d’eau savonneuse.

Alain était aux anges. La soirée s’annonçait plutôt bien.

Il était en train d’humecter le maillot de Nadine, sentant son sein palpiter sous sa main qui, à défaut d’être habile. se faisait délicate, quand la porte de la chambre s’ouvrit pour laisser passer Florence.

«Excusez-moi, dit-elle, à l’adresse d’Alain en jetant un regard sur le sein mouillé de son amie dont la pointe n’en finissait pas de se dresser. Nanouche, il faut que je m’en aille», souffla-t-elle, en ramassant son sac à main sur le divan.

– Ah! tu n’étais pas seule? demanda Alain qui sembla brusquement, en regardant le coloris de la bouche de Florence, se rendre compte qu’il avait peut-être interrompu un agréable tête-à-tête.

Son corps s’agita d’un léger tremblement et son sexe se gonfla d’un coup dans son pantalon.

«Je te raccompagne!» lança Nadine à Florence en faisant asseoir Alain après avoir fait les présentations.

C’est par la porte restée entrouverte que l’homme les vit s’enlacer puis se tenir par la main pour enfin se séparer devant le portail de l’entrée, l’une se penchant sur le visage de l’autre.

Foufoune partie, Nanouche feignit de remonter l’allée rêveusement. Quand elle fut assez près pour qu’ Alain puisse lire le trouble sur son visage, elle passa ses doigts en fourche dans ses cheveux, se racla la gorge et afficha une certaine gêne.

Elle ne reconnut pas l’homme calme de tout à l’heure. Sur son visage, un désir puissant s’était imprimé. Quand elle s’assit à côté de lui sur le divan, en tirant légèrement sur sa minijupe qui dévoilait ses superbes jambes aux cuisses halées par ses dix minutes quotidiennes de bain de soleil au bord de la piscine, elle le vit totalement déboussolé, ne sachant plus où poser ses mains.

«Alors, tu vas bien?» demanda-t-elle d’un air totalement innocent.

Alain avala péniblement sa salive et répondit:

– Très bien merci! d’une voix à peine audible, en la dévorant des yeux.

– Qu’est-ce qu’on fait? Voudrais-tu aller au cinéma? Nous avons quinze minutes pour y arriver, proposa Nadine, consciente qu’il était peut-être risqué de le garder trop longtemps à la maison. Dans deux minutes exactement, si son taux d’excitation restait à ce stade, il se jetterait sur elle. Et cela elle ne le voulait pas. Il lui fallait jouer à la gentille fille qui n’était pas prête à tomber dans les bras du premier venu. Sa nouvelle devise: semer le trouble afin de récolter une tempête de désir qui le maintiendrait vissé à ses pieds le plus longtemps possible. Fini le gars qui vient, qui tire un coup et s’en va pour ne plus jamais revenir, laissant derrière lui quelques vulgaires pièces sonnantes et trébuchantes! Elle voulait d’un soupirant, d’un vrai amoureux que les voisins verraient arri-ver chaque soir les bras chargés de présents et de fleurs. Et cela ferait mentir sa réputation de femme volage. Elvire, sa voisine limitrophe, ne pousserait plus ses filles à l’intérieur de la maison en l’apercevant, comme si elle avait affaire à une pestiférée. Elle allait changer de statut social, et peu importait le prix à payer.

* * *
Il était onze heures quand Alain rentra enfin chez lui. Lasse de l’attendre, sa femme s’était endormie. En infidèle averti, il prit une bonne douche avant de la rejoindre dans le lit. Il avait un peu honte de se plaquer ainsi contre elle quand il avait passé la soirée avec une autre. Mais sa libido exacerbée par le show de ces dames ne demandait qu’à être libérée. Il la baisa si ardemment que les doutes qui avaient taraudé Sophia en début de soirée s’envolèrent pour laisser place à une fierté sans cesse renouvelée. Dix ans de mariage et une ardeur toujours aussi neuve, il y avait bien de quoi flatter son ego. Ce désir puissant, balayant toutes ses appréhensions, elle s’abandonna dans ses bras avec une volupté inégalable. Puis, elle passa une bonne partie de la nuit à caresser sa tête posée sur son épaule pour le remercier de ses orgasmes à répétition, tandis que lui, démon repu et vidé, ronflait comme un ange.

Le téléphone sonna, vers six heures, le lendemain matin chez Nadine. Celle-ci ouvrit un œil, fixa la pendule qui indiquait qu’il était trop tôt pour être dérangée. Elle allait laisser sonner quand elle eut soudain l’intuition que c’était peut-être Alain.

Elle sourit de manière féline et décrocha.

«Allô! Nanouche, c’est Foufoune…».

C’est vrai que les hommes mariés ne sauraient appeler à une heure aussi matinale. Ils attendent d’être au bureau. C’est bien plus confortable pour conter fleurette, à l’abri des oreilles indiscrètes.

– Foufoune, mon chou! Comment vas tu?

– Cela aurait pu aller bien mieux si tu me tenais au courant de ce qui se passe. Je ne tiens plus en place.

– Excuse-moi, ma cocotte, mais je suis rentrée tellement tard hier soir que je n’ai pas voulu t’appeler pour ne pas déranger ta mère.

– Au diable, ma mère! Moi, je n’ai pas pu fermer l’œil de la nuit. Ça a marché?

– Et comment, ma chérie! Quel homme digne de ce nom aurait pu faire face à un tel assaut? Tu as joué ton rôle à mer-veille, et il est tombé dans le panneau.

– Ah! Il a dû te sauter dessus après mon départ…

– Eh… non! Pas du tout! au contraire, il a été l’homme le plus respectueux de la terre. C’est un type intelligent. Il attend voir venir. Il n’est pas du genre à casser tout de suite la tirelire. En attendant, il ne va surtout pas effaroucher les poules. Il risquerait d’y laisser lui-même quelques plumes. Je crois qu’à ce stade, il a déjà changé de préoccupation.

– Combien de temps pourra-t-il tenir à ton avis?

– Longtemps, très longtemps. À son émoi, j’ai tout de suite compris que ce fantasme-là, il ne l’a pas encore accompli. Sa réserve aussi le prouve. Il marchait tel un chat dans un magasin de porcelaine. J’en connais qui auraient tout de suite dit: «Alors, mesdames, je passe la nuit entre vous deux!» Je crois que cet Alain est le numéro gagnant.

– Je suis contente que les résultats soient positifs! Et la prochaine scène, quand la tourne-t-on?

– Cet après-midi vers deux heures trente. Je l’ai invité pour un barbecue au bord de la piscine. Je t’attends vers une heure trente. Je vais faire partir Résia, la bonne, et commander à manger chez un traiteur. Les hommes mariés apprécient beaucoup la discrétion et l’intimité la plus absolue. En attendant, je vais me rendormir. Tu sais bien que je ne fonctionne pas avant onze heures du matin. Surtout que ces jours-ci j’aurai besoin de toutes mes forces. Ah! j’oubliais! … s’il te plaît, va chez le fleuriste et commande deux magnifiques bouquets que tu feras expédier à mon adresse. Tu écriras des mots doux sur deux cartes, tu signeras l’une du nom de Marc et sur l’autre tu inscriras le nom de Jérôme. Oh! non… excuse-moi, surtout pas Jérôme! C’est son frère, il pourrait en vérifier l’authenticité. Disons, Alexandre. Les cartes accompagneront les bouquets.

– Je ne vois vraiment pas la raison de tout ce tralala…

– C’est très important, imagine-toi! Tu as encore de bonnes leçons de séduction à apprendre, ma cocotte. Les hommes adorent le challenge. Ce sont de vrais coqs. Rien de mieux pour flatter leur virilité, que de savoir qu’ils vous ont prise à un autre ou à plusieurs autres. Il faudra aussi que je m’écrive quelques lettres enflammées venant de l’étranger. Nous de manderons à ton frère, Arnold, de nous les poster quand il partira pour la Floride le week-end prochain.

– Mais tu as pensé à tout, Nanouche! Tu me fais peur, tu sais?

– Allons, allons! n’aie aucune crainte. C’est juste un petit jeu tout à fait innocent. Cela ne fera de mal à personne. Bien au contraire! Tout le monde pourra en tirer profit. Et quand je dis tout le monde… c’est vraiment tout le monde!

– Ah ça! j’en doute! Ce type est marié, Nadine, ne l’oublie pas. Tu penses à sa femme? Quels profits cette pauvre épouse tirerait-elle de ton petit jeu de séduction?

– Celle-là, t’en fais pas. Si elle savait, elle m’aurait appelée pour me remercier. Grâce à nous, sa noce d’hier a dû être une fête, un véritable feu d’artifice. Toute la ville a dû entendre ses hurlements de plaisir. D’ailleurs, c’est mon climatiseur qui a dû en amortir le bruit, sans quoi, moi aussi, j’aurais été le témoin auditif de ses ébats. Ah! Ah! Ah!

– Quel monstre tu es, ma vieille! dit Foufoune riant aussi.

– Monstre, moi? Il faudrait te plaindre à Dieu qui a fait l’humanité telle que nous la connaissons. Ma cocotte, les relations humaines sont à ce point complexes, que se lier d’amitié ou sentimentalement à quelqu’un équivaut à contracter une dette dont personne n’est averti du pourcentage des intérêts… Alors, comme l’humain n’a pas été créé pour vivre seul…

– Que veut dire tout ce discours? Que veux-tu insinuer?

– Allez, je tombe de sommeil! À plus tard. Tu seras ponctuelle, n’est-ce pas?

– Bien sûr, je serai à l’heure, et tu ne m’as pas…

Florence ne put terminer sa phrase. Au bout du fil il n’y avait déjà plus personne. «Quelle sacrée paresseuse, cette Nadine! Cette fille aurait dû être une reine de Saba!» pensa-t-elle.


Le cœur d’Alain battait au rythme d’un tam-tam africain en arrivant chez la belle Nadine. Il avait tant prié pour qu’elle ne soit pas seule.

«Mes prières sont exaucées». pensa-t-il, rassuré, après avoir remarqué la beetle rouge de l’amie de Nadine. C’était la même qui attendait sagement sa maîtresse, hier, rangée le long du trottoir à la même place. Comment s’appelait déjà cette gentille amie? Il fouilla dans sa mémoire et ne trouva pas l’information. Pourtant Nadine avait fait les présentations. Hélas! à ce moment-là, il était déjà dans un tel état d’excitation que son cerveau n’avait rien enregistré du tout. D’ailleurs, depuis la veille il se trouvait dans un état second. Ce matin, il n’avait pas fait grand-chose au bureau. Ses collègues, face à son air absent à la réunion du conseil d’administration de la compagnie dont il était le président, s’étaient résignés à se passer de son avis. Alain avait signé sans rechigner – ce qui était contraire à ses habitudes – tous les documents qu’on lui avait tendus. Ces messieurs avaient poussé des ouf! de soulagement et avaient espéré le voir, tout comme ce jour-là, frappé d’inertie chaque fois qu’il y aurait de fortes sommes à débloquer pour le démarrage d’un nouveau projet. Bénie soit celle, avaient-ils pensé en souriant, qui leur avait rendu ce service et ils avaient souhaité longue vie à cette relation naissante.

Alain frappa, le cœur battant toujours la chamade, en tenant son attaché-case des deux mains devant lui comme un gosse timide à son premier rendez-vous amoureux.

Une voix lointaine lui cria:

«Alain, c’est toi? Entre! la porte n’est pas verrouillée. Foufoune et moi sommes au bord de la piscine».

Foufoune! ce n’était pas croyable! Comment avait-il pu oublier un prénom pareil? L’un des rares qui réfère toujours à une chose agréable dans laquelle il avait toujours envie de plonger.

«Viens! s’entend-t-il intimer, l’eau est vraiment bonne. Cela te fera un bien fou de t’y jeter».

Comme un automate, il posa son attaché-case sur la table où trônaient deux magnifiques bouquets de fleurs. Il se pencha sur les cartes épinglées et y lut le nom des expéditeurs. «Je vais vous damer le pion, messieurs!» se dit-il fièrement. Puis, il se débarrassa de sa veste qu’il envoya promener sur le divan, desserra sa cravate et retroussa les manches de sa chemise. Que la vie était belle!

Les mains dans les poches, il descendit les marches de l’escalier qui menait à la piscine en sifflotant. Au bord de celle-ci une surprise de taille l’attendait. Il faillit tomber à la renverse devant le magnifique tableau qui s’offrit à sa vue: Ces demoiselles avaient toutes les deux les seins à l’air. Topless intégral!

En effet, elles étaient vêtues d’un simple string. Et de les voir comme ça, tout en rondeurs, lui donna le vertige. Elles portaient toutes les deux un joli piercing au nombril et de fines chaînes à leur cheville droite. Nanouche arborait un charmant tatouage à la naissance de son sein gauche. Ce qui la rendait encore plus sexy. Il craignit un instant pour sa raison et son équilibre. Son centre de gravité en avait pris un coup et, à cause de cela, il n’osa plus mettre un pied devant l’autre. Paralysé! Telle fut sa situation durant de nombreuses minutes. Cet état dura tant et si bien que Nadine dut venir jusqu’à lui pour s’assurer qu’il n’était pas mort debout.

«Franchement, il y a de ces émotions fortes qui vous terrassent un homme, pensa-t-elle. Celui-là, il faudrait peut-être les lui doser sans quoi, un de ces jours, son cadavre risque de nous rester sur les bras».

«Ça va Alain?» s’entendit-il demander.

– Oui ça va… ça va très, très bien… je crois!

Florence accourut à la rescousse. Et voilà qu’en l’espace de quelques secondes il ne sut plus à quel « sein » se vouer.

Comment se retrouva-t-il dans l’eau? il ne le sut pas. Nadine était partie lui chercher un whisky qu’il avait ingurgité d’un trait. Puis, la vue de ces naïades à demi nues nageant autour de lui, jouant et s’éclaboussant acheva de le saouler totalement.

Quelques minutes plus tard, elles lui proposèrent de le masser avec leur huile solaire. Il se laissa faire docilement, les sens en feu. Ne se demandant même pas comment il allait justifier cette odeur decoppertone qui se dégagerait de lui quand il rentrerait à la maison.

Au moment où tout avait l’air de bien marcher, Foufoune prétexta un rendez-vous urgent et s’éclipsa à la hâte. Il ne put cacher sa déception. Il dîna en tête à tête avec Nanouche qui en profita pour lui offrir un cadeau. Il ne pouvait en croire ses yeux. Un présent pour lui? C’était bien la première fois que cela lui arrivait. D’habitude c’était le contraire qui prévalait. Cela le bouleversa au plus haut point. Cette fille n’était vraiment pas comme les autres.

Pour la remercier, il la prit dans ses bras et, pour la première fois depuis qu’ils se fréquentaient, elle se laissa embrasser. Un baiser d’abord très doux qui se transforma très vite en un brasier incandescent. Il la serra contre lui à l’étouffer puis, ses mains avides se mirent à parcourir son corps tout entier, lui pétrissant passionnément les fesses et caressant sa belle poitrine aux seins lourds de promesses de plaisir.

Malgré elle, Nadine poussa un gémissement de plaisir quand la bouche d’Alain s’attarda sur ses mamelons. Elle sut, en ce moment d’émotion intense, qu’il lui serait difficile de se refuser à lui s’il tentait de l’entraîner dans la chambre à coucher.

La sonnerie du téléphone vint la sauver de cette situation scabreuse.

La conversation fut brève, mais assez longue pour faire s’effondrer les beaux rêves d’Alain.

«C’est ma mère! dit Nadine en se précipitant vers la salle de bain. Elle a eu une syncope en plein market. Il faut que j’y aille tout de suite, je dois passer prendre tante Astrid. Verrouille la porte derrière toi. Tiens, je te donne une clef. C’est le double de la porte d’entrée. Tu t’en serviras quand tu veux».

Elle s’habilla à la hâte de manière stricte et correcte, et, c’est la mort dans l’âme, qu’Alain la vit démarrer sa voiture. Entre les mains, il ne lui restait plus que cette superbe cravate Dior qu’elle lui avait offerte.

«Quel gâchis, pensa-t-il en se rhabillant. Une si belle journée aurait dû se terminer en apothéose».

Il jeta un coup d’œil à son sexe en érection et lui dit d’un air déçu:

«Désolé encore une fois vieux, mais tu vois bien que je ne suis pas maître de la situation!»

Il s’en fut, avec l’image de ces déesses aux seins nus s’enduisant d’huile solaire. Au moment où il faisait démarrer la voiture, un jeu d’ombres et de lumières attira son attention sur le balcon de la maison d’en face. Il eut comme l’impression d’avoir aperçu la silhouette de Florence.

«Mais non, mais non mon cher, se moqua-t-il de lui-même, cela fait une bonne demi-heure qu’elle est partie à son rendez-vous!»

Il rit tout bas en pensant que ces dames étaient capables de rendre fou le plus sage des hommes.

* * *
Tard dans l’après-midi, Florence et Nadine se rencontrèrent pour discuter de la stratégie des prochains jours.

«Alors, comment tu l’as trouvé?» de-manda Nadine à Florence.

– Beau comme un dieu et fort comme un Turc, répondit celle-ci d’un air pensif et sur un ton fort malicieux.

– Tu vois bien de quoi je parle, rétorqua Nadine, légèrement agacée. Toi, il faut que tu fasses attention. J’ai l’impression que tu pourrais tomber amoureuse de lui.

– T’en fais pas! Je sais ce que cela me coûterait de tomber amoureuse d’un gars comme celui-là.

– Une montagne de souffrances! Tu peux le dire. D’ailleurs, il n’est pas pour toi. Il est à moi, ne l’oublie pas.

– T’inquiète pas! Je suis une amie fidèle, ayant le respect des affaires des autres. Mais, ma chère, cela dit entre nous, un beau brin d’homme. Grand et musclé. Exactement comme je les aime.

– Pas mal, je l’avoue. Et tu sais… il embrasse divinement bien. Il a cette façon de me plaquer contre lui, de me… si tu ne m’avais pas appelée de ton portable, je crois que j’aurais baisé avec lui l’après-midi entier. Ah! ses grandes mains viriles qui me labouraient les fesses. C’était di-vin, vraiment.

– Je crois que je ne serais pas la seule à tomber amoureuse dans ce cas, insinua Foufoune… Il a cette façon de me plaquer contre lui, de me… parodia-t-elle.

– Arrête! Ne te moque pas de moi, cria Nadine en riant après lui avoir lancé un des coussins du salon en plein visage.

– Heureusement que je m’étais postée en face. J’avais vu venir la chose. Je t’ai littéralement sauvée des griffes du grand méchant loup. Au fait, je dois dix dollars à Antoine, le garçon de cour d’en face. C’est ce qu’il m’a réclamé pour accepter que je gare ma voiture dans la cour des Bastien. Tu les lui donneras, car cette cause est la tienne. Je ne fais juste que te donner un coup de main.

– Allons, n’exagère pas. C’est tout un métier que je suis en train de t’enseigner. Tu verras, tu ne le regretteras pas.

– Tu en es sûre?

– Absolument. Tu sais… ce n’est pas seulement une question de se faire épouser. C’est aussi à cause du côté lucratif.

– Côté lucratif? s’étonna Foufoune. C’est plutôt le contraire qui arrive, ma cocotte. Tu ne fais que dépenser! Garde-robe nouvelle, sous-vêtements sexy, affriolants à souhait, dîner commandé chez le traiteur. Et le clou dans tout ça: c’est toi qui joues au magnat de pétrole plein aux as, en lui achetant une superbe cravate Dior qui a dû te coûter les yeux de la tête. Je crois que tu deviens folle.

– Moi, folle? Ah! Ah! Ah! Ah! Ma chérie, il faut te méfier des apparences. Ce que tu n’as pas encore compris ma grande, c’est que dans la vie il faut savoir perdre pour gagner.

– Mais gagner quoi? Tu penses vraiment que ce type va plaquer sa femme pour toi? Tu te leurres! Souvent les hommes ne pensent qu’à s’amuser avec des femmes comme nous. D’accord, celui-là a des fantasmes qu’il veut à tout prix accomplir, très certainement à cause du fait que ses petits copains lui mentent en lui disant d’un air supérieur que cette chose-là, ils la vivent chaque jour de leur vie. Et le pauvre Doudou doit croire qu’il est le seul homme sur terre à n’avoir pas fait le grand voyage vers des terres lointaines où coulent le lait et le miel. Tu crois vraiment que rien qu’à cause de ça il va mettre fin à son petit confort bourgeois en abandonnant une femme instruite, cultivée, de haut rang social, bien sur tous les rapports, qui lui a donné de beaux enfants? Mais t’es folle. Je n’aurai de cesse de te le répéter.

Le visage de Nadine se fit dur. Elle n’avait plus envie de rire. Elle dit entre ses dents:

«Sa femme est exactement ce que je déteste le plus au monde. Un genre de personne qui a tout pour elle. Alors, si je peux lui voler son homme, je n’hésiterai pas».

– Mais tu es aigrie, ma pauvre chérie! s’étonna Foufoune. .

– Et alors, pourquoi pas? rétorqua Nanouche. Tu ne penses pas qu’il y a de quoi? Elle, elle n’a pas couché avec un bataillon d’hommes pour avoir belle maison, belles voitures, villa à la campagne, enfants et plein d’autres choses que tu ne peux imaginer.

– O.K., O.K., ma grande! Moi, je préfère ne pas rentrer dans les détails. Revenons à ce que tu disais tout à l’heure. Il faut apprendre à perdre pour gagner…

– C’est pas sorcier! répondit Nadine qui subitement avait retrouvé son sourire. (Elle avait l’air d’être contente d’elle-même et très fière de son intelligence qui dépassait de loin la moyenne.) Quand tu investis dix dollars pour un homme, il en est tellement heureux qu’il t’achètera un cadeau qui en vaut cent; pour te remercier de n’être pas comme-toutes-lesautres-qui-n’en-veulent-qu’à-son-argent. Toi qui te targues d’être si souvent à l’église, tu n’as jamais entendu cette parole du Seigneur «Donnez et vous recevrez!»? Je vais plus loin. Pour vous remercier de votre petit geste, somme toute, anodin, cet homme est capable de vous prêter dix mille dollars le lendemain matin sur simple demande. Ils sont comme ça les gars, sensibles à la moindre marque d’attention. Beaucoup plus fragiles et plus vulnérables qu’on le croie. Il faut juste savoir s’y prendre avec eux. Et surtout… surtout les laisser croire qu’ils vont obtenir le joujou dont ils rêvent depuis la nuit des temps. T’inquiète pas pour moi, ma grande! Je suis loin d’être une femme sotte. Si je n’obtiens pas de lui un mariage, au moins j’aurai des compensations.

Ce disant, elle tira de son sac à main, à deux pas d’elle, une liasse de billets de banque. Foufoune eut un geste de recul. La surprise lui coupa le souffle.

«Où as-tu trouvé tout ça? parvint-elle à balbutier, complètement sonnée. Tu ne vas tout de même pas me faire croire qu’il a accepté de casquer alors qu’il n’a rien encore obtenu?»

– Ah non! Il n’est pas idiot quand même, rassure-toi. Là, il y a cinq mille dollars. Tu ne me croiras pas, mais il y avait des tas de petits paquets de ce genre dans son attaché-case. Il est ingénieur, ne l’oublie pas. Il a toujours un payroll à distribuer sur ses différents chantiers. Alors, il circule avec plein de fric. En allant chercher le whisky, je me suis servie. Je te l’avais dit: il faut savoir donner pour recevoir. Et ceci, je le vérifie chaque jour.

– Tu n’as pas honte, Nanouche? C’est voler, ce que tu fais là!

– Et alors? Et tous ceux qui m’ont volé ma jeunesse, mes rêves, ma virginité, mon cœur, mes illusions et même mes sous? Avaient-ils des scrupules? Je ne vois pas pourquoi je m’en embarrasserais, moi!

– Tu es une vraie petite garce…

– Tu ne tarderas pas à changer d’avis, dit-elle, en séparant le lot de billets en deux et en tendant une partie à son amie.

Celle-ci trembla, mais n’hésita qu’une fraction de seconde avant de se saisir des billets. Elle les compta avec fébrilité et trouva la coquette somme de deux mille cinq cent dollars.

– Le compte est bon! Tu es géniale, Nanouche, cria-t-elle soudain en se jetant au cou de son amie et en l’embrassant sur les deux joues.

– Tu vois que j’avais raison. Tu as vite changé. Ma fille, n’oublie jamais qu’il n’y a qu’un seul dieu sur terre: l’argent. Un dieu auquel je voue une véritable vénération. Malheureusement pour les hommes, ils en ont deux: le sexe des femmes et l’argent. Parfois ils adorent l’un au détriment de l’autre. Un dieu et une déesse cohabitent souvent difficilement.

– Mais Nanouche, n’as-tu pas peur qu’il vienne te réclamer cet argent?

– Tu veux rire! Après notre show au bord de la piscine, rien n’est plus très clair dans sa mémoire. Ils sont ainsi faits, les hommes. Ils laissent leur queue les mener par le bout du nez. Tout ce qu’ils veulent, c’est qu’on leur donne un coup de main pour qu’ils prennent leur pied. Je n’aurais pas aimé être à leur place, les pauvres! Des fois, ils me font presque pitié d’être aussi bêtes, dès qu’ils ont une chatte à portée de main. Béni soit l’Éternel qui nous a quand même octroyé quelques pouces de terrain, afin de faire notre beurre. D’ailleurs, la faute revient aux hommes si nous devons les saigner pour exister. Ils ont tout fait pour nous réduire à notre plus simple expression. Ils veulent tout pour eux: argent, pouvoir, prospérité, profession et plaisir. Nous reléguant aux rôles et aux tâches subalternes. Tu vois, ma cocotte? N’aie pas de regret. Ce type, ce gentil petit monsieur, se transformera en ogre dès qu’il nous aura baisées toutes les deux. Alors, il suffira d’entretenir ses illusions sur la question, et il sera toujours à nos pieds. Vrai ou faux?

– Vrai!

– Alors, poursuivons notre petite comédie. Je t’avertis que nous aurons une journée très dure demain.

– Ah bon! Pourquoi? interrogea Foufoune.

– Il nous a invitées toutes les deux à danser au Mango’s. Il meurt d’envie d’être pris en sandwich entre nous deux. Il faudra jouer le grand jeu… répondit Nanouche, en faisant une œillade à son amie.

Puis, elle eut soudain l’air rêveur et dit tout bas:

«Je me demande même, si je ne lui avouerais pas carrément que les hommes me laissent froide, qu’il n’y a que les femmes à pouvoir m’intéresser».

– Quel est l’intérêt d’une pareille démarche? protesta Foufoune, horrifiée.

– Je ne sais pas. Peut-être une manière de m’assurer qu’il n’aurait plus du tout l’envie de me mettre à l’horizontale. Tout en lui laissant croire, bien sûr, que j’essayerai de te convaincre d’assouvir son voyeurisme, en acceptant de lui faire don du film de nos ébats live et sur grand écran réel.

– Tu ferais là une grave erreur, ma vieille! Les hommes ont une sacro-sainte horreur des vraies lesbiennes qui ne les aiment pas. Ils ont une préférence pour les bi qui les adorent tout en ayant des penchants pour les individus du même sexe qu’elles. Et puis tu sais, tout est dans l’insinuation.

– Tu as raison, Foufoune. Je cherchais à limiter les dégâts, mais je crois qu’il est encore trop tôt pour en parler.

– Allez ma chérie, je te laisse. Cet argent me sauve la vie. J’ai trois mois d’arriérés de loyer et encore un peu j’aurais reçu une assignation de ma propriétaire. Je file de ce pas lui clouer le bec. Encore merci pour tout.

– Pas de quoi, ma cocotte. À demain.

– Sûr! À demain.

Foufoune allait franchir le seuil de la porte d’entrée, quand Nanouche l’interpella soudain:

«Ma chérie, je crois que tu devrais payer de ta poche le garçon de cour d’en face».

Foufoune éclata de rire.

– Tu n’as pas honte de me demander ça, quand tu as tout ce fric en main?

– C’est toi qui devrais te maudire. J’ai quand même payé le traiteur et la cravate. À moins… que tu ne veuilles contribuer…

– Ah çà non! s’exclama Foufoune. Je paierai le garçon, t’en fais pas.

Et elle s’en fut sans demander son reste.

«Quelle pingre cette femme! pensa Nadine en refermant la porte derrière elle. Ce vilain défaut la perdra!»

Elle eut un sourire narquois et se dirigea à pas lents vers sa chambre à coucher, ouvrit le tiroir de son chiffonnier et en tira un autre paquet de billets neufs. Elle les huma et se dit en elle-même: «L’argent n’a pas d’odeur, c’est vrai, mais il a des phéromones aussi subtils que puissants qui le rendent irrésistible! Je vais enfin être capable de me payer la croisière de mes rêves!»


Quelques trois mois plus tard…

«Ces femmes vont finir par me rendre fou!» pensa Alain après les avoir déposées toutes les deux chez Nadine. «Il est trop tard pour que je rentre à la maison, maman doit être déjà endormie. Je passe la nuit chez toi, Nadine… cela ne te dérangera pas?» avait demandé innocemment Florence. Et son amie d’acquiescer, un sourire charmant lui étirant les lèvres.

La soirée avait été une réussite. Ces demoiselles l’avaient fait danser toute la nuit jusqu’à l’épuisement. C’est qu’il avait deux fois vingt ans, lui! Quand, trop fatigué, il s’était refusé à revenir sur la piste duBambou’s, elles se passèrent de lui. Et c’est, langoureusement enlacées, qu’elles avaient dansé sur ce slow qui sembla durer une éternité. Rien de mieux pour mettre le feu aux poudres d’Alain. Surtout qu’en revenant du bar, où il était parti commander un whisky, il surprit Florence en train de glisser sa main sur la cuisse de son amie qui ne faisait rien pour l’en empêcher. Au contraire! Elle semblait l’encourager de son regard soft, qui en disait long sur le plaisir ressenti.

Il prenait l’envie à Alain de leur sauter dessus. Mais il se retenait en faisant appel à toute sa volonté. Un faux pas, et il pourrait les effaroucher et tout perdre. Il avait même intérêt à faire celui qui ne voyait et ne comprenait rien. Quitte à passer pour un véritable idiot. L’important était d’atteindre ses objectifs: voir tout ce caramel mélangé au chocolat pour s’en faire un dessert onctueux, appétissant à souhait qu’il pourrait dévorer à pleine bouche, à pleines dents et assouvir ainsi ses désirs et ses fantasmes, avant que la démence ne l’habite et ne l’asservisse totalement.

En dehors de cela, plus rien n’avait grand intérêt. Ces dames l’entraînaient dans une ronde sans fin où il ne voyait plus très clair. Il n’était plus à la maison, sa femme en souffrait, ses enfants étaient réduits à téléphoner au bureau pour lui dire combien il leur manquait. Il promettait de rentrer tôt et leur demandait de se préparer pour les emmener à la pizzeria. Hélas! vaines promesses! Il rentrait à des heures si indues qu’il se sentait presque étranger dans sa propre maison. Sophia se fatiguait à lui faire la morale et menaçait de le quitter. Peine perdue. Lui, n’écoutait que ses sens rendus totalement insensés.

Nadine de son côté criait victoire. Son plan marchait comme sur des roulettes. Elle exultait. De voir un homme vissé aussi longtemps à ses pieds, lui procurait une sensation d’euphorie indescriptible. C’était ça sa drogue, son héroïne, sa cocaïne à elle. En plus, elle faisait le beurre et l’argent du beurre. Elle lui soutirait régulièrement de l’argent de son attaché-case et jamais il ne semblait s’en apercevoir. Nadine se disait que si perdre de si fortes sommes pouvaient passer inaperçu, c’est que le monsieur était vraiment millionnaire. Et elle en abusait. Elle avait changé de voiture et roulait dans la 4 x 4 Nissan Pathfinder de ses rêves, voyageait une fois par mois. Jetait de la poudre aux yeux de ses amies en faisant toutes sortes d’extravagances; comme revenir de la Floride avec des cadeaux pour toute la famille y compris des chemises à quatre cents dollars l’unité, pour l’homme de sa vie, Alain le magnifique. La seule fois où il s’était inquiété qu’elle ait autant d’argent en main, elle lui avait menti en affirmant recevoir plein de dollars de sa marraine vivant à New York. Évidemment, il l’avait crue. D’ailleurs, ce n’était pas ses affaires. Son centre d’intérêt se situait quelque part dans le jardin d’Eden de ces dames. Il attendait avec une patience d’ange qu’on lui ouvre les portes du paradis. Néanmoins, il avait l’impression de toujours jouer de malchance. Il ratait toujours l’occasion d’assister au spectacle. Il arrivait trop tard ou trop tôt. Il ne savait plus. Tout était si confus dans sa tête. Il lui fallait toujours chercher à mettre de l’ordre dans ses pensées. C’est vrai qu’il n’avait pas encore vu le show de sa vie, mais il avait ces jours-ci quelques compensations. Nadine acceptait de se laisser embrasser, de se laisser peloter. L’autre soir il eut même droit à une gentille gâterie. Alors qu’il sentait son crâne pris dans un étau, tant le désir le taraudait, elle s’était agenouillée à ses pieds et l’avait soulagé de la belle manière. Il lui en avait été tout reconnaissant. C’était comme une promesse pour l’avenir.

«Florence peut arriver d’un moment à l’autre!» avait dit Nanouche, en se relevant précipitamment après qu’il eut joui, comme si elle s’était rendue coupable d’une quelconque faute.

Plus tard, dans le salon en présence de Florence, Alain avait adopté un air victorieux. Une attitude qu’il affichait quand il lui arrivait de baiser la femme d’un autre.

* * *
Quelques jours plus tard…

«Je crois qu’il est à bout de patience! déclara Florence, qui commençait à craindre le pire. Nanouche, tu pousses trop loin le bouchon, et ça m’inquiète».

– Allons, allons! pas de panique ma grande. Le fruit est presque mûr, encore quelques mois, et l’affaire sera dans la poche, rétorqua Nadine, sûre d’elle. Je ne vois pas pourquoi tu t’énerves de la sorte. Ce type est la chance de notre vie, et toi tu risques de tout gâcher à cause de cette peur ridicule. Même en imaginant le pire, qu’est-ce qui peut bien nous arriver?

– Moi, je connais les hommes. Quand ils sentent avoir été bafoués, le plus doux d’entre eux peut devenir un lion, ou plutôt un tigre, en tout cas une vraie bête sauvage.

– Bafoué? À ton avis, c’est quoi être bafoué?

– Être bafoué veut dire, qu’on lui a laissé croire à des histoires, des choses totalement fictives.

– Fictives? s’étonna Nadine, en fronçant les sourcils. Mais, ma chérie, cela ne dépend seulement que de nous de rendre vraie cette situation.

À ces mots, elle s’approcha de son amie, l’enferma dans ses bras et lui piqua un baiser au coin des lèvres.

C’est à ce moment précis, qu’Alain, qui arrivait à l’improviste, ayant toujours voulu les surprendre dans les bras l’une de l’autre, rentra dans la maison. Vite, il se cacha. Aujourd’hui, c’était la chance de sa vie. Il allait enfin pouvoir assouvir son voyeurisme.

Florence la repoussa. Nadine éclata de rire.

«Et ton cœur qui bat la chamade quand tu es dans mes bras. C’est fictif ça? C’est vrai qu’il aurait pu exister un lien très étroit entre nous. Si tu veux être loyale envers Alain, tu n’as qu’à claquer les doigts et nos rêves deviendront réalité».

– Nos rêves? nos rêves, dis-tu? protesta Foufoune, parle pour toi, je suis une femme bien, moi.

– Oui je sais… qui va à l’église tous les dimanches… susurra Nanouche, en prenant à nouveau son amie dans ses bras.

– Arrête! je crois qu’à force de jouer avec le feu, tu vas finir par t’y brûler.

– Brûler? Ça fait longtemps que tes mains sur mes cuisses provoquent en moi cette sensation de brûlure. Une sensation dévorante. Je crois qu’à ce rythme, je ne vais plus pouvoir résister longtemps à tes charmes.

Nadine tenta de lui voler un baiser mais Florence la repoussa plus fermement cette fois.

«N’essaie pas de jouer ton petit jeu de séduction avec moi aussi. Je ne te connais que trop bien. Tu ne veux que m’amadouer pour m’inciter à continuer à jouer mon rôle dans ton scénario… macabre».

– Ah! Ce n’est que maintenant que tu le trouves macabre, après avoir encaissé une rondelette somme d’argent? Peut-être que tu es vraiment tombée amoureuse de ce bellâtre, ou plutôt… c’est son argent qui t’attire! Tu dois sûrement te demander pourquoi avoir une intermédiaire, quand tu pourrais… te servir toute seule, comme une grande fille. Peut-être trouves-tu le partage non équitable? La moitié des gains ne te suffit-elle plus?

– Parlons-en de moitié! Tu ne m’en donnes que 20 %, dit Foufoune rageusement.

Nadine garda son calme comme à l’accoutumée. Une lueur cynique et méchante fit briller son regard comme une lame de couteau.

«C’était donc ça! maugréa-t-elle lentement entre ses dents. Inutile de prendre des airs avec moi. Dis ce que tu as sur le cœur. Mais ne me fais pas croire que c’est au nom d’une certaine morale que tu abandonnes la partie. Car de moralité, tu n’en as jamais eu. Allez! dis… dis ce que tu sais! N’aie pas peur».

– Je sais… je sais que tu voles plus d’argent que tu ne le prétends, dans l’attaché-case d’Alain, répondit Foufoune, dans un souffle.

– Ah oui! Et, comment as-tu pu le découvrir? Qu’est-ce que c’est que l’amitié? Je t’ouvre les portes de ma maison, j’accepte que tu passes une nuit dans mon lit, et toi, comment me remercies-tu? En m’espionnant… en fourrant ton nez dans mes affaires…

– Oui, je l’ai vu, cet argent dissimulé dans le tiroir de ton chiffonnier. Je n’osais rien dire, j’attendais que tu aies un geste de générosité envers moi. Et qu’as-tu persisté à me donner? Des miettes!

– Et alors? tonna Nadine, que la colère transformait en véritable furie. C’est bien pour moi que ce type est ici. C’est moi qui te l’ai présenté, non! Et puis c’est aussi moi qui vole. Je fais tout le boulot, ma vieille. Toi, tu n’es qu’une figurante plutôt active. Qui a conçu ce merveilleux plan? Qui maintient cet homme, chaque jour, rivé à nos pieds? C’est encore moi. Et tu viens me raconter que je ne suis pas honnête envers toi. Mais bon Dieu! comme tu peux être sotte! D’ailleurs, y avait-il un quelconque contrat entre nous, stipulant que je te devrais 50 % de tout ce que je piquerais à ce monsieur? Écoute, c’est au nom de l’amitié qui nous lie que j’ai décidé de partager avec toi. Note bien que j’aurais pu ne rien te dire et manger toute seule. Ce geste posé, ma chère, s’appelle: de la solidarité. Mais toi, tu n’en as cure. Tu sais bien qu’à ma place tu n’aurais pas fait de partage. Tu aurais tout garder pour toi.

– Hep, hep, hep! je t’arrête ma jolie! Ne viens pas me faire accroire non plus à ton grand cœur. Toi, tu ne voulais qu’acheter ma confiance et ma conscience. Je ne suis pas dupe. Loin de là. Je sais même que tu as fait l’acquisition d’un terrain à Thomassin. Mais ça, il fallait pas que je le sache.

– Sale garce! s’énerva Nadine. Tu as sûrement dû coucher avec mon notaire pour avoir obtenu pareil renseignement.

– Et alors? Toi aussi, tu as bien couché avec lui pour qu’il accepte de payer les dix mille dollars qui te manquaient pour l’acquisition de ce terrain.

Derrière le mur de la pièce voisine, Alain, abasourdi par toutes ces révélations, était livide, paralysé, assommé par l’horreur.

«Je vais t’étrangler, petite salope!» gronda Nanouche.

Sur ce, elle lui administra une magistrale gifle.

Florence riposta. Sa claque à elle déséquilibra Nadine qui alla rouler sur le tapis du salon.

Cette dernière, dont la rage décuplait les forces, se releva à la vitesse de l’éclair et se jeta sur sa rivale. Elle l’attrapa par le col de son vêtement et l’envoya rouler à son tour sur le parquet.

Une empoignade d’une rare violence s’ensuivit. Elles se battaient du bec et des ongles, dans un combat qui dura bien une bonne dizaine de minutes. Puis, sans motif apparent, les coups cessèrent de pleuvoir, tandis que Nadine chevauchait encore Florence étendue sur le dos. Alain les vit tout essoufflées se mesurer du regard, se défier. D’un coup, comme le vent tombe en pleine tempête au milieu de l’océan, elles tombèrent dans les bras l’une de l’autre et se mirent à pleurer, à se demander pardon mutuellement. Hébété de souffrance, écrasé par l’ampleur de l’horreur, Alain les regarda se caresser pour se consoler, sans sourciller. Il savait bien que si elles faisaient la paix, après toutes les horreurs et les insanités qu’elles avaient échangées, c’était pour mieux pouvoir le gruger. Elles avaient trop d’intérêts en commun. De rester fâchées, ç’aurait été une grave erreur.

Quand il eut la force de marcher pour repartir sans faire de bruit, elles s’embrassaient en disant regretter de s’être emportées. Ironie du sort, c’était peut-être la seule et unique fois où elles ne faisaient pas semblant. Cette unique fois où il aurait pu rester et jouir du spectacle. Mais, hélas! il n’avait plus le cœur à ça! De toute évidence, il s’en voulait de s’être fait avoir, lui, l’homme expérimenté, par ces deux petites putes de rien du tout. Il s’éclipsa sans bruit, la mort dans l’âme.

Dehors, il fit glisser sa voiture sans faire démarrer le moteur. Ce n’est qu’au bas de la rue qu’il fit tourner celui-ci, et s’en fut, la rage au cœur et de l’amertume plein la bouche. Dire qu’il avait fait incarcérer son commis de recouvrement, révoqué le comptable en chef de la compagnie et plusieurs de ses employés les accusant d’avoir volé ces sommes d’argent qui se volatilisaient sans que personne ne sût ni pourquoi ni comment. La compagnie avait eu de sévères difficultés financières à cause de ces vols. Il aurait pu crier faillite et ne jamais savoir que ces garces avides et cupides étaient les seules responsables de son malheur. Mon Dieu! sa femme, ses enfants, il les avait négligés pour courir après un leurre. Tout ça à cause de ce maudit fantasme qui ne le lâchait pas. Des femmes, tapies dans l’ombre, connaissaient ce poison distillé dans le sang des hommes et s’en servaient pour parvenir à leurs fins. S’il n’avait pas passé son temps à essayer de surprendre ces dames, il n’aurait jamais rien su. Son univers se serait écroulé autour de lui que ces femmes cyniques et méchantes n’auraient pas sourcillé. Pourtant, il les avait imaginées, à tort, toutes les deux amoureuses de lui. Un moment, il avait même espéré que le mobile de leur dispute serait la jalousie. Qu’est-ce qu’il était bête! Et cela, il ne se le pardonnerait pas. À tort, encore une fois, il les avait crues toutes pleines de tendresse et d’affection. Mon Dieu! qu’est-ce que le monde pouvait être violent! La vraie violence n’est pas souvent là où l’on croit. Il se remémora tout le film de son aventure avec ces demoiselles et eut un haut-le-cœur de dégoût. Il s’était fait avoir comme un jeunot. Tous les cadeaux offerts par Nadine avaient été payés avec son argent. Dire qu’il avait cru en la perle rare, celle qui voulait tout donner sans espérer recevoir en retour. Sa vie de ces derniers mois: un tas de mensonges immondes. Ces filles s’étaient jouées de lui, et cela, il ne le leur pardonnerait pas non plus. Et sa colère tomba soudain pour être remplacée par une rage froide et dévastatrice. Il fallait leur donner une leçon mémorable. Mais, laquelle? Vivre avec cette humiliation, il le savait, lui serait insupportable. Plutôt mourir que d’accepter d’avoir été dupé de la sorte. Il réfléchissait à une telle allure qu’il sentit sa tête prête à éclater. Il avait envie de se confier à quelqu’un, mais à qui? Son frère, Jérôme, qui lui avait présenté Nadine et qui lui avait même refilé quelques photos d’elle en bikini au bord de la piscine. Jamais! Son orgueil en prendrait un coup. Sa femme, Sophia? Impossible! Comment avouer sa faute, sa déconfiture après l’avoir tant fait souffrir. Ses amis? Impensable! Ils les entendaient déjà ricaner dans son dos et colporter des ragots de toutes sortes. Il paniqua encore plus, se retrouvant subitement seul avec sa douleur, son dégoût, sa rage, son dépit et son désir de vengeance.

Quand il rentra enfin chez lui, après avoir passé des heures à tourner en rond sans trouver de repos d’esprit ni de solution à ses problèmes, il prit une bonne douche comme à ses habitudes. Néanmoins, ce n’était pas, cette fois, à cause d’une quelconque fragrance qui aurait pu le trahir, mais pour essayer de laver ses plaies encore vives et toutes sanguinolentes. Penaud, il se coucha, la mort dans l’âme. Sophia attendit vainement qu’il lui fasse l’amour de cette manière frénétique dont il l’avait habituée depuis quelques mois. Elle l’entendit soupirer puis se tourner et se retourner dans son lit. «C’est fait! ce soir il m’a trompée avec une autre. Je n’ai plus qu’à faire mes bagages!» pensa-t-elle, totalement désorientée.

* * *
Rongé par son chagrin, sa vexation, ses doutes et ses incertitudes, Alain ne dormit pas de la nuit. Il se leva le lendemain tel un automate avec toujours ce flot d’amertume et de désespoir qui le submergeait et le rendait fort malheu-reux. Il serra très fort contre lui ses enfants qui partaient pour l’école, refusa de prendre son petit déjeuner, embrassa sa femme du bout des lèvres. Il avait une telle honte et ressentait une telle culpabilité envers elle qu’il évita de croiser son regard. Elle aurait pu découvrir dans le sien tout le désespoir du monde. Il ne voulait surtout pas de sa pitié, cela l’aurait désespéré encore plus.

Il arriva au bureau, la mine basse et l’air contrit. Sa secrétaire pensa: «Encore de mauvais quarts d’heures à passer!» Il avait été si furieux ces jours derniers. Encore un peu, il aurait révoqué tous ses employés, les soupçonnant de ces vols incompréhensibles. Nul n’osait respirer, tant la situation était tendue.

Au grand étonnement de sa secrétaire, il alla s’enfermer dans son bureau sans prendre sa tasse de café. Il en reparut plus d’une heure plus tard, la mine défaite et l’œil hagard.

«Mademoiselle Bénédicte, appelez le commissariat de police et faites savoir au commissaire Arnaud que j’ai découvert les vrais auteurs de ces vols pour le moins surprenants et que je lui demande, instamment, de libérer Harry Jeannot, notre commis, qui est totalement étranger à cette affaire. Veuillez aussi adresser une lettre d’excuse à monsieur André Solages. Dites-lui que mes accusations étaient sans fondement et de me pardonner cette erreur. Faites-en de même pour les six autres employés qui ont été, eux aussi, limogés dans le cadre de cette affaire de vols et priez-les de bien vouloir réintégrer leur poste dès demain matin avec une augmentation de salaire de 20%».

– Bien monsieur! C’est tout? demanda mademoiselle Bénédicte, heureuse et ébahie.

Alain réfléchit un instant.

«Préparez une circulaire où il sera question de ne plus travailler le samedi. Désormais, le week-end sera consacré à la vie de famille».

Mademoiselle Bénédicte ne put contenir sa joie.

«Merci monsieur! Oh, merci!» cria-t-elle, hilare.

– Il n’y a vraiment pas de quoi! dit Alain, soulagé de pouvoir faire des heureux. Je vous le devais à tous, pour vous remercier de votre fidélité à la compagnie. Pour terminer, quand vous aurez un temps mort, essayez de joindre monsieur Alexis Riboule, de la section des faux billets, à la Banque nationale. Dites-lui que j’aimerais le rencontrer, au Plaza, à l’heure du déjeuner.

– Bien, monsieur!

Alain eut à peine tourné le dos, que mademoiselle Bénédicte se précipita sur le téléphone et appela le chef du personnel:

«Odile, Odile, dit-elle la voix pleine d’excitation, monsieur Grandoit est devenu fou! …».


Il y deux tragédies dans la vie: l’une est de na pas satisfaire son désir
et l’autre de le satisfaire.

– Oscar Wilde

C’est le cœur gros et battant la chamade que Alain se rendit à l’appartement du morne Calvaire. Il était triste. Triste de jouer cette comédie ridicule. Triste d’avoir à faire semblant que rien n’avait changé. Cela lui en coûtait même de revoir ces demoiselles. Son premier réflexe ayant été de les fuir sans explication aucune. «Des êtres aussi abjectes ne mériteraient pas de vivre!» pensa-t-il.

Il se saisit de son attaché-case et descendit de voiture en essayant de se composer un visage radieux. Le visage des jours heureux.

Il pénétra dans la maison avec une légère appréhension se demandant si par hasard elles auraient su qu’il avait assisté à leur triste spectacle. Il aurait payé cher pour se trouver en Alaska en ce moment même. Le plus loin possible de cette ra-caille, qui, par son comportement odieux et inacceptable, le forçait au pire.

Les filles étaient au bord de la piscine, à demi-nues. Comme à l’accoutumée, elles offraient au soleil leurs corps magnifiques, aux courbes parfaites. Alain se consola en se disant qu’il y avait de quoi perdre la tête et faire mille bêtises. Somme toute, il n’était qu’un homme avec ses faiblesses et ses égarements. Un homme fait de chair et de sang.

Il vérifia que l’objet métallique était bien à sa ceinture et se composa un air enjoué afin de ne pas se trahir.

«Hello, mesdames!» lança-t-il à la compagnie.

Hi Alain! dit Nadine qui se leva pour venir à sa rencontre. Tu vas bien, chéri? poursuivit-elle, en s’accrochant à son cou et en l’embrassant sur les lèvres.

Elle le débarrassa de son attaché-case et posa celui-ci sur la table de pique-nique coiffée d’un parasol blanc, fleuri de jaune.

«Bonjour Alain!» dit suavement Florence, en le dévorant des yeux. À son tour elle se leva et vint l’embrasser aussi sur les lèvres.

Malgré lui, Alain se troubla. Comédie ou pas, ces baisers eux étaient chauds et bien vrais. «Dommage, mesdames… vous avez tout gâché!» pensa-t-il, en s’installant entre leurs deux chaises longues. Elles semblaient vouloir aller plus loin dans leur jeu funeste. Quelqu’un leur avait peut-être dit l’avoir vu rôder dans le quartier la veille, et elles tenaient à l’embobiner davantage? «Trop tard, mesdames… je ne marche plus dans la combine!»

Ils conversèrent quelques minutes à bâtons rompus puis Florence plongea, fit quelques brasses. Nadine fit de même après lui avoir servi une piñacolada qu’il se garda bien de boire. Il les vit nager sous l’eau leurs corps soudés l’un à l’autre. Un désir ancien sembla vouloir le chatouiller mais il ne broncha pas. Le dégoût eut vite fait de prendre le dessus. Un moment, il se demanda s’il ne devait pas les baiser toutes les deux pour laver ainsi l’insulte. Ses amis allaient se moquer de lui: «Quoi! elles t’ont joué ce vilain tour, et tu ne les as pas baisées avant de… quel con!» Tant pis s’il était con, mais leur faire l’amour maintenant aurait été comme forniquer avec de la vermine. Il préféra s’en abstenir.

Elles remontèrent à la surface en riant et en s’embrassant. Puis, sûres d’elles, elles revinrent s’installer à ses côtés.

«Quelle magnifique journée!» dit Nadine tout juste avant que le cellulaire d’Alain ne se mette à sonner.

La conversation, entre Alain et son interlocuteur, ne dura que quelques secondes. Puis, Alain s’excusa et se leva précipitamment, prétextant une urgence.

Elles protestèrent, mais il resta sourd à leurs arguments. Il fila, oubliant l’attaché-case sur la table de pique-nique au parasol fleuri.

«Quelle tête de linotte!» s’exclama tout haut Nadine, quand elle entendit démarrer le moteur de la grosse cylindrée.

D’un bond de félin, elle se précipita vers l’attaché-case et l’ouvrit. La surprise lui coupa le souffle. Des liasses et des liasses de billets verts et neufs s’y alignaient comme des soldats de régiment. Des dollars américains de toute beauté.

L’émotion rendit ses jambes flageolantes. Un violent vertige s’empara de tout son être. Elle dut s’asseoir pour ne pas perdre l’équilibre.

Foufoune se précipita à son tour. Elle tomba carrément à la renverse.

«Tu crois qu’il se souviendra de l’avoir laissé ici?» questionna Nadine soucieuse, alors qu’elle reprenait à peine ses esprits.

– Bien sûr que non, déclara Foufoune péremptoirement. D’ailleurs, même s’il nous pose la question, nous dirons n’avoir rien vu. Il ne saurait mettre en doute la parole de deux femmes en qui il a entièrement confiance.

– Souhaitons-le! rétorqua Nanouche, en palpant les billets avec douceur.

– Je pense qu’il vaudrait mieux mettre cet argent en banque tout de suite, proposa Foufoune, pressée de voir ce beau magot en sécurité dans les plus brefs délais.

– Ce serait trop risqué, dit Nanouche le regard perdu au loin. Il vaudrait mieux le garder à la maison et le dépenser au compte-gouttes, sans laisser de traces. Il ne nous faut courir aucun risque.

– Alors, ma chérie, cinquante-cinquante? demanda Foufoune en faisant un clin d’œil complice à son amie.

– Cinquante-cinquante, répondit celle-ci sans hésiter.

* * *
Le lendemain, Nadine reçut un coup de fil d’Alain.

«Excuse-moi chérie, mais je ne pourrai pas être des vôtres aujourd’hui. Mon attaché-case a été volé, hier, au bureau, et j’ai pu mettre la main sur le voleur. Je suis actuellement au commissariat de police où l’on vient d’incarcérer ce monsieur».

– Que c’est affreux! s’indigna Nadine jouant le jeu de la fille super-honnête. Oh, mon chéri! tu dois être dans un tel état!

– Tu parles! cela fait des mois que je perds mes affaires. Tu n’imagines pas. De fortes sommes volatilisées comme par enchantement. J’ai pu enfin attraper cet escroc qui vivait dans mon sein sans que je ne le sache.

– C’est horrible, vraiment. On n’a pas idée de faire ça aux gens.

– Tu ne saurais si bien dire. Ces incidents avaient entraîné l’arrestation d’un employé et la révocation d’une bonne douzaine de personnes. D’honnêtes employés qui se sont retrouvés du jour au lendemain sans boulot, sans ressources pour faire vivre leur famille. Et puis, la compagnie était au bord de la banque-route, incapable de payer ses traites à la banque.

– Ce type est un criminel! s’indigna de nouveau Nanouche. Il mérite bien le traitement que tu lui infliges.

– Je t’assure qu’il va passer de longues années en prison.

– Le châtiment est juste, insista la jeune femme. Ça lui fera passer l’envie de recommencer. Et toi? quand est-ce qu’on te revoit? Foufoune et moi nous faisons une petite fête à la maison demain en ton honneur.

– Ah bon! s’étonna Alain, tu m’en vois tout réjoui… et c’est à quelle occasion?

– C’est pour fêter l’heureux jour où nous avons fait ta connaissance, Foufoune et moi. Quel jour merveilleux cela a été!

– Oh, mon Dieu! que c’est charmant! Vous me gâtez trop, mesdames, vous allez me faire rougir.

– Alors, on peut compter sur toi, mon chéri?

– Malheureusement non! Je suis vraiment désolé, mais cela coïncide avec mon anniversaire de mariage. J’ai promis à ma femme et à mes enfants de les emmener en croisière dans la Caraïbe. Et il est trop tard pour différer le voyage. C’est dommage que tu ne m’en aies pas fait part depuis la semaine dernière, j’aurais pu…

– Ne t’en fais pas, mon chéri. Nous attendrons ton retour. Tu reviens quand?

– La croisière dure une vingtaine de jours. Puis nous passerons une semaine en Floride. Question de voir la petite famille. Je serai là vers la fin du mois.

– Eh bien! bon voyage, mon amour, tu vas nous manquer!

– Et moi donc! Je t’appellerai dès que je serai sur place. Et puis surtout, soyez sages, ajouta-t-il sur un ton doucereux, plein de sous-entendus.

– Ne t’en fais pas pour ça. Nous serons aussi sages que des images.

Quand Nadine raccrocha, des larmes de bonheur glissaient lentement sur ses joues.

«Adieu misère, adieu! Vive la dépense à gogo!» cria-t-elle enfin, avant de tourbillonner dans la pièce comme une toupie folle.

* * *
Deux semaines plus tard…

Nadine entendit sonner à la porte de son appartement. Elle jeta un dernier regard à sa glace et mit une dernière touche à son maquillage. Elle se sentait si belle et si bien dans sa nouvelle garde-robe! Celle-ci lui avait coûté une vraie petite fortune, mais qu’importe. Quand on a de l’argent, autant le dépenser.

«Voilà Philippe! souffla-t-elle à Foufoune assise sur le lit en train de se laquer les ongles. Enlève ton soutien-gorge et va lui ouvrir. Tes seins magnifiques sous ce débardeur blanc seront tout bonnement irrésistibles. Je te suis de quelques secondes».

Ce disant, elle flatta de la main la belle poitrine de son amie.

Quand elle ouvrit la porte d’entrée, Foufoune ne put réprimer un geste de surprise.

Quatre policiers se tenaient sur le seuil, leurs mains prêtes à dégainer leur revolver.

La jeune femme poussa un cri. Nanouche accourut.

«Pas un geste! Vous êtes en état d’arrestation!» tonna une voix forte.

Tandis que les trois autres policiers menottaient ces dames sans trop de ménagement, celui qui paraissait être le chef débita d’une traite:

«Je suis le commissaire Fritz Arnaud, de la brigade criminelle, chargé de l’affaire Nadine Conzé et Florence Coupeau. Vous êtes accusées de faux et d’usage de faux billets de banque. Voilà des semaines que la police vous avait prises, toutes les deux, en filature. Cela nous a permis de faire le jour sur ce flot de faux billets américains qui avait, subitement, inondé le marché. Vous avez le droit de garder le silence et de faire appel à un avocat. Au cas où vous n’en aurez pas, l’État se charge de vous en nommer un d’office, selon les prescrits de la loi…».

3 novembre 2000

 

Sur ce, Dieu regagna son bureau et referma la porte soigneusement derrière lui.

Tapi dans l’ombre, un homme attendait, visiblement nerveux.

«J’ai tout réglé pour vous! lui dit-il. Désormais, les hommes peuvent être tranquilles. Les femmes leur seront toutes dévouées. J’ai réussi à convaincre celles-ci de se montrer plus tolérantes à l’endroit de leurs congénères de la gente masculine».

Dieu soupira profondément, puis ajouta sur un ton de confidence:

«Je compte sur vous pour ne jamais parler de notre petite conversation à ces da-mes. C’est un secret entre vous et moi… disons… un secret entre hommes!»


Innocents fantasmes ont été publiés pour la première fois en Haïti, 2001, avec le tableau d’Albert Desmangles (collection Georgette Pradel), reproduit en haut de cette page, comme illustration de couverture.  (Distribution:  Communication Plus, complusa@yahoo.com, Plaza 32, angle autoroute de Delmas et Delmas 32, B.P. 13205 Delmas, Haïti 6120).  Dépôt Légal 01-04-144, Bibliothèque Nationale d’Haïti, Achevé d’imprimer en mai 2001 sur les presses de l’Imprimeur II, ISBN 99935-617-1-1.

Saisie électronique : Yasmine Léger, Margaret Papillon.

© 2001 Margaret Papillon © 2002 Île en île


Retour:

/margaret-papillon-innocents-fantasmes-un-roman-ose/

mis en ligne : 19 janvier 2002 ; mis à jour : 26 octobre 2020