Danièle Taoahere Helme – La Polynésie !

Littérama'ohi

Littérama’ohi numéro 1 (mai 2002)

La Polynésie !

par Danièle Taoahere Helme

Avant de parler de la littérature en Polynésie, je veux d’abord saluer le berceau qui a accueilli mon enfance, Tahiti c’est la Mère qui va délivrer l’authenticité, les expériences, l’éducation, les croyances, les changements, les réalités de la vie.

Votre vœu !

La vie m’a déposée dans un coin privilégié,
Je n’ai point vu de paradis !
Voulez-vous du noir à la place du bleu ?
Qu’il en soit fait selon votre vœu !

La vie m’a rendu ce noir que j’ai créé,
Je ne vois plus ce coin de ciel bleu !
Faut-il persister dans cet espace peu glorieux ?
Qu’il en soit fait selon votre vœu !

La vie m’a donné des retournements,
Qui m’ont fait désirer un peu,
De ciel bleu dans un être fait de nœuds,
Qu’il en soit fait selon votre vœu !

La vie m’a restituée ses couleurs,
Que n’ai-je tant attendu cette harmonie,
Pour rendre hommage à ma Mère la Polynésie,
Qu’il en soit fait selon votre vœu !

La Polynésie fait partie des peuples qui transmettent la Tradition à partir de l’expression orale et du ressenti. Il y a donc les fervents défenseurs de cette tradition qui veulent transmettre de génération en génération ce que l’âme ou l’identité veut perpétuer dans sa mouvance et son orientation.

La culture a besoin d’authenticité pour perpétrer ses racines, sa danse, sa sculpture, ses tatouages, ses courses de pirogues, sa peinture, son artisanat. C’est la nature originelle de la Polynésie…

Beaucoup d’artistes ont d’ailleurs trouvé leur source d’inspiration sur la Terre polynésienne, et nombreux sont les peintres qui ont traduit à leur manière les paysages et les mythes, les états d’âme perçus dans le cadre de notre « fenua ».

Dans cette mouvance, il y a les observateurs ou les sages qui donnent l’interprétation de l’évolution. Les sages sont ceux qui savent scruter l’horizon et les événements, cela faisait partie de leur perception et de leur communication, bien avant que les moyens techniques envahissent et dominent par le raisonnement.

Ces sages observent les maîtres dans leur spécificité de créateurs dans le langage particulier à chacun dans son unicité.

Les créateurs donnent l’impulsion et l’orientation à un groupe ou une structure par l’originalité de leur créativité, grâce probablement à une personnalité retournée dans toutes ses sensibilités pour en extraire une essence pure : l’éternelle question que posait Gauguin à travers sa peinture : Qui suis-je ? D’où venons-nous ? Où allons-nous, questions toujours actuelles, questions d’identité, questions sur nos origines et sur la direction à prendre !

Je m’incline toujours avec respect devant l’authentique qui admet ses sensibilités pour les exprimer en impulsions dynamiques qui s’infusent dans la réalité quotidienne.

Je suis par contre interrogative devant la réalité d’ un système qui a accéléré le processus de croissance de l’identité « Ma’ohi » (« pousse propre »), en utilisant les hormones de croissance de la puissance matérielle, sans avoir pressenti les conséquences d’inadaptation de la population tahitienne transposée trop brutalement dans un tourbillon d’évolution contraire à son rythme naturel.

Devant cette évidence, il faut retrouver un équilibre entre les deux courants, culture et société moderne, afin que le « ma’ohi », trouve les repères adéquats à ces concepts nouveaux.

Fare ou appartement, pirogue ou ferry, guitare ou chaîne stéréo, comment concilier naturel et progrès, histoire et modernité, y a t-il encore de la place pour les écrits ?

La littérature dans cette optique a toute sa trajectoire, conserver les traditions pour les transmettre à une jeunesse consciente d’un modernisme mais aussi en attente de retrouver ses racines à partir de son histoire.

L’oralité garde sa dimension, et les écrits vont consacrer cette mémoire pour redire les fondements de la nature du Polynésien sous tous ses angles : familiaux, religieux, spirituels, professionnels, sportifs, culturels, ses luttes et ses crises de croissance.

Quelle maturité recherche la Polynésie ?

Il est important d’entendre les attentes réelles de la Polynésie à travers le vécu de chacun et la perception des choses. C’est aller vers un développement culturel et cultuel qui épouse les transformations d’une réalité qui se cherche.

C’est là le rôle du penseur, de la quête, du questionnement, du pourquoi et du comment.

Chaque écrivain peut librement se laisser aller avec sa plume et ses convictions, qui conviennent et qui heurtent, qui plaisent et qui déplaisent, mais il a le mérite d’oser son interprétation, interpellant le lecteur par sa réflexion.

La littérature en Polynésie va donc proposer, sa tradition, ses récits, ses contes, ses légendes, sa prise de conscience, son aspect de vie…

Chaque plume a sa direction, et la diversité du style fait le potentiel et la richesse de l’ensemble. Cela correspond aux attentes différentes des lecteurs qui rejoignent l’écrivain dans une même recherche.

C’est l’expression qui est internationale, mais l’adaptation sur un sol polynésien qui permet de révéler la réalité, la connaissance, les espoirs et les difficultés d’un peuple en recherche de sa définition.

Pour ma part, c’est le relationnel, l’étude sociale avec ses adaptations et ses inadaptations qui vont servir de support à ma recherche, puisqu’elle est reliée à ma sensibilité de base « fa’aa’mu ».

Sommes-nous « itehia » (« reconnu ») ou « fa’aa’mu » (« adopté ») entre deux identités polynésienne et française, deux générations, deux façons de vivre, deux rythmes, deux traditions ?

C’est encore la quête d’identité.

J’ai besoin de naître en Polynésie,
Veux-tu bien m’accueillir,
Je ressens ton consentement,
Et je m’invite chez toi,
Qu’est-ce que j’ai à te dire ?
Je te connais déjà dans un autre espace temps,
Je n’ai pas pu être ton frère,
Je me présente comme ton enfant.
Je suis un peu secoué quand tu exprimes,
La danse, mais c’est notre langage.
Nous Polynésiens pour grandir, il nous faut,
Soleil, nature et eau.
N’oublie pas de m’inonder d’amour,
Cela me fait grandir plus vite !
Je voudrais déjà te délivrer les messages,
Dédiés à notre culture, cela se découvre,
Pour n’en boire que la subtilité !
Ma grand-mère ou première mère,
Selon la tradition va ouvrir,
Ma réalisation et préparer le terrain.
Elle a les prémisses de la tendresse,
Et la dignité du peuple polynésien,
Qui veut retrouver sa nouvelle vision des choses !
Quand je tressaille, les rythmes du « fenua » s’ajustent,
Tu perçois mes mouvements,
Comme le langage familier des « to’ere ».
Je résonne plus loin que tu ne le croies,
Car je suis « Hotu no te fenua »,
Mon placenta est sacré comme mon prénom,
Il faut le déposer en terre selon la coutume,
Car comme cet arbre planté,
Je prendrai racine dans le sol,
Pour relever tous ceux qui auront revêtu,
La nouvelle expression de notre peuple ma’ohi.

Le lien avec les écrivains : Littérama’ohi.

Un groupe d’écrivains s’associent…
C’est la naissance de Littérama’ohi, Te Hotu Ma’ohi. Quelle heureuse coïncidence avec ce poème qui vient d’être exprimé.
Flora Devatine, Jimmy Ly, Chantal Spitz, Michou Chaze, Patrick Amaru, Marie-Claude Landgraf, Danièle Helme…

Littérama’ohi, c’est la forme et le désir de faire vivre cette littérature avec ce qui est vrai et propre à chacun. Je salue l’initiative de Flora et je la remercie pour donner un dynamisme et une structure à la Littérature qui existe déjà.

Je suis consciente que chaque spécificité demande à se révéler. Je trouve extraordinaire ce travail de reconnaissance et de soutien qui va dans le sens de révéler. Croire au potentiel d’un groupe cela mérite d’être souligné !

Je reconnais que les encouragements stimulent la création et la production, le lien va se faire par affinités et complémentarités.

Je me sens encore en terrain d’approche dans cette démarche et pourtant j’apprécie déjà tellement de savoir où m’orienter pour rejoindre une convergence de l’expression. C’est une naissance qui a besoin de la maturité de chacun pour expérimenter et encourager l’écriture.

Beaucoup de jeunes aussi attendent de pouvoir révéler, des choses si simples mais si vraies. Je suis toujours étonnée de rencontrer à Nuku-Hiva des plumes d’enfants qui se laissent aller dans leur créativité et je veux vous présenter un extrait :

Il était une fois, un loir toujours noir,
Qui jouait de la guitare.
La famille Malet , adore le violet,
Pour sa beauté.
Le vieux ? Est toujours bleu ?
Oui, un peu.
Si tu es rond, dis la couleur marron,
Tu auras un bonbon.
Il faudrait passer un coup de Karcher à ce ver,
Il est tout vert.
On va sur ce banc, il y a un faon,
Dis, Monsieur Blanc !

de Kévin Teikiteetini
élève en classe de CM2, âgé de 10 ans :
14 octobre 2001 – Taiohae (Nuku-Hiva)

Les enfants veulent exprimer librement leur façon de percevoir les choses pour nous montrer que nous osons trop timidement. Le contenu a besoin d’être délié pour que la littérature trouve sa direction et sa dimension par la diffusion des écrits.

Les mots permettent de traduire ce qui est ressenti au plus profond de notre être. C’est l’instant particulier pour refaire la relation à partir de notre sensibilité ou de nos émotions.

La magie, c’est de pouvoir se déplacer sous tous les angles, dans les registres qui conviennent à notre expression, et de donner vie à une histoire, à une expérience, à un conte, à la Tradition.

Pourquoi ne pas risquer davantage ce cadeau merveilleux, qu’est l’écriture, car cela ne demande que l’investissement du rêve et de l’espace que l’on s’accorde. Et c’est tout simplement un pont dans la relation pour arriver à un échange verbal plus vrai, plus enrichissant, plus universel où tous les langages se confondent dans la Littérature…

Tous à vos plumes !

Danièle Taoahere HELME


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mis en ligne : 21 mars 2007 ; mis à jour : 25 avril 2021