Jean-François Samlong, Écrire une île, ou l’écriture de la différence

 

     Que dire d’une littérature qui n’a pas dit encore le millième de ce qu’elle a à dire ? L’histoire remonte à Parny, Leconte de Lisle, Marius-Ary Leblond, puis elle passe par Axel Gauvin, Jean Lods, Monique Agénor, autant de voix pour redonner ses lettres de noblesse à la littérature réunionnaise. Avec cette vitalité qui caractérise toute jeune littérature, nous voulons écrire notre différence dans une démarche créatrice, novatrice, qui n’oppose ni les langues ni les cultures, et qui ne réveille pas non plus la guerre des identités.

     L’école à la française : langue, littérature, culture. Un héritage considérable, qui n’a pas de prix. Il n’empêche que si je m’arrête à ce que l’école m’a appris, je ne pourrai pas aller très loin dans mon cheminement d’homme, d’écrivain, de citoyen. Ce que l’école ne m’a pas appris, c’est l’île qui me l’a donné : une langue maternelle et une culture plurielle.

     Une langue créole qui a ses propres richesses langagières.

     Une culture métisse riche des cultures des quatre continents de par le peuplement de l’île dès l’aube de la colonisation : l’Europe, l’Afrique, l’Inde, l’Asie, sans compter l’apport de Madagascar et d’autres pays.

     Mes romans sont nourris de toutes ces cultures.

     Toutes ces cultures qui se croisent dans mes romans sont autant de richesses, me semble-t-il, pour la littérature française par le jeu du droit à la différence. Dans le concert de la Francophonie, c’est cette voix que j’aimerais faire entendre. La voix de l’autre. Le respect de l’autre, des identités. Ces données m’obsèdent tellement qu’elles reviennent d’un roman à l’autre, sans doute parce que je n’ai pas encore tout dit sur la période esclavage/marronnage qui a marqué à jamais l’histoire de La Réunion par son extrême violence.

     Les personnages, les éléments, les actions, les réflexions que je choisis pour mes romans doivent dire une seule et même chose : ma langue maternelle (le créole) et ma culture sont ma chair vive, et c’est dans cette chair vive que la culture française laisse sa précieuse empreinte. Si l’on ne respecte pas ce qui constitue mon identité propre, cette empreinte est des plus superficielles et finalement n’intéresse personne. Pire, cette empreinte factice peut être la source de conflits identitaires, de guerres des langues et des cultures.

     Depuis les années 80, la France accueille favorablement l’idée que sa propre culture puisse être enrichie de cultures venues d’ailleurs, à l’échelle de la Francophonie, et dès cet instant elle n’a jamais été aussi forte de l’Afrique au Canada en passant par les Caraïbes, l’océan Indien… Mon île est le monde et je n’ai de cesse de l’écrire sous l’empreinte française.

 


Ce texte de Jean-François Samlong, « Écrire une île, ou l’écriture de la différence », est la réflexion qui a conduit l’auteur à écrire L’Empreinte française, roman paru aux éditions Le Serpent à Plumes à Paris en 2005.

Copyright © 2005 Jean-François Samlong


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mis en ligne : 28 janvier 2005 ; mis à jour : 21 octobre 2020